2.2.2 Les dessins pour les anthropologues
De nombreux anthropologues ont étudié les
Aborigènes du désert dès le début du
vingtième siècle. Plusieurs d'entre eux, dont Tindale et
Mountford, attentifs notamment aux dessins de sables, ont demandé
à des Aborigènes de dessiner sur papier avec des crayons
(ILL.23-24). Ces dessins, étudiés comme la forme d'art
précédent directement les peintures contemporaines, sont
topographiques ou mythologiques. On y retrouve à nouveau les signes
traditionnels (Petitjean 2000, 61-2). On peut voir sur certains dessins des
motifs moins habituels car ils ne reprennent pas les signes que l'on a
rencontrés jusqu'ici mais sérialisent une ligne ou un
carré (ILL.25,27). Ces motifs rappellent les peintures de certains
artistes contemporains plus originaux comme Turkey Tolson Tjupurrula
(ILL.26,28)
2.2.3 Les aquarelles d'Hermannsburg
Dans la mission luthérienne d'Hermannsburg, au cours
des années trente, Rex Batterbee, un artiste australien, apprit la
technique de l'aquarelle aux Aborigènes de la mission pour qu'ils
peignent des paysages. Parmi ses élèves, Albert Namatjira adopta
définitivement cette technique et devint le premier artiste
aborigène connu en Australie (ILL.29). A l'époque, il fut pris
comme exemple du bien fondé et du fonctionnement de la politique
d'assimilation. Il présenta sa première exposition solo en 1938
préparant ainsi le terrain aux futurs artistes aborigènes : les
australiens reconnaissaient désormais que les Aborigènes
pouvaient accéder à l'Art. Albert Namatjira, parce qu'il
était reconnu en tant
qu'artiste, fut déclaré citoyen australien
contrairement aux autres aborigènes (Caruana 1994, 106 ; Isaacs 1999,
23). Accéder à l'Art, c'était accéder à une
valeur humaine qui mettait l'Aborigène artiste sur un pied
d'égalité avec les hommes "civilisés" (et donc
"supérieurs") qu'étaient les occidentaux. Namatjira a ainsi
ouvert une porte à ses semblables vers l'humanité reconnue par
les occidentaux. Albert Namatjira mourut en 1959. Une école d'aquarelle
a été fondée en sa mémoire dans la ville
d'Hermannsburg (Isaacs 1999, 23).
Les critiques d'art aborigène ont longtemps
considéré Albert Namatjira comme un artiste en marge, presque
abâtardi par son assimilation volontaire à cette peinture
occidentale au détriment de sa tradition et de sa culture. Une relecture
récente de son travail l'a repositionné à une bonne place
dans l'histoire de l'art aborigène contemporain. Contrairement aux
apparences, Albert Namatjira n'avait pas nié sa culture dans ses
aquarelles. Il choisissait, au contraire, ses paysages non pas pour leur
beauté, mais pour l'importance religieuse et ancestrale des lieux. Il a
trouvé dans cette technique nouvelle un moyen de vénérer
ses ancêtres et de conserver ses traditions religieuses sans subir de
représailles (Caruana 1994, 106). Il est intéressant de remarquer
que c'est le respect de la tradition qui a rendu une valeur artistique aux
oeuvres de cet artiste. On constate à nouveau un des nombreux paradoxes
de la notion d'art contemporaine : ici la tradition est valorisée et
là, la rupture. L'école d'Hermannsburg produit toujours des
aquarelles comme les faisait Albert Namatjira à l'époque
(ILL.30).
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