3.2 - Sept villages pour autant de
réalités
Une rapide présentation de la zone d'étude
s'impose, de facon à rendre compte des différents niveaux de
vulnérabilité face à l'établissement du projet
Swarnabhoomi. Les sept villages concernés par la vente de terrains ont
été regroupés en fonction de leur appartenance à un
méme Pânchayat23, c'est-à-dire qu'ils
ont en commun le méme thalaivar, ou chef de village. C'est
important dans la mesure ou le thalaivar influe
énormément sur les liens entre les villageois et la compagnie
Marg.
23 Village Panchayat pour ôtre plus précis.
Il s'agit d'une assemblée traditionnelle élue, équivalente
en quelque sorte au conseil municipal, et chargée de régler les
différents entre individus ou entre villages.
Carte n°3 - Emprise spatiale du projet
Swarnabhoomi (basée sur un assemblage de plans
cadastraux)
Seekinankuppam - Velur - Punjeri
A gauche : parcelles rizicoles
encore en exploitation à Seekinankuppam.
A droite: le projet vu depuis
Velur. Au premier plan, l'ancien Water Tank utilisé pour l'irrigation
des terres du village, aujourd'hui dans l'enceinte de Swarnabhoomi.
Ces trois villages se trouvent au contact direct du projet, et
sous la domination d'un seul homme, le Reddyar N.Jaya Prakash. A eux trois ils
regroupent plus de 1.500 habitants, dont la plupart appartiennent à la
catégorie SC (Scheduled Cast, 50%), viennent ensuite les
Yadav (25%), principalement installés à Velur et
à Punjeri, les Vanyars (15%), les Reddyars (5%), et
les OC (Other Cast, 5%), principalement installés à
Seekinankuppam, qui regroupe les 2/3 de la population du Panchayat. Pour ces
trois villages, on observe une nette division nord/sud en ce qui concerne la
qualité des terres, avec au nord des sols de type White soil,
c'est à dire nonirrigués et secs, qui pour la grande
majorité ont été vendus à Marg, et des sols de bien
meilleure qualité au sud du fait de leur moindre altitude. Il s'agit de
sols de type Red Soil (c'est à dire de qualité
intermédiaire, disposant souvent de puits comme on peut en apercevoir
partout à Velur et à Punjeri) et Black Soil (c'est
à dire les sols pourvus d'un système d'irrigation régulier
tout au long de l'année, notamment par le biais des mares et des
réservoirs). En tout, depuis 2005, date à laquelle Marg a
commencé à acquérir des terres pour son projet, 70% de la
surface totale de Seekinankuppam a été vendue, 60% de la surface
de Velur, ainsi que 35% de la surface de Punjeri. Cela représente la
quasi-totalité des terres de type White Soil. En deux ans,
entre 2005 et 2007, on a pu noter une augmentation des prix de 400!/ha à
plus de 2500!/ha, toujours pour les terres non-irriguées.
A Seekinankuppam, 40% seulement de la population active
travaille dans le secteur agricole, pour 90% à Velur et à
Punjeri. Cette différence s'explique par une forte intégration
des
travailleurs de Seekinankuppam à l'intérieur
même du chantier, qui fournit par exemple la majeure partie des
watchmen chargés de la sécurité.
Nous y reviendrons par la suite, mais c'est dans ces trois
villages que la contestation est la plus forte, du fait de la toute puissance
du chef du Panchayat, N.Jaya Prakash, que l'on surnomme parfois the
devil, et qui depuis 2006 a été pris d'une folie acheteuse
et qui a littéralement réquisitionné plusieurs centaines
d'hectares de terres qu'il a ensuite revendu à Marg, plus cher bien
entendu, profitant au passage d'un bénéfice de 20 à 40%. A
ce titre il se présente lui-même comme l'un des partenaires
privilégiés du groupe, et représente certainement l'un des
personnages clés du processus d'acquisition.
Villabaggam - Pakkur - Punjeri
A gauche : puit utilisé pour
l'irrigation à Pakkur.
A droite : parcelles anciennement
rizicoles à Punjeri, aujourd'hui vendues au groupe Marg.
Une petite précision avant de commencer: le village de
Punjeri est partagé entre deux Panchayats, une petite partie ouest
étant rattachée au village de Pakur.
Ë la tête de ces trois villages on trouve
A.Varathan, un individu diametralement opposé à N.Jaya Prakash
dans la mesure oü il appa rtient à la catégorie des
Scheduled Cast, et oü il n'adhère pas aux pratiques du
groupe Marg en matière d'acquisition des terres. Il a pourtant lui aussi
été contacté dans le but de remplir le rTMle
d'intermédiaire entre Marg et les villageois. En effet, comme on a pu le
voir précedemment (cf. 1.4.2), Marg, comme beaucoup d'autres
développeurs au Tamil Nadu, a fait appel à des leaders locaux,
ici les chefs de village, dans le but de rassurer et de convaincre les
villageois quant aux bénéfices de la vente de leurs terres.
A.Varathan ayant refusé de remplir ce rTMle, Marg a d'abord fait appel
à des
brokers indépendants chargés de
réaliser les transactions, mais du fait de leur manque
d'efficacité, Marg a directement investi le terrain depuis quelques
mois, et il n'est pas rare de croiser le 4x4 des brokers du groupe ,
estampillé Marg ProperTies, au détour d'un chemin.
La première phase d'acquisition a ici commencé en
2008/2009, et étant donné la distance au projet, on peut se poser
la question de l'utilité de ces extensions.
Pour une population de 1550 habitants, on constate la encore
une nette prédominance des basses castes, c'est a dire des Scheduled
Cast (30% a Villabaggam, 70% a Pakkur) et des Backward Cast (60%
a Villabaggam, 10% a Pakkur), qui représentent la majeure
partie de la population. Viennent ensuite les MBC et les
Yadav, installés principalement a Punjeri. Aucune famille de
Reddyars n'est présente sur cette portion.
Comme pour les villages précédents, on a ici
vendu la majeure partie des terrains de mauvaise qualité. Cependant, les
sols de type Black Soil et Red Soil dominent, et le processus
d'acquisition est bien moins avancé pour cette catégorie de
terrains, dont les prix dépassent de 50 a 70% ceux des parcelles de
type White Soil. C'est pourquoi seulement 10 a 15% de la surface de
Villabaggam a été cédée, puisqu'il s'agit du
village qui concentre les meilleures terres. Pakkur et Punjeri étant
moins avantagés, 50% des terres ont été vendues.
La prospection ayant débuté ici plus
tardivement, le s tarifs des transactions sont largement supérieurs a
ceux observés plus tTMt, a Seekinankuppam, Velur et Punjeri. Les terres
nonirriguées ont ainsi été cédées en moyenne
pour 14000€/ha, et les meilleures terres entre 30000 et 35000€/ha. On
remarque donc la rapide explosion du prix de la terre depuis l'arrivée
de Marg en 2005. Les tarifs paraissent même exhorbitants, en comparaison
du prix de la terre en France. Cependant, il convient de noter que la plupart
des familles ne possedent que de petites parcelles, dont la taille varie
généralement entre 0,1ha et 0,5ha.
Madayanpakkam
Encore un village sous la domination d'un Reddyar,
Veeraragava Reddy, marié a la niece de N.Jaya Prakash. Malgré la
proximité familiale entre les deux hommes, leur rapport a la terre
differe, et V. Reddy, comme A.Varathan, n'est pas intervenu dans les rapports
entre Marg et les villageois. Fait surprenant d'ailleurs, c'est même
N.Jaya Prakash qui serait intervenu a Madayanpakkam a la place de son
homologue, en rachetant des terres en vue d'une revente au groupe Marg. Pour un
total de 1400 habitants, 4% appartiennent a la catégorie
Scheduled
Tribes, 75% à la categorie Scheduled
Casts , 15% à celle des Backward Casts, et 6% sont des
Reddyars.
A gauche : type d'habitat
traditionnel tel qu'on peut en trouver dans tous les villages de la zone
d'etude A droite : recolte de l'arachide. Au fond, on peut
apercevoir Swarnabhoomi
Les surfaces cédées à Marg à
partir de 2007 représentent un total de 20% de la surface totale du
village. Comme à Villabaggam, la majorité des terres
sont de relativement bonne qualité, de type Red et Black
Soil principalement, ce qui explique la faible proportion de terrains
vendus jusquÕà present. Les tarifs semblent
intermédiaires, entre 3000 et 10000€/ha.
Koddur
Il sÕagit de loin du village le plus étendu, le
plus riche aussi, puisque contrairement aux précédents, la
quasi-totalité des maisons sont ici construites en dur, là oil
les habitations des autres villages étaient en général
faites de terre et de branches de palmiers. Le chef du village, là
encore un Reddyar, a catégoriquement refusé de
communiquer, ayant été mis au courant de notre presence par ses
amis employés dans les bureaux de Swarnabhoomi.
Parmi les 2000 habitants de Koddur, 40% appartiennent à
la communauté Reddy, 50% à la catégorie SC,
5% à la catégorie BC, et enfin 5% à la
catégorie OC (pour Other Casts). La large proportion
de Reddyars explique probablement le niveau de richesse du village.
A gauche : au premier plan,
parcelle rizicole toujours active. En arrière plan, parcelles
cédées à Marg. A droite : maisons de la
communauté Reddy.
Comme à Seekinankuppam, le début du processus
d'acquisition a aussi commencé dès 2005, et a abouti a la vente
de 30% de la surface du village, dans sa partie sud c'est-à-dire dans la
partie oü les terres souffraient depuis plusieurs années d'un
assèchement progressif de la nappe phréatique. Le nord du
village, disposant de terres de bonne qualité (à dominance
Black Soil), résiste toujours à l'envahisseur. Comme
c'est le cas dans tous les villages visités, on attend une nouvelle
hausse des prix des terrains pour vendre. Marg para»t cependant moins
gourmand ici qu'ailleurs, étant donné la qualité et donc
le prix des terrains, aujourd'hui plus chers encore qu'à Villabaggam.
Je ne l'ai pas évoqué jusque-là, mais je
me permets une petite parenthèse à propos de la production
agricole locale. La majeure partie des terres cultivées est
utilisée pour la culture du Paddy, c'est à dire du riz,
viennent ensuite par ordre d'importance l'arachide, la canne à sucre, la
noix de coco, la mangue et le casaurina tree.
Pour compléter ce tour d'horizon de la zone
d'étude, venons-en maintenant aux données plus
générales, en matière d'éducation pour commencer. A
part pour Koddur, il est important de préciser que
l'analphabétisme touche une large part de la population, puisque
seulement 40% des habitants de Madayanpakkam par exemple sont capables de lire
et écrire, hommes et femmes confondus. Les plus jeunes s'en sortent
mieux, et on note la présence d'une école primaire dans chaque
village, mis à part à Pakkur. On trouve aussi une école
privée catholique à Punjeri, et une autre à Koddur,
anglophone. Pour la poursuite d'études, les jeunes doivent se rendre
à Cheyyur, à 7km au sud de Villabaggam, ou à Kalpakkam,
à 10km au nord de Swarnabhoomi. Cependant, du fait de l'absence de
transports publics et du faible taux
dÕéquipement en moyens de transport
privés (on ne dispose souvent que dÕun simple vélo pour la
famille, parfois dÕune moto), les déplacements sont
compliqués. Le bus nÕest accessible que depuis Villabaggam ou
Madayanpakkam. De ce fait, le travail à lÕextérieur est
rendu difficile, et lÕagriculture est la seule source dÕemploi.
Avant lÕarrivée de Marg, la quasitotalité des actifs
était concentrée dans le secteur primaire. Depuis, une petite
part des villageois ayant vendu leurs terres a été
employée sur le chantier. Sur les 2.000 ouvriers, entre
24
10 et 20% seulement sont issus des villages alentour . Les
autres ouvriers sont originaires de regions plus lointaines, souvent du nord du
pays, de lÕUttar Pradesh, du Bihar, ou du Nepal. Les promesses
dÕemploi de la part de Marg pour les villageois ayant cédé
leurs terres nÕont visiblement pas été tenues, et beaucoup
se retrouvent aujourdÕhui au chTMmage et survivent gr%oce à
lÕargent issu de la vente, qui sert par ailleurs à rembourser les
dettes qui touchent plus de la moitié des exploitants.
Par ailleurs, si lÕon fait la moyenne pour tous les
villages de la zone, entre 30 et 40% des habitants ne possedent pas de terres,
et travaillent en partie sur les terres des Reddyars, ou dans le cadre
de petits travaux gouvernementaux, les 100 days work s.
Au niveau du rapport à la politique, on observe un
relatif désintérêt, mis à part pour les
Reddyars, qui se rangent tres nettement du cTMte du DMK, le parti
à la tete du gouvernement. Le DMK domine donc, suivi de lÕAIADMK
et du PMK, puis de quelques pa rtis minoritaires. Il semblerait cependant
quÕune petite partie des villageois entretienne des rapports avec des
partis dÕextrême gauche, souvent les plus opprimés,
notamment à Seekinankuppam. Mais dans la majorité des interviews,
jÕai pu constater une certaine distance, une certaine lassitude,
vis-à-vis du monde politique. LÕimpression d'être mis
à lÕécart et réduits au silence domine. Le poids de
lÕanalphabetisation est sans doute à prendre en compte dans ce
constat.
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