Introduction
Au grand mur blanc du salon d'une maison bourgeoise belge, est
accrochée une peinture aborigène. Pourtant, ses
propriétaires, s'ils apprécient l'art en général,
n'ont aucun intérêt particulier pour l'Australie, et moins encore
pour les Aborigènes. Ils ont même tendance à
écorcher ce mot qui devient "arborigène", comme on peut d'
d'ailleurs l'entendre très souvent de la bouche de francophones mal
renseignés. Ce tableau est là, bien intégré dans
son nouvel espace où règne une harmonie esthétique.
Pourquoi une peinture aborigène se trouve-t-elle dans ce contexte
occidental ? Voilà une question qui ne vient que rarement à
l'esprit. Nous sommes déjà habitués aux objets africains
ou asiatiques, alors pourquoi pas aborigènes ? Orner notre environnement
d'objets étrangers est devenu une habitude. Cela ne nous interpelle plus
vraiment et on ne s'interroge plus sur leur présence en des lieux somme
toute assez inadéquats. Pourtant on devrait ! Une statuette africaine
sacrée qui orne nos toilettes ou une peinture qui invoque pour son
auteur des ancêtres, des cérémonies secrètes et la
création du monde placée dans un salon où on pense
à tout sauf à ces croyances dont on a à peine
connaissance, voilà qui devrait soulever de nombreuses questions ! Dans
cette étude, j'essaie de montrer ce que représentent ces
peintures pour les Aborigènes et pour les occidentaux et comment un tel
tableau peut se retrouver accroché au mur de nos salons. Pour cela, un
voyage en Australie s'est rapidement avéré nécessaire vu
le peu de publications accessibles en Belgique. Quinze jours à Alice
Spring m'ont permis de visiter un grand nombre de galeries d'art du
Désert et de rencontrer les Aborigènes. J'ai eu la grande chance
de pouvoir accompagner une
infirmière australienne une journée dans la
communauté d'Ampilatwatja où elle avait exercé sept ans
plus tôt (ILL.1). Voir les Aborigènes dans leur propre village
était réconfortant après avoir vaguement
côtoyé tous ceux qui traînent dans les rues d'Alice Spring,
saouls et mendiant comme des clochards. Ensuite, un mois dans les
bibliothèques universitaires de Melbourne, Adélaïde et
Sydney a rempli mon sac à dos de presque dix kilos d'articles et de
livres sur le sujet.
Avant de décrire les différents chapitres de
cette étude, il me paraît indispensable de définir ce que
j'entends par "art du Désert". Ce terme également utilisé
dans la version française de Aboriginal art de Wally Caruana
(Caruana 1994, 97-151) reprend l'art Aborigène du Désert central
et occidental d'Australie. Christopher Anderson et Françoise Dussart
utilisent l'appellation "art du Désert occidental en Australie centrale"
(Anderson & Dussart 1989, 89) qui me semble un peu lourde. L'Australie
centrale recouvre un immense territoire aride situé sur les Etats du
Territoire du Nord, de l'Australie du Sud et de l'Australie Occidentale et
inclut une grande partie des déserts Tanami, Gibson et le Great Sandy
Desert (Petitjean 2000, 51; Anderson et Dussart 1989, 92) (CARTE. 1). Un autre
art aborigène d'Australie est également situé dans des
régions désertiques mais il est appelé par le nom de la
région dans lequel il se trouve: l'art du Kimberley.
"L'art du Désert" désigne plus un courant
artistique particulier que l'art d'une région et se distingue des autres
courants de l'art des Aborigènes australiens à savoir l'art du
Kimberley (ILL. 2), l'art de la Terre d'Arnhem (ILL. 3), l'art du Nord du
Queensland et l'art aborigène urbain (Caruana 1994, 5).
Le premier chapitre de cette étude est consacré
aux Aborigènes eux-mêmes. Leur Histoire, leur environnement
naturel et leur mode de vie sont sommairement expliqués pour donner aux
lecteurs les informations de base sur ce peuple que l'on connaît si peu
en Europe. On ne peut pas, à mon sens, étudier l'art du
Désert sans rien connaître de ceux qui en sont à l'origine
et ce d'autant plus que la culture aborigène est très
différente de la nôtre. Je décris le Rêve, notion
à la base des croyances aborigènes, d'une manière
particulièrement approfondie car il est la principale source
d'inspiration des artistes. On peut difficilement comprendre l'art du
Désert sans maîtriser la notion de Rêve aborigène.
Le deuxième chapitre traite des origines de la peinture
contemporaine du Désert. Tout d'abord de ce que j'ai appelé ses
formes ancestrales : les formes d'art traditionnel dont la peinture actuelle
découle directement, qui sont la peinture rupestre et corporelle, les
dessins dans le sable et les peintures de sable. Ces oeuvres font la preuve
d'une continuité au moins formelle de la tradition dans les oeuvres
contemporaines. Ce deuxième chapitre comprend également un
historique du début du courant artistique de l'art du Désert dans
les années soixante-dix à Papunya et dix ans plus tard dans les
autres centres de développement.
Dans le troisième chapitre, j'ai réuni les trois
éléments que j'estime principaux d'une peinture, à savoir
: comment on la fait, ce que l'on en voit et ce que l'on en dit. Ainsi, la
première partie de ce chapitre décrit les règles et les
techniques de peinture tandis que la deuxième partie donne une
description formelle générale
des peintures du Désert et une tentative de classification
stylistique, alors que la troisième partie est consacrée à
leur symbolique.
Le quatrième et dernier chapitre de ce mémoire
traite du marché et de ses paradoxes. Bien que ce sujet soit rarement
traité dans les publications sur l'art du Désert, il m'est apparu
très intéressant et assez important de le développer. En
effet, le courant artistique des peintures du Désert n'existerait pas
sans le marché. Il en est donc pour moi une composante primordiale. Tout
d'abord, je mets en évidence dans ce chapitre les paradoxes
engendrés par l'introduction dans un marché occidental d'oeuvres
provenant d'une culture tout à fait différente et mal connue.
Ensuite, je décris les différents acteurs du marché.
Survient alors une question qui m'est apparue particulièrement complexe
et digne d'intérêt : Est-ce que l'art du Désert doit
être considéré comme un art ethnique ou comme un art
contemporain à part entière?
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