4-2-2 La barrière du social : réalité
du terrain
L'exécution du projet de l'EMRIP a donc
commencé, dès le début 2011. Cependant, l'avancée
des travaux, réalisés par la NHAI (National Highway Authority of
India), se heurte à un obstacle de taille, qui en plus des
problèmes de financement et d'initiatives publiques avait sans doute
déjà freiné le bouclage du projet. En effet, la Ennore
High Road, qui doit être transformée en Ennore
Expressway, se trouve cernée par un slum gigantesque, qui
s'étire sur près de 6km. De part et d'autre de la route qui n'est
pas très large à l'heure actuelle (environ 8m), se sont
installées au fil des années des milliers de familles, dans des
conditions extrêmement précaires. En fait, à
l'époque de la construction de cet axe, on avait anticipé les
besoins futurs en prévoyant l'espace nécessaire à
d'éventuels élargissements. Pour cela, on avait construit une
digue qui permettait de gagner du terrain sur la mer, là oü se
trouvait auparavant la plage. On disposait ainsi d'une longue bande de terre,
large d'une cinquantaine de mètres, qui permettrait les travaux si
nécessaire. Evidemment, l'inévitable s'est produit, et les slums,
principalement constitués de familles de pêcheurs, sont venus
conquérir ce nouvel espace disponible, jusqu'à
l'occuper dans sa totalité.
Aujourd'hui, le temps presse, et la route doit être
élargie à 20m. En l'espace de 4 mois, depuis janvier 2011,
près de 1000 habitations ont été détruites, forcant
leurs occupants à se déplacer. Les agents en charge de la
construction sont venus sur place au préalable, ont pris des photos des
maisons, et fourni aux habitants un document officiel attestant de leur
occupation des lieux. Ce document leur donne le droit d'exiger un nouveau
logement, en compensation du préjudice causé. Déjà,
depuis 5 ans, le gouvernement a entamé la construction d'un complexe
résidentiel qui à terme devrait fournir les logements
nécessaires aux 10.000 personnes déplacées et donc
résoudre le problème. Il a été convenu que chaque
famille disposerait d'un appartement privatif, d'une quinzaine de m2.
En haut à gauche, le slum d'Anna Nagar à New
Washermanpet, oü les destructions on déjà
commencé. En haut à droite, le complexe résidentiel de
Netaji Nagar à Ennore, déjà investi par ses nouveaux
habitants. En bas, paysage classique au bord de l'Ennore High Road, à
Anna Nagar, New Washermanpet.
Mais voilà, la solution de relogement proposée
par le gouvernement ne convient pas à tout le monde. Tout
dÕabord, celui-ci se situe à Ennore, à 7km dÕAnna
Nagar (à ne pas confondre avec le quartier dÕAnna Nagar à
lÕOuest de Chennai, oil les conditions de vie nÕont rien de
commun avec lÕAnna Nagar de New Washermanpet), le quartier oil nous
avons rencontré les habitants. Hors, les habitants du Sud de
lÕEnnore High Road survivent gr%oce aux ressources issues de la
seule activité praticable : la pêche. Là oil les nouveaux
logements ont été regroupés, lÕacces à la
mer est impossible, et un déplacement dans ce quartier implique donc
lÕabandon de lÕactivité nourriciére. Les
populations se retrouvent donc en situation extreme, ne disposant pas
dÕun niveau dÕéducation ou dÕune condition sociale
qui leur permette de sÕadapter. Par ailleurs, il a été
stipulé quÕun appartement serait propose pour chaque famille
déplacée. Mais la taille de ces foyers nÕa absolument pas
été prise en compte, et les conditions de relogement sont les
même quelque soit le nombre de membres dans celui-ci. Des familles
nombreuses, parfois comprenant jusquÕà 8 ou 10 membres, se
retrouvent condamnées à survivre dans un espace de 15m2. Parmi
les populations qui se sont déjà installées dans Netaji
Nagar à Ennore et auxquelles jÕai pu rendre visite, une grande
partie nÕa dÕautre choix que de dormir dans la rue, par manque de
place.
Par ailleurs, lÕeau manque cruellement, puisque les
nouveaux immeubles ne sont pas raccordés au réseau de
distribution. Ils dependent entiérement des précipitations qui
sont recueillies dans des cuves sur le toit, et nÕont pas dÕautre
choix que dÕacheter la ressource à lÕextérieur.
LÕalimentation électrique est bien présente, mais le
gouvernement nÕexigeant pas le paiement dÕun loyer (il y a
renoncé alors que cÕétait initialement prévu), il
impose en contrepartie le reglement de factures
dÕélectricité absolument exorbitantes. Les habitants ne
disposant pas des moyens suffisants se voient donc coupés de leur
alimentation. SÕajoute à cela lÕabsence totale de
structures nécessaires à lÕinstallation des commerces, qui
nÕont dÕautre choix que de sÕétablir au bas des
immeubles, dans de petits cabanons construits à la h%ote. Les
problémes de criminalité, par ailleurs, compromettent fortement
lÕattrait de la zone, totalement à lÕécart de la
couverture policiére. Ainsi, on mÕa rapporté quÕun
meurtre avait eu lieu dans le quartier la nuit précédent ma
visite, mais quÕil ne sÕagissait en rien dÕun fait
isolé puisque ce genre dÕévénements survenait en
moyenne une fois par semaine. On comprend donc les réticences des
familles à venir sÕétablir à Netaji Nagar.
Cependant, les travaux de destruction et
dÕélargissement nÕont été entamé que
dans la partie la plus au Sud de la Ennore High Road, au niveau
dÕAnna Nagar et des quartiers voisins. Pour la partie Nord, les
bulldozers se sont heurtés à des groupes de resistance, sans
doute mieux organisés et donc plus virulents que ceux qui avaient
été mis en place, sans succés, au Sud. Cette situation
trouve son
explication dans un éventail de population different
entre les deux zones. En effet, autour dÕAnna Nagar, même si les
familles de pêcheurs sont fortement représentées, elles ne
constituent pas la majorité, comme cela peut etre le cas plus au Nord.
Et il semblerait que la capacité des habitants à sÕunir
face à la crise repose en grande partie sur une certaine
homogénéité du groupe. Donc pour lÕinstant, une
partie des habitants de la zone semble avoir été
épargnée, malgré les interventions parfois violentes des
forces de police et au prix de nombreuses arrestations.
Pour lÕheure, 2000 personnes ont investi leurs
nouvelles habitations, et 5000 logements ont été construits
à Netaji Nagar. Ceux qui ont fait le choix de resister, bien conscients
du fait quÕils devront tTMt ou tard ceder aux requêtes du
gouvernement, demandent seulement une solution alternative, qui leur
permettrait non pas d'être relogés mais simplement
déplaces, à proximité, sur des terrains ou ils puissent
reconstruire leur vie sans renoncer à leur moyen de subsistance.
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