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de la libération de la créativité théorique au renouveau de la philosophie africaine dans sur la "philosophie africaine" de paulin hountondji

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par kouamé hyacinthe kouakou
Université de Bouaké (côte d'ivoire) - Maîtrise 2005
  

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CHAPITRE IV

POUR UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE

Au sortir de cette analyse, nous pouvons, avec Paulin HOUNTONDJI, faire un constat : le constat de l'aliénation de la vraie philosophie africaine. Celle-ci s'est enlisée depuis ses origines dans les `'sentiers bourbeux d'une ethnophilosophie douteuse'', complice du totalitarisme des régimes politiques africains, tarissant à sa source toute forme de liberté d'expression. Ce faisant, on assiste à l'échec de la philosophie africaine. Plus encore, ce qu'on entend désigner sous le terme de `'philosophie'' en Afrique diffère évidemment du sens même de ce mot tel que consacré par la tradition Occidentale. Et cela semble être perçu à sa juste valeur par HOUNTONDJI  : «Ainsi, les mêmes mots changent miraculeusement de sens dès qu'ils passent du contexte occidental au contexte africain, dans le vocabulaire des écrivains européens et américains, fidèlement imités en cela par les africains eux-mêmes. C'est ce qui se passe pour le mot `'philosophie''. Quand on l'applique à l'Afrique, il n'est plus censé désigner la discipline spécifique qu'il évoque dans le contexte occidental, mais seulement une vision du monde collective, un système de croyances spontané, implicite, voire inconscient, auquel tous les Africains sont censés adhérer : usage vulgaire du mot, autorisé, comme qui dirait, par la vulgarité présumée du contexte géographique auquel on l'applique.»76(*) Le vocable `'Philosophie'' est détourné de son sens habituel lorsqu'on l'applique à l'Afrique. Ce qui n'est nullement un fait du hasard, car comme le fait remarquer HOUNTONDJI, cela tient du fait que l'Afrique elle-même ne fait pas l'objet d'une appréciation positive.

Pourtant, nous ne devons pas le nier, l'Afrique, bien évidemment est un cadre géographique différent des cadres européen, américain ou asiatique ; mais elle n'en demeure pas moins une des composantes de ce que nous appelons MONDE. Il faut donc reconsidérer l'Afrique. Laquelle reconsidération rejaillit sur le sens même du terme `'Philosophie africaine'' qui doit apparaître non plus comme une caricaturale vision du monde, mais comme intégrant le vaste système de pensée mondiale. Mais cette intégration doit tenir compte de principes et exigences majeurs : d'une part la libération du discours philosophique africain à laquelle, succède une réorientation de ce discours-là. Voici esquissée l'ossature de ce présent chapitre.

A - DE LA LIBÉRATION DU DISCOURS PHILOSOPHIQUE EN AFRIQUE

La première condition à l'éclosion de la philosophie africaine - entendue dans son sens véritable - est inévitablement la libération du discours philosophique africain.

Discipline théorique, la philosophie, pour émerger, nécessite une totale autonomie ; laquelle autonomie se pose comme condition de son déploiement. En clair, il ne peut y avoir de philosophie que là où tous les obstacles se trouvent levés ; là où toutes les barrières se trouvent franchies. La philosophie ne commence donc que là où elle se trouve libérée des pesanteurs de tous ordres. Ceci pour dire que la philosophie suppose, au préalable, la liberté, entendue dans son sens le plus vaste possible.

On le sait, ce que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de `'philosophie'' occidentale a esquissé ses premiers pas dans la Grèce antique, sous l'impulsion de SOCRATE. Si SOCRATE peut être considéré comme le père de la philosophie occidentale, la Grèce antique quant à elle apparaît comme sa terre natale. A propos du monde grec, HEGEL écrit : «C'est le règne de la belle liberté. (...) C'est le règne de la liberté : non de la liberté déchaînée, naturelle, mais de la liberté éthique qui a un but universel, qui présuppose, veut et connaît non l'arbitraire et le particulier, mais la fin universelle du peuple lui-même77(*) On peut donc le dire, le monde grec se caractérisait par le règne de la liberté. C'est à cette seule condition qu'a été possible la philosophie. Or, la philosophie africaine qu'on entend bâtir ne doit pas se particulariser au sein de la notion générale de philosophie. C'est la raison pour laquelle l'éclosion de la philosophie en Afrique obéit à un certain nombre d'exigences dont la première est incontestablement sa libération effective des pesanteurs qui ont ici pour nom ethnophilosophie et pouvoir politique.

Ainsi, selon Marcien TOWA, «pour ouvrir la voie à un développement philosophique en Afrique, il faut que, résolument, nous nous détournions de l'ethno-philosophie, aussi bien de sa problématique que de ses méthodes.»78(*) Exigence majeure, car, comme nous l'avons souligné plus haut, l'ethnophilosophie, telle qu'elle fonctionne, entrave le véritable discours philosophique africain. Réhabiliter ce discours-là, c'est par conséquent, renoncer à l'ethnophilosophie qui n'est qu'une dénaturation du sens de la philosophie, aussi bien dans sa nature que dans ses enjeux. C'est dans le but de mieux faire comprendre la nature réelle de la philosophie que HOUNTONDJI tient à faire cette distinction entre le sens vulgaire et le sens strict du mot : «Selon le premier sens est philosophie toute sagesse individuelle ou collective, tout ensemble de principes présentant une relative cohérence et visant à régir la pratique quotidienne d'un homme ou d'un peuple. En ce sens vulgaire du mot, tout homme est naturellement « philosophe », toute société aussi. Par contre, au sens le plus strict du mot, on n'est pas plus spontanément philosophe qu'on n'est spontanément chimiste, physicien ou mathématicien, la philosophie étant, au même titre que les mathématiques, la physique, la chimie, etc. une discipline théorique spécifique ayant ses exigences propres et obéissant à des règles méthodologiques déterminées.»79(*) La philosophie est une affaire sérieuse. Il par conséquent apparaît malencontreux de la présenter sous un faux jour ; en rupture avec ce qu'elle a de spécifique. Pourtant, avec l'ethnophilosophie, nous assistons à la consécration du sens vulgaire du mot `'philosophie'' au dépend de son sens réel. En effet, dira HOUNTONDJI, ce sens vulgaire fait de tout homme et de toute société, des philosophes. Autrement dit, l'ethnophilosophie enseigne qu'on naît philosophe. L'Africain, sans le savoir, fait de la philosophie. Ce qui revient à ceci : en Afrique tout le monde est philosophe.

Une telle conception de la philosophie comme activité spontanée inconsciente, ruine à tout jamais le sens même de la philosophie. C'est pourquoi, suite à la distinction opérée plus haut, HOUNTONDJI en arrive à cette conclusion : «La distinction des notions de philosophie ne devrait pas conduire à une consécration du sens vulgaire, mais à sa ruine. Elle devrait contraindre à rejeter, comme nulle et non avenue, la pseudo philosophie des visions du monde, et faire voir clairement que la philosophie, au sens le plus strict, loin de continuer les systèmes de pensée spontanés, s'instaure au contraire en rupture avec eux - au lieu qu'en réalité elle sert ici de prétexte à nos auteurs pour entreprendre en toute bonne conscience, une reconstruction conjecturale de la sagesse africaine, érigée pour la circonstance en philosophie.»80(*)

Promouvoir la philosophie africaine, c'est, renoncer à tout jamais à l'ethnophilosophie. En y renonçant, on en fait de même à l'égard de ses problématiques. Plutôt que d'être une hypothétique vision commune du monde, la philosophie africaine doit au contraire apparaître aux antipodes de cette vision-là ; c'est-à-dire être tout simplement une vision individuelle, en rupture avec ce que pensent et ce que conçoivent communément les autres. C'est au prix d'une telle rupture, d'un tel divorce qu'a été possible la philosophie, à ses premières heures, dans la Grèce antique. Plutôt qu'une intégration dans la grande masse des idées qui foisonnent autour de soi, la philosophie est au contraire un digne retour vers soi, un repli sur soi-même. Dans ces conditions, pour HUSSERL : «En premier lieu, quiconque veut vraiment devenir philosophe devra «une fois dans sa vie » se replier sur soi-même et au-dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu'ici et tenter de les reconstruire. La philosophie - la sagesse - est en quelque sorte une affaire personnelle du philosophe. Elle doit se constituer en tant que sienne, être sa sagesse, son savoir, qui bien qu'il tende vers l'universel, soit acquis par lui et qu'il doit pouvoir justifier dès l'origine et à chacune de ses étapes, en s'appuyant sur ses intuitions absolues. Du moment que j'ai pris la décision de tendre vers cette fin, décision qui seule peut m'amener à la vie et au développement philosophique, j'ai donc par là même fait voeu de pauvreté en matière de connaissance.»81(*)

.82(*)Mettre à jour une oeuvre philosophique digne de l'Afrique et des Africains suppose un respect scrupuleux des exigences et des principes mêmes de l'émergence du savoir philosophique. C'est au nom d'une telle adhésion qu'il convient de ruiner à tout jamais la conception de la philosophie comme système de croyances tacites, immuables, réfractaires à tout développement. En effet, la conception de la philosophie africaine comme un système de croyances clos, achevé et immuable auquel adhèrent consciemment ou non les membres d'une même communauté suppose que partout, sur le continent, les conceptions des uns et des autres ne diffèrent guère. Plus encore, ces conceptions demeurent les mêmes par-delà le temps et les générations. Ce qui revient à dire qu'il y a eu pour toujours une seule conception philosophique en Afrique. Celle-ci n'a jamais évolué. Elle est restée la même. Or, de l'avis de HOUNTONDJI : «La philosophie n'est pas un système, si on entend par là un ensemble de propositions considérées comme définitives, un ensemble de vérités dernières, indépassables, qui représenteraient à la fois un aboutissement et un arrêt de la pensée. La philosophie en ce sens-là n'est pas un système, car elle ne s'arrête jamais, mais n'existe au contraire comme philosophie que dans l'élément de la discussion sous la forme d'un débat sans cesse rebondissant.»83(*) C'est dire que malgré la parenté essentielle qui puisse exister entre les diverses conceptions philosophiques, celles-ci, de loin, s'éloignent de l'approbation naïve, de la reprise en choeur des mêmes notions, des mêmes idées fortes. Pour nous en convaincre, jetons un regard sur l'histoire de la philosophie, de l'Antiquité grecque jusqu'à la période contemporaine.

Il est vrai comme le souligne NIETZSCHE, que «les différentes notions philosophiques ne présentent rien d'arbitraire ; elles ne surgissent pas par génération spontanée, mais se développent selon de mutuels rapports de parenté ; si soudaine et fortuite que soit leur apparition dans l'histoire de la pensée, elles n'en appartiennent pas moins à un système, au même titre que toutes les espèces animales d'une région déterminée.»84(*) Loin de nous, toute prétention à vouloir nier un tel état de fait. Nous constatons cependant, qu'en dépit de cette parenté, les divers courants philosophiques, tout en se servant de matériaux existants pour leur propre fonctionnement, n'en demeurent pas moins en rupture avec ceux qui les précèdent. On constate par exemple qu'en dépit des consonances platoniciennes qui ressortent de son oeuvre, ARISTOTE n'a élaboré sa pensée qu'en s'opposant à la théorie platonicienne des Idées. Aux Idées platoniciennes, ARISTOTE substitue la théorie du premier Moteur. DESCARTES, pur produit de la scolastique, prit l'engagement sur lui de douter de tout l'enseignement qu'il avait reçu ; doute au sortir duquel il construisit sa pensée. MARX, non sans avoir été disciple de HEGEL se présenta par la suite comme un des fervents opposants à la pensée hégélienne. À l'idéalisme historique de HEGEL, il substitue le matérialisme historique. On pourrait multiplier indéfiniment les exemples pour faire voir que la philosophie, loin d'être un système clos, immuable, loin de se présenter comme une simple reconnaissance, s'alimente au contraire d'incessantes fractures, d'incessants `'parricides'' qui, loin d'appauvrir l'activité philosophique, ne font au contraire que l'enrichir et lui donner toutes ses lettres de noblesse.

Il convient, dans ces conditions, de rechercher ailleurs la nature de la philosophie. HOUNTONDJI dira : «La philosophie n'est pas un système clos, mais une histoire,...»85(*) La conception de la philosophie comme histoire correspond au principe ci-dessus présenté, à savoir que la philosophie fonctionne sur la base d'un débat alimenté de vérités et de contrevérités. Pareille vision nous autorise à renoncer à l'idée qu'on a voulu nous donner de la philosophie africaine considérée comme une philosophie collective. Pour se développer, la philosophie africaine doit cesser d'apparaître comme un système clos, mais comme une histoire. Et en tant qu'histoire, elle tourne résolument le dos aux considérations engendrées par l'ethnophilosophie. Pour HOUNTONDJI, «dire que la philosophie est une histoire et non un système, c'est aussi dire qu'il n'y a pas de philosophie collective. Donc que la «philosophie» africaine, au sens de cette expression qui a été consacrée par les anthropologues, est un immense contresens. Il n'y a pas de philosophie qui serait un système de propositions implicites, un système de croyances implicites auquel adhéraient spontanément tous les individus passés, présents et à venir d'une société donnée. Cela n'existe pas, cela n'a jamais existé,...»86(*) Voilà qui est clair : la philosophie africaine doit fonctionner en rupture avec une adhésion massive à des valeurs d'une autre époque et d'un autre temps. Pareille rupture implique qu'il n'y a pas de philosophie collective. Il appartient, au contraire, à l'Africain de faire oeuvre originale. C'est à l'Africain, pris comme sujet, qu'il appartient de promouvoir la philosophie. Ce n'est donc plus la communauté qui pense à la place de l'individu. Une telle libération du sujet de la pesanteur du groupe implique désormais une multitude de visions et d'opinions, une pluralité de conceptions qui, loin de se réduire à une plate répétition les unes des autres se présentent au contraire sous l'angle de la contradiction. A ce sujet , pour HOUNTONDJI, il faut « en finir avec la valorisation exclusive de la pensée collective et reconnaître la nécessité, sur toutes les questions essentielles, d'une pensée personnelle, d'une prise de position qui engage la responsabilité de chacun et permette de construire, aux lieu et place de ces simulacres de débat où l'intimidation tient lieu d'argument et où l'on attend de chacun qu'il confirme son adhésion passionnelle à un catéchisme collectif, des débats authentiques fondés sur une libre confrontation et commune recherche de la vérité87(*) Or, justement, la condition à toute contradiction demeure d'abord et avant tout la discussion née d'un débat entre gens parlant de la même chose.

Par ailleurs, pareille discussion, pareil débat ne trouve sa condition de possibilité et d'émergence que dans le libre accès à la parole, dans le libre exercice de l'expression. Autrement dit, ne discutent que des gens qui ont une réelle possibilité de s'exprimer librement, au-delà de toute contrainte, capable de parler de tout. Nous touchons de ce fait au problème de la liberté d'expression comme condition nécessaire de la philosophie africaine.

Toutefois, l'on ne saurait poser la liberté d'expression comme fondement de la philosophie africaine qu'à condition de la poser comme fondement de la philosophie en général.

Mais, de prime abord, il faut retenir que la liberté d'expression elle-même découle de la liberté politique en général. C'est dire qu'il ne peut y avoir de liberté d'expression que là où règne d'abord et avant tout la liberté politique, préalable à toutes les autres formes de liberté. Ce qui, en fin de compte nous amène à postuler que la liberté politique s'inscrivant en première ligne de toutes les libertés favorise l'avènement de la philosophie ou pour être un peu plus clair, nous disons qu'il ne peut y avoir de philosophie que là où la liberté politique connaît un exercice véritable. C'est pourquoi HEGEL a pu écrire : «Historiquement, la philosophie ne se rencontre que là où fleurit la liberté politique, la liberté dans l'État...»88(*) Une meilleure compréhension de cette pensée nous autorise à affirmer dans la droite ligne de l'idée de HEGEL qu'un État totalitaire demeure résolument opposé au déploiement de la philosophie. Par contre, seul un État qui fait de la liberté des individus son souci majeur peut favoriser le rayonnement de la philosophie. Cela suppose, bien entendu, le respect des droits individuels. S'il est vrai que l'État est reconnu comme puissance souveraine, il n'en demeure pas moins que le principe du gouvernement des hommes doit reposer sur l'autorité des lois. C'est dire qu'au-delà des lois, nul n'a le droit de sévir ou de punir. La seule contrainte légitime est celle qui force les citoyens au respect des lois auxquelles ils sont soumis et qu'ils ont eux-mêmes instituées. Un régime politique qui observe une telle exigence se veut ami et complice de la liberté. Laquelle liberté doit être entendue dans son sens le plus large possible. Qu'il s'agisse aussi bien d'une liberté de faire ou d'agir, allusion faite à la liberté physique, la liberté civile, la liberté politique, la liberté de pensée et de conscience incluant la liberté d'expression.

C'est dire que lorsque nous parlons de liberté dans l'État, nous entendons par là tout ce qui est humainement possible de faire, de dire ou de penser dans le strict respect des prescriptions légales. Or, comme nous le savons, la philosophie est une activité de l'esprit. En tant qu'activité de l'esprit, elle ne saurait se déployer que là où l'esprit s'exerce librement, sans contrainte. Elle suppose, par conséquent, un libre exercice de la pensée favorisant une totale liberté dans l'expression. On ne peut donc rechercher la philosophie que dans un régime qui favorise au mieux cette liberté d'expression. Il en va de même pour la philosophie africaine. Celle-ci ne peut donc émerger que dans un cadre qui donne libre cours au droit à la parole, à la libre expression, plus encore à la libre critique. Ce qui revient à dire que pour le philosophe, aucune vérité ne saurait être définitive. Pour lui, rien ne va de soi : tout doit être passé au crible de la raison critique.

La philosophie, on le sait, recherche inlassablement le pourquoi des choses. Cette recherche ne peut être possible qu'à condition de tourner le regard interrogateur du philosophe sur son environnement proche et immédiat, lequel regard se veut critique. De là découle la conception de TOWA au sujet du philosophe et de la philosophie : «La philosophie ne commence qu'avec la décision de soumettre l'héritage philosophique et culturel à une critique sans complaisance. Pour le philosophe, aucune idée si vénérable soit-elle, n'est recevable avant d'être passée au crible de la pensée critique.»89(*) Le philosophe demeure de ce fait opposé à toute espèce de dogmatisme. Le seul principe qui le guide est la critique systématique des idées toutes faites. Chez lui, il n'existe point de tabou qui ne puisse être transgressé, de même il n'existe point d'idéologie qui ne puisse être mise en branle. Mais cela n'est possible qu'à condition de libérer effectivement le discours ; ce qui incombe d'abord et avant tout au politique. C'est en cela que réside le sens de cette préoccupation de HOUNTONDJI : «La science naît de la discussion et en vit. Si nous voulons que nos pays se l'approprient un jour, il nous appartient d'y créer un milieu humain dans lequel et par lequel les problèmes les plus divers pourront être débattus librement, (...). Cela suppose, on le voit, la liberté d'expression. Une liberté que tant de régimes politiques s'efforcent aujourd'hui d'étouffer, à des degrés divers. Mais cela veut dire, précisément, que la responsabilité du philosophe africain (comme celle de tout homme de science africain) déborde infiniment le cadre étroit de sa discipline, et qu'il ne peut se payer le luxe d'un apolitisme satisfait, d'une complaisance tranquille à l'égard du désordre établi - à moins de se renier lui-même comme philosophe, et comme homme. En d'autres termes, la libération théorique du discours philosophique suppose une libération politique.»90(*) En somme, il appartient au politique Africain de comprendre qu'en Afrique tous les hommes sont libres et égaux. Si une telle égalité se trouve érigée en principe de gouvernement, il va sans dire que l'intellectuel Africain deviendra effectivement philosophe dans la mesure où il pourra appliquer sans aucune forme de restriction les exigences propres à la discipline dont la première est à n'en point douter la remise en cause perpétuelle, associée à la libre critique. Plutôt que d'acquiescer, il convient de contredire, de réfuter pour ensuite contempler comme fruit de cette contradiction quelque chose que l'on n'hésitera pas à baptiser `'Vérité''. TOWA dans ce sens ne dira pas autre chose : «Ce qu'un philosophe retient et propose est toujours, du moins en droit, la conclusion d'un débat contradictoire, c'est-à-dire d'un examen critique et absolument libre.»91(*) On comprend ainsi que la philosophie naît de la contradiction, d'une libre critique rendue possible par le libre accès à la parole, c'est-à-dire la liberté d'expression et d'opinion. C'est à ce prix que la philosophie africaine peut s'ouvrir à une existence véritable.

Nous sommes en droit d'affirmer que la philosophie africaine, pour émerger, requiert un renoncement définitif et absolu à l'ethnophilosophie qui, en libérant l'individu de la pesanteur du groupe, lui donne le libre accès à la parole et à l'expression. Une fois ces obstacles levés, nous pouvons dès à présent nous interroger sur l'orientation nouvelle à donner à la philosophie africaine. En clair, comment doit-on concevoir la philosophie africaine aujourd'hui ?

* 76 HOUNTONDJI.- Sur la « philosophie africaine » (Yaoundé, CLÉ, 1980),p.62

* 77 HEGEL (Georg Wilhem Friedrich).- La raison dans l'histoire, traduction Kostas PAPAIOANNOU (Paris, Éditions CHRISTIAN, collection 10/18, 1979), p.287

* 78 TOWA (Marcien).- Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle (Yaoundé, CLÉ, collection Points de vue, 1979), p.35

* 79 HOUNTONDJI, op.cit., p.39

* 80 HOUNTONDJI, op.cit., p.41

* 81 HUSSERL (Edmund).- Méditations cartésiennes, cité par MÉDINA (José).- La philosophie comme débat entre les textes (ouvrage collectif), (Paris, Magnard, collection Textes et Contextes, 1996), p.594

* 82 HOUNTONDJI. - Combats pour le sens (Cotonou, les Éditions du flamboyant, 1997), p.136

* 83 HOUNTONDJI. - Sur la « philosophie africaine » (Yaoundé, CLÉ, 1980), p. 82

* 84 NIETZSCHE (Friedrich).- Par-delà bien et mal, traduction Cornélius Heim (Paris, Gallimard, 1971), p.37

* 85 HOUNTONDJI, op.cit., p.82

* 86 HOUNTONDJI, op.cit., pp.88-89

* 87 HOUNTONDJI. - Combats pour le sens (Cotonou, les Éditions du flamboyant, 1997), p.136q

* 88 HEGEL (Georg Wilhem Friedrich).- Leçons sur la philosophie de l'histoire, cité par TOWA, op.cit., p.17

* 89 TOWA, op.cit., p.30

* 90 HOUNTONDJI, op.cit., pp.36-37

* 91 TOWA, op.cit., p.31

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