Section II
UNRWA, Six Décennies d'Aide aux
Réfugiés Palestiniens.
§1- Quel bilan tenir de l'UNRWA, 62 ans Après
sa Création ?
Le Décembre 2011 va marquer le soixante deuxième
anniversaire de l'UNRWA, c'est une occasion sans aucun doute désolante
en raison de tout ce temps passé sans trouver de solutions pour le
problème des refugiés palestiniens, mais en même temps,
c'est une occasion pour évaluer les défis de l'Agence et ses
réalisations au cours de ces six décennies de travail aux
côtés de millions de réfugiés palestiniens.
L'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les
réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), a
accompagné les réfugiés palestiniens pendant les
périodes de conflits et de crises, les périodes d'espoir et de
longues années de déception. Il s'agit en fait d'une relation
sans précédent dans les annales de l'aide humanitaire et de
développement.
En effet, le paradoxe entre la nature temporaire de cette
agence et la durée de son mandat, illustre le caractère
extraordinairement complexe et unique du problème des
réfugiés palestiniens.
Conformément à la résolution 393 (V) de
l'Assemblée générale, l'UNRWA a passé ses six
premières années, concentrée sur la question de la
réinsertion des « réfugiés de Palestine » dans
la vie économique de leur pays hôte. Toutefois, au cours de cette
période, il est devenu évident à l'Agence que ces
programmes n'ont pas pu tenir la promesse d'améliorer significativement
la situation humanitaire et économique des réfugiés
Palestiniens.
Cela s'est traduit par le passage progressif des programmes de
l'Agence, de la réinsertion aux travaux de secours et de
développement des ressources humaines. Au fil des ans, son mandat semble
avoir évolué de manière flexible en fonction des
évolutions dans la région, et s'est plié aux besoins
générés par chaque situation. Il apparaît
également que la communauté internationale n'a pas
hésité à confier des responsabilités plus larges a
l'UNRWA, qu'il s'agisse
39 L.Takkenberg «The search for durable solution for
Palestinian refugees», Max Planck Institute for Comparative Public Law
and International Law, «Israel and the Palestinian refugees»,
(2007), p.382.
de ses programmes, la gamme de ses activités ou les
catégories de ses bénéficiaires. La position de l'Agence a
toujours été que son mandat est souple, et donc facilement
adaptable pour répondre aux urgences qui se présentent.
À la fin des années 1950, l'Agence avait
établi un modèle primaire pour ses activités axées
sur la formation professionnelle, l'auto-assistance, l'enseignement primaire,
les soins de santé primaires et les secours continus pour les
réfugiés dans le besoin. Ces interventions humanitaires ont
été mises au point pour former les trois programmes
réguliers de l'Agence: l'éducation, la santé et les
secours, les services sociaux, ainsi que son programme spécial pour la
micro entreprise et la micro finance. En fait, il était devenu clair
à partir du milieu des années cinquante, que le
développement général de la situation au Moyen-Orient
augure mal pour un règlement imminent de la question des
réfugiés; un éventuel retour des réfugiés
devenait problématique avec la croissance et la consolidation de
l'État d'Israël et le refus catégorique de la
réinstallation permanente des réfugiés dans leur pays
d'accueil. L'UNRWA a donc choisi la seule option qui lui reste ouverte, se
concentrant sur l'éducation et la formation des
réfugiés.
En mettant l'accent sur la formation individuelle, l'Agence a
pu donner les moyens d'assurer un avenir aux réfugiés qui y
virent le seul instrument de mobilité sociale politiquement acceptable.
Ce pari sur le développement humain mis en oeuvre en collaboration avec
l'UNESCO, a facilité jusqu'à nos jours la réinsertion
professionnelle de bon nombre de refugiés en tant qu'employés
locaux de l'UNRWA ou comme main-d'oeuvre qualifiée, dans les pays du
Golfe notamment. Jusqu'à la fin des années 1980, le mouvement
migratoire ainsi initié constitua une véritable planche de salut
pour l'UNRWA puisque, tout en permettant de réduire le nombre de
réfugiés à sa charge, il permit aussi d'élever le
niveau de vie des familles des réfugiés migrants restés
dans le pays d'accueil40.
Avec cette dimension humaine tournée vers
l'éducation, vers la santé et les services sociaux, l'UNRWA a pu
s'adapter aux épreuves et tribulations qui ont marqué la
région depuis plus d'un demi-siècle.
Au lendemain de la guerre de 1967, la communauté
internationale a demandé à l'UNRWA d'aider les personnes
déplacées ayant besoin d'assistance. L'agence a ainsi
élargi son mandat pour couvrir une catégorie de Palestiniens qui
n'étaient pas des réfugiés de 1948 ; après 1967,
lorsque l'ancienne Palestine mandataire a passé dans son
intégralité sous le contrôle d'Israël, l'UNRWA a
émergé de plus en plus comme l'expression tangible de la
communauté internationale dans sa préoccupation de l'ensemble des
palestiniens et non seulement des réfugiés de 1948.
Ce souci de confier à l'Agence les problèmes
humanitaires de la population palestinienne est devenu évident pendant
l'invasion israélienne du Liban. En fait, l'UNRWA a entrepris de
surveiller la sécurité des réfugiés palestiniens
dans les territoires Libanais, a fait parfois des déclarations publiques
sur la situation et pris des mesures appropriées avec le gouvernement
d'Israël et les divers membres du Conseil de Sécurité pour
la protection des réfugiés41.
40 Voir l'article de H. El Najjar, "Planned Emigration: The
Palestinian Case". International Migration Review, (1993), vol. 27,
n°101, p. 34-50.
41 L.Takkenberg, «The Status of Palestinian Refugees in
International Law», Oxford, Clarendon Press, (1998), p.282.
Également, dans sa résolution 37/120 du 16
Décembre 1982, l'Assemblée générale a
demandé au Secrétaire général, en
coopération avec l'UNRWA, de délivrer des cartes d'identification
à tous les réfugiés de Palestine et de leurs descendants,
indépendamment du fait qu'ils soient bénéficiaires ou non
des rations et des services de l'Agence ; ainsi qu'à toutes les
personnes déplacées et à celles qui ont été
empêchées de retourner dans leurs foyers à la suite des
hostilités de 1967, et de même pour leur
descendants42.
Avant ce point, l'Agence avait décidé
d'émettre auprès des réfugiés enregistrés
des cartes d'enregistrement individuelles pour remplacer les cartes de
familles, mais cette décision n'a pas pu être mise en oeuvre en
raison du manque de coopération de nombreux pays dans lesquels les
réfugiés avaient pris résidence au fil des
années43.
L'Intifada de 1987-1993 a été la deuxième
occasion dans laquelle l'UNRWA a été appelée à
mettre en oeuvre des activités de protection passive44 en
relation avec les réfugiés de Palestine. Cela est arrivé
par le biais de la résolution 605 du 22 Décembre 1987 du Conseil
de sécurité, qui, après avoir pris note et
déploré vivement les violations israéliennes des droits de
l'homme du peuple palestinien vivant dans les territoires palestiniens
occupés, a demandé au Secrétaire général
d'évaluer la situation et de se rapporter aux recommandations du Conseil
de sécurité sur les voies et les moyens d'assurer la
sécurité et la protection des civils palestiniens sous occupation
israélienne45. En vertu de cette résolution, et suite
à un rapport46 présenté par le
Secrétaire général au Conseil de sécurité,
l'UNRWA a établi un Programme d'agence des affaires des
réfugiés chargé de l'aide humanitaire des victimes de la
violence résultant de l'insurrection des populations des territoires
occupés de la Cisjordanie et Gaza .
L'avènement de l'autonomie palestinienne,
consécutive aux accords d'Oslo de septembre 1993, a eu pour
conséquence d'accentuer cette dimension "développementaliste" de
l'action de l'agence onusienne. En décembre de la même
année, l'AGNU chargeait en effet l'UNRWA de contribuer de façon
décisive à imprimer un nouvel élan à la
stabilité économique et sociale des territoires
occupés47. Le "Programme pour la Mise en OEuvre de la Paix"
(ensemble de mesures visant à stimuler l'emploi et à
développer l'infrastructure physique et sociale des camps, qu'adopta
alors l'UNRWA), vise aujourd'hui encore à améliorer la situation
économique de ces territoires désormais autonomes, en soutien
à l'ANP48. Cette nouvelle orientation met alors en
perspective l'évolution de la dimension politique informelle du mandat
de l'UNRWA.
Initialement chargé d'assurer la
réintégration massive des réfugiés, synonyme
d'éradication de la notion même d'identité
palestinienne, l'Office se retrouvait 62 ans plus tard impliqué
42 Voir, résolution (37/120 I) de l'AGNU, (1982), UN Doc.
A/RES/37/120 I, paragraphe 2.
43 Voir, L.Takkenberg, «The Status of Palestinian Refugees
in International Law», Oxford, Clarendon Press, (1998), p. 283.
44Terme utilisé par le HCR.
45 Résolution du Conseil de sécurité, 605,
(1987), UN Doc. S/RES/605, paragraphe 6.
46 UNSG, Report Submitted to the Security Council by the
Secretary-General in Accordance with Resolution 605, (1987), UN Doc. S/19443
(1987), paragraph 28.
47 Résolution 48/40: "Aide aux réfugiés de
Palestine", (13 décembre 1993).
48 Voir Rapport du Commissaire général de l'UNRWA,
(19 juillet 1993-30 juin 1994), p. 2, par.5.
officiellement dans le processus de construction étatique
en marche en Cisjordanie et dans la bande de Gaza49.
Finalement et malgré son mandat limité, l'UNRWA
reste un organisme unique au sein du système des Nations Unies.
Conçue au début comme une organisation temporaire, avec
l'échec des mécanismes de l'ONU visant à traiter les
questions politiques du problème de la Palestine, l'UNRWA s'est
métamorphosée et a dü se réorienter dans une agence
à tout faire.
L'évolution de l'agence et la gamme de ces services
montrent qu'en l'absence d'une solution juste et durable au problème des
réfugiés, la situation dans laquelle l'organisme a
été créé a changé de façon
spectaculaire, et l'UNRWA n'est plus considérée comme une agence
temporaire visant à implanter les refugiés dans leur pays
d'accueil.
Après soixante deux ans de fonctionnement, l'UNRWA est
parvenue à représenter une sorte de stabilité dans la
région et est restée opérationnelle principalement parce
que le problème des réfugiés est resté actuel. La
présence de l'organisme continue d'être essentielle pour
répondre aux besoins humanitaires d'une population de
réfugiés palestiniens sans cesse croissante.
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