PARAGRAPHE 2: L'OFFICE DU JUGE
CONSTITUTIONNEL
L'activité du juge constitutionnel
régulièrement saisi d'un litige sur la loi est organisée
par la loi du 21 avril 2004. L'analyse des dispositions relatives à
l'office du juge amène à la conclusion selon laquelle il faut
quelques modifications et quelques précisions sans lesquelles l'instance
serait entravée, aboutissant ainsi à une protection lacunaire de
la Constitution. Celles-ci intéressent autant les normes de
référence du contrôle (I) que la procédure (II).
I- LES NORMES DE REFERENCE DU CONTROLE
Ni la Constitution ni la loi portant organisation et
fonctionnement du Conseil constitutionnel ne s'intéressent aux normes
qui feront l'objet de référence dans le contrôle des lois.
C'est par une simple interprétation de l'article 47 de la Constitution
et, en recourant à la doctrine, qu'on peut esquisser une
énumération des dits textes. De là il résulte que
si le "bloc de constitutionnalité" occupe une place
prépondérante (A), il reste un doute quant à un
contrôle par référence aux traités et accords
internationaux (B).
A) La prépondérance du "bloc de
constitutionnalité"
Le terme n'est plus très utilisé aujourd'hui,
car la doctrine semble être revenue depuis le début des
années 1980 à celui de Constitution. Au demeurant, la
constitutionnalité de la loi devrait être appréciée
au regard tant de la constitution de 1996 (1) que des principes de valeur
constitutionnelle (2).
1- La constitutionnalité de la loi
appréciée par rapport à la Constitution de
1996
La Constitution du 18 janvier 1996 devrait être le
premier texte auquel se référera le juge constitutionnel. Cette
hypothèse se dégage logiquement de l'essence même du
contrôle de constitutionnalité qui est de veiller au respect de la
Constitution par la loi. Le juge devra donc rechercher la
régularité de la loi par confrontation de ses dispositions aux
principes énoncés par la Constitution. C'est d'ailleurs la
référence aux articles 46, 47 et 48 alinéa 1, 50 et 67
alinéa 4 de la loi fondamentale de 1996 qui est posée comme
préalable par le juge constitutionnel saisi du règlement
intérieur de l'Assemblée nationale, dans sa décision du 28
novembre 2002. Le terme "Constitution" est ici englobant, car il intègre
le préambule qui, aux termes de la loi fondamentale de 1996 "fait partie
intégrante de la Constitution". Déjà les normes de
référence du contrôle révèlent leur
caractère pluriel. Sous ce fondement, le juge constitutionnel pourrait
véritablement retrouver une compétence qui lui était
dévolue dans l'avant-projet de constitution de 1994: "juge de la
violation des droits et libertés". Dans ce rôle, le juge
constitutionnel contribuerait incontestablement et pour une part importante
à l'émergence de l'Etat de droit qui semble être l'objectif
du constituant.
2- Les principes de valeur constitutionnelle de
référence du contrôle
Ils sont contenus dans les textes internationaux auxquels
renvoie expressément le préambule de la Constitution. Le
constituant camerounais, en intégrant le préambule dans la
Constitution, confère par cela même valeur constitutionnelle aux
principes qu'il contient et aux textes auquel il renvoie. Il s'agit de "la
déclaration universelle des droits de l'homme, la charte des Nations
Unies, la charte africaine des droits de l'homme et des peuples et toutes les
conventions internationales y relatives et dûment ratifiées"(15).
On peut postuler à bon droit que cette intégration renforce
davantage l'idée de la constitution comme en France et par
l'activité du juge constitutionnel d'un espace exclusif des
gouvernés. Cette multiplicité laisse cependant en pan la question
de l'intégration des traités internationaux.
B) La problématique de l'intégration des
Traités internationaux
Le problème qui se pose ici est de savoir si la
constitutionnalité de la loi peut être appréciée par
rapport à une convention internationale. Deux éléments
nous autorisent à répondre à cette question par
l'affirmative: la supériorité de la convention sur la loi (1) et
l'obligation de l'Etat sur le principe de la réciprocité (2).
5 Voir le Préambule de la Constitution du 18 janvier
1996
1- Un contrôle fondé sur la
supériorité de la norme internationale
Aux termes de la Constitution du 18 janvier 1996, "les
traités ou accords internationaux régulièrement
approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une
autorité supérieure à celle des lois"(16). En admettant
que la supériorité entraîne nécessairement la
conformité, la loi devra donc démontrer sa conformité
à la norme internationale. Empruntant la voie tracée par la Cour
de cassation qui écarte l'application d'une loi postérieure
contraire à un traité(17), le Conseil constitutionnel
français a admis le traité comme norme de référence
du contrôle de constitutionnalité des lois en affirmant que
"l'Etat est en droit de définir les conditions d'admission des
étrangers sur son territoire sous réserve du respect des
engagements internationaux et des principes de valeur constitutionnelle (18).
De plus il serait illogique que le traité, qui est capable de modifier
la Constitution le cas échéant, puisse être contredit par
une simple loi parlementaire. Le respect étant déjà
posé par un principe dont la valeur constitutionnelle est implicitement
admise.
2- Le contrôle sur le principe
réciprocité
En contredisant une norme internationale dûment
ratifiée ou approuvée par une disposition législative,
l'Etat engage sa responsabilité sur le plan international.
L'édiction d'une loi contraire à la convention ne rend cependant
pas la norme illégale(19). Mais parce que l'Etat s'est engagé
à remplir son obligation, non seulement en organisant la subordination
de la Constitution à l'ordre juridique international mais aussi en lui
conférant une valeur supérieure à la loi, toute norme
dérogatoire devrait pouvoir être sanctionnée par le juge
constitutionnel sur le fondement du principe la réciprocité. Le
juge constitutionnel camerounais gagnerait certainement en s'inspirant des
solutions de son homologue français. Celles-ci ont le mérite de
ne pas contredire les dispositions de la Constitution camerounaise. On devrait
avoir un contrôle profond qui ne sera cependant pas aisé au regard
de la procédure.
II- LA PROCEDURE DUCONTROLE DE
CONSTITUTIONNALITÉ
La procédure de contrôle de
constitutionnalité telle que prévue par la loi du 21 avril 2004
frappe par son exhaustivité. Au point où on s'inquiéterait
de son efficacité, si elle n'avait
16 Article 45
17 Le Conseil d'Etat n'a pas rapidement adhéré
comme la Cour de Cassation à l'idée que la suprématie du
traité sur la loi impliquait la conformité de la loi et le cas
échéant la sanction de celle-ci. Dans un arrêt du
24/05/1975 Société des cafés Jacques Vabres, la Cour de
cassation écartait l'application d'une loi postérieure contraire
à un traité. Le Conseil d'Etat suivra dans un arrêt du
20/10/1989, Nicolo.
18 CC 92-307 DC, 25/02/1992. Lire les commentaires de D.
Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit. pp 116 et SS.
19 Voir N. Quoc Dinh et alii. Droit international public,
LGDJ, Paris, 6e""' éd. 1999, p 59.
fait ses preuves sous d'autres cieux. C'est une
procédure simple, révélatrice d'un Conseil- juridiction
(A) qui gagnerait à être améliorée (B).
A) Une procédure révélatrice d'un
Conseil Constitutionnel - juridiction
En analysant la procédure de contrôle de la
constitutionnalité des lois, la nature juridictionnelle du Conseil
constitutionnel apparaît indubitablement. De l'ouverture de l'instance au
prononcé de la décision, on perçoit un souci de
juridiciser le débat politique sur la loi (1) et une mise en avant du
principe du contradictoire qui caractérise un procès (2).
1- La juridicisation du débat politique sur la
loi
Le Conseil n'est pas saisi d'un débat politique, mais
d'un différend sur la constitutionnalité d'une loi. Sous ce
rapport, la loi du 21 avril 2004 précise que cette saisine se fait "par
simple requête datée et signée du requérant"(20).
Cette requête doit obligatoirement "être motivée et
comporter un exposé des moyens de fait et de droit qui la fondent"(21).
Autant dire que le juge constitutionnel n'entend pas être pris dans des
discussions portant sur des idéologies; plutôt il devra être
l'arbitre impartial qui apprécie souverainement la valeur des arguments
juridiques développés pour et contre la constitutionnalité
de la loi. D'ailleurs précise la loi du 21 avril, "les décisions
et avis du Conseil constitutionnel comportent (...) les moyens de fait et de
droit dont il est saisi, les motifs sur lesquels ils se fondent et un
dispositif'(22). Il est évident qu'il s'agit d'un procès opposant
deux parties.
2- Le contrôle: un procès opposant deux
parties
Le contrôle de constitutionnalité des lois est un
procès qui oppose deux parties. Le caractère contradictoire de la
procédure est expressément posé par la loi portant
organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel. Non seulement ce
texte dispose que "la procédure devant le Conseil constitutionnel est
(...) contradictoire"(23), mais en plus l'utilisation des termes comme les
"parties" et l'obligation pour le Conseil saisi de
l'inconstitutionnalité d'une loi d'en donner avis au Président de
la République et aux Président des chambres du Parlement pour
information de leur membres respectifs (24) confirment la thèse d'un
procès. Devant le juge on devrait ainsi retrouver un demandeur et un
défenseur qui
20 Article 19 alinéa 1 in fine
21 Article 19 alinéa 2
22 Article 14 alinéa 1
23 Article 57
24 Article 19 alinéa 3
essayent de convaincre le juge au moyen d'argument de droit de
la justesse de leur cause. Il reviendra au juge de s'élever au-dessus
de cette querelle pour remplir effectivement son rôle de gardien de la
Constitution. Les moyens mis à sa disposition ne facilitent pas vraiment
cette tâche.
B) Une procédure à
améliorer
La procédure constitutionnelle pèche par sa
brièveté (1) et le secret des débats (2).
1- Un délai trop bref pour
l'instance
Aux termes de la loi du 21 avril 2004, "le Conseil
constitutionnel doit se prononcer dans un délai de quinze jours"(25). Ce
délai est très court en France où il est prévu que
le juge rend sa décision un mois après saisine (26). On peut
comprendre le souci du constituant de ne pas vouloir retarder
indéfiniment une loi qui pourrait se révéler ne contenir
aucun élément d'inconstitutionnalité, mais ce délai
ne laisse pas vraiment à l'instruction de se faire avec beaucoup de
sérieux. De plus, ce délai peut être ramené à
huit jours si le Président de la République en fait la demande
(27). Il ne paraît pas possible, sous réserve de la pratique, que
l'instruction prévue aux articles 60 et 61 de la loi du 21 avril 2004
soit correctement conduite en un temps si bref. Une prorogation est d'autant
plus nécessaire que les travaux du Conseil portent sur le rapport du
Rapporteur chargé de l'instruction (28). Il ne faudrait pas que ce
rapport souffre dans son objectivité d'un manque de temps et soit
à l'origine d'une mauvaise décision. Certainement un examen
parallèle du dossier par chaque juge comme cela se fait en France
contribuerait à atténuer les effets de cette
brièveté du délai imparti au Conseil.
2- Un débat sur la loi marqué par le
secret
Dénonçant le caractère secret des
débats devant le Conseil constitutionnel français, Dominique
Rousseau affirme que l'autorité des juges constitutionnels et de leurs
décisions, leur indépendance, leur respectabilité "ne sont
pas remises en cause ou amoindries par la connaissance publique de leur
débats, des votes et des opinions dissidentes"(29). La procédure
constitutionnelle au Cameroun se caractérise par un secret total que ne
vient écorcher que la publicité de la décision qui est
rendue en séance publique et publiée au Journal
Qffîciel(30).
25 Article 19 alinéa 4
26 Voir à ce propos l'article 61 alinéa 3 de la
Constitution du 4 octobre 1958
27 Article 19 alinéa 4 in fine
28 Article 61 et 63
29 D. Rousseau Droit du contentieux constitutionnel, op cit. p
36.
30 Article 15 alinéas 1 et 2 et article 64.
La question est donc de savoir si ce secret, qui est
décrié ailleurs, justifie d'une pertinence au Cameroun. On peut y
voir dans son principe le souci d'offrir au juge plus d'assurance. Le secret
participerait ainsi de la volonté de faciliter les premiers pas d'une
justice dont tout le monde n'est pas partisan, et dont certains relèvent
le caractère non démocratique (31), renforcé par une
désignation discrétionnaire de ses membres. Rien n'empêche
qu'il y ait par la suite une évolution par une pratique des juges. Cela
ne pourrait que contribuer à l'affermissement de la règle
supérieure.
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