PREMIERE PARTIE:
LES FONDEMENTS de l'autorité de la norme
constitutionnelle au Cameroun
La force normative des Constitutions camerounaises depuis la
loi fondamentale du 4 mars 1960 a connu des fortunes diverses, au point
où poser le principe de leur suprématie sur le système
normatif et surtout sur le Président de la République, pouvoir
constitué, ne puisse se faire qu'avec beaucoup de nuances. II faut le
reconnaître, la dynamique constitutionnelle camerounaise fait
apparaître au premier plan le Chef de l'Etat, principal et
prépondérant maître de l'élaboration et de la
révision des Constitutions. Pourtant, nous ne pouvons ne pas affirmer
cette suprématie.
La réponse du Droit Constitutionnel camerounais
relativement à la question de l'autorité de la Constitution
emprunte au droit constitutionnel moderne. Mais avec des "aménagements"
qui marque ce qui peut être qualifié de
"spécificités du droit constitutionnel camerounais". C'est
à la fois une identification difficile du Souverain constituant qui seul
est compétent en matière constitutionnelle, mais c'est aussi une
procédure certes exceptionnelle, pourtant source de controverses.
Cependant ces aléas n'empêchent pas de poser les fondements de la
suprématie constitutionnelle, que nous établissons sur deux plan:
la compétence exclusive du Souverain constituant en matière
constitutionnelle, tant il est vrai qu'"une Constitution suppose avant tout un
pouvoir constituant (1) (Chapitre 1), et la mise en
oeuvre d'une procédure exceptionnelle tant en ce qui concerne la
création que la révision de la règle
constitutionnelle (chapitre 2).
1 Siéyès, cité par M. Ondoa, "La
distinction Constitution souple et Constitution rigide en droit constitutionnel
français", in Annales de la faculté des sciences juridiques
et politiques. Université de Douala, n°l, année 2002, p
96.
CHAPITRE 1 :
LA COMPETENCE EXCLUSIVE DU CONSTITUANT DANS
L'ELABORATION DES NORMES CONSTITUTIONNELLES
La dynamique constitutionnelle camerounaise
révèle une intégration totale des grands principes qui
gouvernent le droit constitutionnel moderne, et notamment ceux relatifs
à l'élaboration et à la révision de la norme
constitutionnelle. L'élaboration, autant que la révision de la
Constitution sont des moments importants dans la vie de tout Etat. Pour Jean
Gicquel, "son avènement [l'élaboration de la Constitution]
représente un moment privilégié dans la vie d'un
peuple."(l) En fait, l'on peut affirmer sans risque de se tromper que la
Constitution est "l'acte de naissance de l'Etat." Le caractère fondateur
de la norme de droit suprême réalise l'unanimité de la
doctrine. Et sur ce postulat, certains auteurs bâtissent son
autorité. Mais qu'en est-il réellement ?
La norme constitutionnelle tant dans sa création que
dans sa révision, obéit à des règles sans
lesquelles il serait quasiment impossible de lui reconnaître une
quelconque force juridique. Sous ce rapport, le postulat est que la
matière constitutionnelle est le champ d'action exclusif du pouvoir
constituant. Il est " celui ou ceux dont le consentement a permis
l'entrée en vigueur du texte."(2) Le pouvoir constituant est " l'auteur
de la Constitution." Son exclusivité se justifie en ce qu'aucun autre
pouvoir au sein de l'Etat ne peut élaborer des règles de valeur
constitutionnelle, car "seul le pouvoir constituant peut faire la
Constitution." (3) Ce postulat ne vaut cependant que si le constituant se
présente comme étant le Souverain. Il ne s'agit pas ici de la
souveraineté comme un attribut du constituant, mais comme une
identification de celui qui donne à la norme constitutionnelle sa force
juridique. Le constituant est le souverain. Pouvoir de droit originaire et
suprême, la souveraineté est l'élément
irréductible du constituant. La conséquence en est une division
de la doctrine sur la problématique de la souveraineté du pouvoir
de révision de la Constitution. (4)
1 J. Giequel, Droit constitutionnel et institutions
politiques, Paris, Montchrestien, 19° édition, 2003 p 161
2 G. Burdeau et al. Droit constitutionnel, Paris,
LGDJ, 20e édition, 1999, p 40.
3 La science constitutionnelle ne reconnaît pas aux
pouvoirs constitués une compétence en matière
constitutionnelle. Au surplus, le souverain prévoit-il une intervention
des organes de l'Etat dans la procédure de révision de la
Constitution. Cette intervention est cependant limitée, car elle ne
saurait être utilisée pour évincer le peuple de sa place de
souverain constituant par l'élaboration d'une nouvelle Constitution. La
doctrine parle dans ce cas de détournement de procédure. Voir sur
la question M. Kamto, "Révision constitutionnelle ou écriture
d'une nouvelle Constitution", in Lex Lata, n° 23-24,
février-mars 1996, pp 17 et SS.
4 Pour les partisans de la limitation du pouvoir constituant
institué, la révision de la Constitution est
nécessairement limitée par l'interdiction de modifier certaines
dispositions constitutionnelles. Pour M. Kamto, la thèse de la
révision totale de la Constitution est inconcevable car on pourrait
aboutir à l'écriture d'une nouvelle Constitution par la
procédure de révision. Une autre partie de la doctrine estime que
la souveraineté du pouvoir constituant dérivé ne rencontre
aucun obstacle dans sa manifestation. Disons simplement que la portée de
cette souveraineté dépend de la compétence ou non du juge
à contrôler les limites au pouvoir de révision.
Si l'on appelle indifféremment "pouvoir constituant"
celui qui a compétence en matière constitutionnelle, il faut
distinguer selon qu'il s'agit de rédiger une nouvelle Constitution ou de
modifier celle qui existe déjà. Aussi parle-t-on de pouvoir
constituant originaire et de pouvoir constituant dérivé. Loin
d'être une simple division de principe, la dualité du pouvoir
constituant présente des conséquences précises en droit
constitutionnel. Celles-ci portent avant tout sur l'identification du
souverain. Et même si pour Pierre Pactet la détermination de celui
qui exercera le pouvoir constituant est plus intéressante que celle de
son titulaire (5), nous ne saurions cependant occulter la question. Ceci est
d'autant plus intéressant en droit constitutionnel camerounais, au
regard de ce que nous pourrions appeler la "confiscation" du pouvoir
constituant par les pouvoirs institués, au mépris du principe
démocratique qui voudrait que "le principe de toute souveraineté
réside essentiellement dans la nation" (6). Ce n'est pas cependant une
caractéristique camerounaise que d'affirmer, certes de manière
implicite mais répétée, que "le peuple n'est pas toujours
le mieux éclairé." La dynamique constitutionnelle camerounaise
nous impose alors, dans l'entreprise d'identification du souverain
constituant, de la mettre en rapport avec la dualité du pouvoir
constituant (section 1); dualité qui conduit à une certaine
instabilité de la norme constitutionnelle trop souvent livrée aux
"caprices" des représentants du peuple (section 2).
SECTION 1 : LA DUALITE DU POUVOIR CONSTITUANT DANS
L'IDENTIFICATION DU SOUVERAIN CONSTITUANT
L'identification du souverain est rendue difficile par la
dualité du pouvoir constituant. Il faut en effet relever que la
souveraineté est une et indivisible. Aussi, la distinction pouvoir
constituant originaire - pouvoir constituant dérivé ne peut-elle
que se heurter à une souveraineté qui ne peut être
partagée. Face à une doctrine divisée, la jurisprudence
admet aujourd'hui que la révision de la norme constitutionnelle est de
la compétence d'un pouvoir constituant pouvoir qui "n'est pas d'une
autre nature que le pouvoir initial."(7) Reconnaître comme le fait
Georges Vedel que la "révision de la Constitution est de la
compétence du pouvoir originaire" c'est indubitablement adhérer
à la thèse selon laquelle "le pouvoir constituant
dérivé doit son existence à une concession de la
théorie démocratique aux commodités pratiques"(8).
5 Pour le Pr. Pactet, la question de l'identification du
Souverain constituant n'est digne d'intérêt que lorsqu'elle porte
sur celui qui le mettra en oeuvre. Et "c'est généralement le
Gouvernement de fait détenant le pouvoir à ce moment qui va le
mettre en oeuvre". Voir P. Pactet, Institutions
politiques. Droit constitutionnel, Armand Colin, Paris, 20'°"'
éd. 2001.
6 Article 3 DDHC de 1789
7 G. Vedel cité par J. Gicquel,
Droit constitutionnel et institutions politiques,
Paris, Montchrestien, 19e édition, 2003, p 172.
8 La démocratie dans sa stricte conception
n'admet pas de représentation. C'est le "gouvernement du peuple par le
peuple et pour le peuple". Sous ce rapport, seul le peuple personnellement
serait compétent en matière constitutionnelle. Mais la
démocratie telle qu'elle est théorisée repose sur la
notion de "représentation". Sur la base de cette représentation,
qui suppose la souveraine du peuple, le pouvoir constituant institué
naîtra pour éviter de trop "déranger" le peuple et parfois
une moindre modification de la Constitution. Voir
L'histoire du constitutionnalisme du Cameroun
indépendant conforte cette affirmation. Tout laisse finalement croire
que la thèse de la dualité du pouvoir constituant n'est plus que
pure théorie du droit constitutionnel (paragraphe 1) car pratiquement le
souverain et par conséquent le pouvoir constituant est un (paragraphe
2).
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