4.2.2 L'authenticité
Le problème de l'authenticité est
également très contradictoire. Une peinture authentique pour les
Aborigènes est une copie de l'original dessiné il y a des
milliers d'années par l'ancêtre. Cette peinture doit être
faite sous les ordres de la personne qui est responsable du Rêve
associé ou en tout cas avec son approbation. L'artiste peut innover mais
sur des points de détails et avec l'accord des autres responsables du
Rêve. L'histoire doit pouvoir être lue par les personnes
suffisamment initiées. S'il n'existe pas d'artiste au sens où on
l'entend, les Aborigènes reconnaissent néanmoins à
certains de leurs pairs des dons particuliers en peinture : par exemple pour
leur grande capacité à tracer des cercles parfaits, à
équilibrer la composition ou à transmettre l'histoire à
travers une image. Il faut savoir que ces règles traditionnelles sont
beaucoup moins respectées pour les peintures destinées à
la vente que pour les peintures cérémonielles (Anderson &
Dussart 1989, 93-101).
Pour le marché occidental, les critères
d'authenticité diffèrent selon que l'on considère l'objet
comme de l'art contemporain ou de l'art ethnique. Pour l'art contemporain,
l'oeuvre doit avoir été peinte par celui qui signe. Or les
Aborigènes ne signent pas car c'est l'ancêtre qui est l'auteur de
l'oeuvre. Le peintre est anonyme. Pour s'adapter au marché, les
signatures se sont développées24 mais c'est souvent le
nom du responsable du Rêve qui est inscrit, peu importe qu'il ait peint
ou non le tableau. De plus, les tableaux sont souvent réalisés
à plusieurs. Comme dans les ateliers de la Renaissance, seul le «
maître »signe (Petitjean
24 Les signatures sont placées très
souvent à l'arrière de la toile.
2000, 163). Pour les arts primitifs, une oeuvre authentique
doit avoir été conçue dans un contexte traditionnel avec
les matériaux et techniques traditionnels. Les objets
pré-coloniaux ou du tout début de la colonisation sont donc
souvent les plus recherchés et les mieux mis en valeur. Les peintures
des Aborigènes du Désert ne répondent pas du tout à
ce critère puisque la transposition depuis les supports traditionnels
à la toile mieux adaptée au marché s'est faite par une
intervention occidentale.
4.2.3 La valeur d'une oeuvre
La valeur d'une peinture pour les Aborigènes se traduit
principalement par l'importance du Rêve qui lui est associé.
D'ailleurs, le peintre devra payer plus de dédommagements aux autres
responsables du Rêve si le Rêve est important (Glowczewski 1991,
309). Cela pose parfois des problèmes car la valeur du Rêve,
inaccessible au galeriste, ne correspond pas toujours à la valeur que
donne le galeriste au tableau, et le peintre ne comprend pas pourquoi il touche
moins d'argent que pour un tableau qui était pour lui de moindre
importance. Le tableau en tant qu'objet n'a aucune valeur pour les
Aborigènes, il ne viendrait à aucun d'eux l'idée
d'accrocher leurs tableaux à un mur25 (Isaacs 1999, 15). Ils
ont d'ailleurs tendance à négliger la toile une fois peinte.
C'est alors aux conseillers artistiques ou aux galeristes de veiller à
mettre la toile en sécurité avant qu'elle ne
25 Seul peindre est important, le résultat est
sans intérêt. Les peintures de sables, dont les tableaux
contemporains sont inspirés, sont d'ailleurs
éphémères. Comme pour les mandalas en Inde, faire le
tableau prime sur l'objet lui-même. Comme les tableaux ne sont pas fait
dans une matière éphémère, les artistes les
apportent aux centres artistiques ou les vendent le plus rapidement possible
pour en être débarrasser (communication personnelle : Petitjean
2002).
soit abîmée par les enfants et les chiens.
(communication personnelle : Petitjean juin 2002).
Pour l'art contemporain, les critères principaux qui
font la valeur d'un artiste et de son oeuvre sont notamment l'innovation et
l'originalité dont l'artiste fait preuve, sa reconnaissance par des
spécialistes renommés et, bien que ce soit en partie nié
à cause du caractère péjoratif d'une oeuvre dite
commerciale, par le succès de l'oeuvre dans le marché de l'art et
notamment lors des grandes ventes aux enchères (Moulin 1992, 47-64).
Tous les arguments et leurs opposés ont servi à justifier la
valeur des oeuvres si diverses jusqu'ici reconnues dans l'art contemporain, il
devient particulièrement difficile de se baser sur des critères
de qualités formelles de l'oeuvre. (Danto 2000, 45 ; Moulin 1997, 46).
On a vu que l'innovation ne correspond pas aux idées que se font les
Aborigènes des tableaux qu'ils peignent, néanmoins certains
artistes ont pris plus de liberté pour leur interprétation
picturale des Rêves et font preuve d'une réelle originalité
(cf. p.62- 6).
Toute cette controverse que suscite l'art du Désert ne
fait-elle pas aussi de lui un art pleinement contemporain dont un souci depuis
Duchamp a souvent été de poser la question : mais finalement
qu'est ce que l'art ? (Danto 2000, 42).
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