2) Le point de vue d'une professionnelle
Selon Lise Barembaum, la création originale de
qualité est déterminante pour les chaînes, qui sont les
premières victimes de l'offre illégale.
(( C'est pour ça qu'il y a des chaînes comme
Canal+ qui anticipe. Canal+ produit des produits de qualité qu'elle
vend. Parce que c'est le produit qui a de la valeur, qui se vend.
»
Car la création originale de qualité permet ensuite
de s'exporter.
(( Moi je trouve que Israël c'est très
intéressant. Parce que déjà c'est un très petit
pays. Parce qu'ils ont autre chose a faire que d'écrire des
séries, mais qu'ils y arrivent très bien. Alors pourquoi, comment
je ne sais pas. En tout cas ils ont compris un truc. C'est qu'ils n'ont pas un
marché intérieur très important. Donc ils ne vont pas
gagner de l'argent en vendant chez eux. Donc ils essayent de faire des
séries qui soient visibles à l'étranger. Et ils y arrivent
car les Américains adaptent leur série. »
Mais la création originale en France n'en est qu'à
ses débuts en France dans l'univers des séries.
(( C'est pas très gentil pour la France mais bon
quand tu vois des pays comme Israël ou les pays du Nord de l'Europe. Des
petits pays qui arrivent à faire de la très bonne qualité.
Je ne parle pas de l'Angleterre où il y a un niveau similaire à
celui des États-Unis. Tu te dis... Pourquoi en France on n'a pas ce
niveau de qualité ? »
(( En France on est toujours à essayer de faire des
histoires potables. »
Une des raisons pour laquelle la création originale
n'atteint pas encore un niveau de qualité suffisant pour être
exportée est qu'il n'y a pas de formation de scénariste
solide.
(( Moi je trouve qu'en France il y a un problème au
niveau des scénaristes. En fait il n'y a pas vraiment de formation. En
France il n'y a qu'un site de formation ça s'appelle le CEEA
(Conservatoire Européen d'écriture audiovisuelle). Alors qu'aux
États-Unis il y a des facs de cinéma. »
Et d'ailleurs, elle explique que le scénariste en
France tient encore un statut d'artiste, alors qu'aux Etats-Unis, ce sont des
professionnels de la télévision, régis sous la loi du
Copyright appartenant aux producteurs.
S'en suit une relation conflictuelle entre scénaristes,
producteurs et chaînes de télévision.
(( Et après oui il y a de très mauvaises
relations entre les différents acteurs. [...) Les uns se prenant pour
des artistes opprimés, luttant contre les grands méchants
capitalistes des chaînes les empêchant de s'exprimer... [...) Au
lieu de travailler main dans la main. Il y a une hostilité qui fait que
ça empêche d'avancer, que ça prend du temps. »
(( Parce qu'entre scénaristes et chaînes des
fois il y a de grosses fâcheries. La chaîne exige que tout soit
écrit avant que l'on tourne. Donc il faut que les scénaristes
se soient mis d'accord. Les textes sont réécrits,
réécrits et corrigés,
corrigés. Et puis il y a des histoires d'argent. Ce
n'est pas aussi facile que ce que l'on peut se l'imaginer. »
Cette situation conflictuelle conduit vers une mauvaise
organisation du milieu de la création fictionnelle.
(( Dans Engrenage en une saison ils ont complètement
changé l'équipe et c'est très déstabilisant.
»
(( Donc tu vois en France ce n'est pas une industrie, et
ils mettent longtemps à créer d'autres saisons. En
Amérique ils font 24 épisodes d'année en année. En
France pour avoir 6 épisodes d'une même série tu dois
attendre 2 ans, parfois 3. Donc tu vois c'est long. »
A cette organisation conflictuelle s'ajoute le fait que les
chaînes sont encore frileuses d'investir dans un contenu risquant
d'être choquant, même si parfois elles diffusent du contenu
américain plus « choquant »
(( Ça ne les dérange pas d'acheter un truc
choquant, mais ils ne veulent pas produire quelque chose de choquant. Et encore
choquant entre guillemets. »
(( Les chaînes sont un peu schizophrènes,
elles ont peur d'investir pourtant elles se rendent compte que leur audimat se
casse la figure. Elles ne prennent pas vraiment de risque, pour le moment. Mais
les problèmes vont arriver vite, il y a de plus en plus de
chaînes. En fait c'est un monde en transition. »
A cela s'ajoute une autre recommandation qui permettrait
d'éviter l'offre illégale, et qui rejoint l'avis des utilisateurs
plus haut : proposer une offre internet répondant aux besoins des
utilisateurs
(( Faire des forfaits a 10 € par mois en tout
illimité et rapide. On veut tout en illimité partout dans le
monde, et tout ça en temps réel. Personne ne veut attendre un an
pour pouvoir voir une série avec une VF bâclée sur M6.
»
La websérie pourrait d'ailleurs être un
modèle intéressant a l'avenir.
(( D'où l'apparition de websérie mais elles
sont encore très expérimentales. On ne sait pas très bien
comment gagner de l'argent sur ça. Les publicistes ne savent pas
vraiment comment faire. Par exemple sur YouTube, il me semble qu'ils lancent
des chaînes mais je ne sais pas du tout quel modèle
économique est utilisé. Je pense qu'il y a d'immenses acteurs
comme Google qui sont les diffuseurs des annonces. »
Néanmoins, la définition d'un modèle
économique basé sur l'Internet reste un exercice complexe.
(( Donc je ne me fais pas de souci pour les séries.
Par contre j'ai du mal à voir comment elles vont être
payées et diffusées. Mais je suis sûr que ce sera Google et
Apple qui vont se débrouiller. Ou quelque chose comme ça. [...)
C'est les américains qui auront tout. Parce qu'ils comprennent le
problème de diffusion et qu'ils ont le contenu. »
|