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Le droit des propriétés publiques à  l'épreuve de la valorisation du domaine public hertzien par le CSA

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par Morgan Reynaud
Université du Maine - Master 2 Juriste de droit Public 2011
  

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2) Une propriété hertzienne publique en réel débat.

Tout d'abord, il convient de rappeler que les juridictions, comme le législateur ont, depuis une dizaine d'années, milité en faveur de la réduction du champ de la domanialité publique pour un motif essentiellement économique : la politique de gestion domaniale qui avait cours jusqu'alors était en effet jugée coûteuse et inefficace. Ainsi, le Conseil d'État a-t-il, dans plusieurs rapports rédigés à la fin des années 80, considéré qu'il fallait, non pas étendre le champ de la domanialité mais, au contraire, en réduire la portée. Il l'a ainsi fait dans son rapport sur le droit des propriétés publiques publié en 198745(*). Le législateur, de son côté, a également su prendre en compte cette inflation domaniale au moment, encore récent, où il a pris conscience de l'importance de valoriser le patrimoine public. C'est ainsi que, sans ambiguïté, l'une des motivations de l'ordonnance de 2006 créant la partie législative du CGPPP était de réduire le champ d'application de la domanialité publique. A, par exemple, été supprimée la référence antécédente à la notion jurisprudentielle « d'aménagement spécial46(*) » du bien en cause au profit de la notion d'aménagement indispensable. Le bien artificiel ne peut donc, en principe, plus être qualifié de bien du domaine public s'il ne fait pas l'objet d'un aménagement, non plus seulement spécial, mais indispensable au service public auquel il est affecté. Or, il eut été assez confortable d'éliminer ce « canard boiteux domanial » qu'est le domaine public hertzien, dans le cadre de ce dégraissage. Il n'en fût rien, et ce pour deux raisons essentiellement. Premièrement, le code prévoit lui même, en reprenant les dispositions de la loi de 1986, la consécration d'un domaine public hertzien. Deuxièmement, les perspectives de valorisation du spectre sont réelles et peuvent s'avérer très rentables, nous y reviendrons.

Outre cette lecture très littérale des textes, fortement inspirée par la volonté du législateur, les fréquences hertziennes apparaissent, pour certains, totalement inappropriables. Dès lors, constater la domanialité d'une dépendance sur laquelle l'on n'a pas la capacité d'assurer son droit de propriété s'avérerait très délicat. Au soutien de cette position, plusieurs arguments ont été développés.

Pour certains auteurs, tout d'abord, les fréquences hertziennes ne sont, en réalité, que des res communis au sens de l'article 714 du Code Civil selon lequel « Il est des choses qui n'appartiennent à personne et dont l'usage est commun à tous ». Roland Drago expliquait ainsi que « l'espace hertzien ne peut être qu'une res communis, une chose commune au sens de l'article 714 du Code Civil47(*) ». Pour justifier sa vision des choses, le Professeur Drago insistait sur le fait que la loi de 1982, première des grandes lois sur l'audiovisuel, avait mis fin au monopole de l'État sur l'usage des fréquences. Ce monopole tirait son origine, d'après Roland Drago, d'anciens textes réglementant l'usage des télécommunications, et plus spécifiquement, du télégraphe48(*). L'affirmation de la liberté de la communication audiovisuelle par l'article 1er de la loi du 29 juillet 1982 abolissait, pour lui, le monopole de l'État sur le spectre hertzien et donc, faisait passer ces fréquences dans le champ des choses communes.

Pour convaincre le lecteur et peut-être aussi le juge, le Professeur Drago, dans cet article, proposait une assimilation de la nature des ondes hertziennes avec celle de la mer territoriale. Le Conseil d'État avait, en effet, considéré en 1935 que le fait de procéder au mouillage d'une embarcation dans les eaux territoriales françaises ne pouvait pas faire l'objet d'une contravention de voirie, dès lors que ces eaux territoriales ne ressortissaient pas du domaine public49(*). L'universitaire note à ce titre, que rien n'empêche les pouvoirs publics de réglementer l'usage de la mer territoriale, ce qui est applicable au domaine public hertzien. En effet, l'alinéa 2 de l'article 714 précité affirme que « des lois de police règlent la manière [de] jouir » de ces res communis. Roland Drago analyse alors les réglementations audiovisuelles comme des mesures de police visant à en canaliser l'usage et à en conserver le caractère commun.

Au soutien de cette séduisante théorie, qui sera reprise plus tard par Didier Truchet50(*) ou Jean Dufau51(*), Roland Drago affirme que, à l'instar de la mer territoriale, l'État n'a pas la possession des fréquences. Or, la possession, ou plus exactement la capacité de posséder, est le préalable nécessaire à l'appropriation. L'auguste auteur en déduit donc que, faute de pouvoir être possédé, le spectre hertzien ne peut être considéré comme une propriété et donc, encore moins, comme une dépendance du domaine public.

On peut aller plus loin dans ce raisonnement. L'article 544 du code civil précité définit la propriété comme « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». On en déduit traditionnellement que le droit de propriété est composé de l'usus et de l'abusus. Le fructus, lui aussi considéré comme un démembrement du droit de propriété, est également prévu par les articles 547 et suivants du Code Civil. L'usus (le droit d'usage) et le fructus (la possibilité, pour le propriétaire, de percevoir les fruits de son bien) ne posent pas de difficulté au regard de la problématique qui nous intéresse. A contrario, le droit d'abusus, lui, en pose.

Le droit d'abusus se traduit, en français, comme la capacité du propriétaire de disposer de son bien. Or, peut-on réellement disposer de fréquences hertziennes ? Le droit de disposition renferme, en réalité, deux notions : le droit de vendre et le droit de détruire le bien dont on est propriétaire. En somme, on pourrait réduire le droit de disposition au droit d'appauvrir son patrimoine. Ce faisant, il est très difficile de considérer, en dehors de toute considération domaniale, que l'État peut vendre des fréquences. Au mieux, et quand bien même il le pourrait, la qualification législative rendant les fréquences inaliénables, l'État ne pourrait que vendre un droit d'usage... Ce qui s'assimile en une location, ou en une concession. L'analyse du Professeur Drago se retrouve donc ici : l'impossibilité de prendre possession d'un bien remet en cause le droit de disposer de celui-ci et donc empêche de parler de propriété à son égard. Dès lors, on ne peut, suivant cette argumentation, parler de dépendance du domaine public.

L'autre facette du droit d'abusus est la possibilité de détruire le bien. Or, et sans grand développement, il est indéniable que l'on ne peut détruire un bien incorporel qui, par définition, n'a pas d'existence physique. Cette réflexion est cependant opposable à tous les biens immatériels et n'est donc pas d'un précieux secours au profit de la thèse de « l'anti-domanialité ».

Outre les caractéristiques d'inappropriabilité du spectre, la question de l'éventuel moment de l'appropriation par l'État peut prêter à confusion. Ainsi, quand bien même le spectre est considéré comme appropriable, à partir de quand peut-on considérer qu'il est la propriété de l'État ? L'est-il à partir de la décision de l'UIT de lui conférer telle ou telle bande de fréquence ? L'est-il à partir de l'édiction du tableau national des fréquences par l'ANFR ? Est-il réputé avoir toujours été propriétaire de ces ondes ? La question est, on le voit bien, insoluble.

En conséquence, il est, face à ces arguments tenant au caractère inappropriable du spectre, impossible d'affirmer qu'il existe une propriété publique hertzienne. L'État n'est donc pas le propriétaire des fréquences disponibles sur le territoire de la République, mais en est l'affectataire principal. Les fréquences s'analysent donc en des res communis, au même titre que l'espace aérien52(*) ou que les fonds marins (hormis ceux soumis à une juridiction nationale) en droit international qualifiés eux, de dépendance d'un « patrimoine commun de l'humanité 53(*)». Ceci étant, une telle qualification empêche-t-elle nécessairement la domanialité de ces fréquences ? Ceci n'est pas sûr. Le Professeur Yolka, dans sa thèse54(*), militait en faveur de la distinction entre la domanialité publique et la propriété publique. On peut donc s'inspirer de ses travaux, en les renversant, et considérer que cette distinction acquise, on pourrait qualifier de dépendance domaniale un bien qui, par nature, ne peut faire l'objet d'aucune appropriation publique ou privée. L'État est donc l'affectataire de droit des fréquences disponibles sur son territoire et, ce faisant, il peut imposer un régime domanial sur ces longueurs d'ondes. Au soutien de cette argumentation, il convient de remarquer que le code général des propriétés des personnes publiques ne mentionne en aucun cas la notion de propriété publique hertzienne. Certes, d'aucuns nous opposeront que l'article L2111-1 dispose que « le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant ». On peut toutefois penser que la nuance contenue dans le même article et selon laquelle celui-ci s'impose « sous réserves de dispositions législatives spéciales », s'applique, non seulement aux critères de la dépendance domaniale55(*), mais aussi au fait que les biens du domaine public sont constitués de ceux appartenant à la personne publique en question. En somme, le régime de la domanialité pourrait s'appliquer, dans des cas très rares, alors même que le bien qui en fait l'objet n'est pas juridiquement la propriété d'une personne publique. Cette position est toutefois conditionnée à la présence d'une règle législative dérogatoire à l'article L2111-1 du CGPPP ; cette règle étant présente en matière hertzienne avec l'article L2111-17 du même code.

Une telle conception a également été développée par Jean-Bernard Auby56(*) qui posait la question suivante : « pourquoi est-il indispensable de concevoir les biens publics comme des objets de propriété ? ». Dans cet article, le Professeur Auby plaidait pour la rupture du droit domanial avec la conception du code civil expliquant ainsi que « le droit des biens publics est faiblement un droit de la propriété. Il est fondamentalement un droit de l'utilité publique ». Cette conception est non seulement séduisante mais reflète également la réalité du droit domanial. L'objectif de ce dernier n'est en effet pas d'assurer une gestion domaniale analogue à celle d'un propriétaire privé mais de prendre en compte et de concilier divers impératifs comme l'intérêt général, la continuité du service public ou la préservation des finances publiques.

Ces conceptions s'insèrent ainsi dans une vision utilitariste de la domanialité publique, comme le relevait le Commissaire du Gouvernement Alibert dans la phrase citée en préambule.

Il y a donc bien un régime domanial applicable au spectre hertzien ; la jurisprudence, le législateur et une partie de la doctrine s'accordant sur ce point. Même si la qualification domaniale du spectre semble cependant parfois remise en question par le truchement de l'inappropriabilité hertzienne, la distinction entre propriété et domanialité semble justifier le choix du législateur de consacrer l'existence d'un domaine public hertzien. Ceci étant, une fois ce régime domanial reconnu, il convient d' analyser la manière dont le Conseil supérieur de l'audiovisuel gère et tente de valoriser cette dépendance.

* 45 Rapport du Conseil d'Etat, Réflexions sur l'orientation du droit des propriétés publiques, E.D.C.E. 1987, n. 38, p. 18) ; Rapport du Conseil d'Etat, 31 octobre 1986, l'avenir du droit de la propriété des personnes publiques.

* 46 CE.22 avril. 1960, Berthier : RDP 1960.1223, concl. Henry ; AJDA 1960.160.

* 47 R. Drago, « Nature juridique de l'espace hertzien », mélanges Juglart p 367, LGDJ 1986.

* 48 Ex : L 2mai1837 et Décret-loi du 27 décembre 1851 ; L 30 juin 1923 etc.

* 49 CE. 24 mai 1935. Thireaut : S1936.III.1, note Ch Rousseau ; Rec p 597.

* 50 B. Delcros et D Truchet, Controverse, « les ondes appartiennent-elles au domaine public » ? précité.

* 51 J. Dufau, Le domaine public hertzien : un concept juridiquement contestable » précité.

* 52 Convention relative à l'aviation civile internationale signée à Chicago le 7 décembre 1944.

* 53 Convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982.

* 54 Ph Yolka, « La propriété publique, éléments pour une théorie », LGDJ 1997, Bibliothèque de droit public, tome 191.

* 55 Les biens « soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public ».

* 56 JB Auby, « Propriété et gestion domaniale », Dr adm 2011 n°7 p 1.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld