3.3.2 Les différents symboles de base
Les tableaux sont composés à partir d'un nombre
assez restreint de symboles, mais chaque symbole peut avoir un sens
différent selon le niveau de lecture et selon le contexte du
récit représenté. Ainsi des cercles concentriques peuvent
être le rocher, point d'eau, village, site où se passe l'action,
ou encore le foyer ou lieu de la halte pendant le voyage...(Peterson 1981,
46)
Cependant, on peut associer à certains symboles leurs
significations les plus fréquentes. Pour cela, j'ai comparé
toutes les explications de tableaux que j'avais à ma disposition
(Nangara 1996 ; Bardon 1991 ;Sutton 1989 ; West 1988 ; Aratjara 1993) :
Les cercles concentriques représentent le lieu à
côté ou sur lequel se déroule l'action. Les lignes
droites reliant ces cercles sont le voyage entre ces lieux. Les formes en U
représentent les hommes et les femmes assis. Ils sont le plus
souvent placés autour des cercles concentriques car ils
sont représentés lors de leur halte sur des sites particuliers.
Voilà pour les principaux éléments, le tableau ci-dessous
explique d'autres signes moins fréquents.
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Etoile
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Empreintes d'émeu
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Arc-en-ciel, nuage, dune
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Coolamons
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Feu,fumée, eau, sang
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Bâtons à fouir
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Eau, serpent, éclair, falaise,
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Boomerang-massue
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Empreintes de goanna ou d'oppossum
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Flèches
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Empreintes de kangourou
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Projecteur de flèche
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Nuages de
tempête, ou vents tournant
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Plantes du bush
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Pour Kandinsky, le point est "l'élément premier
de la peinture" (Kandinsky 1991, 36). Si lui en parle pour sa théorie
de l'art abstrait, nombreux sont ceux qui rattacheraient volontiers cette
phrase à l'art du Désert. Ne qualifie t-on pas cet art
de « dot painting » ? Quelle coïncidence de
constater qu'un peu plus loin dans son texte, Kandinsky dit : "le désert
est une mer de sable exclusivement constitué de points"... (Kandinski
1991, 45). Dans l'art du Désert, les points sont en effet souvent
utilisés comme fond pour la peinture et donnent dans leur succession un
certain dynamisme. Ils ne sont néanmoins pas dénués de
symbolisme : ils peuvent représenter la terre, la
végétation, le sable, la fumée, les nuages, les rayons du
soleil,... (Petitjean 2000, 65). Comme pour les autres symboles, le contexte et
le niveau de lecture déterminent leur signification.
3.3.3 Interprétations des tableaux
On remarque assez vite que beaucoup de ces signes semblent
correspondre à la trace vue du ciel et schématisée que
laissent les hommes, les animaux ou certains phénomènes naturels
sur la terre. Les hommes assis laissent sur le sol une trace en forme de U, les
animaux laissent leurs empreintes, les cours d'eau et les montagnes peuvent
être vues d'en haut comme des ensembles de lignes
ondulées...(Bardon 1991, 131). Ce choix d'une vue d'en haut n'est pas
sans rapport avec la vie traditionnelle des Aborigènes : en tant que
chasseurs, l'observation du sol est primordiale pour débusquer un gibier
et en tant que nomades, il faut connaître la géographie des lieux
pour s'orienter et retrouver les points d'eau, les abris, les lieux
sacrés...Aussi les tableaux sont souvent considérés comme
des sortes de cartes géographiques, de plans du territoire où
sont peints les points et cours d'eau, les montagnes, les sites sacrés
et parfois aussi les différentes végétations. Certes, ces
cartes ne respectent pas les proportions, les orientations ou les distances,
seules les caractéristiques de la région qui sont importantes aux
yeux des Aborigènes dans le contexte du rêve
qu'ils célèbrent sont représentées
(Bardon 1979,10). Il ne faut pas réduire ces peintures à de
simples représentations du paysage : si on peut y voir des
éléments naturels et des traces, ces tableaux vont beaucoup plus
loin dans leur implication religieuse, « ils sont des visions non pas du
paysage mais dans ce paysage »(Green 1988, 47).
Dans un autre contexte, un tableau peut être lu comme
une partition de musique rituelle lors des cérémonies (Dussart
1988,37). Malheureusement, Françoise Dussart donne cette information
sans aucune explication ni référence, et, à ma
connaissance, aucun autre auteur ne mentionne cette interprétation, je
ne peux donc pas développer cette information pourtant fort
intéressante.
Un tableau, comme je l'ai déjà fait remarquer,
célèbre le Rêve dont est responsable le peintre. Mais le
Rêve est, lors des cérémonies, représenté sur
une surface très étendue. Le Rêve peint sur la toile n'est
jamais qu'un fragment de la peinture de sable cérémonielle
épuré de ces éléments secrets (Michaels 1994, 52-
3). L'interprétation que l'on peut en donner est d'autant plus
imprécise que les récits de Rêves rapportés par les
anthropologues sont rares et ont été surtout
récoltés en Terre d'Arnhem, la région tropical au nord de
l'Australie. Le climat de cette région oriente les Rêves vers des
problématiques qui ne sont pas celles des habitants du désert,
les Rêves racontés en Terre d'Arnhem sont trop différents
pour être mis en relation avec les Rêves représentés
dans le désert. Il est donc particulièrement difficile de faire
des rapprochements entre les récits et la peinture, seules les
explications données par les artistes nous sont accessibles. Du peu que
l'on sait des autres niveaux de significations, il apparaît qu'au lieu de
présenter des actions quotidiennes (la récolte de nourriture) ou
des aspects de Rêve que tout le monde connaît, ils
présentent des significations plus profondes sur les
répartitions du Rêve entre plusieurs groupes ou des
épisodes de Rêves où sont livrées les pratiques
rituelles secrètes (Anderson 1989, 118-20).
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