3.2.2 Tentative de classification
On ne trouve pas, dans la littérature sur le sujet, de
classification nette de l'art du Désert. Certains auteurs donnent
quelques caractéristiques propres à telle ou telle région
mais sans analyse approfondie. Je pense qu'une classification correspondant aux
principaux centres de production est judicieuse et justifiée. En effet,
en observant l'ensemble de la production, on voit que certains
éléments caractérisent telle ou telle provenance. Ces
caractéristiques sont principalement le fruit de l'histoire de chaque
centre de production, par les choix successifs des peintres et l'influence des
conseillers artistiques. L'artiste n'est pas limité par un
académisme régional, on trouve donc dans chaque
centre une production diversifiée mais avec presque toujours un style
dominant. J'ai tenté de mettre en évidence les
éléments qui caractérisent ce style dominant. Sans entrer
dans les détails, cette analyse me semble suffisante pour pouvoir
resituer un tableau (appartenant au style dominant) dans son contexte
grâce à ses caractéristiques formelles.
3.2.2.1 Papunya
Papunya est le lieu du commencement du courant artistique (cf
p.35-8). L'organisme Papunya Tula artists Pty Ltd, créé
sous Geoffrey Bardon, rassemble les oeuvres des artistes de Papunya, et des
artistes pintupi de Kiwirkura et de Kintore9 (communication
personnelle :Petitjean 2002). Les peintures de Papunya Tula ont suivi une nette
évolution. Au début des années septante, les tableaux
(ILL.32-37) sont souvent faits assez grossièrement sur un morceau de
bois trouvé au hasard. Les artistes expérimentent alors ces
nouveaux médiums et cela se sent. Les couleurs sont traditionnelles. La
composition n'est pas toujours bien maîtrisée, on sent des
difficultés pour s'adapter à la forme rectangulaire : les angles
sont souvent laissés vides. On trouve déjà des points chez
quelques artistes mais peu les utilisent pour couvrir tout le fond. Johnny
Warrangula Tjupurrula (ILL.35) est l'initiateur de ce fond de points qui va se
généraliser. Les tableaux, d'abord petits et sur bois, se sont
progressivement aggrandis et l'utilisation de la toile s'est imposée
dès 1975. De 1979 à 1981, Andrew Crocker, alors conseiller
artistique de Papunya, soucieux de faire entrer l'art aborigène dans la
sphère de l'art contemporain, a encouragé les artistes à
faire des très
grands formats. Parallèlement, il a fait des
monographies d'artistes et des fiches d'authenticité semblables à
celles du marché contemporain (communication personnelle 2002 Georges
Petitjean ; Ryan 1989, 24-9).
Aux débuts du courant artistique, des
éléments réalistes comme des figures humaines (ILL.34) et
des instruments rituels étaient représentés mais ils ont
disparu assez rapidement laissant la place exclusive aux signes symboliques,
notamment pour mieux conserver le caractère secret et
ésotérique : les signes symboliques avec leur polysémie
permettent différents niveaux d'interprétation selon les
connaissances (Caruana 1994, 109-10) (cf. p.52-3). Les peintures de Papunya
Tula se caractérisent par la présence quasi systématique
d'un fond de points placés en lignes qui épousent les contours
des symboles géométriques de base comme les cercles et les lignes
(ILL.53). Les compositions sont souvent très organisées
symétriquement. Les couleurs utilisées sont les quatre couleurs
traditionnelles : le noir, le blanc, et les ocres rouges et jaunes.
Actuellement, les points ont tendance à se coller les uns aux autres ce
qui procure à la peinture un effet de texture très particulier et
ce qui, lorsque les points sont blancs, les pousse à l'avant-plan
(ILL.54, 55).
Les femmes de Papunya Tula peignent depuis l'arrivée en
1981 de la conseillère artistique Daphne Williams. Actuellement, leurs
tableaux se caractérisent par l'utilisation de cette texture
particulière dans des couleurs pastel (ILL.56, 57) (Isaacs 1999, 26).
D'autres artistes de Papunya Tula ont fait preuve de plus de
liberté par rapport aux traditions, ils rencontrent d'ailleurs la
désapprobation d'autres initiés
9 Les pintupi du Kintore étaient dans le centre
de Papunya jusqu'à leur libération en 1976 lorsque le
gouvernement mit fin à la politique d'acculturation. Ils sont alors
retournés sur leurs terres d'origine du Kintore (Communication
personnelle: Petitjean 2002).
aborigènes (cf. p. 63). Ce sont, par exemple, Ronnie
Tjampitjimpa (ILL.59), Mick Namarai Tjapaltjarri (ILL.60), Turkey Tolson
Tjupurrula (ILL.61) ou Timmy Payunka Tjapangati (ILL.63). Ils sont partis d'un
signe particulier (ILL.58, 58b, 62) de leur Rêve et le monumentalisent ou
le juxtaposent formant ainsi des oeuvres géométriques et
très abstraites, dans lesquels les initiés qui ne connaissent pas
la démarche ne reconnaissent plus le Rêve (cf. p.62)(communication
personnelle Petitjean 2002).
Dans une production tellement abondante que les
qualités des peintures sont très variées, Papunya s'impose
comme un lieu de production d'oeuvres assez exceptionnelles.
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