PARAGRAPHE 2: LA CONSTRUCTION D'UN DROIT CONSTITUTIONNEL
CAMEROUNAIS RENOVE
Ce renouvellement est dû principalement à
l'institutionnalisation de la justice constitutionnelle. Celle-ci restaure la
Constitution dans son statut de "mètre" de la régularité
juridique (I). On ne s'étonnerait pas alors de voir émerger un
droit constitutionnel jurisprudentiel (II), faisant de la loi fondamentale "un
espace vivant et ouvert".
I- LA CONSTITUTION "METRE" DE LA REGULARITE
JURIDIQUE
La justice constitutionnelle est assurément au principe
d'une nouvelle idée de la Constitution au Cameroun. Elle n'est plus "un
programme politique, à la rigueur obligatoire moralement, un recueil de
bons conseils à l'usage du législateur, dont il est juridiquement
libre de tenir ou de ne pas tenir compte"(53). Mais parce que la justice
constitutionnelle fait de la constitution le "principe de validité toute
juridique"(54), il s'ensuit une redéfinition de la notion de norme (A)
et donc la subordination à la Constitution de toutes les règles
infra- légales (B).
A) La redéfinition de la notion de
norme
L'entrée d'une norme dans l'ordre juridique
n'était subordonnée qu'à sa régularité
formelle. Avec la justice constitutionnelle, la règle doit
désormais sa nature de norme juridique à la satisfaction des
exigences de validité (1) et de conformité (2).
1- Le critère de validité
La norme doit être valide. Le critère de
validité renvoie ici aux conditions formelles de production de la
règle. La Constitution détermine les voies à emprunter
pour l'élaboration des règles. C'est pourquoi Charles Eisenmann
définira aussi la Constitution comme l'ensemble des règles "sur
la création des nonnes juridiques générales"(55). La norme
ne sera considérée
53 Ch. Eisenmann, op cit p 22
54 Ibid.
55 Idem. P 3
comme valide qu'autant qu'elle est élaborée dans
le respect de la procédure constitutionnelle. A cette condition formelle
s'ajoute désormais par la justice constitutionnelle un autre
critère: celui de la conformité (56).
2- Le critère de conformité
Rendue désormais obligatoire par l'institution du
Conseil constitutionnel, la Constitution est "le dernier terme auquel on puisse
rapporter et comparer une règle de droit"(57) pour en apprécier
la conformité. Le critère de conformité signifie que la
norme ne doit pas contredire un principe de valeur constitutionnel. La loi doit
être conforme à la Constitution sous peine
d'inconstitutionnalité et donc du refus de lui reconnaître la
qualité de règle juridique. A la fin soutien Louis Favoreu, "il
ne peut y avoir norme que s'il y a déjà une autre norme qui lui
attribue cette qualité"(58). Cette norme est désormais la loi
fondamentale du l8 janvier l996.
B) La subordination à la Constitution des
règles infra légales
La conformité de la loi implique la conformité
des autres règles; la loi devient ainsi un "aiguilleur" de la
création des règles infra légales (1) et un facteur
d'ordre dans le système juridique (2).
1- La loi "aiguilleur" de la législation infra
légale
La loi est dans l'architecture normative la règle qui
met en forme les principes énoncés dans la Constitution. Par sa
conformité, elle conditionne nécessairement l'édiction des
autres règles qui lui sont directement ou indirectement
inférieures. Il s'agit surtout des règlements administratifs,
dont la conformité à la loi est un principe établi en
droit camerounais et sanctionné par la juridiction administrative. La
conformité de la loi faciliterait aussi le contrôle de
constitutionnalité des règlements rendu spécieux par la
fameuse théorie de l'écran législatif (59).
Véritablement, c'est tout le système juridique qui se trouvera
ordonné.
2- Un système juridique
ordonné
II ne s'agira pas simplement d'un voeu pieux, mais le
système juridique camerounais retrouve son attribut "d'ordre juridique"
par la restauration de la Constitution dans sa place au
56 Voir L. Favoreu, Droit constitutionnel, Dalloz, Paris,
2ème éd. 1999
57 Ch. Eisenmann, op cit. p 13
58 L. Favoreu, Droit constitutionnel, op. cit.
59 Lire notamment les développements de R.G. Nlep, "Le
juge administratif et les nonnes internes, constitutionnelles ou infra
constitutionnelle en matière de droits fondamentaux", in Solon, Revue
africaine de parlementarisme et de la démocratie, vol 1 n°l,
1999,ppl35etSS.
sommet de la pyramide garantie par la justice
constitutionnelle qui fait en sorte que toute norme juridique soit d'abord et
avant tout application d'une norme supérieure. Sous ce rapport, le
système juridique ne peut être qu'ordonné. Cet
ordonnancement ne pouvant être complet qu'avec la hardiesse du juge
à priver d'effet juridique les normes qui sont devenues caduques et dont
le contrôle ne peut être effectué par le juge
constitutionnel. Car la loi promulguée est parfaite et ne peut plus
faire l'objet d'un contrôle. Tout de même, la justice
constitutionnelle ne se révélera efficace qu'avec
l'émergence d'un droit constitutionnel jurisprudentiel.
II- L'HYPOTHESE D'UN DROIT CONSTITUTIONNEL
JURISPRUDENTIEL
La jurisprudence constitutionnelle de la Cour suprême
siégeant comme Conseil constitutionnel augure d'une nouvelle ère
pour la Constitution camerounaise. Les circonstances qui ont
présidé à son élaboration devraient logiquement
entraîner le juge constitutionnel sur le terrain de la primauté
des droits fondamentaux et de l'idéal démocratique (A) dont les
garanties ne manquent pas de pertinence (B) dans l'édification d'un Etat
de droit aux bases solides.
A) La primauté des droits fondamentaux et de
l'idéal démocratique
La mobilisation de la communauté internationale autour
du respect des droits de l'homme semble démontrer que, ainsi que dispose
l'article 2 de la DDHC "le but de toute association politique est la
conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme". Cette
idée aiguille en tout cas la Constitution camerounaise qui s'illustre
par une attention particulière aux droits fondamentaux (1) et l'option
en faveur de la démocratie (2).
1- La primauté des droits
fondamentaux
Ces droits sont proclamés dans le préambule qui,
"fait partie intégrante de la Constitution". L'influence de
l'idéologie de l'Etat de droit transparaît aisément dans le
changement quantitatif du dit préambule. Il passe d'une vingtaine
d'alinéas à près d'une trentaine. On remarque aussi une
augmentation des textes internationaux de référence. Alors que la
Constitution de 1972 ne mentionnait que la Charte des Nations Unies et la DUDH,
le constituant de 1996 ajoute la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples et les conventions y relatives. Le peuple camerounais affirme ainsi son
"attachement aux droits fondamentaux" dont l'Etat garantit la jouissance
"à tous les citoyens de l'un et l'autre sexe".
Les droits fondamentaux irriguent le dispositif institutionnel
camerounais. Ils commandent une organisation du pouvoir dans le respect de la
pensée de Montesquieu. Quel danger y aurait-il encore pour la
liberté alors que l'option pour la démocratie est clairement
exprimée?
2- L'option en faveur de la
démocratie
II s'agit de la démocratie représentative, celle
dans laquelle le peuple gouverne par l'intermédiaire de
représentants élus. Il s'agit aussi de la démocratie
nouvelle qualifiée de "démocratie constitutionnelle". C'est celle
dans laquelle les droits des gouvernés sont constitués
séparément de ceux des gouvernants. La justice constitutionnelle
est à la cheville de cette nouvelle construction, qui rejette la
confusion gouvernants- gouvernés et soumet les premiers aux seconds par
la technique du contrôle de constitutionnalité. Le Cameroun se
présente comme une République "démocratique", qui
"reconnaît et protège les valeurs traditionnelles conformes aux
principes démocratiques". Faut-il encore préciser que le pouvoir
est organisé suivant le principe de la distinction entre celui qui fait
la loi, celui qui l'exécute et celui qui en sanctionne les violations?
Qualifié de "principe émergeant du droit international" (60),
l'Etat de droit trouve assurément un terrain fertile au Cameroun. Les
droits fondamentaux et la démocratie ne sont pas seulement
proclamés, ils sont affectés de garanties.
B) La pertinence des garanties offertes par le
constituant
L'Etat de droit n'est pas une nouveauté en Afrique.
Ainsi que le précise Donfack Sokeng, "la référence
à l'Etat de droit figurait déjà (...) dans les
constitutions des premières années d'indépendance"(61).
Mais il a fallu attendre le vent d'Est pour voir le Cameroun se
détaché de l'idéologie de la construction nationale pour
proclamer "son attachement aux valeurs de l'Etat de droit, c'est-à-dire
à un ordre juridique dans lequel les autorités sont soumises
effectivement à la règle de droit"(62). Soumission garantie par
la primauté de la Constitution (1) et le contrôle juridictionnel
des organes de l'Etat (2).
1- La primauté de la Constitution
La Constitution camerounaise couronne le système
juridique et politique du pays ; ceci par l'intégration des
règles procédurales qui ne siéent qu'aux constitutions
rigides,
60 J-Y. Morin, cité par L. Donfack Sokeng, "L'Etat de
droit en Afrique", in Afrique juridique et politique. La Revue du CERDIP, vol 1
n° 2,juil-déc2002,p87.
61 L. Donfack Sokeng, "L'Etat de droit en Afrique", op cit.
p 91.
62 K. Ahadzi, "Les nouvelles tendances du constitutionnalisme
africain: le cas des Etats d'Afrique noire francophone", in Afrique juridique
et politique. La Revue du CERDIP, vol 1 n°2,juil-dée 2002, p 39
c'est-à-dire celles qui affirment leur
suprématie sur la loi et sur toute autre norme dans l'ordre interne. La
primauté de la Constitution "représente incontestablement un des
piliers fondamentaux de l'Etat de droit". Elle est la règle qui
définit la production des règles et impose aux pouvoirs publics
d'emprunter les voies prévues par elle pour la création de toute
norme juridique. Evidemment cette primauté serait illusoire s'il n'y
avait un contrôle juridictionnel organisé par le constituant.
2- Le contrôle juridictionnel des pouvoirs
constitués
II s'agit du contrôle de constitutionnalité,
celui des règlements et des lois. En créant une juridiction
constitutionnelle indépendante, le constituant camerounais affirme une
fois de plus son attachement aux valeurs de la démocratie
libérale, tout en lui conférant "une autonomie renforcée
à l'égard de tout organe de l'Etat". Contrôle de
constitutionnalité des règlements et contrôle de
constitutionnalité des lois forment désormais au Cameroun la
garantie certaine de la prééminence hiérarchique de la
Constitution, pilier principal de l'Etat de droit.
Le texte du 18 janvier 1996 est au socle d'un nouveau droit
constitutionnel camerounais. Celui-ci puise aux sources du constitutionnalisme
libéral une inspiration nouvelle pour bâtir un ordre juridique au
sommet duquel se place la Constitution. Loin d'être une simple
déclaration d'intention, cette option est d'abord la traduction d'un
changement réclamé à cor et à cri par un peuple
fatigué d'être confondu au lieu d'être
représenté. C'est aussi l'expression de la volonté des
détenteurs du pouvoir politique dans les années de braise
1990-1992 de contrôler et de conduire ce changement. C'est enfin
l'adhésion du Cameroun à une vision prééminente de
la Constitution à travers le contrôle de
constitutionnalité.
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