1.4 - Le cas particulier du Tamil Nadu
En 2005, le Tamil Nadu se lance de plain-pied dans la nouvelle
politique adoptée par le gouvernement central en adoptant le Tamil
Nadu Special Economic Zones Act, et entend ainsi prendre de
lÕavance sur les Etats concurrents en vue de devenir à terme le
veritable hub manufacturier du pays. Usant du Tamil Nadu Acquisition of
Land for Industrial Purposes Act de 1999, le gouvernement du Tamil Nadu
decide à partir de cette période de promouvoir la creation
dÕune banque de terrains via ses agences para-publiques que sont la
SIPCOT 8et la TIDCO, dans le but de faciliter et
dÕaccélérer lÕimplantation des industries, et plus
tard, des ZES. La durée du processus dÕacquisition passe ainsi de
trois ans à seulement six mois (Vijayabaskar 2010). En plus d'être
plus agressif que le Land Acquisition Act dans la mesure oil il ne
laisse pas de place à la dissidence, le TNALIPA manque
cruellement de precision quant aux termes utilisés. Aussi il ne
définit pas précisément la notion dÕ Ç
intérêt public È. Pourtant, cÕest en son nom que le
Tamil Nadu peut se permettre dÕacquérir tous types de terrains et
notamment les terres arables et les « dry lands È. La notion
même de compensation nÕest pas abordée dans la loi. Le flou
est de rigueur, et les individus ayant perdu leurs terres ont seulement droit
à un Ç montant déterminé par le District
Collector È, equivalent du préfet
8
State Industries Promotion Corporation of Tamil Nadu
et Tamil Nadu Industrial Development Corporation
en France, et qui avec lÕadoption du Tamil Nadu SEZ
Act se voit investi de la delicate mission de fixer les prix et
dÕorganiser les discussions entre acheteurs et acquéreurs. La
négociation sur la compensation monétaire devient le seul recours
pour les propriétaires dépossédés, qui sont
privés de leur recours legal via les circuits traditionnels de la
justice.
La SIPCOT et la TIDCO visent à accumuler une banque de
terrains de 8000 hectares chacune sur cinq ans. La plupart des ZES du Tamil
Nadu vont par la suite etre implantées sur ces terres, acquises
graduellement à partir de la fin des années 90.
Pour autant, aussi étrangement que cela puisse
para»tre, on observe une relative absence de resistance face au processus
de creation des ZES au Tamil Nadu. Plusieurs raisons expliquent ce fait
surprenant, et méritent que lÕon sÕy penche de plus
pres.
1.4.1 - Un rapport à la terre de plus en plus
distant
Le Tamil Nadu, on lÕa vu, se trouve actuellement dans
le trio de tete dans la course aux investissements avec à lÕheure
actuelle pas moins de 50 ZES notifiées sur son sol. Il fut par ailleurs
lÕinitiateur de la toute première ZES opérationnelle du
pays avec lÕimplantation de la fameuse Mahindra World City, au
sud de Chennai. Dès le milieu des années 90, il devient
lÕun des Etats indiens les plus dynamiques sur le plan
économique, avec une croissance annuelle moyenne avoisinant les 7%. En
lÕan 2000, il devient le deuxieme Etat le plus industrialise en terme de
valeur derrière le Maharashtra, et le premier en terme dÕactifs
avec un taux de 21,1% (Ramaswamy 2007). Il est également lÕEtat
le plus urbanise avec un taux dÕurbanisation de 44% (Census of India
2001) et bénéficie dÕune repartition urbaine
particulierement homogène en comparaison des Etats voisins. Pour
completer le tableau, on peut noter également un très fort taux
dÕactivité chez les hommes comme chez les femmes, en ville comme
à la campagne, un excellent niveau dÕéducation ainsi
quÕun rapide déclin de la fertilité, qui ont fait du Tamil
Nadu le troisieme Etat indien le mieux note en terme dÕIDH (Govt of
India, 2003).
Dans le même temps, on constate depuis maintenant deux
décennies une relative stagnation, voire même une crise du secteur
primaire. En effet, entre 1993 et 2005, la part du revenu agricole dans le PIB
du Tamil Nadu a chute de 24,82% à seulement 13,3%. En 2003, le revenu
moyen issu de lÕexploitation pour une famille dÕagriculteurs
(138€) est inférieur aux dépenses nécessaires
à la mise en culture (150€) (Narayanamoorthy 2006). Par consequent
le
taux d'endettement de ces familles explose, et 70% d'entre
elles sont touchées par le phénomène. Les suicides se
multiplient, et l'agriculture est désormais percue comme un
véritable fardeau.
En réaction à ce phénomène, une
part importante des ruraux choisissent de changer d'activité. On assiste
alors à une intensification des migrations journalières ou
saisonnières vers les bourgs ou les grandes villes, facilitées
par l'urbanisation diffuse du Tamil Nadu, oü la ville n'est jamais
très loin des champs. C'est l'émergence de cette nouvelle
mobilité qui a permis le développement de nombreux Ç
clusters È indu striels à travers tout le Tamil Nadu, avec une
production largement tournée vers le textile et la tannerie,
l'ameublement, ou l'agro - alimentaire. La culture du riz, de l'arachide ou de
la canne à sucre est alors abandonnée au profit des plantations
de cocotiers, de manguiers ou d'anacardiers, qui nécessitent moins de
main d'Ïuvre et surtout moins de temps pour leur entretien.
S `ajoute à cela un profond exode des jeunes vers les
grandes agglomérations et les emplois plus qualifiés. En effet,
du fait d'une forte volonté d'intégration des castes les plus
basses, menée principalement par l'Anti Caste Dravidian
Movement, on observe une importante mobilité verticale dans
l'espace rural tamoul. La politique de réservation de places dans
l'enseignement supérieur pour les Backward casts et les
Dalits sur une longue période a fait du Tamil Nadu l'Etat le
mieux noté en terme d'accès à l'éducation pour ce
type de population, juste derrière Delhi.
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