II- LES INCIDENCES DE LA
DISTINCTION
L'idée est sans doute que la norme fondamentale ne doit
pas être "touchée" par n'importe qui. Celle-ci est le domaine
réservé du pouvoir constituant. Dans la mise en oeuvre de cette
proposition, on aboutira au refus du pouvoir constituant aux pouvoirs
constitués (A). En même temps les nécessités de la
stabilité du pacte social conduiront le "pouvoir d'improvisation des
Constitutions" à instituer des garde-fous à l'exercice du pouvoir
de révision (B) car, faut-il le rappeler, la stabilité de la
Constitution participe de sa suprématie.
A) Le refus du pouvoir constituant aux pouvoirs
constitués
L'exclusivité du souverain en matière
constitutionnelle est loin d'être une simple affirmation
de principe. En tenant compte à la fois de la qualité du peuple,
détenteur exclusif de la souveraineté et des implications de la
théorie de la souveraineté nationale, on peut
véritablement prescrire que seul le constituant traite de la
matière constitutionnelle. Il en
15 Article 2 alinéa 1° Constitution du 18 janvier
1996
résulte un refus du pouvoir constituant aux pouvoirs
constitués. Pas très marqué dans les
précédentes constitutions camerounaises, ce refus se manifeste
désormais par la distinction entre Parlement-législateur et
Parlement-constituant (1), et par l'indispensable reconstitution de la
souveraineté dans la procédure de révision (2).
1- La distinction Parlement-législateur -
Parlement-constituant
Le Parlement dans son rôle de législateur est
limité, car la Constitution énumère les matières
qui ressortissent de sa compétence. De plus, le vote des lois est fait
par les deux chambres prises séparément. Il n'en est pas de
même du Parlement lorsqu'il joue le rôle de constituant. Il
faudrait noter qu'en la matière il s'agit d'un organe peut être
pas indépendant mais tout au moins différent de celui qui adopte
les lois "ordinaires". Le droit constitutionnel attribue à cette
instance le nom de "congrès".
2- La reconstitution de la souveraineté pour la
révision de la Constitution
Le refus du pouvoir constituant aux pouvoirs constitués
signifie l'interdiction de confier "entièrement" le pouvoir de
réviser la norme suprême à l'un des organes de l'Etat. D
n'interdit pas, comme le précise Georges Burdeau, "de leur attribuer un
rôle dans la procédure de révision. "(16) Le droit
constitutionnel camerounais consacre l'idée selon laquelle la
révision de la constitution passe par la reconstitution de la
souveraineté (17), "partagée" entre les différentes
autorités de l'Etat. Ainsi, le Président de la République
intervient en amont pour l'initiative de la révision et en aval pour la
promulgation de la loi constitutionnelle. Entre ces deux moments, il y a le
Congrès constitué des représentants du peuple qui
procède au vote du texte. La révision de la Constitution est donc
de la compétence du souverain.
Cette entreprise de modification fait toutefois l'objet de
beaucoup de controverse relativement à la conditionnalité du
pouvoir mis en oeuvre.
B) La conditionnalité du pouvoir de
révision
Indépendamment de toute autre considération, la
simple lecture des Constitutions camerounaises laisse entendre qu'il existe des
contraintes à l'exercice du pouvoir constituant dérivé. La
doctrine demeure cependant divisée sur la valeur de ces contraintes.
Mais il serait intéressant d'identifier ces limites qui sont à la
fois formelles (1) et matérielles (2)
16 Georges Burdeau et al. Droit constitutionnel, op
cit. p 40
17 L'idée est que le souverain étant seul
constituant et la souveraineté étant indivisible, il faut que
chaque autorité de l'Etat qui détient une parcelle de cette
souveraineté intervienne dans la procédure de révision
afin que la loi constitutionnelle soit l'expression d'une action conjointe du
représentant de la nation et des représentants du peuple.
1- Les limitations de forme
Elles résultent de ce qu'il est prévu dans la
Constitution la procédure qui doit être suivie pour sa
modification. Le pouvoir de révision apparaît ainsi comme un
pouvoir déterminé dans sa procédure. Contrairement
à lui, le pouvoir constituant originaire se présente comme un
"phénomène métajuridique". Il est, selon l'expression de
Maurice Kamto, un "pur fait", "a-juridique". Disons simplement que le pouvoir
constituant originaire est un pouvoir qui se manifeste comme il veut.
D'ailleurs et suivant en cela la thèse de la conditionnante du
constituant institué défendue notamment par M. Kamto, "le pouvoir
constituant est un pouvoir initial, autonome et inconditionné", mais il
"est tenu par les conditions qu'il a lui-même fixées"(18)
lorsqu'il s'agit de modifier la Constitution. Mais ces limites ne valent
qu'autant qu'elles peuvent être sanctionnées par le juge
constitutionnel. En l'état actuel de notre droit constitutionnel, il ne
nous est pas possible de faire une appréciation objective. La position
actuelle du juge constitutionnel français va dans le sens de
l'incompétence en la matière.
2- Les interdictions de fond à la
révision
Certaines dispositions de la loi fondamentale sont soustraites
en principe au pouvoir du constituant institué. Ce dernier ne peut
porter atteinte à "la forme républicaine, à l'unité
et à l'intégrité territoriale de l'Etat et aux principes
démocratiques qui régissent la République."(19) La valeur
de cette interdiction est contestée en droit et en fait. Certains
auteurs font en effet valoir qu'elles sont "peu démocratiques", car
aboutissant à faire prévaloir "l'opinion du constituant d'il y a
peut être des décennies sur l'opinion éventuellement
contraire du peuple d'aujourd'hui." De plus insiste D.G. Lavroff, le
constituant "n'est pas tenu pour l'éternité, puisqu'il a toujours
la possibilité d'abroger ces limites pour retrouver la totalité
de sa libre détermination. "(20) Le Conseil constitutionnel a
consacré la souveraineté du pouvoir de révision en
considérant qu'il peut "tout faire"(21), freinant ainsi l'ardeur des
défenseurs d'une certaine idée de supra constitutionnalité
(22), doctrine qui postule l'existence de règles supérieures au
constituant et qui s'imposent à lui.
18 D.G. Lavroff, Droit constitutionnel de la Vè
République, op cit.
19 Cette interdiction de fond au pouvoir de révision
qui figurait déjà dans le texte de 1960, disparaît de la
Constitution de 1961 pour resurgir dans la Constitution du 02
juin 1972. Elle est reprise par l'article 64 de la Constitution du 18 janvier
1996.
20 D.G. Lavroff, op cit.
21 CC n° 03^69 DC, 26 mars 2003, organisation
décentralisée de la République
22 La question de la supraconstitutionnalité
paraît remettre en question la souveraineté du pouvoir constituant
et donc la suprématie de la Constitution. Pour ses défenseurs, il
existerait "un ensemble de règles de droit positif d'un rang plus
élevé que la Constitution, dont le contenu s'imposerait au
constituant et dont une autorité pourrait assurer le respect". Il est
d'abord apparu que ses règles étaient contenues dans les
limitations au pouvoir de revision, et le juge constitutionnel français
a posé que l'exercice du pouvoir de révision n'était pas
sans réserve. Mais alors que l'on s'attendait à ce qu'il se
reconnaisse compétent le cas échéant pour contrôler
le respect de ces limites, il a estimé dans une décision du 26
mars 2003 que le pouvoir de révision est souverain au même titre
que le constituant originaire. Au demeurant "rien n'empêche, argue le Pr.
Louis Favoreu, qu'il y ait des normes supérieures à la
Constitution, pour autant qu'elles ne fassent pas partie du système
juridique en question". Et même la tentative de voir en ces normes supra
constitutionnelles les droits fondamentaux se heurte en droit au
Préambule de la Constitution qui reconnaît aux dits droits et aux
textes qui les posent la valeur constitutionnelle, qui est en soi la plus haute
valeur qu'on puisse conférer à une règle en droit
interne.
La théorie générale reprise par le droit
constitutionnel camerounais consacre donc la dualité du pouvoir
constituant. Avec une sorte de division entre le peuple et ses
représentants relativement au constituant originaire et au constituant
dérivé. Toutefois, cette distinction et les conséquences
qui s'y rattachent ne résistent pas à une unicité pratique
se traduisant déjà par l'utilisation de l'expression "pouvoir
constituant" pour qualifier tant l'auteur de l'élaboration que celui de
la révision.
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