III- Performance et solidité des banques
tunisiennes
Les développements qui suivent sont en rapport avec la
gestion des établissements bancaires et avec leur gouvernance. Le
premier constat qui s'impose et sur lequel il y a une quasiunanimité est
celui relatif à la qualité de l'information produite et
divulguée. Les banques tunisiennes apparaissent ainsi comme étant
très conservatrices dans ce domaine. Les documents produits
s'intéressent davantage aux informations patrimoniales, à la
solidité des garanties réelles ou personnelles produites, qu'aux
capacités de remboursement et à la situation financière
future des entreprises financées. Les projections sont effectuées
mais rarement prises en compte de manière décisive.
La situation financière projetée est
pénalisante lorsqu'elle est mauvaise mais
rarement déterminante lorsqu'elle est bonne. L'ancienneté de
la relation ainsi que la qualité du
patrimoine sont les éléments décisifs.
Lorsque ces conditions sont satisfaites, les relations sont jugées
plutôt bonnes.
La prépondérance des garanties dans les
décisions de financement bancaires pourrait s'expliquer par les carences
observées au niveau de l'information financière en
général (bilans non certifiés, des rapports annuels non
fournis) ainsi que par la quasi indisponibilité de l'information sur la
qualité du crédit (l'indice de divulgation d'information sur les
entreprises est égal à 5/10). Il semble également que le
non respect des règles de droit (score égal à 3 pour
l'année 2012) constitue l'une des raisons principales pour l'utilisation
jugée excessive des garanties, par l'ensemble des entreprises ayant
participé au q uestionnaire sur les réformes du secteur
financier.
Le tableau 8 laisse appara»tre un taux de recouvrement (%
du montant récupéré par le créancier en cas de
faillite) de l'ordre de 52,2 %. Ce taux semble assez satisfaisant
comparativement aux autres pays d u panel. Néanmoins cela traduit en
premier lieu la forte utilisation des garanties et la faible prise de risque
par les banques.
Pour sortir de cette impasse, deux axes d'amélioration
peuvent être envisagés. Le premier consiste à
améliorer l'offre d'information sur les entreprises et sur leur
solvabilité. A titre d'exemple, le lancement de bureaux de
crédits privés à l'instar des autres pays devrait
permettre de renforcer les capacités d'évaluation des banques et
de discipliner l'ensemble des opérateurs.
En second lieu, les banques doivent être
encouragées à rendre l'offre de crédit plus sensible au
risque. Autrement dit, elles sont appelées à prendre plus de
risques (mesurés) et à faire preuve d'esprit entrepreneurial
(voir questionnaire). Une des pistes à envisager de manière
approfondie consisterait à développer la fonction ÇEtudes,
analyses et prospectivesÈ au sein des institutions bancaires.
Tableau 8: Evaluation de risque et information
2012
Pays
|
Egypte
|
Jordanie
|
Malaisie
|
Maroc
|
A. du Sud
|
Tunisie
|
Turquie
|
Indice de divulgation d'information sur les entreprises (de 1
à 10)
|
3
|
5
|
10
|
6
|
8
|
5
|
9
|
Taux de recouvrement
|
17,7
|
27,2
|
44,6
|
38,3
|
35,2
|
52,2
|
22,3
|
(%)
|
|
|
|
|
|
|
|
Règle de droit (0 à 10)
|
3
|
4
|
10
|
3
|
10
|
3
|
4
|
Couverture par des 13,7 0 83,4 14,6 54,7 0 60,5
bureaux de crédit
privés (% adultes)
Source : Doing business, 2012.
La qualité de la gestion opérationnelle des
banques et de la mise en Ïuvre des ressources semble être
raisonnable. Le tableau 9 retrace l'évolution dans le temps, du
coefficient d'exploitation (rapport: charges d'exploitation/Produit net
bancaire.) pour le même groupe de pays. Les charges d'exploitation
contiennent notamment les charges salariales, les dotations aux amortissements
et aux provisions ainsi que les autres charges. Le PNB est en gros égal
à la différence entre intérêts percus et
intérêts servis.
Ce coefficient a atteint 33% pour la Tunisie en 2009 et a
présenté un niveau moyen de 56% sur la dernière
décennie. Seule la Turquie présente un ratio de meilleure
qualité en 2009. Soulignons tout de même que la faiblesse de ce
ratio peut être due non pas à la faiblesse des charges et à
l'optimalité de la gestion mais plutôt à l'importance du
PNB qui est le résultat de taux d'intérêts
élevés. La faiblesse des taux de provisionnement des prêts
non performants qui a atteint 58% en Tunisie contre 74% au Maroc (tableau 13)
peut être une seconde explication.
Tableau 9. Coefficient d'exploitation
|
2003
|
2004
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
Moy. (10ans)
|
Egypte
|
0,484
|
0,575
|
0,527
|
0,588
|
0,533
|
0,478
|
0,425
|
0,517
|
Jordanie
|
0,615
|
0,582
|
0,421
|
0,447
|
0,439
|
0,428
|
0,419
|
0,522
|
Malaisie
|
0,373
|
0,374
|
0,391
|
0,382
|
0,404
|
0,430
|
0,461
|
0,407
|
Maroc
|
0,641
|
0,593
|
0,655
|
0,546
|
0,483
|
0,418
|
0,360
|
0,565
|
Tunisie
|
0,725
|
0,728
|
0,627
|
0,561
|
0,476
|
0,396
|
0,331
|
0,562
|
Turquie
|
1,126
|
0,812
|
0,598
|
0,656
|
0,514
|
0,389
|
0,297
|
0,719
|
Source : Banque mondiale, Financial Development and structure
Database
Cette même conclusion peut être également
établie en considérant non pas un indicateur de
l'optimalité de l'exploitation mais une mesure de la rentabilité.
Il s'agit en l'occurrence du score Z qui est en fait une mesure
normalisée de la rentabilité des fonds propres des banques.
Formellement ce score est égal au rapport:
(Rentabilité des fonds propres - Rentabilité
moyenne des fonds propres) / Variabilité des Rentabilités
Le niveau du Z score semble être plus faible que pour
les autres pays à l'exception de l'Egypte indiquant une plus grande
fragilité du système bancaire tunisien. L'évolution
à la baisse (donc une fragilité accrue) de ce score peut
être expliquée par deux phénomènes qui sont :
- Le niveau élevé des provisions
pratiquées durant les cinq dernières années. Ces
provisions additionnelles concernent les prêts non performants. En effet,
sous la pression du FMI, les autorités monétaires ont
été acculées à réduire les taux des
prêts non performants et à augmenter les taux de provisionnement
(les objectifs annoncés étaient respectivement de moins de 15%
pour les PNP et de 70% pour les provisions). Ceci a eu pour effet d'augmenter
la volatilité des revenus.
- L'effort de recapitalisation (augmentation du capital social,
mises en réserves des bénéfices) qui implique une baisse
du ROE et par conséquent du Z score.
Tableau 10. Z-score : Solidité du système
bancaire
|
2003
|
2004
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
Moy. (10 ans)
|
Egypte
|
10,4
|
8,5
|
4,4
|
6,6
|
4,8
|
3,4
|
2,4
|
6,7
|
Jordanie
|
10,9
|
15,6
|
13,7
|
17,7
|
15,8
|
14,7
|
13,7
|
13,1
|
Malaisie
|
11,7
|
12,3
|
14,8
|
13,7
|
13,4
|
10,3
|
8,0
|
11,4
|
Maroc
|
10,3
|
18,2
|
24,8
|
24,5
|
9,7
|
22,0
|
-
|
15,9
|
Tunisie
|
14,4
|
10,6
|
13,4
|
7,4
|
8,5
|
7,6
|
6,7
|
11,9
|
Turquie
|
-
|
-
|
-
|
6,7
|
13,6
|
17,1
|
21,4
|
14,7
|
Source : Banque mondiale, Financial Development and structure
Database
IV- Presence l'international et concurrence marocaine sur
le continent africain:
Les premières installations de banques tunisiennes
à l'étranger datent du milieu des années 70 avec la
création de l'Union Tunisienne de Banque (UTB, à l'initiative de
la Banque Centrale de Tunisie) en 1977 à Paris. Dix ans plus tard, la
Société Tunisienne de Banque a créé la Banque
sénégalo-tunisienne (BST), une autre au Liban, et a pris une
participation dans une
banque au Burkina Faso.
Depuis, les banques tunisiennes n'ont pas étendu leur
présence à l'international, et ont même reculé. La
BST a été rachetée en janvier 2007 par Attijari Wafa Bank,
et la filiale libanaise de la STB a été cédée
à des investisseurs Libyens. Seule l'UTB continue à exister.
A l'inverse, les banques marocaines ont mis en place une
véritable stratégie d'internationalisation, notamment en Afrique
francophone subsaharienne. Menées par Attijari Wafa Bank, la BMCE et le
groupe Banque populaire, les institutions financières marocaines ont
conquis plusieurs pays africains à l'instar du Sénégal (ou
il détiendrait plus que 60% du total bilan des banques du pays), le
Madagascar, Le Kenya, l'Ouganda, l'Ile Maurice, la Guinée, la
République Centrafricaine, et la Mauritanie. Leurs activités
s'étendent à tous les instruments de financement: investissement,
leasing, banque de détail et les banques d'affaires.
La présence des banques tunisiennes à
l'étranger, tant souhaitée par les opérateurs tunisiens
(du moins ceux qui ont participé au questionnaire) a été
handicapée par divers facteurs. Il a été souvent
avancé que la faible taille de nos institutions financières
constitue le principal obstacle à l'internationalisation. Nous pensons
au contraire que c'est gr%oce à une stratégie
d'internationalisation agressive que les banques tunisiennes pourraient
atteindre des tailles importantes leur permettant chemin faisant
d'améliorer leur efficience.
Par ailleurs, il semble que l a stratégie
d'internationalisation des banques marocaines a été
motivée essentiellement par un souci de recherche de rentabilité
suite à la réduction des marges d'intermédiation sur le
marché domestique (après l'arrivée des banques
étrangères et la dérèglementation du marché
bancaire). Comme nous l'avons mentionné plus haut, cette
internationalisation a été financée essentiellement par
l'émission d'emprunts obligataires et par la mise en place, de la part
de l'Etat marocain, des lignes de crédits.
En Tunisie, l'importance des marges d'intermédiation et
le contrôle serré de la BCT (encadrement des conditions d'octroi
du crédit), font que les Banques ne sont pas incitées à
rechercher d'autres marchés.
Nous pensons que la libéralisation des marges bancaires
et un désengagement graduel et planifié de la BCT pourrait
conduire à une réduction des taux d'intérêts du fait
de la concurrence qui s'instaurerait. Ce phénomène aurait
inévitablement pour conséquence la mise en Ïuvre
d'opérations de restructuration (fusions) et se traduirait par
l'émergence de stratégies d'internationalisation.
Soulignons enfin que l'Etat tunisien a un grand rTMle à
jouer dans cet effort d'internationalisation qui est porteur de grandes
potentialités en matière d'emploi. L'une des mesures les plus
urgentes à prendre, et qui est réclamée par les
opérateurs, consisterait à mettre en place une ligne de
crédit (méme modeste au début) gérée par les
banques et mise à la disposition des entreprises travaillant notamment
sur les marchés d'Afrique subsaharienne. Une telle ligne de
crédit mettrait les entreprises sur le méme pied
d'égalité que leurs homologues d'autres nationalités et
permettrait aux banques tunisiennes de se familiariser graduellement avec un
environnement totalement différent de celui local.
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