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La corruption privée : un risque majeur pour les entreprises

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par Pierre ROCAMORA
Université Paul Cezanne, Aix Marseille 3 - Master 2 délinquance économique et financière 2007
  

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B : La position de la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL)

La loi du 6 janvier 1978 a, dans le but de garantir la vie privée et les libertés, réglementé la tenue des fichiers publics et privés, informatisés ou non, et organisé un droit d'accès et de rectification au profit des intéressés. Pour veiller au respect de cette loi, une Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés a été crée. Cette CNIL est une autorité administrative indépendante, avec un statut qui s'efforce d'assurer son indépendance vis-à-vis de l'Etat, pour lui permettre d'assurer pleinement ses fonctions de protection des droits et libertés des personnes. La CNIL vient donc s'ériger en garante de certaines garanties fondamentales, en donnant son avis ou en opposant son veto, sur telle ou telle question qui fait débat. Cela a notamment été le cas pour la question du whistleblowing.

Comme nous l'avons dit auparavant, ce système d'alerte permet à un salarié d'une entreprise, de dénoncer un collègue de travail, lorsqu'il suppose que ce dernier à commis une quelconque fraude. La justification avancée pour l'instauration d'une telle mesure, est bien entendu le fait que personne d'autre qu'un salarié ne sait mieux ce qu'il se passe dans son entreprise, son service, et de fait il convenait de donner aux professionnels de ces organisations, la possibilité de dénoncer tout fait de corruption, détournement, fraude quelconque...

Déjà en vigueur dans bon nombre de pays, ce dispositif a eu du mal à s'imposer en France, il convient donc de rappeler ce qui a été marquant dans l'instauration de ce procédé d'alerte éthique. Dans un premier temps, la CNIL s'est opposée au principe d'alerte éthique, le considérant comme incompatible avec le respect des libertés individuelles et que la dénonciation d'une personne portait atteinte à ces mêmes libertés. Par deux décisions du 26 mai 200586(*), la commission a en effet refusé d'autoriser des projets de lignes éthiques destinés à permettre aux salariés de signaler des comportements supposés fautifs imputables à leurs collègues en considérant que ces dispositifs pourraient conduire à « un système organisé de délation professionnelle ». Ce refus concernait deux entreprises franco-françaises, Mc Donalds et la CEAC (Compagnie Européenne d'accumulateurs), filiale du groupe Exide Technologies, qui avaient préalablement consulté la commission pour valider leur projet. Elles se heurtèrent, comme nous venons de le dire, au refus de la CNIL. D'après Philippe Cohen : « Les réserves émises par la commission étaient en partie dues à des considérations culturelles et historiques : pendant la seconde guerre mondiale, les français ont écrit plus d'un million de lettres de dénonciation. On comprend dès lors comment la question du whistleblowing a rouvert une plaie encore mal cicatrisée87(*) ».

De plus, certaines décisions de justice sont venues corroborer la position de la CNIL sur ce refus d'acceptation des procédés d'alerte dans l'entreprise. Ainsi, le Tribunal de Grande Instance de Libourne, dans sa décision du 14 septembre 2005, a ordonné en référé « le retrait de deux notes de services mettant en place dans une entreprise un processus de ce type au motif principal des risques de dénonciation calomnieuse et du caractère disproportionné par rapport aux objectifs de la loi américaine ». Par ailleurs, le Tribunal d'Instance de Lyon a débouté la société Lennox qui a du supprimer son code de déontologie concernant l'alerte éthique.

La position de la CNIL, suivie par certaines juridictions nationales, démontrait bien la non cohésion partielle existante entre la législation française et la loi Sarbannes-Oxley. Garante du respect de certaines libertés fondamentales, on comprend aisément que la commission ait voulu, dans un premier temps, opposer son veto sur une mesure non encore parfaitement maîtrisée, et porteuse de possibles multiples dérives. Mais cette réticence légitime de la CNIL a eu le résultat suivant : créer une situation floue et incertaine pour les entreprises avec comme conséquence de retarder la mise en place de ce procédé destiné à lutter contre la fraude et la corruption. Cette situation incertaine ne pouvait donc plus perdurer, et c'est pour cela que quelques mois plus tard, la CNIL est venu revoir sa position concernant ces dispositifs. La commission a en effet adopté un document d'orientation ouvrant la voie à la mise en oeuvre de dispositifs d'alerte professionnelle conformes à la loi du 6 janvier 1978. La CNIL a donc posé des conditions strictes permettant l'instauration de ces procédés, en délimitant le périmètre de ceux-ci de façon très étroite. Ainsi devront être respectées les conditions suivantes :

- le dispositif d'alerte sera restreint au domaine comptable, au domaine du contrôle des comptes, du contrôle bancaire et de la lutte contre la corruption ;

- le principe de non anonymat sera appliqué ;

- l'entreprise aura l'obligation de mettre en place une organisation spécifique pour recueillir et traiter les alertes ;

- la personne concernée devra être informée le plus rapidement possible, et pourra user d'un droit de rectification.

Cette attitude ouverte de la CNIL, consistant à accorder ces dispositifs tout en les encadrant de règles strictes, permet ainsi aux entreprises d'instaurer des mesures spécifiques visant à se prémunir contre tous types de fraude ou de corruption. Quoiqu'en retard de quelques années sur les Etats-Unis - par voie de conséquence, en retard également sur la maîtrise et les répercussions de ces alertes - la possibilité donnée par la CNIL de mettre en place de tels procédés doit être saluée à juste titre. En revanche, ce qui est à blâmer est le fait qu'aucune législation précise n'existe sur la question de ces alertes éthiques. Depuis l'approbation récente de la commission sur ces alertes, certaines entreprises ont développé un système propre en délimitant elles-mêmes les pratiques pouvant être dénoncées. Ainsi, chez Castorama, il est possible de dénoncer les fraudes et les malversations. EDF ne retient que les manquements à la charte éthique. Quant aux salariés de Shell France, ils peuvent dénoncer les détournements de fonds, les conflits d'intérêts, la corruption, les cadeaux d'affaires, etc. Il apparaît donc que l'alerte éthique peut être appliquée par les entreprises de manière très hétérogène. Cela provient essentiellement de l'absence de cadre législatif bien défini sur cette question, ce qui laisse à la libre appréciation de l'entreprise, ce qui doit être ou non dénoncé. Cette situation de fait crée donc une inégalité de traitement des salariés devant ce procédé d'alerte. Chacun d'entre eux pouvant être soumis à des conditions différentes selon l'entreprise dans laquelle il travaille. On peut alors se demander si dans une telle situation d'inégalité de traitement entre salarié de firmes différentes, il ne serait pas judicieux pour le législateur d'intervenir pour délimiter un cadre juridique strict pour ces alertes. Mais légiférer dans le but d'introduire ce dispositif en droit interne est-il la bonne solution ? A cet égard, le Service Central de Prévention de la Corruption a déjà fait part au Garde des Sceaux de ses doutes concernant l'introduction du whistleblowing en droit positif. En effet, selon ce service, de tels dispositifs « s'ajouteraient aux obligations liant déjà des professions privées soumises au secret professionnel : huissiers de justice, commissaires aux comptes, agents immobiliers...Certains de ces professionnels sont en effet soumis au régime de la déclaration de soupçon en direction de la cellule du traitement du renseignement et d'action contre les circuits financiers clandestins 88(*)». Et le SCPC de continuer : « Il convient donc de s'interroger sur l'opportunité de doubler les procédures existantes, tant à la charge des responsables publics que des responsables privés, par un dispositif français transposé du whistleblowing américain ».

La suite des événements concernant ce procédé d'alerte éthique reste donc encore à déterminer, la situation actuelle en la matière étant celle que nous venons de décrire. Le whistleblowing reste toutefois un moyen efficace de lutte contre les fraudes en tout genre. Mais présentant des risques considérables dans son utilisation, il doit être encadré strictement par le législateur, qui se doit de fixer un cadre juridique précis, respectueux des droits et libertés des personnes.

* 86 Décision n° 2005-110 pour la société Mc Donalds et décision n°2005-111 pour la société Compagnie Européenne d'Accumulateurs. Pour un résumé de ces décisions voir le site de la CNIL, en particulier http://www.cnil.fr/index.php?id=1832

* 87 Philippe Cohen : « Whistleblowing, la raison l'emportera ». Echanges, juillet 2006, n° 234, p. 44 et 45.

* 88 Rapport d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année 2003 ; p. 127.

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