3.3 - Stratégie et conséquences
Apres avoir mene mon enquete et realise le compte-rendu
dÕune cinquantaine dÕinterviews, jÕai pu me faire une
idee plus precise du deroulement du processus dÕacquisition.
JÕaurais
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Mais les salaires ne sont pas toujours ceux
espérés, souvent inférieurs à 90E par mois, et ne
sont pas toujours verses à temps. La hausse de revenus est tout de meme
appreciable aux dires des villageois, puisque la hausse de revenus mensuel
dépasse les 40% pour la plupart.
néanmoins aimé compléter mes observations
gr%oce à une entrevue avec le Thasildar, c ' est-à- dire
avec le chef du Taluk de Cheyyur, mais celui-ci venant tout juste de prendre
ses fonctions en février 2010, ce dernier n'a pas pu, ou en tout cas a
prétendu ne pas pouvoir m'aider. Déçu, j'ai alors
pensé pouvoir me rattraper en rencontrant le District
Collector, le chef du district de Kanchipuram. Apres m'y etre rendu une
première fois et avoir patienté pendant 5h dans la salle
d'attente du Collectorate sans pour autant avoir accès à
son bureau, j'ai dii y retourner la semaine suivante, cette fois-ci avec
succes. Succes relatif cependant, puisque je n'ai pu lui poser la moindre
question au sujet de Marg et de Swarnabhoomi. En effet, malgré son
apparence amicale et paisible, celui-ci s'est montré tres rude lorsque
je lui ai expliqué le theme de mon enquête, et a
immédiatement exigé que je lui fournisse quantité
d'autorisations que je n'avais malheureusement pas en ma possession. De plus,
mon visa étant estampillé « touristic visa », j'ai
préféré ne pas insister puisque le District
Collector m'a assuré que j'aurais des problemes si mes papiers
n'étaient pas en regle. Personne ne s'étant jamais penché
avant moi sur le sujet de Swarnabhoomi, je ne dispose donc que des informations
récoltées tant bien que mal sur le terrain.
3.3.1 - Diviser pour mieux régner ?
On l'a vu, Marg a entamé la première phase
d'acquision en 2005. Au départ, je supposais que la totalité du
projet avait été établi sur des terrains achetés
à des privés. C'est en faisant l'acquisition des précieux
plans cadastraux aupres du Survey and Land Records Office de Chennai,
que je me suis aperçu de la présence d'un vide entre les plans de
Koddur et de celui de Seekinankuppam (référencé sous le
nom de l'unité administrative c'est à dire Paramankeni). J'ai
alors posé la question à Bhavana, une étudiante de
M.Vijayabaskar rencontrée lors d'une entrevue au MIDS, qui m'a
expliqué que ce vide était dii à la présence de
Wastelands, c'est-à-dire de terrains relevant du domaine public,
comme je l'ai précédemment évoqué (cf. paragraphe
1-2-2). Il s'agit en fait plus précisément de p%oturages et
de Dry Lands, comme on peut le voir sur les images satellites
disponibles via Google Earth . Hors, c'est précisément
dans ce périmètre que se situe le cÏur du projet. Cette
découverte confirme donc que la base du projet à
été établie à cet emplacement, du fait des
facilités offertes par le gouvernement.
Par la suite, étant donné l'ampleur du projet
Swarnabhoomi et des ambitions du groupe Marg, il a fallu élargir le
périmetre, en acquérant dans un premier temps uniquement les
Dry Lands, conformément aux regles édictées par le
gouvernement dans le cadre du Tamil Nadu SEZ Act,
cette fois-ci aux privés. Pour cela, Marg s'est
doté d'un atout de choix en la personne de N.Jaya Prakash, et de la
communauté Reddy de facon plus générale, bien
implantée, notamment à Koddur. Non seulement la communauté
Reddy a été utilisée pour servir d'exemple en
étant la première à céder ses terrains, mais elle a
également été mise à contribution dans la mesure
oü Marg lui a proposé de jouer le rTMle d'intermédiaire, en
rachetant les terres des petits propriétaires, avant de les lui
céder à un prix supérieur, ce qui avait de quoi susciter
des vocations. Certains, satisfait de leur situation, ont laissé passer
l'occasion de s'enrichir d'avantage. D'autres, comme N. Jaya Prakash, se sont
pris au jeu et ont permis la rapide acquisition des terrains necessaires au
lancement du chantier, en 2008.
Selon toute vraisemblance, le projet tel qu'on peut le visiter
à l'heure actuelle a donc été implanté uniquement
sur des terres arides, ce qui ne pose donc pas de véritable
problème, puisque la perte de ressources pour la population se trouve
minimisée. Mise à part la destruction de quelques rares
habitations à Velur, pour lesquelles les habitants ont percu de
généreuses compensations après négociation, et d'un
cimetière à l'entrée de Seekinankuppam, les dommages sont
minimes. C'est pour les événements survenus ultérieurement
que les problèmes se dessinent, puisque le processus d'acquisition s'est
poursuivi, toujours sur des terres arides, mais pas seulement. Le gouvernement
se montrant visiblement laxiste dans le cadre de sa politique en matière
de ZES, Marg s'attaque au rachat de terres fertiles.
Personne n'a été en mesure de me dire pour
quelle raison Marg a décidé d'élargir le processus
à des terrains situés parfois à plusieurs
kilomètres de son projet. Certes, sur certaines images du projet
à son terme, c'est-à-dire d'ici à une vingtaine
d'années, l'emprise spatiale semble effectivement
considérablement plus vaste qu'elle ne l'est aujourd'hui. De plus, des
accès reliant Swarnabhoomi au futur port sur la lagune de Cheyyur, ainsi
qu'à l'autoroute NH 45, sont à l'étude. Mais
l'hypothèse de la spéculation para»t visiblement plus
plausible. Marg, conscient de l'engouement suscité par son projet, mais
surtout de la hausse future des tarifs du foncier aux alentours de
Swarnabhoomi, déjà constatée d'ailleurs, achèterait
donc des terrains, encore accessibles aujourd'hui, en vue d'une revente
ultérieure, à un tarif bien supérieur.
La stratégie reste la méme, Marg contacte les
chefs de village, leur proposant de jouer le rTMle d'intermédiaire avec
les villageois. Parfois, en réponse au refus constaté de ce
partenariat, Marg fait appel à des brokers indépendants, voire
méme à ses propres brokers, comme c'est le cas aujourd'hui
à Madayanpakkam et à Villabaggam, dans le but
d'accélérer la cadence. L'opération s'avère
délicate dans le cas des transactions concernant les terres
cultivées, et la
résistance ralentit le processus dÕacquisition.
Dans ce cas, Marg doit affiner sa stratégie, et pour parvenir à
ses fins, il nÕest pas rare quÕelle vise en premier lieu
lÕachat de terrains permettant lÕacces aux puits et aux mares
(water tanks). De cette façon, les parcelles alentour se
trouvent privées de leur ressource en eau, et il est plus facile de
pousser les propriétaires à la vente. CÕest en usant de
cette stratégie quÕune bonne partie de Seekinankuppam, de Velur
et de Punjeri a pu etre acquise, le reservoir dÕeau utilisé pour
irriguer les terres ayant été inclus dans le
périmétre de Swarnabhoomi (on le distingue dÕailleurs
trés bien sur toutes les photos du projet). CÕest par
lÕasphyxie que Marg parvient tranquillement à étendre son
emprise.
Un autre exemple de lÕaggressivité manifeste des
operations fonciéres concerne, une fois de plus, N.Jaya Prakash, et
rejoint les propos développés dans la première partie du
dossier (cf. 1-3-2). JÕai dÕailleurs pu en etre le témoin,
lorsque je me suis rendu pour la première fois dans le village de
Punjeri, et lorsque quÕun homme visiblement affolé est arrive en
trombe sur sa moto, expliquant aux villageois que plusieurs acres de terres, de
bonnes terres, venaient tout juste d'être vendues à Marg par
N.Jaya Prakash. Ces terres avaient été cédées aux
basses castes deux siécles plus tTMt par les ancetres du chef actuel du
village, sans quÕaucun papier ne le stipule. Le droit coutumier ne
justifiant pas, selon Mr Prakash, sa libre utilisation à lÕheure
actuelle, il a donc procédé à la vente, sans même en
informer ses occupants. Et aux dires des habitants, il ne sÕagissait pas
là dÕun fait surprenant. Je ne sais pas si Marg est tenu au
courant des agissements de N.Jaya Prakash, mais étant donné
quÕil ne sÕagit pas là de son coup dÕessai, le
District Collector, avec qui jÕaurais aimé en discuter,
lÕest certainement.
Par ailleurs, jÕai été trés
surpris du fatalisme ambiant et de manque de réactivité de la
population face à tous ces agissements. Même si nombreux ont
été les villageois interrogés à adopter des propos
trés rudes vis-à-vis de Swarnabhoomi, aucun ne proteste
ouvertement. Aussi, on mÕa souvent avoué quÕavant
lÕarrivée de Marg, lÕunité entre villages et
villageois était la regle. Mais certains, en cédant leurs terres
au groupe, ont depuis été pointés du doigt, et la discorde
sÕest peu à peu installée. DÕautant que Marg, en
offrant du travail à certains, attise le feu en créant de
lÕinjustice, et dans le même temps impose le silence auprés
des proches des employés, craignant un licenciement de ces derniers dans
le cas oil un mouvement de résistance était mis en place.
Certains villages disposent de facilités offertes par Marg, comme
à Seekinankuppam, oil des vélos sont offerts aux étudiants
poursuivant des etudes à Cheyyur, oil des fournitures scolaires sont
mises à disposition, et oil le groupe participe à
lÕagrandissement du temple du village, ce qui ne fait là encore
que renforcer les
inégalités entre villages, et provoque une
certaine jalousie. Tout cela mis bout à bout explique en partie la
difficile émergence de groupes de résistance. En montant les
villageois les uns contre les autres, peut être involontairement
d'ailleurs, Marg peut ainsi agir en toute quiétude. Comme à
l'époque de la colonisation britannique, c'est par la division que le
groupe parvient à étendre son emprise.
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