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Typologie des systèmes d'élevage laitier au Maroc en vue d'une analyse de leurs performances

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par Mohamed Taher Sraà¯ri
Faculté universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux, Belgique - Doctorat en Sciences agronomiques et Ingénierie biologique 2004
  

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V - 2 Recommandations

Nos travaux de recherche se sont inscrits fondamentalement dans une perspective de développement, puisque comme nous le mentionnions au début de cette thèse, l'approche systémique a pour ambition première d'assister les exploitations agricoles à améliorer leurs résultats techniques et économiques.

C'est pourquoi, les résultats auxquels nous avons abouti devraient permettre de baliser le chemin vers un début d'intervention technique au niveau des fermes d'élevage bovin au Maroc.

La première constatation générale qui émane des résultats obtenus est la très grande diversité des situations d'élevage ; diversité à prendre en considération de manière urgente plutôt que de persister à ne porter attention qu'aux étables dites grandes soit par la taille ou les effectifs. En effet, nos recherches montrent sans équivoque que la différenciation entre types d'élevage n'est pas liée à la triviale opposition entre « petites » et « grandes » structures. Au contraire, elle repose sur le mode de fonctionnement des ateliers laitiers, sur leurs logiques et objectifs de production. Ceci intime de revoir de fond en comble les modes de perception des performances des étables, et de penser à des mécanismes de collecte de données fiables sur le terrain, qui renseignent sur les niveaux techniques des élevages bovins.

Le deuxième constat évident est l'absence, chez la plus grande majorité des éleveurs, d'une orientation laitière spécialisée ; les étables ayant franchi cette étape ne représentant qu'une portion congrue.

Les raisons de ce choix d'un élevage plutôt mixte, où viande et lait coexistent toujours et sont même parfois antagoniques vis-à-vis des ressources alimentaires, tiennent à plusieurs raisons fondamentales. La première est sûrement d'ordre culturel, liée à l'histoire du pays et aux expériences des hommes. En effet, dans beaucoup d'étables, des pratiques d'élevage aux antipodes des exigences de vaches de races laitières spécialisées continuent de se maintenir : traite en présence du veau, usage d'effluents d'élevage à l'issue de la traite pour badigeonner les pis des vaches et éviter ainsi que le veau ne revienne téter le lait résiduel...

Une deuxième raison est d'ordre environnemental, liée aux contraintes imposées par le milieu physique, notamment le climat, et la rareté des terres arables par rapport à la population paysanne. En effet, même dans les étables qui ont fait le choix d'un début d'intensification laitière, voire même de spécialisation, les fourrages ne représentent en termes de nutriments (énergie principalement) qu'un complément aux concentrés. D'ailleurs, c'est cette logique qui explique que les éleveurs énumèrent systématiquement, avant les fourrages, les concentrés utilisés, lorsqu'ils sont questionnés à propos des rations qu'ils distribuent aux vaches. En fait, avec les aléas climatiques et les réductions volontaires des superficies emblavées en fourrages, tout se passe comme si l'élevage laitier était relégué à une position où il doit mettre en valeur prioritairement des concentrés alimentaires. De plus, les savoir-faire en termes de production fourragère demeurent limités, ce qui ne permet pas de valoriser les hypothétiques surplus de fourrages en cas d'années fastes.

Avec pareil tableau, les axes d'intervention pour améliorer la situation, tout en étant très nombreux, vont sûrement tous nécessiter un travail de longue haleine. Si nous devions hiérarchiser ces voies d'intervention, selon leur niveau de priorité, nous aurions à les classer comme suit :

- le choix de races bovines adaptées à la diversité des situations de production ;

- la vulgarisation de rations complètes (concentrés + fourrages) adaptées aux différents contextes de production ;

- le recentrage des logiques de production intensive de lait sur les cultures fourragères quantitativement et qualitativement réussies;

- le nécessaire dimensionnement des projets d'élevage laitier, quelle que soit leur taille, par rapport aux potentialités offertes par la zone où ils vont s'implanter ;

- le maintien et le renforcement de la couverture sanitaire du cheptel en production ;

- le raisonnement sur les aspects des termes de la commercialisation et de la qualité du lait.

En détaillant ces différents points un à un, nous pouvons tout d'abord constater que la généralisation de la race Holstein dans le paysage rural du Maroc, par des importations massives (plus de 270 000 vaches gravides de 1970 à 2000) n'a pas permis « d'absorber » la race locale. En d'autres termes, cela signifie que la race locale continue de s'ériger comme le seul type bovin adapté aux zones agricoles peu mises en valeur et souffrant de sécheresse chronique (le Sud et l'Est du Maroc). Ce qui est encore plus remarquable, c'est la réminiscence de ces bovins de race locale même dans des zones plus favorables (irriguées par exemple) et surtout la forte présence de bovins croisés « local x Holstein ». Ces tendances montrent bien que beaucoup de fermes d'élevage n'ont pas tiré pleinement profit du potentiel laitier des races importées et qu'elles préfèrent se reporter sur les bovins croisés moins exigeants. Et même pour celles qui optent pour des vaches de type Holstein, nos résultats confirment que plus des ? n'en exploitent pas les facultés productives, avec des rendements en lait par vache inférieurs à 3 000 kg par an. De plus, cette même proportion affiche une stratégie de production bien plus viandeuse que laitière, ce qui nous mène à nous interroger sur l'intérêt de la race Holstein face à de tels comportements de production.

C'est ce qui motive notre opinion de proposer de tester d'autres races au Maroc, moins laitières que les Holstein, et avec plus de caractères de rusticité et de facilités d'engraissement.

L'idée première serait de privilégier les souches locales dont certaines (cas du noyau Tidili des zones oasiennes) affichent des niveaux de production laitière intéressants, avec des caractères de rusticité très prisés. Mais un effort de repérage et de sélection risque de rendre l'opération trop lente, face à l'urgence des mesures à prendre. Sinon, il faut se reporter sur les importations de bétail ou de semences dans le cadre de programmes de croisements. La vague d'ESB qui frappe les principaux pays (Union Européenne et Etats-Unis d'Amérique) exportateurs de bétail vers le Maroc, fait qu'il est risqué de miser exclusivement sur cette voie. Nous pouvons toutefois penser à des vaches du rameau pie rouge, mais qui n'ont pas encore été, dans leur pays d'origine, intensément croisées avec du sang Holstein. C'est le cas par exemple des animaux de type Jersey, Simmenthal ou Fleckvieh dont les potentiels moyens de production en lait ne dépassent pas les 4 500 à 5 000 kg par vache et par an, avec des possibilités bouchères attestées. Mais pour rendre ces propositions effectives, il est bien entendu obligatoire de tester sur le terrain, et avant tout en stations expérimentales, dans différentes régions du Maroc, le comportement de ces animaux et les caractéristiques de leurs carrières de production.

Par ailleurs, rien ne s'oppose à ce qu'en parallèle à ces bovins de moindres capacités laitières, et adaptées à la réalité de la grande majorité des éleveurs du Maroc, persistent des expériences de production avec les animaux de type Holstein et pie noir. Mais à la condition expresse que ces bovins disposent des conditions, notamment alimentaires, nécessaires pour remplir à bien leur mission de production intensive de lait dans les fermes qui les adoptent.

Un dernier point relatif à ce volet du choix de races adaptées à la multitude des situations d'élevage bovin au Maroc est la mise en place de schémas de sélection de bovins. Ceci doit être une priorité dans la politique laitière du Maroc. En premier lieu, pour s'affranchir des éternelles importations de bovins dont la valeur d'adaptation aux conditions d'élevage locales est souvent une énigme malgré les pedigrees et autres documents les accompagnant. D'autre part, surtout pour instaurer le contrôle de performances, ou contrôle laitier officiel, seule voie vers le diagnostic rapide et régulier de l'état des étables laitières. De plus, ces programmes de sélection sont indispensables pour enclencher un renouvellement endogène par des génisses adaptées aux conditions de production au Maroc, car une des aberrations de l'élevage bovin dans ce pays est de compter sur des apports réguliers de vaches importées pour en assurer la continuité. Pareille mesure pourrait être instaurée en promulguant des subventions conséquentes sur l'élevage des génisses avec une ascendance affichant des caractères laitiers avérés.

Le deuxième volet de ces recommandations est lié à la vulgarisation de rations complètes avec des concentrés. Il est remarquable en effet que tous nos diagnostics confirment la prééminence des consommations de concentrés dans les bilans fourragers des fermes laitières et leur relation très claire avec les rendements laitiers. Ce constat de production de lait « à coups de concentrés » est à prendre en compte très sérieusement à l'heure actuelle par tout discours technique responsable. A notre sens, il constitue la première entrée privilégiée pour influer sur les termes de la production : vulgariser pour chaque région, voire même pour chaque ferme qui en émettrait le souhait, une ration, même riche en concentrés, mais qui soit équilibrée. Ceci pourrait se faire à l'occasion des grands changements de fourrages (à la fin de l'automne et au milieu du printemps) que connaissent les différentes régions du pays. Les chances de réussite semblent importantes, du moment que la quasi totalité des fermes sont en zéro-pâturage, ce qui permet de préciser exactement les quantités de concentrés et de fourrages ingérées.

Pareille action, même si elle a une portée réduite vis-à-vis d'une amélioration nette des résultats économiques, car les concentrés sont par essence onéreux, permettrait toutefois de récupérer les manques à gagner issus de la méconnaissance des besoins des vaches par les éleveurs. En effet, ils continuent d'ignorer pour la plupart la différence entre besoins d'entretien et de production ou encore besoins en énergie et en protéines totales, ce qui résulte en des gaspillages fréquents de nutriments. Elle ouvrirait ensuite des perspectives de travailler sur le plus long terme, notamment sur la composante fourrages des rations.

La troisième proposition pour l'amélioration des performances des élevages est justement l'action dans le domaine des cultures fourragères. A ce niveau, un très important effort de vulgarisation du rôle de ces cultures dans la production de lait et même dans la gestion de la fertilité des sols est à entreprendre. Dans ce volet de l'amélioration de la production laitière par l'intensification fourragère, deux alternatives complémentaires sont à mentionner. La première consisterait à augmenter les rendements à l'ha en nutriments (UFL) par des cultures adaptées aux aléas climatiques et surtout par une conduite culturale qui sache trouver le bon compromis entre stade de coupe (quantité de MS/ha) et qualité nutritive (UFL/kg de MS) du fourrage. En effet, dans un pays caractérisé par des coups de chaleur importants, notamment au printemps, la lignification est très rapide et il importe de bien suivre la croissance des fourrages pour en optimiser l'utilisation. C'est ce qui justifie le recours à des essais de variétés fourragères, de préférence à exploiter en zéro-pâturage, puisque la majorité des fermes utilisent ce système alimentaire, en raison de l'exiguïté des surfaces. Pour les types de fourrages à tester, il convient de se focaliser sur les différences régionales, sur les possibilités d'irrigation, sur les habitudes culturales les plus communes propres à chaque zone et aux expériences fourragères tentées dans des pays à conditions climatiques similaires au Maroc (cas de la Tunisie où le projet Frétissa s'est surtout intéressé aux fourrages pour l'amélioration de la productivité laitière des vaches [RONDIA et al., 1985], ou du Sud de la France ou des zones semi-arides de l'Australie).

Pour les régions irriguées, de meilleurs rendements en vert à l'ha doivent être visés notamment par une valorisation optimale de l'eau d'irrigation en biomasse végétale. Il faudrait donc viser à diminuer les pertes et les gaspillages hydriques dus à des plans d'irrigation mal conçus et surtout garantir, en plus de l'eau, les nutriments et autres intrants nécessaires (fertilisants et pesticides) pour une croissance végétale maximale. Pour les espèces fourragères qui mériteraient un effort de vulgarisation plus intense en zone irriguée, nous pouvons citer le ray-grass, le maïs et à un moindre degré, la betterave fourragère.

Pour les zones d'agriculture pluviale, les choix variétaux sont encore plus importants pour rehausser les rendements en nutriments à l'ha. Le testage d'associations fourragères graminées/légumineuses, comme l'avoine/pois fourrager ou encore orge/vesce sont à vulgariser plus intensivement, tout en insistant sur les bienfaits de ce type de mélange (amélioration de la fertilité des sols par la fixation symbiotique de l'azote, et augmentation de la valeur nutritive du fourrage produit induite par une meilleure teneur en protéines). Des espèces fourragères comme le lupin en sols sableux, le sainfoin, le sulla, l'avoine ou encore les vesces sont à tester et à adapter selon les potentialités agronomiques de chaque zone.

La deuxième alternative susceptible d'améliorer le disponible en nutriments issus des fourrages est liée aux conditions même de leur exploitation, car même quand ces derniers seraient produits, il faut en garantir une fauche, un stockage et une valorisation bien réalisés. Or, beaucoup de fermes, notamment celles aux moyens de trésorerie les plus limités, ne disposent pas déjà des quantités d'herbe nécessaires, ni du savoir-faire, pour justifier le stockage des excédents de fourrages. De même, elles n'ont presque pas accès aux machines nécessaires (faucheuses, ensileuses...) pour ce genre de chantier. Ne leur reste plus que le recours à la facilité : faucher uniquement des fourrages lignifiés, souvent plus proche d'un point de vue de la qualité à de la paille, et qui sont de surcroît faciles à stocker, car secs. La conséquence est alors de pénaliser fortement les vaches laitières qui devront s'accommoder de ces fourrages pauvres.

Des techniques pour un ensilage approprié (type de silo, date de coupe, réglages des machines pour une taille des brins adaptée, additifs à rajouter, matériaux de couverture...) afin de stocker les excédents de fourrages sont à vulgariser. De même, la fenaison des fourrages et les pratiques à adopter pour limiter les pertes de nutriments pour la constitution de stocks de foin de bonne qualité sont primordiales à prendre en compte pour favoriser les compensations des années difficiles par les excédents des années favorables. Pour ce faire, le choix de variétés fourragères adaptées à la fenaison est à promouvoir. De même, la promotion du savoir-faire technique pour un foin réussi (date de coupe, modes de stockage, type de séchage...) est à encourager chez les éleveurs, notamment chez ceux aux moyens les plus dérisoires.

C'est pourquoi, cette composante des cultures fourragères, même si elle est évidente pour améliorer les rendements, le bien-être des vaches et même la qualité du lait, n'en demeure pas moins la plus complexe à traiter, à cause des caractéristiques intrinsèques du milieu agricole marocain.

La quatrième proposition pour rehausser les performances de production laitière des troupeaux bovins est liée à de nécessaires études d'ajustements entre leurs besoins quantitatifs et leurs évolutions au cours de l'année et les potentialités agronomiques réelles des exploitations et des régions où ils se localisent. Ce genre de logiques a déjà été avancé, aux tous débuts des études de faisabilité de projets d'élevage laitier au Maroc. En effet, les concepteurs du projet Sebou, précurseurs de la mise en valeur du périmètre du Gharb [PROJET SEBOU, 1961], insistaient sur la nécessaire sélection des éleveurs disposant des conditions adéquates, en termes de superficies fourragères notamment, avant de leur allouer des vaches laitières importées. Malheureusement, cette philosophie ne semble pas avoir été respectée. Les précautions qui auraient dû être adoptées par les organismes censés encadrer les élevages pour en assurer la rentabilité n'ont pas été efficaces. Il faut dire que l'insistante pression des lobbies exportateurs de bovins en Europe et en Amérique du Nord, et celle des importateurs de génisses au Maroc étaient aussi dans la balance. Par ailleurs, l'éleveur aussi a facilement succombé à l'attrait indéniable pour ces vaches, qui confèrent et renforcent le statut social de leurs détenteurs, par un effet ostentatoire largement établi dans les campagnes marocaines. Mais le prix à payer a été tellement fort, que des volte-faces sont désormais nécessaires.

C'est semble-t-il une voie nécessaire qui permettrait de mettre à contribution les zootechniciens du pays : dimensionner les élevages sur le point de s'établir ou ceux qui souffriraient de problèmes économiques. Car, dans le domaine de la production bovine laitière, il n'est pas de miracle ou d'inconnue, encore moins pour des niveaux de production modérés dans l'absolu (5 000 kg par vache par an) : schématiquement, il faut disposer de suffisamment d'énergie nette pour éviter la sous-nutrition, et ensuite viser l'équilibre des rations d'un point de vue de leur teneur en protéines brutes puis en minéraux et oligo-éléments. S'imposent alors dans le discours technique les considérations liées aux bâtiments d'élevage, aux conditions sanitaires du cheptel ou encore à la stabilité des marchés du lait et du bétail.

Concrètement, cela reviendrait à vérifier pour différentes étables, l'adéquation entre les possibilités fourragères et les besoins des vaches à un niveau de production donné. Par exemple, dans le cas du périmètre irrigué du Gharb, l'ha de bersim peut produire jusqu'à l'équivalent de 4 400 UFL, en cinq coupes d'octobre à juin [GUESSOUS, 1991]. Si l'hypothèse de nourrir des vaches laitières convenablement avec un minimum de fourrages retient un ratio fourrages/concentrés de 50/50, alors il faudrait pour une vache laitière à 5 000 kg de lait environ, 2 500 UFL provenant du bersim : 50 % d'un besoin total annuel de 5 000 UFL, comprenant aussi bien les besoins d'entretien, de production, de gestation de la vache à proprement parler et les besoins inhérents à sa suite, à savoir les veaux mâles et femelles et génisses. Ceci équivaudrait à un minimum de 0,65 ha de bersim bien conduit par vache. Or, nos chiffres (0,5 ha/vache) montrent bien que ce ratio est bien loin d'être respecté, tout comme ne sont pas respectés les stades optimaux d'exploitation du bersim et encore moins les itinéraires techniques pour un rendement maximal d'UFL à l'ha. C'est ce qui explique tous les manques à gagner que nous avons identifiés, tant sur le plan de la production laitière que sur le croît des veaux et des génisses.

Pareils calculs devraient bien entendu tenir compte des références régionales existantes et pourraient être enrichis des résultats de la recherche agronomique dans le domaine de l'amélioration des productions de fourrages.

Se pose bien sûr avec acuité à ce stade, le problème du financement des salaires et prestations de ces ingénieurs et autres techniciens du secteur des productions animales, et du cadre statutaire de leur emploi, surtout que l'Etat marocain est en plein processus de désengagement de toute activité d'encadrement de la production. La seule voie qui se profile et qui devrait inciter à former puis à évaluer les cadres de l'élevage, est celle de la récupération des manques à gagner dans le domaine agricole, en l'occurrence l'élevage laitier. Par exemple, un saut de la productivité par vache de 3 000 à 5 000 kg de lait par an dans une ferme 40 vaches Holstein, équivaudrait à un surplus de revenus de plus de 240 000 DH (environ 21 500 Euros), ce qui permettrait de financer les prestations d'un ingénieur, à temps partiel, sans difficulté, en sus des intrants supplémentaires (aliments). Mais pour ce faire, il faut que des associations privées d'éleveurs ambitieux, clairvoyants se constituent, en l'absence de l'Etat. Elles devraient être prêtes à consentir l'effort de se concentrer sur des objectifs de production, et de se donner les moyens matériels et surtout humains d'y parvenir. Ceci semble tarder à se concrétiser, notamment à cause d'enjeux autres que productivistes qui sont du ressort du secteur de l'élevage et des associations qui s'y investissent.

Sur la question de la couverture sanitaire du cheptel laitier, il est plus que flagrant que la privatisation rapide de la médecine vétérinaire au Maroc, a entraîné un déclin des prestations dans les étables. En effet, sur le seul registre du dépistage des maladies réputées légalement contagieuses, telle que la brucellose ou la tuberculose, le mandat sanitaire délivré aux vétérinaires privés ne prend pas en compte ces zoonoses. Or, les techniciens de l'Etat, faute de moyens, n'effectuent plus ces opérations annuellement. Au delà de ces répercussions inconnues sur la santé humaine, cet arrêt de la tuberculination et du dépistage de la brucellose constitue une énigme sur l'état de santé du cheptel. Il peut aussi être en partie incriminé dans les contre-performances de production laitière qui ont été observées au cours de ce travail. Aussi, pour s'assurer que les améliorations de performances escomptées de la participation des zootechniciens au choix de la race ou à la confection de rations équilibrés, se concrétisent, il faut impérativement un cheptel bovin indemne de toute maladie. Pour cela, le rôle de l'Etat est encore plus que crucial.

Finalement, un dernier volet d'action qui a un poids indéniable sur le secteur de l'élevage bovin, et qui va prendre davantage d'importance dans les années à venir est lié à la politique des prix et à la qualité des produits. En effet, nos résultats démontrent sans ambiguïté que le prix du lait payé à l'éleveur est un facteur primordial pour sa compétitivité. Les 15 % en plus par kg de lait expliquent l'émergence de filières laitières plus intensives à l'abord des villes en comparaison aux zones rurales, même irriguées. Car, il est actuellement une constatation forte, qu'illustrent nos travaux, dans le secteur de la production bovine laitière au Maroc : les bénéfices sont tellement ténus que la moindre augmentation du prix du lait pour les éleveurs leur est vitale.

Il n'est pas dans nos propos de proposer une augmentation du prix du kg de lait payé à l'éleveur, prix qui n'a plus évolué depuis 1995. Mais, ce qu'il est possible de remarquer dans les faits, est justement une défection de nombre d'éleveurs vis-à-vis de toute tentative d'intensification, arguant que le prix actuel du lait ne couvre plus les charges nécessaires à la production. Nos résultats de terrain convergent vers cette observation puisque, pour de nombreuses fermes, l'équilibre économique ne se concrétise que grâce à d'irrémédiables ventes de bovins. En revanche, ce qu'il est possible de suggérer est la nécessaire mise à niveau du prix du lait au départ de la ferme en fonction de sa qualité. Ceci permettrait alors de rehausser les revenus des éleveurs qui s'investissent dans ce créneau et de pénaliser carrément tous les fraudeurs et autres ignorants des principes de base pour un lait sain et contenant assez de matière utile, et non pas de l'eau.

Mais encore une fois, comme pour les essais de races, la vulgarisation de fourrages, ou encore l'assistance pour le dimensionnement de projets d'élevage par rapport à leurs besoins en nutriments, une grande inconnue entoure la nature des organismes chargés d'appliquer ces mesures. Dans un contexte dominé par l'extrême rareté du contrôle laitier, il est difficile d'imaginer une mise en chantier rapide et généralisée des contrôles de la qualité du lait, pour un paiement sur laquelle le prix serait indicé. En fait, seule la constitution d'une interprofession laitière compétente, juste, défendant les intérêts de tous (des milliers d'éleveurs aux consommateurs en passant par les industriels du lait), disposant de moyens conséquents (des prélèvements par kg de lait pour financer ses activités, par exemple) peut faire l'affaire. Mais encore une fois, il y a au préalable la nécessité d'une volonté politique générale, notamment de l'Etat marocain, pour que ces recommandations puissent être testées sur le terrain. Or, actuellement, la tonalité qui émane de l'Etat et de ses politiques d'élevage plus exactement, semble être à l'opposé de ce schéma global. La cessation récente (janvier 2004) des activités de la SODEA, dont celles de son pôle « vaches laitières », en conformité à la politique de désengagement, confirme bien que l'Etat est en phase de démissionner de toute responsabilité de production dans le domaine de l'élevage. En plus de la dispersion du legs technique de la SODEA (savoir-faire des ouvriers et techniciens) et du noyau génétique qu'elle détenait, cela témoigne encore plus de l'arrêt définitif de l'expérience étatique dans le domaine de la production laitière. S'y ajoute la suspension des campagnes systématiques et annuelles de tuberculination du cheptel bovin et de dépistage de la brucellose, depuis le début des années nonante et l'aspect sporadique des campagnes de vaccination contre la fièvre aphteuse. Tout cet abandon sur le terrain, que souligne aussi la chute palpable du nombre des étables soumises au contrôle laitier officiel ces dix dernières années (de 398 en 1994 à 167 en 2002, selon MADR [2003]), ne peut que laisser sceptique tout observateur du secteur de l'élevage sur les possibilités de sa reprise en main. Car, si l'Etat marocain ne semble pas prêt à s'y investir pour en assurer la continuité et pour en réguler le fonctionnement, il est illusoire de penser que des associations privées y parviendront seules. Surtout qu'elles souffrent par essence de la multiplicité des intérêts de leurs acteurs et encore plus de la faiblesse de leurs moyens financiers et humains.

Car finalement, l'élevage laitier et son développement au Maroc sont bien plus importants que la simple considération du type génétique ou de la conduite alimentaire des vaches. Son devenir est dépendant des choix de politique générale qui seront effectués, notamment sur la question sensible du sort de milliers d'exploitations agricoles, certes aux moyens de production dérisoires, mais qui continuent d'employer tant bien que mal plus de 50 % de la population du Maroc. Si on s'achemine vers un scénario visant le maintien de ces structures, il est alors évident que des moyens et des efforts importants doivent être mobilisés en leur faveur, en termes de transferts de technologies (cf. les propositions par rapport aux races, aux fourrages, aux rations équilibrées, à la guidance sanitaire...). Car, pour l'instant elles continuent pour la plupart à naviguer à vue, sans véritable objectif de production ni de durabilité économique. Et surtout elles ne bénéficient d'aucune expertise technique ni de conseil de vulgarisation. Sinon, si une option de reconversion de ces exploitations vers d'autres types d'activités extra agricoles (scénario à « l'européenne » où les campagnes marocaines seraient dépeuplées) est retenue, il faudrait alors songer dès à présent aux mesures nécessaires pour y arriver (reconversion des paysans, structures d'accueil dans d'autres secteurs d'activités...).

Dans les deux cas, il ne fait pas de doute que l'élevage bovin au Maroc est à une sorte de phase cruciale de son évolution : ou bien il se structure, devient performant, crée des emplois, des produits de qualité et il assure sa pérennité, finançant de lui -même, par la récupération de ses manques à gagner, les salaires et rémunérations des personnes qui veillent sur son bon fonctionnement. L'autre éventualité, est celle où, sous la pression des contraintes endogènes (sécheresse, manque de capitaux, savoir-faire négligés, énergies dilapidées...) et exogènes (ouverture totale des frontières aux produits importés), l'élevage bovin laitier n'arrive plus à être compétitif. Dans ce cas, il n'est pas exclu que les mouvements d'extensification de la production, tels qu'observés même en périmètre irrigué (allaitant avec aucune charge) se renforcent, tandis que le marché marocain du lait serait alors quasi exclusivement dominé par des importations de produits lactés. Ce genre d'éventualité sonnerait alors le glas de l'expérience initiée par le Plan laitier pour assurer l'approvisionnement du marché local en produit frais, sans être à la merci des fluctuations mondiales des prix. Bien entendu, ce cas extrême peut être évité. En mobilisant les expertises, en formant les éleveurs, et en édictant des normes de travail rationnelles qui s'éloignent de la simple logique de marché (achats d'animaux importés, transactions sur les concentrés importés, marges sur le lait entre l'éleveur et le consommateur...) pour accompagner la paysannerie marocaine et tout le monde rural dans la recherche de mieux-être économique. Faute de quoi, c'est à un exode rural massif, avec pour corollaire l'insécurité et aussi l'immigration clandestine, qu'il faudra faire face.

Références Bibliographiques

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