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Réfugiés Hmong à  Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) - rapports aux lieux et diaspora

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par Pilippe MICHEL-COURTY
Université de POITIERS - Migrinter - Master 2 2007
  

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III. Lieux du quotidien et « bassins de vie familiaux »

« C'est seulement quand nous pouvons habiter que nous pouvons bâtir. »

Martin HEIDEGGER

L'ancrage par l'emploi et la résidence dans un cadre urbain a été rendu possible au terme de plusieurs années d'errance. Selon quelles modalités les familles installées à Montreuil-Bellay vont-elles s'approprier l'espace ? Quelles pratiques des lieux vont-elles avoir ? Notre observation portera essentiellement sur les familles les plus anciennement installées. Depuis plus de vingt ans, elles « demeurent » à Montreuil-Bellay et se sont ancrées durablement dans le tissu urbain. Elles sont au nombre de 5, arrivées dans les années 1980, résidant toujours dans le quartier de la Herse, 3 d'entre elles sont polygames et 1 monoparentale. La cinquième est formée d'un couple dont tous les enfants majeurs ont décohabité pour des raisons professionnelles ou personnelles (mariage...). Les familles qui sont arrivées au début des années 2000 présentent des caractéristiques différentes : ce sont des couples jeunes - ils correspondent en fait aux enfants de la 2ème génération - avec un nombre d'enfants limité par rapport aux familles précédentes. On peut alors se demander dans quelle mesure la structure familiale initiale et en particulier la pratique de la polygamie ont joué, et jouent encore, un rôle dans l'appropriation de l'espace. Nous étudierons successivement les rapports à l'espace à trois échelles : tout d'abord l'échelle de l'espace domestique résidentiel, puis celle plus large de la commune de résidence en analysant plus particulièrement la fonction des jardins familiaux cultivés à la périphérie, enfin l'échelle des espaces de vie ou « bassins de vie » progressivement élargis à la suite de la décohabitation des enfants.

1. Le partage de l'espace domestique et des espaces vécus

Comme nous l'avons précisé, notre étude dans cette seconde partie s'appuie sur un échantillon réduit, constitué par les 5 familles installées à Montreuil-Bellay depuis 1980. Cette longévité permet d'affirmer que leur choix résidentiel est confirmé, pour ne pas dire définitif. Mais c'est avant tout à travers le filtre de la polygamie pratiquée dans trois familles que nous examinerons successivement le système résidentiel familial, à savoir selon la définition de E. LE BRIS « un ensemble articulé de lieux de résidence (unités d'habitation) des membres d'une famille étendue ou élargie » (LE BRIS, 1985), l'ensemble des lieux résidentiels qui participent à une forme particulière de mobilité. Puis nous pénètrerons dans l'espace domestique où, comme le remarque P. BOURDIEU, toutes les parties sont « sexuées » (BOURDIEU, 1998 : 21). Enfin, nous analyserons le rapport de l'individu aux lieux fréquentés à partir de l'observation des pratiques de l'espace urbain.

a. La résidence

Nous savons que la commune de Montreuil-Bellay a, dans les années 1970, mis en place un programme important de construction de logements sociaux, qui, compte tenu de la disponibilité, seront attribués aisément aux premières familles hmong qui arrivent dès 1978. Ces attributions ne prennent pas alors en compte la composition familiale, mais simplement le ménage, au sens statistique retenu par l'INSEE, à savoir l'ensemble des occupants du logement. Les deux familles que nous avons retenues - Ka-Gé TCHA et Teng CHIENG - sont arrivées respectivement en 1981 et 1978. De plus, en parlant de résidence et non d'habitat ou d'habitation, nous voulons distinguer deux termes que l'usage courant emploie pourtant indistinctement. Ainsi dans Les Mots de la géographie, H. THERY37(*) définit l'habitat comme « le lieu où l'on est établi, où l'on vit, où l'on est habituellement » (THERY, 1993 : 249) ; l'habitation est « la demeure quel que soit le statut social de l'habitant » (id., id. : 250). Par « habiter », il désigne le fait « d'avoir son domicile en un lieu » (id., ibid.). Le verbe est synonyme de demeurer, résider. Pourtant, on peut établir une distinction entre ces deux termes en s'appuyant sur la philosophie phénoménologique de M. HEIDEGGER38(*) qui définit habiter comme « le rapport des hommes aux lieux et par les lieux aux espaces39(*) ». Il établit une séparation radicale entre l'habiter qui est une mise en rapport « poétique » avec le monde et le fait de se loger qui est un simple acte fonctionnel. Le logement ne peut pas être confondu avec l'habitat, mais il s'y inscrit : « il est une unité résidentielle stable d'habitation » (LEVY, LUSSAULT, 2003 : 440). L'« habiter » doit être entendu comme la compétence des acteurs à organiser leur « habitat », à donner du sens aux lieux. L'espace de l'habitat est donc construit et reconstruit en permanence : c'est un agencement spatial et non pas un cadre inerte qui va « du logement, unité spatiale de base, à l'espace réticulaire du déplacement pendulaire, ponctué par les lieux et aires connus et fréquentés, via le voisinage, sans oublier le vaste monde qui s'offre potentiellement à tout un chacun par l'usage du transport et des télécommunications » (LEVY, LUSSAULT, 2003 : 442). On rejoint ici la notion d'« espace vécu » introduite dans le domaine de la géographie par A. FREMONT dans les années 1970. Il s'attache à reconnaître « les hommes-habitants... comme des sujets actifs et pensant de leurs propres territoires de vie » (FREMONT, 1999 : 9) et cherche à comprendre les rapports que les hommes établissent avec les lieux.

Nous utiliserons désormais les termes « résider/résidence » à propos du logement en tant que lieu géographique, spatialement identifié par une adresse. « Habiter » sera, quant à lui, réservé aux pratiques que les hommes ont des différents lieux qu'ils parcourent et permettra de cerner leurs espaces vécus, en priorité au niveau urbain.

v Plurirésidence liée à la polygamie

La famille de Ka-Gé TCHA se compose à son arrivée du chef de famille, ses deux épouses, les deux enfants de la seconde épouse et sa mère âgée de 72 ans. Ils occupent alors un appartement dans un immeuble 18 rue du Poitou (carte n°6). Les naissances très rapprochées de 6 enfants entre 1982 et 1985 rendent très rapidement le logement inadapté à la taille de la famille, d'autant que Ka-Gé TCHA travaille à domicile et a besoin d'un espace pour installer son « atelier » de couture. Il obtient alors un pavillon « Gémeaux » rue du Général de Gaulle et s'y installe avec sa première épouse et ses 6 enfants. La seconde épouse, quant à elle, continue d'occuper l'appartement initial. En 2007, la situation résidentielle est inchangée, à la différence que 7 enfants sur 16 que compte aujourd'hui la famille ont quitté le logement familial et que la mère de Ka-Gé TCHA est décédée en 1996. La seconde épouse assure elle-même le paiement de son loyer mais rencontre plus de difficultés qu'auparavant depuis qu'elle a perdu l'emploi rémunéré qu'elle avait dans les champignonnières.

Carte n°6 : Les mobilités résidentielles de la famille Ka-Gé TCHA

L'exemple de la famille CHIENG présente de nombreuses similitudes avec l'exemple précédent, mais est toutefois plus complexe en raison de la composition familiale initiale (carte n°7). A l'arrivée en 1978, le ménage se compose du chef de famille, ses 3 épouses, 4 enfants (3 de la 1ère et 1 de la 2ème) et les parents de Teng CHIENG, soit 10 personnes. Un premier logement leur est attribué dans le lotissement des Gémeaux. Aux yeux des services sociaux, le pavillon est trop petit et un second logement de la même catégorie (pavillon Gémeaux) avec une chambre supplémentaire leur est proposé 5 mois après. Cependant, en raison des naissances successives, le même problème se pose 3 ans plus tard, ce qui conduit à un « éclatement » du groupe familial. La deuxième épouse et ses 3 enfants sont logés dans la « tour », tandis les 2 autres épouses cohabitent encore dans le pavillon, avant que la situation ne se modifie à nouveau - toujours en raison de l'accroissement du nombre d'enfants - et que la 3ème épouse à son tour ne parte avec ses enfants, d'abord dans un petit pavillon des Gémeaux, puis dans un immeuble collectif (22 rue des Collèges). Teng CHIENG décide alors d'accéder à la propriété et fait construire une maison dans le lotissement de la Grande Champagne qu'il occupe depuis avec sa 1ère épouse. Aujourd'hui en 2007, 5 enfants résident encore au domicile parental. Le père de Teng CHIENG est décédé et sa mère vit désormais chez un autre de ses fils à Saumur.

Carte n°7 : Les mobilités résidentielles de la famille Teng CHIENG

Ces exemples de mobilités résidentielles nous permettent avant tout de rappeler que les familles hmong ont eu plus que les autres la nécessité d'adapter régulièrement et rapidement leur logement à la taille de la famille au fur et à mesure de l'augmentation des densités domiciliaires ; mais ils nous montrent surtout combien s'est modifiée l'organisation familiale traditionnelle depuis l'arrivée en France. En effet, dans le cas des familles polygames, le type d'habitat disponible, ne permettant pas de réunir sous le même toit les épouses et leurs enfants, a provoqué un « éclatement » spatial de la famille en 2 ou 3 lieux pratiqués régulièrement par l'époux. La plurirésidence - bipolaire ou tripolaire - ou alternance résidentielle entre plusieurs logements, est par ailleurs, aux dires des intéressés, indispensable pour maintenir un équilibre harmonieux dans les relations entre les épouses et leurs enfants. « Quand il a plusieurs femmes, c'est la guerre, il y toujours des jalousies. Si mon père me fait un cadeau, l'autre femme dit : `Et mon fils !' », déclare un des fils de T. CHIENG, encore célibataire... De plus, non seulement l'époux mais aussi les autres membres la famille, et en particulier les épouses, pratiquent cette « plurirésidence polygame » au quotidien, en particulier dans les tâches ménagères et la garde des jeunes enfants, et cette pratique s'est accentuée au cours des dernières années avec la montée du chômage féminin lié à la fermeture des champignonnières. Le paiement du loyer du logement est à la charge des épouses qui ne résident pas avec le chef de famille, ce qui là encore est problématique pour elles en raison de la perte de leur emploi rémunéré. D'où l'importance accrue, comme nous le verrons dans la seconde partie, du jardinage familial. Remarquons enfin la présence dans ces deux familles, à un même moment, de trois générations, les parents âgés sans ressources propres, étant pris en charge par leurs fils et partageant le même toit.

Enfin, il est important de souligner que sur l'ensemble de la communauté hmong de Montreuil-Bellay, un seul chef de famille (Teng CHIENG) a accédé à la propriété. Il justifie cette décision par souci d'indépendance et de respect du voisinage :

... J'ai une famille qui a beaucoup de cousins, de cousines et tout le monde me connaît et le samedi il y a beaucoup qui vient me voir... c'est pas facile, ça gêne les autres...

Il est vrai que les pavillons Gémeaux sont mitoyens et que la promiscuité y est importante. D'autre part, les dimensions des pièces, en particulier celles de la cuisine (3m/3,50m) sont inadaptées aux familles nombreuses. Il en est de même dans les appartements.

...dans l'HLM, la cuisine c'est trop petit pour moi. A chaque fois s'il y a du monde qui vient, je dois manger dans la salle de séjour et après c'est pas facile de nettoyer, c'est pas facile de ranger tout ça...

Alors, pour palier tous ces inconvénients, il fait construire une maison de 8 chambres, dont la cuisine est effectivement conçue pour de grandes réunions familiales (5m/6,5m), plus vaste que la salle de séjour elle-même, ce qui ne manqua pas de surprendre les visiteurs venus nombreux lorsque la maison fut terminée.

Il faut voir dans cette accession à la propriété la marque indéniable du renforcement de l'ancrage, voire de l'enracinement40(*) : Teng CHIENG a un emploi stable - première forme d'ancrage professionnel et social - dans la même entreprise depuis son arrivée, il n'a jamais connu de période de chômage et il prendra sa retraite d'ici peu. Il a décidé de se fixer définitivement à Montreuil-Bellay. De plus, comme nous le verrons dans la seconde partie, il a fait l'acquisition de lopins de terre dont il compte tirer un revenu ultérieurement pour compléter sa pension. Pour lui, la propriété du domicile a servi d'ancrage, une base à partir de laquelle d'autres projets ont été envisageables, un point de départ dans la conquête de son monde (PAQUOT, 200541(*)). D'autre part, on peut interpréter tout cela comme une forme de valorisation sociale. En choisissant un terrain dans un lotissement privé, Teng CHIENG rompt géographiquement avec la communauté hmong qui réside dans le parc locatif public. Toutefois, cette rupture spatiale n'est en aucun cas identitaire mais plutôt la quête et l'affirmation d'un statut social reconnu.

* 37 BRUNET, R., FERRAS, R., THERY, H. 1993. Les mots de la géographie. Dictionnaire critique. Montpellier-Paris : Reclus - La Documentation française. 520 p.

* 38 HEIDEGGER, M. 2004. Bauen Wohnen Denken. Stuttgart : Klett-Cotta

* 39 « Bezug des Menschen zu Orten und durch Orte zu Räumen » (trad. M. STOCK)

* 40 ATTIAS-DONFUT, C. (dir) 2006. L'Enracinement. Paris : A. Colin. 368 p.

* 41 PAQUOT, T. 2005. Demeure terrestre. Les Editions de l'imprimeur. 190 p.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera