C. NOTE D'ETAT CORPOREL ET PROFILS DE CYCLICITE
1) Chez les génisses
Une reprise d'activité ovarienne retardée est
associée à des états corporels insuffisants au moment du
vêlage. Cette situation est rencontrée lorsque les apports
alimentaires dans le dernier tiers de gestation sont insuffisants
(génisses au pré sans complémentation avec vêlage
d'automne). A cette période, le GMQ doit être au moins de 500 g/j
pour assurer les besoins de la gestation [36].
2) Chez les multipares
Il semble difficile d'établir une relation entre le
profil de cyclicité et la note d'état au vêlage. A
l'inverse, la perte d'état en post partum est un facteur de risque mis
en évidence dans plusieurs études. Fréret et al.
[41] trouvent une proportion de vaches ayant une perte supérieure
à 1,5 entre 0 et 60 jours significativement différente selon les
profils. On les retrouve en majorité dans les profils d'absence de
cyclicité ou de phase lutéale prolongée. Cinquante pour
cent des femelles ayant eu une note minimale inférieure ou égale
à 1,5 présentent ce type de cycle (47,4% de celles-ci sont dans
la catégorie "absence de cyclicité" et 41,7% dans la
catégorie "phase lutéale prolongée"). Même si Touze
et al. [97] trouvent un poids vif au vêlage significativement
plus faible chez les vaches en inactivité ovarienne prolongée que
chez les vaches à profil normal, ils ne mettent pour autant pas en
évidence un rôle déterminant de la note d'état.
Opsomer et al. [72], dans une étude sur les
facteurs de risque des dysfonctionnements ovariens en post-partum, mettent en
évidence la perte d'état corporel à trente jours, soixante
jours, et cent vingt jours après vêlage comme facteurs de risque
significativement plus important de l'inactivité ovarienne
prolongée comparativement aux vaches à profil normal et à
phases lutéales prolongées. La perte d'état à
trente et soixante jours multiplie par 18,7 et 10,9 fois (odds ratio) le risque
de manifester une inactivité ovarienne prolongée plutôt
qu'un profil normal. La perte s'élève à 0,26 et 0,29
points au premier et au second mois respectivement pour les vaches
normales et à 0,39 et 0,49 points respectivement pour
les autres. Les auteurs rapportent que l'importance de la note d'état au
vêlage et d'une bien moindre importance comparativement à celle de
la perte d'état pendant les premiers mois de lactation.
Shrestha et al. [90] placent l'état corporel
comme le paramètre le plus impliqué dans la reprise
d'activité ovarienne. Ils trouvent une note d'état corporel
à cinq, sept, neuf et onze semaines post-partum significativement plus
faible pour les vaches présentant une inactivité ovarienne
prolongée. La perte d'état supérieure ou égale
à un point apparaît aussi comme un facteur de risque de retard
d'activité ovarienne en général. Mais la note
d'état dès cinq semaines postpartum est aussi significativement
plus faible pour l'inactivité ovarienne prolongée que pour les
cycles normaux ou les phases lutéales prolongées. Il s'en suit
donc un retard d'ovulation plus important pour les vaches présentant une
perte d'état corporel modérée (0,5 à 1
unité) ou sévère (>1 point) comparativement à
celle perdant peu (<0,5 point) [14, 44].
Dans l'étude de Benaich et al. [8], il existe
une corrélation positive entre la durée de l'intervalle
vêlage reprise d'activité ovarienne et le degré de
mobilisation des réserves corporelles. Il s'agit d'une étude
ayant pour objectif d'évaluer l'effet de la mobilisation des
réserves sur les paramètres de reproduction dans huit fermes (216
animaux) au Maroc. La ferme où les vaches ont le moins mobilisé
leurs réserves corporelles a les paramètres de reproduction les
meilleurs et inversement dans la ferme où les vaches ont le plus
maigri.
L'étude de Disenhaus et al. [22] traite de la
cyclicité en fonction de la production laitière. Les profils de
cyclicité post-partum sont classés différemment. Les
vaches sont classées en 3 catégories : cyclicité normale,
cyclicité anormale et anoestrus selon leurs profils de
progestérone (vu précédemment). La probabilité (le
seuil de significativité ayant été fixé à 10
% par les auteurs) de présenter une anomalie de cyclicité est
augmentée par l'augmentation de la production laitière
corrigée pendant les trois premières semaines (p=0,06), par la
matière sèche volontairement ingérée au cours des
trois premières semaines post-partum (p=0,03), par l'état
d'engraissement au vêlage (p=0,06) et par la perte d'état entre le
vêlage et soixante jours postpartum (p=0 ,06). C'est d'ailleurs
l'interaction entre ces deux derniers paramètres qui a eu un effet
négatif (p=0,06). En ce qui concerne l'anoestrus, le bilan
énergétique des semaines sept à dix en est un facteur de
risque (p=0,07), tout comme les AGNE plasmatiques moyens des semaines quatre
à six et sept à dix (p=0,07 et p=0,04 respectivement) et la
glycémie minimale aux mêmes périodes (p=0,08). En dehors de
ces paramètres métaboliques, on retrouve la
production laitière corrigée des semaines sept
à dix (p=0,02), la perte d'état entre le vêlage et 60 jours
post-partum et le poids moyen des vaches entre la semaine quatre et six
(p=0,05) (tableau 11).
Tableau 11 : Comparaison des caractéristiques
zootechniques et métaboliques de vaches laitières selon leur
profil de cyclicité post-partum [22].
PL : production laitière ; AGNE : acides gras non
estérifiés ; MSI : matière sèche
ingérée ; pp : post-partum
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Etude 1 : anormale vs normale
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Etude 2 : anoestrus vs normale
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Cyclicité
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Anormale n=15
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Normale n=35
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Anoestrus n=14
|
Normale n=35
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Bilan énergétique (UFL/j) 7 à 10
semaines pp
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1,90#177;0,49
|
0,78#177;52
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PL 4% moyenne (kg/j) 7 à 10 semaines pp
|
33,3#177;0,9
|
29,8#177;0,9
|
|
|
PL 4% moyenne (kg/j) 1 à 3 semaines pp
|
|
|
27,0#177;1,1
|
23,1#177;1,1
|
MSI (kg/j) 1 à 3 semaines pp
|
16,1#177;0,7
|
14,2#177;0,6
|
|
|
Poids moyen (kg) 4 à 6 semaines pp
|
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|
559#177;14
|
579#177;13
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Etat d'engraissement au vêlage
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3,27#177;0,11
|
2,78#177;0,13
|
2,9#177;0,1
|
2,9#177;0,1
|
Perte d'état [vêlage-60 jours pp]
|
0,84#177;0,13
|
0,55#177;0,12
|
0,79#177;0,11
|
0,41#177;0,11
|
AGNE max (microM) 1 à 3 semaines pp
|
775#177;85
|
629#177;74
|
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AGNE moyen 4 à 6 semaines pp
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|
314#177;40
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229#177;37
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Glycémie moyenne (g/L) 1 à 3 semaines pp
|
0,664#177;0,018
|
0,695#177;0,015
|
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Glycémie minimale (g/L) 4 à 6 semaines pp
|
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|
0,583#177;0,017
|
0,653#177;0,016
|
Finalement, l'évolution de l'état corporel
influence significativement la reprise et la régularité de la
cyclicité entre 30 et 80 jours post-partum. Il convient de
considérer la perte d'état d'un côté et la note
en elle-même de l'autre. Le risque de présenter une phase
lutéale prolongée ou une
inactivité ovarienne prolongée est plus
élevée chez les vaches perdant plus de 1 à 1,5 point entre
0 et 60 jours ainsi que chez celles présentant une note insuffisante
à 30 jours de lactation (note<2). Une note intermédiaire
(entre 2 et 2,5) diminue le risque d'activité ovarienne
désordonnée. Le risque de reprise de cyclicité anormale
est également élevé pour les vaches en bon état,
voire grasses.
3) Aspect physiopathologique
La régulation endocrine de la reprise d'activité
sexuelle fait intervenir la leptine. Cette hormone est
sécrétée par le tissu adipeux et par le placenta [36] mais
aussi, dans une moindre mesure, par la mamelle, le rumen, l'abomasum et/ou le
duodénum et l'hypophyse [17]. Sa concentration sérique est
associée à la quantité d'adipocytes et à
l'importance des réserves corporelles en graisse. Elle agit sur
l'hypothalamus en favorisant la sécrétion de GnRH ou plus
exactement en limitant son inhibition. L'hypophyse possède
également des récepteurs à la leptine laissant supposer
une action directe. La leptine pourrait ainsi renseigner l'hypothalamus sur les
réserves énergétiques à long terme et sur les
capacités de l'animal à mener à bien la croissance
folliculaire, l'ovulation, et enfin la gestation. Notons que la
leptinémie des génisses est physiologiquement inférieure
à celle des multipares et peut être en rapport avec une reprise
d'activité ovarienne plus tardive chez celles-ci (figure 23) [36].
La leptinémie des vaches commence à diminuer de
quatre à une semaine avant le vêlage, elle atteint un nadir autour
de 3 à 6 ng/ml au cours de la première semaine post-partum
(figure 23) pour réaugmenter ensuite. Cette diminution dès la fin
de gestation/début de lactation résulterait de la diminution de
la prise alimentaire, de la négativation du bilan
énergétique, d'une insulinorésistance, et d'une diminution
de l'état corporel durant cette période [17]. Elle aurait
également comme rôle de diminuer la sensibilité à
l'insuline et la synthèse protéique, de diminuer
l'activité thyroidienne et d'augmenter l'efficacité alimentaire.
Cette activité participe au partage homéorhétique des
nutriments notamment pour favoriser l'approvisionnement de la mamelle
(insulino-résistante, voir plus bas) mais a pour contrepartie un blocage
de la reproduction [17].
Figure 23 : Influence de l'état corporel au vêlage
sur la leptinémie des vaches avant et après vêlage [36].
Note (V) : Note d'état corporel au vêlage.
La leptinémie est donc corrélée
positivement à la note d'état corporel au pic de lactation, les
vaches et les génisses ayant une note d'état corporel
supérieure à trois ont des taux d'Insulin Growth Factor 1 (IGF1)
et de leptine plasmatique plus élevés [17]. De même, la
chute du taux de leptine est plus prononcée chez les génisses et
se met en place plus tardivement chez les vaches grasses. Enfin, les multipares
et les génisses grasses présentent une leptinémie
post-partum supérieure à 5,5 ng/ml et retrouvent une
activité ovarienne cyclique plus tôt contrairement aux
génisses maigres. Un pic de leptine supérieur à 5 ng/ml
est d'ailleurs généralement observé (parallèlement
a une diminution du taux d'AGNE sanguins) une semaine avant le premier pic de
progestérone en post-partum [17].
L'utilisation du glucose est également
déterminante pour la reprise d'activité ovarienne. Il semble
être la principale source d'énergie utilisée par l'ovaire.
Or, certains tissus non insulinodépendants [17]ont alors prioritaires.
C'est le cas du cerveau, du coeur ou de la mamelle. Il est probable que
l'entrée du glucose dans l'ovaire soit insulino-dépendante. Ceci
pourrait également expliquer pourquoi les primipares, plus
insulino-résistante que les multipares présentent des
délais de reprise de cyclicité post-partum plus
longs que les multipares malgré un bilan énergétique plus
favorable, Grimard citée par Ennuyer [36].
Le rôle du déficit énergétique est
également prépondérant. D'un point de vue biochimique, les
vaches en bilan énergétique négatif ont des concentrations
sanguines en IGF1, en glucose et en insuline insuffisantes et des
concentrations d'hormone de croissance et d'acides gras libres
élevées. D'un point de vue physiopathologique, les effets de ce
déficit énergétique sur la pulsatilité de LH
expliquent le retard de la première ovulation après le
vêlage.
La concentration d'IGF1 a été
démontré comme variant dans le même sens que la balance
énergétique [92] ; et en inversement à la production
laitière. Cet accroissement d'IGF1 est également lié
à l'augmentation de la sécrétion de progestérone au
cours du cycle oestral. La réduction du taux d'IGF1 semble
accompagnée d'une réduction d'activité ovarienne et
compromet la croissance et la qualité des follicules [90].
Notons que le déficit est d'autant plus
élevé que les vaches produisent beaucoup (forte expression du
pic), que leur capacité d'ingestion est limitée (cas des
génisses) ou quelles ingèrent moins (pathologie) [36].
Un bilan énergétique négatif
altère donc la sécrétion d'IGF1. Il diminue la taille,
altère la qualité et la croissance du follicule. En outre, ce
follicule est le principal sécréteur d'oestrogènes,
hormones responsables du comportement d'oestrus.
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