CHAPITRE II : CARACTERISTIQUES PROPRES A LA COTE
D'IVOIRE
Ce chapitre sera subdivisé en deux sections, la
première présentera l'intérêt et le cadre de
l'étude, puis la seconde présentera la politique de mobilisation
de l'épargne financière et celle du financement bancaire en
Côte d'Ivoire.
II-1- Intérêt et cadre de
l'étude
II-1-1- Intérêt de l'étude
L'essentiel du débat sur le financement des pays en
voie de développement durant ces trente dernières années
se rapporte essentiellement à la politique de libéralisation
financière. Elaborée par Mc Kinnon et Shaw, les fondements
théoriques de la libéralisation financière, s'articulent
autour de certaines mesures qui ont pour nature de favoriser le libre choix des
banques dans la tarification de leurs services d'intermédiation.
En effet, ces mesures permettent au système bancaire
d'évoluer dans un environnement concurrentiel et conduisent les banques
à dégager une marge suffisante pour bien remplir leur fonction
d'intermédiaires financiers.
Cependant, les résultats obtenus ont souvent
été décevants (Mahar et Williamson, 1998). En outre, le
bien fondé de ces recommandations est contesté lorsqu'il est pris
en compte la structure des systèmes financiers des PVD (Van winjbergen,
1983) et les imperfections des marchés du crédit liées aux
asymétries d'information (Stiglitz, 1994).
La Côte d'Ivoire étant un pays en
développement, l'idée la plus admise est que l'épargne
financière nationale (dépôt à vu et à terme)
doit participer pour une grande part à la formation du capital
productif. Une telle stratégie fondée sur des projets plus
diversifiés, plus liés aux besoins immédiats peut, et doit
avoir recours prioritairement à des sources de financement internes. La
réussite de ce type d'orientation est conditionnée par
l'existence d'une épargne financière abondante et un financement
bancaire productif, et surtout la formation d'un marché financier jouant
un rôle de mobilisation de l'épargne et d'affectation de
ressources financières. Il faut également rappeler que la
présence d'un environnement socio-politique stable est extrêmement
important pour un meilleur développement économique en
général et particulièrement pour un développement
financier dans la mesure où la confiance et la maîtrise de la
qualité du risque sont nécessaires pour les
intermédiaires bancaires. En effet, bien que la Côte d'Ivoire ait
connu durant ces trois dernières décennies une relative
stabilité politique, elle est confrontée depuis 1990 à des
crises sociopolitiques récurrentes, qui d'ailleurs se sont
soldées par une partition de son territoire depuis Septembre 2002. Les
conséquences de cette crise ont été dramatiques pour
l'économie ivoirienne en général et
particulièrement pour le fonctionnement de son système
bancaire.
Dès lors, au delà du débat sur la
politique de libéralisation financière, il serait donc
intéressant d'analyser les effets attendus (indirect et direct) d'une
telle politique sur l'intermédiation bancaire en Côte d'Ivoire,
tout en considérant la fiabilité et la capacité du
système d'information des banques à travers l'effet de la
dégradation du portefeuille des banques sur le financement bancaire.
II-1-2- Cadre de l'étude
Dans cette section, nous ferons un aperçu du
système bancaire ivoirien, nous énumérons les mesures de
libéralisation financière. En outre, nous montrerons les effets
de la crise socio-politique sur le système bancaire et enfin, un bref
rappel de la politique de mobilisation de l'épargne financière et
du financement bancaire de la Côte d'Ivoire.
II-1-2-1- Organisation du système bancaire de la
Cote d'Ivoire
Le système bancaire se compose d'une banque centrale
(BCEAO), de 22 établissements de crédit, dont 17 banques et 5
établissements financiers. Parmi les banques, l'on observe 11
établissements de crédit à vocation général.
Une banque de l'habitat, deux établissements spécialisés
dans le financement des PME, ainsi que la Banque Nationale d'Investissement
(BNI), ex Caisse Autonome d'Amortissement (CAA), qui assurait la gestion de la
dette publique. Les établissements financiers pour leur part se
caractérisent par une activité orientée essentiellement
vers le crédit-bail mobilier et immobilier. Le secteur bancaire ivoirien
est assez concentré, puisque les quatre principaux établissements
représentent les trois quarts du total des bilans de la place. Les
établissements de crédit de la Côte d'Ivoire
représentent 32 % du poids de l'ensemble des bilans bancaires de
l'UEMOA, soit une part sensiblement inférieur à celle du PIB
ivoirien dans l'économie sous régionale (rapport de la zone
franc, 2003).
II-1-2-2- Les mesures de libéralisation
financière (voir annexe 2)
Face à la crise financière et bancaire que
traversaient les pays de l'Union Economique et Monétaire Ouest Africain
(UEMOA), les autorités de l'union ont opté pour une politique de
libéralisation financière (au sens de Mc Kinnon et Shaw) à
la fin des années 80.
En Côte d'Ivoire, comme d'ailleurs dans toute
l'UEMOA , la libéralisation financière a été
amorcée en 1989 avec la nouvelle politique de la monnaie et du
crédit, et affirmée avec les reformes de 93. La BCEAO (Banque
Centrale des Etats de L'Afrique de l'Ouest) a significativement modifié
sa politique de taux d'intérêt d'abord avec le remplacement du
taux d'escompte préférentiel et du taux d'escompte normal par un
taux d'escompte unique (1989) et ensuite la mise en place du taux de prise en
pension (un taux intermédiaire entre le taux du marché
monétaire et le taux d'escompte, 1993). Par ailleurs le fonctionnement
du marché monétaire de l'union a été adapté
avec la création d'un marché interbancaire, d'un guichet d'appel
d'offres et la fusion des trois compartiments en un seul guichet hebdomadaire
(1993). Du point de vue des taux d'intérêt débiteurs ils
ont été totalement libéralisés,suite à la
suppression des niveaux planchers en 1989 et des niveaux plafonds en 1993,
même s'il existe un taux d'usure que les banques sont tenues de ne pas
dépasser. En outre, à l'exception de la
rémunération minimale pour placement privés de moins d'un
an et inférieurs à 5 000 000 de f CFA et le taux fixe
pour les placements contractuels, toutes les autres conditions
créditrices ont été libéralisées en 1993.Il
est tout aussi intéressant de noter que les programmes sectoriels de
crédit ont été supprimés en 1989 et l'encadrement
du crédit a été remplacé en 1993 par la
constitution de réserve obligatoires en règle
générale non rémunérées.
II-1-2-3- La crise socio-politique et le système
bancaire ivoirien
II-1-2-3-1- Un aperçu du système bancaire
avant le 19 septembre 2002
Dans cette sous-section, nous analyserons d'une part
l'évolution de l'intermédiation bancaire et d'autre part
l'évolution de la marge bancaire sur la période de 1990 à
1999.
En effet, la libéralisation financière a
été amorcée à partir de 1989, ce qui a permis la
hausse des dépôts bancaires de 7,55 % en moyenne. De façon
spécifique le taux de croissance des dépôts à vue a
été plus important que ceux des dépôts à
terme. Quant au financement bancaire, on assiste durant cette période
à une hausse du taux des crédits de long et moyen terme
relativement à celui de court terme. De -1,22% avant la période,
il est passé à 3,32 %.
L'évolution de la marge bancaire durant la
période de 1990 à 1999, prend en compte les différentes
caractéristiques principales de sa composition. Il faut préciser
entre autre que grâce au processus de libéralisation
financière, la majorité des banques du système ont vu la
hausse de leur marge d'intermédiation.
En effet, il apparaît que les produits des
créances bancaires sont relativement supérieurs aux charges des
dépôts effectués par la clientèle. En moyenne, le
produit des créances bancaires s'est fixé à 130,2
milliards de FCFA contre 24,3 milliards de FCFA pour les charges sur
prestations de services. (Voir tableau 1).
Tableau 1 : Les composantes des
différentes mesures de la marge d'intermédiation des
banques et établissements
financiers (1990-1999)
|
Taux de croissance
|
Moyenne simple en milliard de FCFA
|
Produits des créances sur la
clientèle
|
2,5
|
130,2
|
Créances sur la clientèle
|
2,7
|
1317,5
|
Charges des dépôts de la
clientèle
|
-1,0
|
34,7
|
Dépôts de la
clientèle
|
7,6
|
1001,7
|
Produits sur prestations de services
|
1,7
|
18,4
|
Charges sur prestations de services
|
24,3
|
1,6
|
Actif (bilan)
|
1,9
|
1898,4
|
|
Source : Rapport annuel de la commission
bancaire, Note d'Information Statistique de la BCEAO
La marge d'intermédiation bancaire se subdivise en
deux éléments. D'une part la marge nette d'intermédiation
bancaire et d'autre part, la marge nette d'intermédiation
élargie. Durant cette période le taux de croissance annuel de
la marge nette d'intermédiation a été de 3,44%. (Voir
tableau 2)
Tableau 2 : Marges d'intermédiation bancaire
dans l'UEMOA, de 1990- 1999
|
Taux de croissance
|
Moyenne simple en pourcentage
|
Marge nette d'intermédiation
|
3,44
|
6,04
|
Marge nette d'intermédiation
élargie
|
2,75
|
7,31
|
|
Source : Rapport annuel de la commission
bancaire, Note d'Information Statistique de la BCEAO.
II-1-2-3-2- L'impact de la crise socio-politique sur le
système bancaire
La crise socio-politique, il faut le rappeler a un impact
extrêmement négatif sur le système bancaire ivoirien. En
effet depuis 2002, date du déclenchement total et ouverte de la crise,
la croissance des crédits à la clientèle a
été interrompue et a reculé de 10 %. Le recul des concours
à l'économie a touché aussi bien les crédits
à court terme (71 % des encours de crédits) que les
crédits à moyen et long terme. Cette tendance résulte du
recul de la demande globale de crédit et de la fermeture des agences
bancaires situées dans la zone de conflit. Les crédits de
campagne ont connu également une forte baisse (-150 %). La
qualité des risques a continué de se dégrader. Les
créances en souffrance brutes se sont en effet alourdies(+ 20 %) et leur
taux , rapporté à l'ensemble du porte feuille de
clientèle, net de provisions, a continué de progresser (10% fin
2003, contre 3,1% fin 2000).
L'alourdissement des provisions pour risque et la baisse des
produits sur opérations de clientèle, a fait reculé le
résultat net de l'ensemble du système bancaire ivoirien. Avec un
bénéfice net de 8,9 milliards de frs. CFA en 2002, elle affiche
en 2003 un bénéfice net de 6,7 milliards de frs CFA. Dans un
contexte général de dégradation de la qualité des
risques, l'instabilité et l'insécurité grandissante, les
établissements bancaires ont accéléré la
restructuration du tissu bancaire ivoirien. L'implantation des agences a
été revue, même dans les zones épargnées par
le conflit, réduction des effectifs...La SGBCI et la BICICI ont ainsi
fermé environ un tiers de leurs agences et réduit leurs effectifs
dans des proportions comparables (rapport de la zone franc, 2003).
II-2- Politique de mobilisation de l'épargne
financière et de financement
bancaire de la Côte d'Ivoire
II-2-1- La politique de mobilisation de l'épargne
financière
La politique de mobilisation de l'épargne
financière s'est basée essentiellement sur la politique de prix
des matières premières agricoles, la politique de revenu d'une
part et d'autre part sur le mode de fonctionnement du système
financier.
II-2-1-1- La politique de prix et la politique de
revenu
En effet, le monopole autrefois détenu par la caisse
de stabilisation des prix des produits agricoles a permis à l'Etat de
Côte d'Ivoire de mobiliser des ressources financières
excédentaires, générées par cette structure.
L'agriculture étant la source principale du revenu national, les
autorités ivoiriennes ont observé étroitement
l'évolution du prix des produits agricoles. D'une amélioration
des cours, se dégage une ponction sur la valeur ajoutée qui
constitue pour l'Etat une épargne financière.
La politique de revenu élaborée par la
Côte d'Ivoire favorise la constitution d'une épargne obligatoire
des ménages. Ces derniers se doivent d'épargner des ressources
financières dans le cadre du système de protection sociale
(retraite, assurances ...). L'excédent de ces ressources a servi
à la constitution d'épargne par les autorités. De telles
politiques ont été conduites à cause de la faiblesse de
l'épargne intérieure. Les taux d'intérêt
débiteurs et créditeurs étant faible, incitent les
ménages à écarter toute réalisation
d'épargne financière.
II-2-1-2- Le mode de fonctionnement du système
financier ivoirien
Le système financier ivoirien comme d'ailleurs, la
majorité des systèmes financiers des PVD, est
caractérisé par le dualisme.
En présence du système financier formel, il
faut noter le développement du système financier informel. L'Etat
de Côte d'Ivoire, pour mobiliser les ressources financières, a
institué la modernisation et le développement de ce secteur.
Dès lors, l'on a assisté à la création des
structures de microfinance. Ces structures reparties sur l'ensemble du
territoire permettent aux ménages relativement pauvres de constituer une
épargne financière.
En effet, les coopératives d'épargnes et de
crédit, et les caisses rurales d'épargne constituent l'essentiel
de ces structures décentralisées. Ce circuit financier s'est
développé à partir de 1976. Les COOPEC sont
localisées dans les villes comme le sont les banques alors que les CREP
sont localisées dans le monde rural. Ce réseau a connu trois
grandes phases dans son évolution :
- une phase de croissance (1976-1985) avec la création
de 75 caisses ;
- une phase de stagnation (1985-1993)
caractérisé par un assainissement dans la distribution du
crédit ;
- et une phase de forte croissance à partir de
1994.
II-2-2-La politique de financement bancaire
Cette politique, depuis 1962, a évolué sur deux
périodes. Celle qui a été conduite de 1962 à 1989
et celle de la mise en application de la reforme de la politique
financière dans l'UEMOA depuis 1989.
II-2-2-1- La politique de financement bancaire de 1962
à 1989
Sur la première période la politique de
réescompte et la politique sélective de crédit furent les
instruments de contrôle qualitatif de crédit. En effet, par le
réescompte les banques empruntent directement de la
liquidité auprès de la banque centrale par le biais des
titres privés qu'elles disposent en porte-feuille. Cet emprunt est
assorti par un taux d'intérêt appelé taux de
réescompte. Ce taux qui est à la fois le taux de refinancement et
le taux directeur du crédit, protège et garanti les banques
contre les fluctuations de la valeur de leurs titres et leurs assure un profit
connu d'avance. Par le contrôle de ce taux, la BCEAO dirige la politique
de refinancement monétaire des banques de second rang.
Après une décennie de fonctionnement, il est
apparu que cet instrument en vigueur depuis 1962, ne pouvait plus assurer le
contrôle qualitatif du crédit. En fait, la conjugaison du
maintient des taux d'intérêt bas et des mutations du
système monétaire international du début des années
70 ont conduit à une profonde adaptation des instruments de politique
monétaire et des règles d'intervention de la banque centrale.
Dès lors, en remplacement de la politique de
réescompte, il sera institué à partir de 1975, la
politique sélective de crédit. Elle a pour caractéristique
principale, l'obligation des banques et des établissements financiers
à respecter les coefficients maxima ou les quotas dans la
répartition du crédit aux différents secteurs
d'activité de l'économie. L'objectif principal est
d'éviter que certains secteurs ne trouvent pas de financement
nécessaire à leur développement alors que d'autres non
prioritaires, disposent d'encours trop abondants alors qu'ils ne
présentent pas une solvabilité plus assurée. L'objectif
est donc pour les autorités ivoiriennes de développer de
façon significative le tissu industriel ivoirien.
II-2-2-2- La reforme de la politique de financement
bancaire
Sur la seconde période, notamment de 1989 à nos
jours, la politique de financement est celle de la reforme, initiée par
les autorités de la BCEAO. La mise en oeuvre de cette politique s'est
faite de manière graduelle. Tout d'abord d'Octobre 89 à Septembre
93, puis de Septembre 93 à nos jours.
En effet, d'octobre 89 à Septembre 93, les
autorités monétaires de l'UEMOA cherchent à assurer un
meilleur contrôle de la liquidité et la mobilisation des
dépôts à terme. En outre, la surveillance de la
qualité du crédit devient une préoccupation majeure. Il
sera donc mis en place à partir de 1990, la commission bancaire de
l'UEMOA, chargée de contrôler le système bancaire.
L'objectif des autorités sera donc d'abandonner la politique dirigiste
de financement et surtout d'accorder la liberté aux banques en
matière d'octroi de crédits.
A partir de 1993, les autorités de la BCEAO, vont
adopter un nouveau dispositif de gestion monétaire et plus
particulièrement du crédit. La politique va dès lors se
focaliser essentiellement sur l'utilisation des instruments tels que le
système de réserves obligatoires, le marché
monétaire, la titrisation des encours consolidés, et de nouvelles
dispositions pour le financement de la campagne agricole.
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