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FAI: vers un devenir médium


par Gregory de Prittwitz
CELSA - la Sorbonne
Traductions: Original: fr Source:

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III. FAI: stratégies d'extension de métier vers un « devenir medium » pérenne et limites de la démédiation

Ce chapitre mettra d'abord en exergue comment et pourquoi les FAI ont amorcé une éditorialisation de contenus et les conséquences de cette stratégie dans les relations avec les éditeurs historiques. Ensuite, il sera question de la concurrence dans la création de valeur, ainsi que l'aboutissement médiatique qu'est la création d'une chaîne de télévision par un FAI. Cela prendra sa dimension dans un contexte de convergence des supports et des logiques de groupe. Enfin, le chapitre se penchera sur les perspectives à envisager sur le marché des médias et les recommandations en terme de pérennisation des acteurs au sein de ce marché en mouvement perpétuel. Enfin, nous nous interrogerons sur les conséquences de l'introduction des FAI sur le marché des médias. Quels en sont les impacts médiatiques et sociaux ? Quels sont les points d'achoppement du FAI à « être médium » ?

S'il est aujourd'hui envisageable de comparer des éditeurs de contenus historiques avec des fournisseurs d'accès à Internet, c'est en partie due à une mutation du marché à travers une réduction de leur nombre. On compte aujourd'hui trois principales entités de FAI qui, hormis Orange, ont procédé à des acquisitions-fusions. Cette tendance, prégnante à partir de 2003 a permis à un marché tripolaire de se structurer. Free a entrepris l'acquisition d'Alice, propriété de Telecom Italia en mai 2008, juste après que NeufCegetel, qui avait auparavant acheté AOL, Cegetel et ClubInternet rejoigne le groupe SFR et par extension Vivendi. Orange, fort d'une part de marché sur le mobile et le fixe d'environ 50% s'est vu refuser des acquisitions pour position dominante par la DGCCRS. Il est à noter que le fait que SFR rachète NeufCegetel dépend de paramètres structurels primordiaux dans l'évolution du marché, qui illustre l'écart stratégique et par conséquent financier entre FAI et opérateurs mobiles. Le Conseil de la Concurrence rend en décembre 2005 un jugement confirmant l'entente entre les trois opérateurs mobiles principaux100(*). Le tribunal est convaincu des collusions stratégiques entre ces derniers, avec une entente tant sur les parts de marché, Orange ne devant pas dépasser les 50% que sur le manque de stimulation concurrentielle. La guerre des prix n'a donc pas eu lieu et par conséquent les taux de marges et les bénéfices de chacune de ces entreprises étaient faramineux. Ce jugement permet de matérialiser l'antagonisme entre le mobile et le fixe, tant dans le rapport au client que dans les ressources économiques.

Les opérateurs fixes n'ont cessé d'investir dans la recherche et le développement, plaçant l'innovation au coeur de la bataille concurrentielle. Cela converge avec la vision qu'a Henri de Bodinat des entreprises optant pour la stratégie de valeur, qui « suppose à la fois une R&D importante et maîtrisée »101(*). Les opérateurs du fixe se sont mués en véritable forces de proposition, et ce de façon permanente et graduelle. C'est cette concurrence qui leur a permis aujourd'hui d'être comparés à des éditeurs historiques de contenus grâce à la mise en service d'une offre TV. Les acteurs du marché du mobile ont pendant ce temps, et ce peut être inconsciemment, réduit leur champ de recherche et développement et se sont confortés dans une stratégie de statu quo que les MVNO n'ont que très partiellement réussi à bousculer.

Le nombre restreint de canaux hertziens et le monopole de CanalSat sur les bouquets de chaînes s'inscrit dans une analogie avec les opérateurs mobiles dans leur incapacité à surpasser les structures du marché, qu'ils ont eux-mêmes favorisé à stabiliser. La preuve en est avec TF1 et son lobbying pour retarder la promulgation des décrets quant au développement de la TNT.

À la lumière des stratégies d'un opérateur comme Orange, qui profite de la convergence de ses supports, les marchés, auparavant imperméables semblent tendre à s'enchevêtrer et inscrivent chacun des acteurs dans un contexte assez flou. La concomitance de la convergence des supports et de la réduction du nombre d'entités sur le marché laisse entrevoir des stratégies de groupes volontaristes dans une logique de redéfinition du marché autour du contenu. S'il est un élément différenciant aujourd'hui dans le marché des media, il s'agit du contenu. Dans un contexte de fragmentation des audiences, de profusion des offres, la valeur éditoriale est au centre de l'attention des acteurs du marché.

A. Le contenu au centre de la stratégie de valeur

Quand Time Warner, premier groupe mondial de communication se fait racheter par America On Line, premier fournisseur d'accès à Internet aux USA, cela symbolise la tournure que prend le marche de la communication. L'originalité de ces fusions- acquisitions provient du fait que ce sont les « nouvelles entreprises » qui reprennent les entreprises traditionnelles. Les bases structurelles du marché, jusqu'ici stables, vacillent à travers ce type de fusion-acquisition. Ces mouvements capitalistiques mettent en relief les stratégies d'extension de métier des opérateurs Internet qui sont jusqu'ici cantonnés à un rôle de simple distributeur de flux. Philippe Boure affirme sur Acrimed.fr que « le medium Internet correspond à un vecteur communicationnel nouveau qui souffre jusqu'à présent d'un manque de contenu qualitatif. »102(*) Le contenu et les catalogues d'oeuvre sont au coeur des mutations économiques du marché des médias. En investissant dans le contenu, les entreprises d'accès à l'Internet transforment totalement le marché audiovisuel, tant dans sa structure que dans l'offre qui s'en suit.

1. L'éditorialisation de contenus délinéarisé décloisonne les TC du rôle de simple distributeur de services éditorialisés

La fragmentation des audiences est endogène à l'évolution des usages médiatiques, mais la délinéarisation des contenus sur les services audiovisuels de la télévision correspond à une adaptation des usages et des offres. L'adhérence utilisateur dans le cadre de l'offre VOD est forte puisqu'elle répond aux exigences de l'actant d'être central dans l'énoncé médiatique, à travers une maîtrise temporelle de la diffusion du flux. Ces nouvelles fenêtres de diffusion sont forces de proposition alternative à la linéarité discursive.

La chronologie des médias matérialise involontairement les déséquilibres qui prennent forme entre les FAI et les éditeurs historiques. Ces derniers concluent des accords avec la production d'une fiction en amont afin d'assurer sa diffusion télévisuelle deux ans après la sortie en salle. Entre temps, la VOD est autorisée à distribuer le film 33 semaines après sa sortie. Le temps d'arriver sur les écrans de télévision à des heures de grande écoute, le film aura jalonné les différents supports, et son attractivité aura fatalement été réduite.

Les Français sont majoritairement équipés d'écran de télévision dont la taille est plus grande que celui de leur ordinateur domestique. Les usages domotiques veulent également que la télévision reste géographiquement centrale au sein du foyer. Il faut en conclure que l'espace-temps dédié au divertissement privilégie l'utilisation de l'outil télévision à l'ordinateur pour le moment en tout cas. Nous évaluerons en aval les perspectives d'un ordinateur supplantant la télévision dans les usages domotiques. Les usagers auront donc tendance à se tourner vers des injonctions d'achats sur leur écran de télévision, et par essence vers les services VOD des FAI. Cependant, les éditeurs historiques, qui souffrent immédiatement de la fragmentation des audiences n'ont pas été les plus pro-actifs dans la démarche de mise à disposition délinéarisée de leurs contenus. Seuls leurs sites web ont fait office de fenêtre de diffusion délinéarisée.

Les éditeurs historiques ont donc fait preuve d'une certaine réticence à proposer ses contenus de façon délinéarisée. L'arrivée de « pure players »103(*) sur le net a enclenché la réponse des éditeurs sur ce même medium avec une mise à disposition progressive de leurs contenus. Comme explicité en amont, TF1 et CanalPlus ont su attirer un public nombreux avec leurs sites Wat et Crea+. Mais la réflexion stratégique de ces mêmes éditeurs est : « Comment monétiser une délinéarisation de contenus »? Cette question devient légitime lorsque l'on connaît les investissements consentis en production et en achat de droits par les éditeurs. La baisse des audiences entraînant une baisse des revenus publicitaires, la question des retours sur investissement se pose.

Pendant que les éditeurs estimaient les risques d'une délinéarisation de leurs contenus, certains opérateurs fixes mettaient en place des structures internes visant à développer une plateforme VOD propre, comme NeufCegetel et Orange. Cette démarche, par exemple chez NeufCegetel, est jalonnée d'une étape pendant laquelle l'opérateur fixe est simple agrégateur de plateformes, notamment, celles de Glowria, CanalPlus, TF1 Vision ou encore M6 Replay. En 2007, la direction de l'innovation estime judicieux de se lancer dans la fabrication d'une plateforme en propre, NeufVOD. L'activisme du FAI dans ce cas marque le détachement progressif de ceux que l'on appelait communément les « tubes » vis-à-vis des éditeurs historiques. L'animation de la boutique VOD en est l'illustration patente.

L'éditorialisation détermine des choix de films, des agrégations selon des thématiques, des mises en avant et des recommandations. Ces actions permettent d'augmenter sensiblement les ventes des contenus mis en valeur. Un certain nombre de ces actions recoupent les prérogatives de la programmation d'une chaîne de télévision. À cette démarche incluse dans une stratégie globale, il faut ajouter l'affranchissement des boutiques VOD de leurs fournisseurs de contenus : les catalogues des éditeurs historiques. Aujourd'hui, NeufCegetel dispose d'une plateforme propre, et propose l'accès à celles de TF1 Vision ou CanalPlay. La boutique axe son éditorialisation, son animation et son architecture autour des titres dont l'opérateur est directement distributeur, court-circuitant par conséquent les réseaux de distribution logiques. Il semblerait également qu'à ce jour, la question se pose d'agréger les boutiques en « stand alone »104(*) de TF1 ou M6 à NeufVOD afin d'en faire une seule boutique, ce qui ne semble pas réjouir les éditeurs-distributeurs historiques. La création de boutiques de chaînes devait émaner à l'époque d'un besoin de contrôler le non-linéaire au profit du linéaire. En effet, ces nouvelles fenêtres de diffusion constituent une concurrence indirecte et directe pour les éditeurs et distributeurs historiques. Indirecte dans l'exemple de la diffusion de Titanic par TF1, qui n'a pas drainé des audiences proportionnelles aux entrées en cinéma, directe pour Canal+ qui a demandé la fermeture de la fenêtre de VOD locative au moment où s'ouvrent ses propres droits de diffusion exclusive en pay TV105(*): la chaîne payante ne souhaite pas voir les films qu'elle diffuse, disponibles parallèlement en VOD.

L'éditorialisation par les FAI de contenus délinéarisés pourrait être assimilé à une forme de stratégie de valeur, dans sa capacité à répondre aux attentes des utilisateurs et à s'adapter aux évolutions sociologiques, aux transformations des usages. Didier Lombard a matérialisé cette tendance lors du MIPTV à Cannes en Avril 2008 : « La plupart des utilisateurs veulent désormais deux choses : accéder aux contenus de qualité ; et une flexibilité et une interactivité universelles : des contenus où ils veulent quand ils veulent. »

* 100 Le Conseil de la concurrence sanctionne à hauteur de 534 millions d'euros les sociétés Orange France, SFR et Bouygues Télécom pour échanges d'informations stratégiques et l'existence d'accord sur la stabilisation de leurs parts de marché.

* 101 de BODINAT Henri, 2007 « Les mystères de l'offre » Village mondial

* 102 BOURE Philippe (2004) « Régulations et dérégulations libérales des médias audiovisuels » ACRIMED

* 103 Pure Players : désignerune entreprise dont l'activité est exclusivement menée sur l'Internet

* 104 Stand Alone : Application qui se suffit à elle-même

* 105 Pay TV : Contenu nécessitant un achat

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