B/ La répercussion sur l'ordre juridique de
l'Union européenne
Ce choix de ne pas critiquer ouvertement le règlement
de l'Union européenne est sans doute stratégique, à
l'heure où se poursuivent les négociations relatives à
l'adhésion de l'Union européenne au système conventionnel.
En revanche, ça n'a pas empêché l'organe juridictionnel de
l'Union d'appliquer les leçons données par la Cour
européenne des droits de
43 Déclaration publique relative à la
Grèce, Strasbourg, 15 mars 2011, CPT/Inf (2011) 10.
l'Homme. La machine de la coopération européenne
est en marche, alimentée par le pouvoir juridictionnel.
En effet, la Cour de Justice de l'Union européenne
réunie en Grande Chambre, a rendu un arrêt le 21 décembre
2011, à l'occasion de l'affaire N.S contre Secretary of
State44. A l'origine, la Cour devait se prononcer sur le cas de
demandeurs d'asile afghans, iraniens, algériens arrêtés au
Royaume-Uni et en Irlande après y être entrés
illégalement en transitant par la Grèce. Conformément au
Règlement de 2003, les autorités des deux pays avaient
transféré les intéressés vers la Grèce, pays
désigné comme compétent pour traiter leurs demandes. Les
intéressés ont fait appel en alléguant que leurs droits
fondamentaux risquaient de ne pas y être respectés. La Cour leur a
donné raison. Elle a estimé notamment que les Etats membres ont
l'obligation de ne pas transférer un demandeur d'asile vers un Etat
membre désigné comme responsable par le règlement
lorsqu'ils « peuvent avoir des motifs sérieux et
avérés de croire que le demandeur courra un risque réel
d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants
» au sens de la Charte des droits fondamentaux. La Convention n'est ici
pas une référence, la Cour préférant renforcer ses
lignes en invoquant son catalogue des droits, qui est une source de droit
positif de l'Union depuis l'entrée en vigueur du Traité de
Lisbonne en 2009.
La Cour de Justice de l'Union européenne a même
pris les devants en évoquant le comportement à adopter par les
Etats lorsque le règlement leur impose de renvoyer un demandeur d'asile
vers un pays où les risques de violation de la Charte sont réels.
Effectivement, la Cour a indiqué que, sous réserve d'examiner
lui-même la demande, l'Etat membre qui devait transférer le
demandeur vers l'Etat membre responsable et qui se trouve dans
l'impossibilité de le faire, doit examiner les autres critères du
règlement « afin de vérifier si l'un des critères
ultérieurs permet d'identifier un autre Etat membre comme responsable de
l'examen de la demande d'asile ». Cet examen ne doit pas avoir « une
durée déraisonnable » qui aggraverait la situation de
violation des droits fondamentaux du demandeur. Au besoin, l'Etat membre devra
donc examiner lui-même la demande.
Confirmant la position de cet arrêt, qui fait
lui-même écho à la jurisprudence de l'Union
européenne, le CPT a rendu publique une déclaration relative
à la Grèce en mars 201145.
44 CJUE, Gr. Ch;, 21 décembre 2011, N.S.
contre Secretary of State for the Home Department & M.E. et
aliicontre Refugee Applications Commissioner, Minister for Justice,
Euquality and Law Reform, affaires jointes C-
411/10 & C-493/10.
45 Déclaration publique relative à la
Grèce, Strasbourg, 15 mars 2011, CPT/Inf (2011) 10.
Il ne fait aujourd'hui aucun doute que la coopération
européenne produit des effets positifs, ici pour encourager la
Grèce à revoir son système concernant la rétention
des étrangers en situation irrégulière, avec l'aide de
l'Union européenne. Cette dernière ne peut plus, sans risque pour
les droits de l'Homme, continuer à estimer que tous ses Etats membres
offrent une protection équivalente à ces droits.
L'article 3 de la CEDH a donc permis une protection des droits
des demandeurs d'asile sans équivalent ni dans le droit des Etats
partis, ni dans le droit de l'Union européenne, mais cette armature est
encore consolidée par l'activisme de la Cour européenne.
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