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La corruption privée : un risque majeur pour les entreprises

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par Pierre ROCAMORA
Université Paul Cezanne, Aix Marseille 3 - Master 2 délinquance économique et financière 2007
  

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B : Coûts et ampleur de la corruption

Phénomène par définition secret, force est de constater qu'il est délicat de mesurer précisément l'ampleur et les conséquences de la corruption. Du fait de ce caractère secret, un postulat s'impose : les chiffres avancés pour mesurer l'ampleur du phénomène sont forcément en deçà de la réalité. Aucun indice, aucune étude ne peut en effet prétendre à une exhaustivité concernant le montant de la corruption. Cependant, certaines évaluations en la matière peuvent nous éclairer quelque peu sur ces pratiques, évaluations qui démontrent bien l'omniprésence de ces pratiques, et de fait, la légitimité et la nécessité de lutter contre ces actes.

D'après la Banque Mondiale28(*), plus d'un trillion de dollars - mille milliards de dollars - se perd chaque année sous forme de pots de vin. Daniel Kaufmann, directeur du programme gouvernance précise que ce chiffre de un trillion de dollars englobe tous les paiements illicites dans le monde, ceux des pays riches et ceux des pays en développement. Ce chiffre de un trillion de dollars a été calculé sur la base des données économiques 2001-2002, qui donnaient à l'économie mondiale une taille d'environ trente trillions de dollars. De façon plus précise, Jean de Maillard29(*) estime le « produit criminel brut », autrement dit le chiffre d'affaires mondial de l'ensemble des activités illicites des organisations criminelles, à environ 800 milliards de dollars. Selon lui, « la moitié de ce montant - 400 milliards - pourrait concerner le trafic de drogue, 180 servent à rétribuer les trafiquants et professionnels de la société légale et en laissent 120 aux mains des organisations criminelles qui ont à les recycler ». Le montant de la corruption serait donc estimé par ce magistrat à près de 200 milliards de dollars. De son côté, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), déclarait en 1998 que le volume des opérations de blanchiment représentait probablement entre 2% et 5% du PIB mondial. L'infraction d'origine du délit de blanchiment pouvant être une infraction de corruption, l'estimation du FMI englobe donc ces pratiques corruptrices. Mais ces évaluations datant de quelques années, on peut légitimement imaginer que ces chiffres ont à l'heure actuelle, fortement augmenté.

Ces sommes colossales sont donc parties intégrante de notre système monétaire, et représentent une véritable menace pour les Etats de droit. Certaines études vont même jusqu'à affirmer que notre système monétaire ne peut se maintenir que grâce aux fruits de la corruption, à savoir les narcodollars. Pour M. Sauloy et M. Le Bonniec, ces dollars qui proviennent du commerce de la drogue et de produits connexes, seraient le régulateur nécessaire du système monétaire. Selon ces auteurs « Les trafiquants de drogue, les policiers corrompus et les banquiers se livrant au blanchiment maintiennent en vie le système monétaire30(*) ». La corruption apparaîtrait alors comme un carburant nécessaire à notre économie, et son éradication aurait alors des répercussions économiques non négligeables.

D'autre part, il existe plusieurs entreprises, organisations, qui, sur la base « d'indices » ou de sondages, tentent d'évaluer les proportions et l'étendue de ce fléau. Tel est le cas des maintenant très célèbre « indice de perception de la corruption » ou de « l'indice de corruption des pays exportateurs » réalisés par l'organisation non gouvernementale (ONG) Transparency International. Depuis 1995, chaque année cette ONG publie son indice de perception de la corruption31(*), pointant du doigt les pays dans lesquels la corruption est la plus répandue, ou les pays qui n'adoptent pas de mesures nécessaires à la lutte contre ce fléau. Cet indice vise à fournir des informations précises sur les perceptions de la corruption à l'échelle nationale. En résumé, l'indice de perception de la corruption (IPC) nous donne une vision globale à l'échelle internationale, des tendances observées pour chaque pays. Selon l'IPC de 2005, au premier rang des pays les plus « propres » réside l'Islande, avec un taux de 9.7 sur une échelle de 10. En revanche, le pays le moins propre serait le Tchad avec un taux de 1.7. Quant à la France, malgré les efforts déployés pour lutter contre ce mal, elle se situe à la 18ème place, avec une moyenne de 7.5. L'IPC démontre ainsi que la France est encore exposée à ce risque de corruption, et que ces pratiques illégales restent relativement ancrées dans les moeurs de notre pays.

Pour combler certaines lacunes de cet IPC32(*), Transparency International a élaboré un indice de propension à corrompre ou « indice de corruption des pays exportateurs » (IPCE). Apparu pour la première fois en 1999, puis en 2002, ce dernier évaluateur classe les plus grands pays exportateurs - une vingtaine - selon l'inclination de leurs compagnies à verser des pots-de-vin lorsqu'elles opèrent à l'étranger. Il ressort de cette étude qu'aucune entreprise n'est exempte de corruption active. Pour preuve le classement alarmant de la France dans L'IPCE de 2002 : avec une moyenne de 5,5 sur une échelle de 10, la France se situe au douzième rang de l'indice, notre pays ne devançant en Europe que l'Italie. Pour compléter ce dispositif, qui se résume à des questions posées à certains professionnels des pays concernés, TI a affiner ses recherches en se penchant sur la mesure de la corruption par secteur. Ainsi, les secteurs les plus touchés par la corruption en 2002 sont respectivement, la défense, l'armement, le BTP, l'immobilier ou les télécommunications.

A côté de ces études classiques sont apparues d'autres études destinées à parfaire l'approche du phénomène. Au rang des ces études nous pouvons citer en autre celle de la Banque Mondiale, réalisée entre fin 1998 et 2000 dans le cadre du World Business Environnement Survey, et portant exclusivement sur la question du poids de la corruption pour les entreprises. Il s'agissait d'une enquête auprès de 10 090 entreprises des divers continents concernant la fréquence et le poids des paiements irréguliers qu'elles sont amenées à faire. Il en ressort que les petites entreprises payent à la corruption un tribut plus lourd que les grandes. Conséquemment, le chiffre d'affaire de ces firmes se voit ponctionné par ces paiements irréguliers, nuisant à leur expansion économique.

Sur ce dernier point, à savoir les répercussions de la corruption pour l'entreprise, des enquêtes ont également été menées, pour bien cerner l'impact de ce phénomène sur ces organisations. Reprenons la distinction communément admise entre corruption publique et corruption privée. Celle-ci repose essentiellement sur le fait qu'il existe, entre ces deux genres de corruption, une différenciation entre les divers intervenants. Dès lors, on parle de corruption publique lorsque intervient un agent public. On parlera de corruption privée lorsque les protagonistes sont deux personnes privées, ou plus précisément n'exercent pas une fonction publique33(*). Cette distinction joue également sur les conséquences de la corruption publique ou privée qui, bien que très proches, diffèrent quelque peu. Ainsi, en matière de corruption publique, les coûts avancés sont que cette corruption « érode les principes qui régissent l'Etat de droit, mine la légitimité des gouvernements ainsi que l'efficacité et la crédibilité des institutions publiques, rend la justice inopérante et créée un climat d'insécurité susceptible de porter atteinte à la stabilité politique de certains pays34(*) ».

Les conséquences de la corruption privée peuvent de manière certaine influer indirectement sur l'Etat de droit et les institutions publiques. Mais décrédibilisant l'image et la réputation de l'entreprise, cette corruption toucherait davantage les ressources propres de l'entreprise, ce qui à terme, pourrait s'avérer véritablement nuisible pour elle-même, mais également pour son environnement.

John Sullivan et Aleksandr Shkolnikov35(*) se sont penchés sur les méfaits de la corruption, et il ressort de leurs travaux36(*) que ce phénomène a un coût. En effet, les conséquences de la corruption pour l'entreprise pourrait être synthétisées comme suit :

- la corruption serait responsable de la mauvaise répartition des ressources. Ces ressources qui seraient normalement consacrées à la production de biens et de services servent souvent à corrompre. Sont concernés les ressources tant directes - les flux financiers - qu'indirectes, par exemple le fait d'octroyer une licence d'exploitation ou de production à une entreprise moins efficiente.

- la corruption diminuerait les investissements. Ces deux auteurs déclarent que les investisseurs finissent toujours par éviter les environnements où la corruption est endémique parce qu'elle accroît la rançon des affaires et qu'elle sape la primauté du droit.

- la corruption porterait également atteinte à la concurrence et à l'efficience. L'exigence de pots de vin dans l'attribution d'un contrat, d'une prestation, réduit le nombre d'entreprises capables de pénétrer sur le marché, créant ainsi un environnement qui repose sur une maximisation de la rente. Cette maximisation de la rente déboucherait sur la fabrication de produits de faible qualité, d'où une baisse de l'efficacité, de la productivité et de la compétitivité. Au bout du compte, le manque de concurrence nuit au consommateur, qui reçoit des produits de moins bonne qualité, tout en les payant plus cher.

- la corruption accroît le coût des affaires. Ces auteurs affirment que le temps et l'argent consacrés à obtenir les faveurs des corrompus et à la navigation au travers de règlements complexes accroissent les coûts des transactions commerciales. Jouant le rôle d'une taxe sur les affaires, les conséquences se répercutent une fois encore sur le consommateur, qui subit à la fois la hausse des prix, mais aussi la baisse de la qualité des produits.

- la corruption diminue le taux de croissance. Du fait du coût élevé des sommes corruptrices, les petites entreprises sont plus touchées par ces pratiques. Evoluant dans un environnement hautement concurrentiel, il sera difficile pour ces firmes en développement de répercuter les coûts sur le consommateur. Ces entreprises qui sont le moteur principal de l'économie, ont alors du mal à survivre dans ce contexte vicié. L'emploi dans le secteur privé est également touché, du fait que les petites sociétés, ayant du mal à survivre, en ont encore plus pour s'agrandir et créer des emplois.

Au regard de l'ampleur et des conséquences de la corruption, il est apparu nécessaire d'adopter une attitude ferme et radicale dans le but de lutter au mieux contre ces pratiques illicites. Conscient de l'omniprésence du phénomène de corruption dans les entreprises, et des conséquences néfastes qu'il engendre, le législateur est intervenu afin de poser de nouvelles bases juridiques en la matière. Ainsi, selon Christian Curtil : « Le délit de corruption est entré dans le champ du droit des affaires des entreprises commerciales : deux nouveaux délits ont été ajoutés au Code pénal par une loi du 4 juillet 2005 afin de permettre la répression de la corruption active et passive dans le privé37(*) ». Il convient donc d'étudier ce nouveau dispositif législatif spécifique à la corruption privée, ce qui permettra d'apercevoir l'apport considérable de la loi de 2005.

* 28 http://web.worldbank.org

* 29 Jean de Maillard : « Un monde sans loi » ; éd. Stock ; 1998.

* 30 M. Sauloy et M. Le Bonniec : «  A qui profite la cocaïne » ; Calmann-Lévy, 1992, cité par Rudy Aernoudt dans « CORRUPTION À FOISON, regards sur un phénomène tentaculaire » ; Economie et Innovation, L'Harmattan, p. 63.

* 31 L'IPC est un indice composite, utilisant des enquêtes menées auprès d'hommes d'affaires et les évaluations d'analystes-pays pour fournir un aperçu annuel des perceptions de la corruption dans tel ou tel pays.

* 32 Les pays en développement qui sont, dans l'ensemble et avec de notables exceptions, moins bien classés que les pays industrialisés, ont reproché à l'IPC de donner une image imparfaite à la corruption, en limitant son analyse aux jugements portés sur le comportement des corrompus, à l'exclusion de celui des corrupteurs, lesquels sont en grande partie des sociétés ayant leur siège dans les pays industrialisés.

* 33 Comme nous le verrons plus tard dans l'étude de l'incrimination de la corruption privée, pour que soit mise en oeuvre une action sur ce chef, la personne corrompue ne devra ni être dépositaire de l'autorité publique, ni être chargée d'une mission de service public, ni exercer une fonction publique.

* 34 Transparency International : « Combattre la corruption, Enjeux et perspectives » ; éd. Karthala, p. 47.

* 35 John Sullivan est directeur administratif du CIPE (Center for international private entreprise), qui est une filiale de la chambre de commerce des Etats-Unis. Aleksandr Shkolnikov est responsable de programme au CIPE.

* 36 John Sullivan et Aleksandr Shkolnikov : « Combating Corruption : Private Sector Perspectives and Solutions »

Economic Reform, septembre 2004, n ° 0409.

* 37 Christian Curtil : « Le délit de corruption dans les entreprises » ; Les Echos du 19/06/06, p. 14.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein