B. Système traditionnel qui doit évoluer
Cette offre internet n'est pas incompatible avec les supports
traditionnels que sont la télévision et les DVDs.
Comme on l'a vu dans cette étude, par la suite,
l'usager ne pose aucune objection a revoir sa série à la
télévision (ces rediffusions étant jugées comme
étant des moments agréables, et ils sont parfois
considérés comme des rendez-vous).
La série peut aussi être revue en DVD, cette offre
étant plutôt adaptée à des personnes
particulièrement fan d'une série.
Notons cependant que bien que les usagers comprennent en
général les questions de droits d'auteurs, les institutions de
surveillance, en particulier Hadopi, ne sont guère
appréciées.
1) La télévision
a) Redonner le goût de la télévision
au spectateur
Un désamour pour la télévision a
été exprimé par la plupart des répondants en
entretien qualitatif.
La principale raison de cette désertion est le fait que
les séries télévisées ne sont proposées que
très tardivement par rapport a l'heure américaine. Il
paraît cependant difficile pour la télévision de programmer
une série selon les désirs du public (le lendemain de leur
diffusion), d'autant qu'il faut un certain temps pour doubler les
épisodes. Nos recommandations ne porteront donc pas sur ce point.
Mais si l'offre illégale connaît un succès
auprès des spectateurs, c'est aussi parce que la
télévision les y a en quelque sorte poussés, sur des
points qu'elle pourrait pourtant corriger. En effet, beaucoup de
répondants ont reproché aux chaînes de ne pas proposer les
séries télévisées en anglais sous-titré
français. Les spectateurs se retrouvent ainsi contraints de regarder un
mauvais doublage français, ce qui le pousse a donner sa
préférence pour l'offre illégale.
Pourtant, aujourd'hui, les programmes sont
généralement bien disponibles en version originale
sous-titrée avec la généralisation de la TNT. Mais le
téléspectateur n'est simplement pas averti de cela. On pourrait
donc suggérer aux chaînes de bien préciser, au début
d'un programme, si ce dernier est disponible en version original ; cet
avertissement pouvant être une annonce sonore ou un simple bandeau
informatif.
L'autre reproche fait par deux anciennes
téléspectatrices, et qui pourrait aussi être
amélioré, est celui de la programmation.
En effet, les chaînes ont la fâcheuse tendance
à avoir une programmation étrange, parfois
incompréhensible. Ainsi, la date de démarrage d'une série
n'est pas toujours très claire, ce qui parfois mène le
téléspectateur a rater le début d'une série. De
plus, les épisodes de séries télévisées sont
souvent proposés dans le désordre, dans le but de remplir les
cases horaires. On peut alors voir, a l'heure de prime time, un épisode
d'une saison inédite, couplé avec un épisode la saison
précédente (moins coûteux) a l'heure suivante. Cela porte
le spectateur dans une confusion totale, puisque toutes les séries
télévisées sont, au moins en partie, «
feuilletonnantes ~, et lorsque les épisodes ne s'enchaînent pas,
le spectateur risque de perdre le fil de l'intrigue, et par conséquent,
d'abandonner la série.
Les chaînes de télévision devraient donc
innover dans la forme de leurs cases horaires. On peut ainsi se demander
pourquoi la chaîne n'essaierait pas de faire des cases d'une heure
plutôt que deux. Dans ce contexte, elle ne serait plus obligée
d'enchaîner les épisodes d'une même série par deux ou
trois fois, avec, une ou deux rediffusions parmi eux.
Elle pourrait ainsi envisager des soirées (ou autres
créneaux) thématiques, avec la diffusion d'épisodes de
séries différentes, mais du même genre (par exemple
séries comiques amicales avec Friends et How I met your mother). Et dans
ce cas, le mélange entre inédit et ancien ne dérangerait
plus, car le téléspectateur comprendrait que la suite logique
aurait lieu la semaine suivante.
b) Une légalisation en masse des séries
télévisées sur internet : une menace forte ?
Dans cette partie, on prendra le point de vue des chaînes
de télévision française.
Pour diverses raisons évoquées dans ce
mémoire, les séries télévisées restent des
produits particulièrement séduisants pour les chaines. C'est
pourquoi la diffusion illégale sur internet des séries
télévisées est une menace grandissante ; et on peut bien
comprendre que les chaînes risqueraient de ne pas apprécier que
ces programmes deviennent consultables sur internet de façon
légale, car cela risque de diminuer leur audience.
Mais cela peut aussi jouer en leur faveur : si la diffusion
des séries a la télévision n'est plus la première
officielle, cela pourrait augmenter son pouvoir de négociation, ce qui
permettrait aux chaînes de diminuer les coûts d'acquisition de
programmes. Alors qu'aujourd'hui, la diffusion illégale sur internet ne
peut être réellement considérée comme un argument
dans les négociations.
On peut d'ailleurs se demander si l'offre digitale rapide et
de façon légale diminuerait réellement de façon
considérable l'audience télévisuelle. Car on peut supposer
que le seul report d'audience serait celui des spectateurs de l'offre
illégale vers l'offre légale. En effet, les
téléspectateurs ne regardent-ils pas la télévision
pour justement ne pas avoir à chercher un contenu particulier et pour se
laisser porter par ce que la télévision propose ? La
télévision n'a-t-elle pas déjà perdu l'audience
préférant le support internet ?
Mais cela n'est qu'une supposition. Car ces comportements
potentiels ne sont pas visibles sur cette étude, et pourrait aussi faire
l'objet d'une étude quantitative.
Si cette dernière hypothèse se vérifie,
la mise à disposition des séries sur internet de manière
légale deviendrait d'autant plus avantageuse. Car non seulement le
coût d'acquisition des programmes diminuerait, mais en plus, leur
audience, et donc leur revenus publicitaires, resteraient les mêmes.
c) La création originale comme facteur clé
de succès pour les chaînes
Les chaînes de télévision restant un
élément indispensable dans le modèle des séries
télévisées, puisque c'est encore elles qui financent la
très grande majorité des séries
télévisées, elles pourraient ainsi profiter de ce nouvel
excédent de revenu hypothétique pour investir dans des
créations originales de qualité.
Et pour que la création originale soit un
investissement plutôt qu'un coût, les chaînes doivent faire
en sorte de favoriser des créations qui sont considérées
comme des rendezvous par les spectateurs, et qui seront par la suite
exportables, a l'instar de Canal Plus avec Les Borgia ou Braquo. Ainsi, la
fiction française générerait des revenus additionnels : il
y aurait d'un côté les recettes publicitaires, et de l'autre les
revenus liés aux reventes a l'international.
Mais pour favoriser la création originale de
qualité, plusieurs mesures sont à prendre.
Tout d'abord, demandons-nous si les quotas obligatoires de
programmes français à diffuser sont un avantage dans ce
modèle économique. Car ils sont peut-être une fausse bonne
idée. En effet, même si les quotas forcent les chaînes
à produire un minimum de programmes français, permettant de
soutenir les entreprises de l'audiovisuel françaises, ils risquent de
diluer les investissements sur la création française. Et cette
dilution peut pousser les chaînes à investir dans un grand nombre
de programmes, avec un budget restreint pour chaque programme.
Or, il faut se demander si un système sans quota aurait
ses qualités. Car dans ce cas, on pourrait supposer que les chaines
produiraient certes moins de fiction française, mais on peut penser que
ces dernières pourraient bénéficier d'un plus grand
investissement. Ainsi, les contenus seraient moins nombreux, mais de meilleure
qualité et donc exportables, ce qui les rendraient plus rentables.
Ensuite, comme l'a souligné Lise Barembaum, il faut que
les actants du réseau de la série télévisée
apprennent à collaborer ensemble.
D'une part, il faudrait que les chaînes de
télévision n'aient plus peur de produire des contenus avec des
côtés subversifs. Car les bonnes séries ne sont pas
nécessairement les
séries lisses et familiales. Et cela veut dire faire plus
confiance aux producteurs et scénaristes dans leur création.
D'autre part, les scénaristes doivent aussi apprendre a
travailler de plus en plus en équipe. Cette méthode étant
particulière, elle doit pouvoir s'apprendre grâce à des
formations spécialisées dans l'écriture de scénario
a plusieurs. Et cela s'accompagnerait d'un changement de statut du
scénariste, qui deviendrait, comme aux Etats-Unis, non plus un artiste
ayant un droit complet sur les oeuvres qu'il produit, mais un professionnel de
la télévision, qui apprend a partager ses oeuvres avec un
collectif, et qui par conséquent cède ses droits d'auteur.
Les producteurs pourraient aussi apprendre à profiter
de plus en plus de cette nouvelle source de revenu qu'est le placement de
produit. Cela pourrait être une aide non négligeable à la
création.
Pour pouvoir utiliser ce procédé, la
série doit créer des héros auxquels le public a envie de
s'identifier et qu'il apprécie. La télévision a donc
besoin de personnages forts et emblématiques avant de pouvoir user du
placement de produit. Cette source de financement n'est applicable qu'à
la condition qu'une série atteigne un certain niveau de qualité,
ce qui suppose donc que les conditions précédemment
énumérées se réalisent.
Mais cette technique n'est pas encore très
répandue en France, même si elle est désormais
autorisée, car les contraintes sont encore assez nombreuses. En effet,
les actants ont peur de se voir refuser une scène par le CSA. Ce
modèle est donc encore expérimental en France, et il faut
apprendre à lui faire confiance.
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