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L'imposition des cultures de rente dans le processus de formation de l'etat au cameroun (1884-1914)

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par Sandrine Carole TAGNE KOMMEGNE
YAOUNDE 2 - SOA / CAMEROUN - Diplome d'Etude Approfondie en Science Politique 2006
  

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II- DE L'INTERVENTIONNISME RELATIF DANS L'EXPLOITATION ECONOMIQUE DU CAMEROUN A LA VULGARISATION DES CULTURES DE RENTE

Avec l'arrivée du chancelier Chlodwig zu Hohenlohe-Schillingsfürst en 1894, l'exploitation du territoire du Cameroun passe de sa phase passive à une phase plus agressive. Toutefois, une bonne exploitation des potentialités qu'offrait le territoire du Cameroun étant dépendante de l'établissement d'une politique stable et régulier, nécessité se faisait donc sentir à partir de cette période d'instaurer des règles juridiques observables par toutes les populations qu'elles soient blanches ou noires vivant sur le territoire du Cameroun. Le besoin de régulation appelle donc à l'instauration des règles qui deviendront une manière légitime de penser et de faire chez les populations locales. Cette institution qui, du fait de sa régularité deviendra normale dans la vie quotidienne des populations noires résidant sur le territoire camerounais subira plusieurs rebondissements. Pour comprendre le changement radical apporté par ce nouveau chancelier, nous devons au préalable chercher à répondre à la question : qui est-il ? De même qu'à comprendre le contexte de son règne.

A.CHLODWIG ZU HOHENLOHE-SCHILLINGSFÜRST (1894-1900)

A Caprivi modérément pro-colonial, va succéder le chancelier Hohenlohe-schillingsfurst, un homme parfaitement acquis à la cause coloniale. En effet, proche parent du président de la ligue coloniale allemande, le prince Hohenlohe-Langenburg, le nouveau chancelier s'était déjà montré ardent partisan de la colonisation allemande dès 1880 en défendant devant le Reichstag les premiers dossiers coloniaux allemands (Oloukpona 1986 : 104). C'est sous son règne que fut crée le slogan expansionniste allemand « nous voulons notre place au soleil » ; c'est aussi à cette époque que l'empereur Guillaume II déclarait publiquement ses ambitions mondialistes. L'avènement de Hohenlohe-Schillingsfurst comme chancelier du Reich ne pouvait ne pas apporter un changement décisif dans la politique coloniale de l'Allemagne.

La première conséquence d'un chancelier expansionniste fut un nouveau dynamisme dans la conquête territoriale. Avec lui, on aura le décret impérial de juin 1896 portant sur la création, la prise de possession et l'aliénation des terres de la couronne et sur l'acquisition et l'aliénation des terres dans le territoire du Cameroun et qui peut être considérée comme la loi de la politique terrienne de base.

Ce souci de conquête territoriale entraîne la deuxième conséquence. On voit émerger une nouvelle conception de la gestion économique des colonies, notamment avec l'avènement des grandes sociétés concessionnaires. Or, étant donné que l'accroissement de l'activité économique allait de pair avec l'extension du service administratif, cette dynamique va profondément modifier l'environnement camerounais. Cet aspect contribue à la mise en administration de la société camerounaise dans la mesure où « la modification de l'environnement contribue à une spécialisation poussée des gouvernants et des mécanismes de gouvernement » (Lagroye 1991 : 45). Dans ce contexte, on va assister à l'instauration d'un centre de décision qui établira son hégémonie sur l'ensemble du territoire. Les pouvoirs du gouverneur seront accrus et la mise en valeur des colonies sera amorcée de façon ferme.

Bref, la nomination en 1894 de ce chancelier a constitué un revirement colonial radical dont les conséquences furent presque immédiates dans les territoires sous domination allemande dont le Cameroun. Avec ce chancelier, on notera une floraison de textes juridiques et une réorganisation de la configuration sociale.

B.HOHENLOHE, LA VULGARISATION DES CULTURES DE RENTE ET LA REGULATION SOCIALE AU CAMEROUN

Cette régulation va s'observer avec les mesures juridiques pour l'organisation des terres, notamment avec la nécessité pour les colons de se procurer de la main d'oeuvre. La réquisition de ces ouvriers des plantations eut des conséquences sur la cohésion sociale ou sur la naissance d'une nation camerounaise.

1. L'apprentissage de la culture de nouvelles plantes par les ouvriers Camerounais des plantations allemandes

L'agressivité des nouvelles politiques agricoles du Cameroun va créer un besoin urgent des ouvriers-autochtones pour les plantations européennes. Ceci aura pour conséquence l'apprentissage de la culture de nouveaux produits agricoles par les camerounais mais surtout, cet apprentissage poussera les camerounais à se conformer aux normes législatives allemands régulant l'exploitation de ces cultures.

a. De la nécessité de la main-d'oeuvre indigène pour les plantations allemandes (....)

Avec Hohenlohe-Schillingsfürst, c'est l'avènement dans la colonie du régime des grandes concessions. Il va donc se poser le problème de main d'oeuvre agro-commerciale surtout dans la région du Mont-Cameroun (Buéa, Victoria, Bibundi, Debundscha). Les plantations ont des proportions géographiques immenses et elles regroupent en leurs seins plusieurs villages locaux (voir cartes en annexe 3 et 4). On aura entre autres des plantations comme la West Afrikanische Pflanungs Gesellschaft Victoria en abrégé W.A.P.V, fondée en 1897. Elle avait une superficie de 15000 hectares. Celle-ci pratiquait la culture du cacao et du caoutchouc ; elle avait 4000 hectares pour la culture du cacao. Ces proportions illustrent la nécessité de la main d'oeuvre locale pour les allemands

Ceci d'autant plus que le taux de mortalité des Européens dans les tropiques fit comprendre aux administrateurs allemands qu'il fallait intégrer, pour les services de l'économie coloniale, le colonisé dans l'appareil de production (Kaptue 1986 : 23). En effet, le docteur Frédéric Plehn, premier officier médical du gouvernement dans le protectorat, avait effectué des recherches spéciales sur la mortalité des Blancs au cours de la première décennie de l'occupation allemande. Le docteur Plehn établira donc le taux de mortalité occidentale comme suit :

Tableau 1 : Pourcentage des décès des populations blanches de 1890 à 1894 dans le territoire du Cameroun

Année

Nombre de décès

Pourcentage

1890 - 1891

18 décès sur 170 Européens

Soit 10,6%

1891 - 1892

25 décès sur 166 Européens

Soit 15%

1892 - 1893

17 décès sur 220 Européens

Soit 8%

1893 - 1894

25 décès sur 215 Européens

Soit 11,4%

Source : Etoga Eily, Sur le chemin du développement, CEPMAE, Yaoundé, 1971, p.251

Sur 100 fonctionnaires du gouvernement envoyés au Cameroun, 17 étaient en service au début de l'année 1884, 23 étaient rentrés chez eux en bonne santé, 18 morts de malaises climatiques et 6 de mort violente ; quant aux 8 qui restaient, ils avaient été licenciés prématurément pour diverses raisons. La mission de Bâle avait envoyé 30 missionnaires au Cameroun entre 1886 et 1893 ; de cet effectif, on enregistra 10 décès dont 8 de malaria et 2 par noyade. Enfin, 5 avaient été évacués pour des raisons de santé (cf. Amtsblatt für Kamerun du 15 mai 1909, p.83).

Il devenait donc nécessaire de recruter la main-d'oeuvre locale et bon marché. RUDIN H. résume bien la situation lorsqu'il affirme que:

«Worked were needed for the plantation, for the transportation of traders goods, and for the clearing of jungle for railrood. The employment of large numbers of white men for such task in tropical Africa was unthinkable. Very early the Germans realized that the best asset they had for the exploitation of the ressources of the Cameroons was the native, for without his labour nothing could be done », (Kaptue 1986 : 21).

Devant ce besoin de travailleurs des plantations, les propriétaires terriens allemands vont se mettre à la recherche de travailleurs. Comme le note Zacharie Saha (1993 : 81),

«De nombreuses firmes agro-commerciales se sont installées dans la région. Depuis la création de la concession la Gesellschaft Nordwest-kamerun en 1899, toute la région des Grassfields était l'objet d'un vif intérêt chez les agriculteurs et les commerçants. Les explorations commerciales de Zintgraff à Bali surtout et celles de Conrau en pays Bangwa ont ouvert la région aux appétits des colons. Les conditions naturelles ainsi que la forte concentration humaine, constituaient un facteur économique attrayant ».

De ce qui précède, on note que le système capitaliste commence à être appliqué. Or, les plantations capitalistes par définitions âpres au gain, on observera la mise sur pied pour le recrutement de la main d'oeuvre locale d'un ensemble de mesure. De la razzia à la réquisition, ce recrutement s'effectuera aussi par le biais des contrats de travail13(*). Ces mesures contribueront à l'apprentissage par les Camerounais de nouvelles techniques agricoles. Ce besoin de main d'oeuvre participe à la mise en discipline des populations camerounaises dans la mesure où ce sont les Allemands qui détermineront les méthodes de recrutement.

b-(...) à l'apprentissage de la culture des nouvelles plantes par les Camerounais

Cet apprentissage ira de pair avec l'encouragement des Allemands et favorisera par la même occasion la vulgarisation des techniques agricoles.

Le palmier à huile était déjà exploité par les indigènes pour l'huile de palme. Les noyaux durs étaient jetés. Ces pratiques étaient dénoncées par le Docteur Preuss et on pouvait évaluer à 23 millions les sommes ainsi gaspillées pour l'économie camerounaise. Après que le Docteur Haake eut inventé une machine permettant une meilleure exploitation du palmier à huile, les résultats apparurent particulièrement réconfortants (Etoga Eily 1971 : 163). Les populations camerounaises apprenaient ainsi de nouvelles techniques agricoles.

Toujours dans le souci de faire participer les Camerounais au développement des cultures de rente, l'assistant agronome Berger ira encourager la culture du cacao par les indigènes dans la région du Mungo14(*). En plus, en 1913, un "guide pour la culture du cacao par les indigènes " produit par le centre d'essais agricoles de Victoria sera mis en projet par les Allemands15(*).

Les cultures les plus en vogue étaient le cacao et le caoutchouc. Le docteur Preuss, alors directeur de la station scientifique de Barombi, dénonça en 1889 les méfaits des méthodes indigènes d'exploitation car elles pouvaient à la longue entraîner la destruction des arbres. A cela s'ajoutait le fait que le caoutchouc indigène inspirait d'autant moins confiance qu'il était souvent additionné de sable destiné à renforcer le poids de la vente (Etoga Eily 1971 : 214). Le problème de fond restait lié à la formation des producteurs indigènes mais aussi à la construction des routes en vue de faciliter l'évacuation du caoutchouc en Europe.

Le domaine de la production indigène s'était élargi de façon sensible dans les dernières années du protectorat allemand et ceci peut se comprendre par l'accroissement du nombre de producteur indigène formé par les Allemands.

L'apprentissage de la culture de nouvelles plantes participe à la construction de l'Etat camerounais dans la mesure où c'est une même autorité administrative qui décide des acteurs devant cultiver un produit ou encore de quelle façon ces plantes devrontt être cultivées. Or comme construire l'Etat suppose soumettre le territoire mais aussi mettre en discipline la population, nous pouvons dire de ce qui précède que le changement de mode de production par l'apprentissage de nouvelles techniques agricoles participe à l'émergence de l'Etat camerounais.

2. L'émergence d'une cohésion sociale

Le regroupement de plusieurs villages dans un même espace agricole appartenant à un propriétaire allemand va contribuer à la cohabitation forcée des populations de ces unités politiques. Le découpage des plantations ne respectait pas toujours les frontières des unités traditionnelles présentes dans cet espace. En effet, l'observation de la carte 3 et 4 montre comment les villages qui se trouvaient dans une même concession étaient regroupés pour former des réserves. L'appartenance à un même espace géographique participera à la naissance d'une identité commune et ces frontières définissent « l'unité politique des frontières identitaires des nations, celles d'un «nous« dont le contenu est marqué par des pratiques nationales nourries d'expériences historiques » (Kastoryano 2005 : 14).

Par ailleurs, comme nous l'avons vu au chapitre précédent, les lois foncières qui seront promulguées pour la première fois au Cameroun seront suivies par les populations locales au risque de voir considérer leurs terres comme étant sans maître. Ces lois auront le mérite de diminuer les spéculations foncières et les populations locales y trouveront un moyen de protéger un espace dont l'appartenance n'avait pas encore été remise aussi rudement en question. Le fait d'obéir aux mêmes lois, et de vivre sur un espace territorial désormais définit par une autorité politique qui s'impose à tous va forcément créer des liens entre des populations qui jusque là entretenaient pour la plupart soit des relations conflictuelles, soit des relations de bon voisinage, chacun respectant le territoire de l'autre.

En plus, l'organisation de l'écoulement des produits de rentes va contribuer à la naissance de cette cohésion. En effet, l'acheminement de ces produits vers les ports qui devaient les conduire aux lieux de distribution nécessitait toute une organisation. A titre illustratif, l'exploitation du caoutchouc sylvestre cultivé dans la région de l'Est est révélatrice à ce sujet. Récolté par la Gesellschaft Sud-Kamerun, dans la circonscription de Yokadouma et acheminé principalement dans les circonscriptions de Lomié, Doumé, Ebolowa et Yaoundé, le caoutchouc sylvestre est acheminé par porteurs vers le port de Kribi (Etoga Eily 1971 : 364). Ces longs trajets ne manquaient pas de créer des contacts entre des populations qui venaient d'origine diverse et qui jusqu'alors ne se côtoyaient pas pour la plupart. On voit en quelque sorte le passage de la communalisation à la sociation car, n'ayant plus uniquement en commun leur origine, leur histoire, ces contacts font naître des intérêts autres qui lient ces personnes entre elles. La société n'existant pas en soi, ce n'est que l'agrégation d'intérêts, la naissance d'un intérêt commun qui favorise son existence. Ceci s'accentuera dans les années 1900 avec l'essor économique du territoire du Cameroun.

* 13. Ce dernier aspect ne sera effectif que sur le règne du chancelier von Bülow.

* 14 . ANY, FA 1/864, rapport de l'assistant agronome BERGER sur la mission dans la région du Mungo en vue d'encourager la culture du cacao par les indigènes.

* 15. ANY, FA 1/808, « guide pour la culture du cacao par les indigènes » produit par le centre d'essais agricoles de Victoria (projet), 1913.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci