L'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Etienne KENFACK TEMFACK Université de Douala-Cameroun - D.E.A. de droit public 2005 |
LA PROBLEMATIQUE DU THEME
La doctrine n'envisage aujourd'hui la question de l'autorité de la Constitution que corrélativement a l'existence d'un juge constitutionnel. Position systématisée par Charles Eisenmann qui affirme que seule la justice constitutionnelle aboutit à faire de la Constitution "la règle de droit suprême"22(*). Faut-il alors admettre qu'avant 1921 la loi fondamentale autrichienne n'était pas supérieure aux lois ordinaires ? Ou alors qu'avant 1958 en France, la Constitution n'était ni une règle de droit ni la règle de droit suprême ? Certainement une réponse négative s'impose à ces questions, sinon il faudrait convenir que l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun n'est qu'illusoire, tant il est vrai que la justice constitutionnelle, du moins sur un plan matériel, n'existe pas encore. L'intérêt est donc grand de trouver et de prouver que la Constitution est revêtue d'une véritable autorité, et cela en l'absence de toute justice constitutionnelle. L'interrogation portera sous ce prisme sur son fondement et sa légitimité. L'adhésion relativement récente du Cameroun à une justice constitutionnelle calquée sur le modèle européen nous pousse à considérer la position du Pr. Eisenmann avec une certaine retenue. Puisque la création d'un Conseil Constitutionnel ne garantit pas toujours le respect de la primauté constitutionnelle. De même que l'indépendance de cet organe ne saurait être fondée sur une simple interprétation des dispositions y relatives. Ceci se vérifie aisément en France, car c'est pratiquement en 1971, soit treize ans après sa création, que le Conseil constitutionnel va s'affirmer comme le gardien du respect de la Constitution. Pour le Pr. D. Rousseau, « la décision du 16 juillet 1971 (...) opère une véritable révolution politique en rompant avec les principes traditionnels du droit français et en particulier la souveraineté de la loi ». (23) il nous paraît donc hasardeux de remettre ou de fonder la suprématie des constitutions camerounaises sur une justice constitutionnelle longtemps absente et étant encore aujourd'hui en quête de légitimité et à la recherche de ses prises sur une vie institutionnelle fortement marquée par la sacralisation du pouvoir. Certes la loi fondamentale de 1996 a revisité le droit constitutionnel tel qu'il se présentait antérieurement, mais il faut reconnaître que l'édification d'un droit constitutionnel ne peut se faire en occultant la question de la suprématie des règles issue de la « législation constitutionnelle ». Aussi nous nous posons la question principale de savoir si la norme constitutionnelle transcende l'ordre juridique et politique camerounais de manière à assurer effectivement et efficacement la soumission des pouvoirs constitués. Nous croyons que la Constitution in-forme le système juridico-politique, certes avec quelques hésitations dues à la longue absence d'une justice constitutionnelle effective. Le contrôle de constitutionnalité se veut alors être ce qui confère à l'autorité de la norme constitutionnelle son caractère absolu. Cela signifie aussi qu'en dehors de toute justice constitutionnelle, la Constitution demeure la loi au-dessus de toutes les autres lois. Son élaboration par un pouvoir qui peut « tout faire » et cela suivant une procédure différente de la procédure législative et donc exceptionnelle constituent la justification de cette thèse. Ces facteurs contribuent à hisser la Constitution au sommet de la pyramide des normes, à faire d'elle « le dernier terme auquel l'on puisse confronter une norme » pour apprécier sa validité. C'est le cas en Allemagne, en Italie et aussi en Autriche. Et même si pour le Pr. Philippe Ardant « le principe de la suprématie de la Constitution sur le reste de l'ordre juridique a une valeur explicative incontestable » (24), on ne saurait nier la valeur normative quoique biaisée des Constitutions camerounaises. Rien ne permet de reconnaître à la Constitution la qualité de règle inviolable. Elle ne tire de sa majesté aucune immunité contre les probables atteintes des pouvoirs constitués. Abondante est la jurisprudence de la juridiction administrative sur la question (24). Mais il est un principe qu'il faut affirmer, celui de la primauté de la Constitution dans l'ordre juridique interne. METHODE ET PLANLa détermination des fondements de notre étude nous découvre une autre préoccupation qui, elle, consiste à tracer le chemin à suivre ou suivi pour parvenir à un résultat dont la fiabilité soit tout de même digne d'intérêt. Il s'agit pour nous d'opérer un choix, d'opter pour une technique à même de nous permettre de rendre compte de la réalité, sans aucune fioriture. Comment étudier l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun, c'est l'épineux problème de la méthode. Le Pr. Maurice Kamto déclare à juste titre que "le problème de la méthode est au coeur de toute oeuvre scientifique" (25). Elle est définie comme un "ensemble de règles ou de procédés pour atteindre dans les meilleures conditions un objectif'(26). D'elle dépend en effet la fiabilité des résultats attendus ; son explication "permet de mieux saisir la spécificité de la démonstration" de notre étude. Ce choix n'est évidemment pas facile ; il requiert la parfaite connaissance de l'objet d'étude qu'on veut mener. Plus encore lorsqu'il est déjà prouvé que "la démarche méthodologique conditionne le travail scientifique, car la méthode éclaire les hypothèses et détermine les conclusions"(27). Comment donc choisir LA méthode ? 23 D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit. p 67 24 Ph. Ardant, Institutions politiques et droit constitutionnel, op. cit. p 55 24 Cf. supra 25 Cité par J. Mouangue Kobila, L'indépendance au Cameroun, l'empreinte coloniale, mémoire de maîtrise en droit public, Yaoundé, 1990, p 13. 26 Lexique des sciences sociales, Paris, Dalioz, 7° édition, 2000, p 275. 27 M. Kamto, Pouvoir et droit en Afrique noire. Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats d'Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, 1987, p 47. ^ Le choix d'une méthode n'est ni libre ni neutre. Frede Castberg juge que "aucune méthode juridique ne peut échapper à un certain élément de subjectivité et à un certain taux d'arbitraire" (28) Tout ceci justifie que nous ayons préféré à une méthode unique et prêtant le flanc à toute sorte de critique, une méthode multidisciplinaire, laquelle a le mérite de faciliter la délimitation du problème qui se pose à nous afin d'orienter nos recherches. Parce qu'il s'agit avant tout d'un travail juridique, l'analyse des textes va nous permettre de poser les grands principes de la suprématie des règles élaborées par le constituant, d'en préciser les fondements et de justifier cette option qui est commune à toutes les Nations dites "civilisées". Nous ne saurions toutefois ignorer que l'exégèse est " impuissante à elle seule pour présider à l'organisation et à la présentation d'un travail juridique." Le Pr. Dominique Rousseau n'argue-t-il pas de ce que " la vie politique d'un pays n'est pas le produit des seules règles de droit"(29), même s'il demeure que le droit est " créateur de réalité en ce qu'il offre des catégories qui servent à percevoir, décrire et apprécier"(30). La contextualisation du juridique est d'une importance capitale. Notre étude porte sur le droit constitutionnel camerounais ; et ce cadre géographique est susceptible de modifier et d'infléchir les grandes théories doctrinales. Comment rendre compte du droit sans s'appuyer sur l'observation des faits ? Henri Batifol pense à ce propos qu'"il est des faits qui dictent le droit ; il est des expériences dont la méconnaissance est ruineuse"(31). D'où le recours à l'analyse politique. Le jeu politique imprime souvent à une disposition constitutionnelle une trajectoire autre que celle d'origine. Il en est ainsi par exemple du contrôle de constitutionnalité en France qui, "d'instrument de protection de l'exécutif est devenu tout à la fois instrument d'extension du domaine législatif, de défense des droits et libertés et de contrôle de la politique législative de l'exécutif'(32) Nous tenterons, tout en évitant de verser dans un politisme préjudiciable, de justifier, limiter voire soulever les ambiguïtés du principe. L'analyse politique en tant qu'elle est descriptive, nous permettra d'en cerner les contours par la mise en relief de ce qu'on qualifier de « particularismes camerounaises ». 28 Cité par J. Mouangue Kobila, op. cit. p 15. 29 D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit. p 456. 30 D. Rousseau, ibid. p 455. 31 Cité par J. Mouangue Kobila, op. cit p 14. 32 D. Rousseau, id. p 457. Enfin il sera intéressant de souligner les spécificités du droit constitutionnel camerounais par une approche comparative. La confrontation au système français autorisera certainement des critiques, des suggestions pour améliorer un mécanisme de garantie et de protection qui fait déjà que notre pays figure au nombre de ceux qui ont pris l'option de ce que le Pr. Dominique Rousseau nomme : " la démocratie par la Constitution ". Elle nous fournira enfin les éléments de relativisation, voire de limitation de la prééminence de la Constitution au regard du développement du droit international, aidé en cela par la jurisprudence du juge constitutionnel français. Tous ces présupposés éclairent davantage le thème de notre étude et justifie le plan que nous avons adopté. > Première partie: Les fondements de l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun > Deuxième partie: Les garanties de l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun * 22 Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la haute cour constitutionnelle d'Autriche, op. cit. p 22 |
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