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Le temps de l'insertion des jeunes, une considération rituelle et temporelle

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par James MASY
Université de Nantes - Master 2 - Sciences de l'éducation 2008
  

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3. Le temps : une course d'orientation

« On peut affirmer que l'activité de détermination du temps et le concept de temps sont inséparables de la représentation générale que les hommes se font de leur univers et des conditions dans lesquelles ils y vivent. »3

Cette affirmation pèse lourd dans les représentations temporelles. En plus de l'idée sous-jacente des effets de la socialisation primaire, ce sont les conditions de vie qui apportent là une dimension non-négligeable à notre recherche. Ainsi origine sociale et culturelle traversent les temporalités. Peuples chasseurs ou pêcheurs, cadres et ouvriers d'ici et d'ailleurs partagent un temps, donné comme universel, mais construisent un temps singulier qui doit leur permettre de naviguer dans les méandres d'une existence à mener.

1 Simonetta Tabboni, Les temps sociaux, op. cit., p. 134

2 Sébastien Schehr, La conquête de l'autonomie temporelle, Temporaliste, n°40, décembre 1999, pp; 16-25, p.1

3 Norbert Elias, Du temps, op. cit. , p. 199

3.1 L'horizon temporel

Les sociétés dites « développées » ont intégré à leurs systèmes sociaux le temps comme une compétence, au sens où l'emploient les didacticiens, c'est-à-dire comme un ensemble organisé de représentations (conceptuelles, sociales , organisationnelles et expérientielles), d'organisateurs de l'activité (schèmes, procédures, raisonnements, prise de décision, anticipations) intégrant l'usage des instruments1. Si le rapprochement de ces concepts paraît étrange, il rend compte selon nous, des diverses us temporels. Les instruments viennent sublimer les représentations et les organisateurs du temps. Calendrier, agenda, organiseur (semaine 22, jeudi 8 à 14h30, rdv- psy) se mêlent aux marqueurs temporels (mercredi : le jour des enfants, dimanche celui de la famille), pour une meilleure maîtrise du temps, pour une meilleure orientation dans une société qui l'érige au niveau de nécessité.

Le projet est une injonction, la planification inexorable, la prévoyance impérative, l'anticipation inéluctable. La difficile maîtrise du futur semble tenir lieu de distinction au sens bourdieusien du terme. La nécessité sans cesse affichée de l'élargissement de l'horizon temporel vient alourdir le fardeau de ceux et celles qui n'y ont pas accès. Nous entendons horizon temporel comme « l'échelle et l'orientation selon lesquelles s'organise l'expérience temporelle individuelle ou collective »2, c'est-à-dire une capacité de lecture du temps passé et futur. Cette notion ets intimement liée à celle de stratégie temporelle qui renvoie à une tentative de maîtrise du temps. Si nous devions imager l'idée d'horizon et de stratégie, nous dirions que l'horizon se dégage quand le niveau de synthèse permet la stratégie. La prise de conscience « écologiste », qui engendra à l'exemple de l'insertion un grenelle, est une exemple fort probant. Concevoir que nos actions passées ont pu avoir un tel impact sur le présent jusqu'à en modifier les comportements de sorte de limiter l'inexorable aggravation des conditions de vie suppose un niveau de synthèse quelque peu évolué. En ce sens l'écologie prend place dans l'action publique comme le fit l'action sociale à son époque, le slogan du ministère de l'écologie est à ce titre très éloquent : « Présent pour l'avenir ». Pourtant, il apparaît que les attitudes écologiques vont « avec une certaine aisance sociale ». L'enquête menée au début 98 par l'Insee et l'Ifen montre que « 6% de ménages ayant intégré plus de 12 pratiques environnementales3 parmi 18 dans leur mode de vie sont

1 Renan Samurçay, Alain Savoyant, Serge Volkoff. La dynamique des compétences, point aveugle des techniques manageriales, in Formation Emploi, n° 67, 1999

2 Gilles Pronovost, Socilogie du temps, op. cit. , p. 59

3 Sur les 18 pratiques, 2 sont liées à des biens de consommation entraînant des dépenses supplémentaires (agriculture bio, électroménager mention repect de l'environnement)

le plus souvent des actifs ayant un emploi, propriétaires, qui habitent une maison, hors de Paris, et disposent de revenus supérieurs à ceux de la moitié de la population. La personne de référence a entre 40 et 65 ans, a suivi une formation technique, ou alors d'enseignement supérieur, et elle est cadre. »1 A l'opposée, ce sont 45% de ménages qui effectuent moins de 6 pratiques, et dont la personne de référence est âgée de moins de 30 ans ou plus de 70 ans, n'a pas étudié ou n'a pas dépassé la terminale, et elle est célibataire. Et si toutefois on note quelques pratiques « écolo »(économie d'eau, transports en commun...) elles sont plus souvent liées au « système D » et sont l'apanage des petits revenus. Cette enquête nous laisse entrevoir des horizons temporels socialement distribués.

L'idée de présentisme développée par F. Hartog qui évoque « un enfermement dans le présent du fait de l'absence de toute leçon à tirer du passé et d'un futur devenu menaçant. »2 rend relativement compte de la conscience écologique et plus encore. La réalité des horizons les plus communs telle que la perception de demain donne à voir combien tout cela est flou et parfois même contradictoire. L'exemple de l'enquête d'opinion de 2006 commandée par la DREES, nous en donne un aperçu. Il y apparaît que l'exclusion et la pauvreté vue comme « ne pas manger à sa faim » par 43% des personnes interrogées ou encore « ne pas avoir de logement » (30%) « peut concerner n'importe qui » pour 62% de la même population. Près de deux tiers de la population interrogée se sentent potentiellement vulnérables. La formule : « on ne sait pas de quoi demain sera fait ! » prend ici tout son sens. Pourtant dans la même enquête il apparaît que 60% sont optimistes quant à leur avenir pour eux mêmes mais qu'ils sont 67% à être pessimistes pour leurs enfants ou les générations futures. L'orientation temporelle devient une qualité remarquable comme le nez au milieu de la figure, instable comme l'opinion publique et inégalement répartie comme les richesses. Même si l'opinion publique « n'existe pas » et n'est qu'une prise de « position sur des opinions formulées »3 dont le but ne serait nous échapper, cet exemple nous permet tout de même de mesurer le regard porté sur l'horizon temporel et de corroborer l'idée de présentisme dans certains cas et pour certaines populations. Pour développer l'idée d'iniquité temporelle, nous nous attarderons sur les effets de ce que nous avons appelé plus en amont avec R. Castel, la désaffiliation.

1 Clotilde caraire, Michelle Dobré, Pratiques environnementales et mode de vie, in Les données environnementales, n°41, novembre-décembre 1998, p. 3

2 Didier Demazière, Claude Dubar , Récits d'insertion de jeunes et régimes de temporalité, Temporalité n °3, 2ème semestre 2005, pp. 94-107, p.97

3 Pierre Bourdieu, L'opinion publique n'existe pas, in Questions de sociologie, Les Éditions de Minuit : Paris, 1984, p. 235

3.2. La précarité, réductrice d'horizon temporel

Diverses études montrent que la montée du chômage, le développement de la précarité économique et sociale et de l'instabilité professionnelle ont eu pour effet « de réduire l'accès des fractions les plus démunies et les plus dominées des milieux populaires aux conditions sociales de la maîtrise d'un temps prévisible ou calculé, dominant nos sociétés. »1

Nous ne pouvons, à cet effet, faire l'économie d'une des références de l'étude du chômage et de la pauvreté que représente « Les chômeurs de Marienthal ». Elle nous laisse « entendre (...) l'immense silence des chômeurs et le désespoir qu'il exprime. »2 Les intérêts de cette monographie réalisée en 1931 sont aujourd'hui encore illimités, nous emprunterons à cette équipe surtout ses résultats sur le temps comme prémices d'une idée de la précarité temporelle. Ce qui y est le plus frappant est le « rien faire » qui, dans d'autres cadres relève du temps libre mais correspond ici aux activités autres que celles liées à la subsistance (bois, jardin). C'est-à-dire peu car pour les hommes de Marienthal désormais au chômage « se lever, déjeuner, se coucher, sont les seuls points de repère subsistant dans la journée. Dans l'intervalle, le temps passe, sans qu'on sache très bien à quoi. »3 Les auteurs nous livrent des témoignages accablants sur la morosité de la temporalité de ces hommes, qui suivent une logique de subsistance, à l'instar des agriculteurs pré-industriels. Cette logique n'implique pas nécessairement une absence de temporalité mais convient d'une rupture avec la leur, celle qu'ils firent leur par le temps vécu. Il nous faudrait là accéder à des données d'ordre qualitatif pour définir un type de temporalité. Bien sûr la distinction entre « chômage total » et « chômage inversé » établie par P. Schnapper4, est d'une grande utilité pour dégager les différentes temporalités qui coexistent dans une situation de chômage que l'on pourrait penser similaire.

Cette distinction nous permet de mieux comprendre ce qui se joue dans l'ennui du non-travail, notamment l'idée de chômage total, d'ailleurs qualifié de « temps de l'ennui » par l'auteur. Cette expérience de non-travail se traduit par une humiliation ressentie et une désorganisation de ce qui était articulé autour du temps du travail. « Quelles que soient les occupations, elles sont dépourvues de sens et consistent à "passer le temps", "à tuer le temps", à attendre la fin de journée, sans avoir eu l'impression de la vivre ou de vivre. »5

1 Mathias Millet, Daniel Thin, Le temps des familles populaires à l'épreuve de la précarité, Lien Social et Politiques, n°54, automne 2005, pp. 153-162, p. 155

2 Pierre Bourdieu, in Paul Lazarfeld (et al.), Les chômeurs de Marienthal, op cit. , p. 12

3 Paul Lazarfeld (et al.), Les chômeurs de Marienthal, op cit. , p. 106

4 Phillipe Schnapper, Travail et chômage, in Michel de Coster, François Pichault, Traité de sociologie du travail, De Boeck Université, Bruxelles, 1994

5 Philippe Schnapper, Le temps du chômage, Temps libre, n°2, pp. 43-50, p.4

Cette citation aussi cruelle que réelle nous propose de mesurer ce que l'auteur appelle le « vide de l'existence ». Cette incapacité à vivre autre chose que ce qui, malgré une routine quotidienne, fondait le sens de l'existence. Le chômage total n'est certes pas toujours auréolé de l'inéluctabilité, c'est le cas des militants syndicalistes qui vivent cette expérience différemment eu égard à leurs implications passées, souvent tournées vers l'entreprise d'origine (lutte syndicale...). Mais c'est une forte proportion de ceux et celles déjà fragiles dans d'autres domaines qui se trouve dans un cadre temporel dont les caractéristiques semblent être le temps libre et dans une certaine mesure l'amoindrissement de la sociabilité inhérente au travail que R. Sainsaulieu intitule « un centre d'échanges humains »1. Ainsi que le notaient les auteurs de Marientahl, « à un monde plus pauvre en évènements et en sollicitations correspond une perception appauvrie du temps. »2 Cette atrophie de l'horizon temporel se trouve alors accentuée par une précarité économique qui introduit l'incertitude comme avenir.

Chaque jour est un jour de subsistance qui entraîne son lot d'évènements problématiques favorisant une « temporalité de l'urgence, du coup à coup et de l'inattendu. »3 Cette temporalité est doublée d'un fort sentiment de nécessité de jouir d'aujourd'hui comme comme si demain n'arrivait pas. Cet « hédonisme populaire », comme l'appellent M. Millet et D. Thin, rappelle ce que P. Bourdieu nomme « le matérialisme spontané des classes populaires qui refuse d'entrer dans la comptabilité benthamienne des plaisirs et des peines, des profits et des coûts. »4 L'auteur de « La distinction » identifie dans sa lecture des habitus alimentaires, le lien entre précarité et perception de l'avenir, le présent devient alors « la seule philosophie concevable pour ceux qui, comme on dit, n'ont pas d'avenir et qui ont en tout cas peu de choses à attendre de l'avenir. »5 Cette doctrine temporelle nous permet de mieux comprendre certaines pratiques engluées dans un horizon temporel bouché. Le rapport à la santé ou à l'éducation des enfants nous en livre un parfait exemple.

1 Renaud Sainsaulieu, L'identité au travail, presses de la fondation nationale des sciences politiques : Paris, 1977, p. 110

2 Paul Lazarfeld (et al.), Les chômeurs de Marienthal, op cit. , p. 117

3 Mathias Millet, Daniel Thin, Le temps des familles populaires à l'épreuve de la précarité, op. cit. , p.155

4 Pierre Bourdieu, La distinction, critique sociale du jugement, Les Éditions de Minuit, Paris, 1979, p. 201

5 Pierre Bourdieu, La distinction, op. cit., p. 203

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard