PARAGRAPHE 1 : UNE DUALITE SUR LE PLAN DE LA THEORIE DU
DROIT CONSTITUTIONNEL
La dualité du pouvoir constituant est affirmée
autant par la doctrine que par la jurisprudence. Mais elle n'implique pas les
mêmes conséquences selon que l'on se place du côté du
juge ou de celui des auteurs. C'est cette divergence, qui peut de même
être établie au sein de la doctrine qui nous autorise à
penser que la distinction constituant originaire -constituant institué
(I) et les incidences qui s'attachent à celle-ci (II) ne revêtent
plus désormais qu'une simple valeur explicative, n'étant
séparés que par le temps.
I - LA VALEUR EXPLICATIVE DE LA DISTINCTION
CONSTITUANT ORIGINAIRE -CONSTITUANT INSTITUE
L'indivisibilité de la souveraineté ne permet
pas d'envisager qu'un autre pouvoir puisse avoir une compétence en
matière constitutionnelle. (9) La suprématie de la norme
fondamentale repose en effet sur son élaboration par un pouvoir qui
n'est soumis à aucun contrôle, un pouvoir souverain. Sous ce
rapport, l'on ne peut que s'interroger sur la division de ce pouvoir en
"originaire" et "dérivé". L'interrogation est d'autant plus
pertinente que toutes les Constitutions camerounaises ont posé que "la
souveraineté nationale appartient au peuple" Elle justifie ainsi non
seulement qu'aucune fraction du peuple ni aucun individu ne puisse s'en
attribuer l'exercice, mais encore que toute autorité émane de la
nation souveraine. Or comme le précise Carré de Malberg, en
reposant la souveraineté sur la nation l'on admet qu'il n'y a qu'une
volonté. Sous ce postulat, la distinction constituant originaire -
constituant dérivé, qui apparaît comme un moyen de
distinguer l'élaboration de la modification de la Constitution (A)
permet surtout de reconnaître les titulaires de ces deux pouvoirs (B).
dans ce sens. Dictionnaire
constitutionnel, p 777.
9 Le peuple étant le seul souverain, toute autre
autorité dans l'Etat ou de l'Etat ne peut réclamer pour lui le
bénéfice de ce pouvoir, à moins de le tenir du peuple
lui-même. Il faut en effet préciser que si le peuple est
souverain, il exerce cependant cette souveraineté plus par
intermédiaire que directement. Mais cette "délégation" ne
constitue pas une dépossession car la souveraineté est
inaliénable et imprescriptible, une et indivisible. Et
comme seul le souverain est compétent en matière
constitutionnelle, il s'ensuit que la qualité d'intermédiaire des
autorités de l'Etat leur attribue compétence pour réviser
la Constitution.
A) Le pouvoir d'élaborer et de modifier la
norme constitutionnelle
Symbolique, solennelle, l'élaboration d'une
Constitution est un moment privilégié dans toute
société politique. Elle marque le passage d'une organisation
sociale au stade le plus achevé que l'on puisse concevoir : l'Etat.
Qu'elle intervienne dans une situation de "vide juridique" ou après une
Révolution, la manifestation d'un pouvoir originaire atteste de la
naissance d'un nouvel Etat (1). Dans cette oeuvre de
structuration de la société, ce qui est définitif est
l'Etat. En effet la dynamique de l'idée de société qui a
prévalu à la rédaction de la Constitution
initiale implique nécessairement qu'à un moment, certaines
modifications de la loi fondamentale s'imposent. Celles-ci se
feront par la mise en oeuvre d'un pouvoir constituant institué (2).
1- Un pouvoir initial pour fonder l'Etat
Le droit constitutionnel est construit sur des fictions.
Souveraineté, Etat, pouvoir constituant ne sont en réalité
que des produits d'une construction intellectuelle. Des notions juridiques
destinées à produire des effets. L'Etat est une fiction dont
l'existence ne peut être prouvée qu'au moyen de sa Constitution
(10). C'est ainsi que la Constitution du 04 mars 1960 donnera naissance
à l'Etat du Cameroun, qui n'était alors qu'un territoire sous
tutelle. Le caractère fondateur de la Constitution réalise
l'unanimité au sein de la doctrine. La Constitution crée l'Etat
par le mécanisme de l'institutionnalisation du pouvoir. Elle lui donne
une forme précise, et l'on peut alors affirmer qu'il s'agit d'un Etat
unitaire ou d'un Etat fédéral; d'un régime
présidentiel ou d'un régime parlementaire. Sous ces
considérations, la succession d'un Etat fédéral à
un Etat unitaire en 1961 rentre dans la situation normale de la manifestation
d'un pouvoir originaire, car comme le précise Pierre Pactet, "un
réaménagement important de la Constitution marquant par exemple
le passage d'un Etat unitaire à un Etat fédéral peut
être considéré comme l'écriture d'une nouvelle
Constitution". (11) Le pouvoir constituant originaire est donc le pouvoir qui
pose les fondations de l'Etat par l'élaboration d'une Constitution.
2- Un pouvoir institué pour restructurer
l'Etat
L'élaboration d'une Constitution n'est pas une fin en
soit. L'évolution de l'idée de société qui a
prévalu à son adoption rend impératif certains ajustements
afin qu'elle ne tombe
10 l'Etat est une organisation sociale qui n'existe que par
la Constitution. L'accord est unanime sur la nature fondatrice de la
Constitution, car seule elle donne une forme à une société
où généralement le pouvoir est personnalisé. Pour
J.P. Jacqué, "toute société comporte un corps de
règles écrites ou non destinées à fixer les
modalités d'acquisition et d'exercice du pouvoir politique. Ces
règles constituent la Constitution
11 P. Pactet, Institutions politiques. Droit
constitutionnel, op cit p 74.
pas en désuétude. Le caractère
perfectible de la Constitution vient surtout de ce qu'il est prévu en
son sein même une procédure pour sa modification. Toutes les
Constitutions camerounaises depuis 1960 ont toujours réservé un
titre consacré à la révision de la Constitution. Cette
entreprise ressortit de la compétence du pouvoir constituant
institué ou dérivé, dans la matérialisation de
l'idée avancée par Royer-Collard pour qui "les Constitutions ne
sont pas des tentes dressées pour le sommeil. "(12) La mise en oeuvre
d'un pouvoir constituant dérivé répond donc à une
nécessité: celle de rendre le "pacte fondamental" en
conformité avec l'évolution de la société. C'est du
moins le principe de la révision.
B) La détermination des titulaires
L'identification de ceux ou celles qui mettent en oeuvre soit
le pouvoir originaire, soit le pouvoir dérivé repose plus sur une
observation des faits que sur une réflexion prenant appui sur les
textes. Le droit constitutionnel camerounais offre des éléments
d'analyse qui tantôt confortent la théorie constitutionnelle,
tantôt la contredisent. Il ressort de cela que l'identification des
titulaires du pouvoir constituant qui repose sur un principe (1), pose en
réalité le problème du titulaire de la souveraineté
et de celui qui l'exerce effectivement (2).
1- Une identification de principe
La détermination de ceux qui mettent en oeuvre le
pouvoir constituant sur le strict terrain de la théorie
constitutionnelle n'est concevable que par l'affirmation d'un principe. Pour D.
Georges Lavroff, "le pouvoir constituant est reparti entre le peuple et ses
représentants. Le peuple en est le titulaire principal et les
représentants interviennent à titre secondaire."(13) II
résulte de cela que te pouvoir constituant, qu'il soit originaire ou
dérivé, à pour titulaires le peuple et ses
représentants. Ce principe est consacré au Cameroun par les
référendums constituants de 1960 et de 1972 et par les
"révisions" de 1961 et de 1996. Il ressort un chasse-croisé entre
le peuple et ses représentants, dans une sorte de "construction -
déconstruction" de la règle de droit suprême. Cependant, il
convient de noter que les révisions constitutionnelles que le Cameroun a
connues jusqu'à présent ont été ratifiées
par les représentants du peuple. Il semble donc que le droit
constitutionnel camerounais consacre une sorte de "distribution" du pouvoir
constituant : le peuple comme constituant originaire uniquement et ses
représentants comme constituant institué(14)
12 Royer-Collard, cité par J. Gicquel, Droit
constitutionnel et institutions politiques, op cit. p 171.
13 D.G. Lavroff, Droit constitutionnel
de la Vè République, Dalioz, 2*°" éd. 1997.
14 Sous le strict plan de la
procédure, il est aisé de reconnaître que le peuple
camerounais est toujours intervenu chaque fois qu'il s'est agit pour les
autorités de l'Etat d'établir une nouvelle Constitution, et donc
de poser les bases d'un nouvel Etat. Les référendums constituants
de 1960 et de 1972 s'opposent ainsi aux multiples recours au pouvoir de
révision, et parfois pour ratifier une nouvelle Constitution qui pour
ses concepteurs n'est qu'une loi constitutionnelle.
2- La problématique de la détention et
de l'exercice du pouvoir constituant
Elle est posée par Pierre Pactet qui souligne que le
véritable problème n'est pas de savoir à qui appartient le
pouvoir constituant, mais plutôt qui l'exercera. Le postulat posé
par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est repris par
les différentes Constitutions camerounaises qui disposent que "la
souveraineté nationale appartient au peuple camerounais..." Il
résulte de là que, conformément à l'idéal
démocratique, le souverain et par corollaire le pouvoir
constituant c'est le peuple camerounais. Il n'apparaît pas
pourtant au regard du droit constitutionnel
camerounais que le peuple soit la "sanction obligatoire de la Constitution." On
pourrait plutôt noter une prégnance de la notion de
"représentation" corollaire de la souveraineté nationale dans
l'identification de celui qui décide de "l'exception". Certes le peuple
est souverain, mais l'exercice de cette souveraineté se fait par
"l'intermédiaire (...) des membres du Parlement... "(15) II s'ensuit une
différenciation entre le détenteur de la souveraineté et
celui qui l'exerce effectivement.
Cependant la distinction pouvoir constituant originaire -
pouvoir constituant dérivé n'est pas à proprement parler
une identification entre celui qui exerce la souveraineté et celui qui
en est le détenteur. Car le recours au peuple est prévu par les
Constitutions camerounaises comme mode de ratification d'une loi de
révision. Cette distinction à de fortes incidences sur le pouvoir
de modification de la norme suprême.
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