La volonté artistique est très claire au sein
du projet zinneke mais de nombreuses difficultés en découlent.
Le principal investissement qui a été
réalisé pour assurer un résultat artistique fut
l'augmentation de l'équipe de coordination artistique. La
réussite de ce choix s'est avérée très
inégale selon les zinnopôles (Cf. chap. 3.2.2.2.). Plusieurs
éléments sont intervenus :
? Le choix des artistes ne s'est pas toujours
avéré judicieux. Il est important de rappeler qu'aucun appel
d'offre n'a réellement été lancé pour choisir les
coordinateurs artistiques. Une grande partie d'entre eux ont été
appelés par le coordinateur artistique de chaque zinnopôle de la
parade précédente, participant lui-même au projet à
la suite de rencontres plus ou moins fortuites.
La coordination artistique nécessite pourtant un grand
nombre de
qualités déjà décrites au point
3.1.5., à la fois artistiques et relationnelles
qu'il n'est pas
facile de trouver chez une même personne. De fait, plusieurs
108 Interview de Sonia Saurer du 2/02/04
artistes se sont révélés mal choisis pour
accomplir ce travail de coordination
tantôt par un manque
d'écoute des participants et de flexibilité, tantôt
par
manque de créativité, tantôt par un caractère
trop lunatique qui convient
difficilement au travail de groupe ... La sélection
aurait sans aucun doute düêtre prise plus au
sérieux, même si les artistes acceptant de s'investir dans ce
type de travail pendant un an voire plus ne courent pas les
rues. Il est en effet important de signaler que les artistes restent dans le
zinneke pendant une ou deux éditions mais rarement plus car ils ont
souvent besoin d'exprimer leur créativité de façon plus
directe et satisfaisante. Ce renouvellement des équipes, s'il n'est pas
facile à gérer, permet d'apporter toujours du sang neuf à
la Zinneke et d'éviter les risques de routine, folklorisation et perte
de créativité liés au maintien d'une même
équipe109.
· Il est évident que le travail de coordinateur
artistique n'est pas facile à gérer pour un artiste. Sa condition
difficile d'artiste l'oblige à garder un pied dans le milieu artistique
où il travaille habituellement. Il doit donc souvent s'engager
parallèlement dans d'autres projets que la Zinneke pour ne pas sortir du
circuit. De plus, il travaille dans un projet qu'il ne maîtrise pas
vraiment, devant générer la créativité chez
d'autres personnes souvent peu avancées artistiquement. Sa position de
coordinateur artistique l'éloigne du terrain de la création : il
doit écouter les nombreux projets et les tirer artistiquement vers le
haut par la suggestion d'idées, mais en peu de temps et sans rien
imposer. Certains artistes se sentent cependant mieux dans l'articulation des
éléments à leur disponibilité que dans la
création même de ces éléments, ces artistes,
malheureusement plutôt rares, trouvent dans la Zinneke Parade un
très bon contexte de travail.
· L'artiste doit également mettre un concept
global au point à partir des projets et assumer la frustration que le
résultat final n'ait plus grand-chose à voir avec ce concept.
L'artiste est donc souvent frustré de ne pas diriger l'évolution
des projets ni de pouvoir s'investir réellement dans un projet.
· Face à cette frustration, plusieurs
coordinateurs se sont investis dans la mise en place d'une zinnode
parallèlement à leur travail de coordination. Ce fut une source
de problème car les artistes n'avaient à l'approche de la
parade
109 Interviews de Luk Mishalle du 1/04/04 et de Myriam Stoffen
du 11/02/04
plus le temps de se consacrer à la coordination du
zinnopôle tant ils étaient absorbés par la
réalisation concrète de leur zinnode avec ses problèmes
techniques et ses surprises de dernière minute. Leur rôle
consistant à trouver des solutions aux faiblesses artistiques des autres
zinnodes n'a pas pu être correctement tenu.
· Le point qui met tout le monde d'accord est la
nécessité de faire intervenir les artistes pendant la
préparation des dossiers. En effet, c'est à ce moment clé
que les projets se mettent en place dans la tête des partenaires et
l'intervention d'artistes permettrait de surélever artistiquement les
projets dès leur conception initiale. Les artistes employés de
septembre à septembre arrivent actuellement après
l'écriture des dossiers. Un engagement, même sur une courte
période, plus tôt dans le processus n'a pas encore eu lieu faute
de moyens. L'équipe de l'asbl, sa directrice artistique en tête,
estime maintenant ce besoin trop évident pour passer une fois de plus
à côté et les moyens doivent être trouvés pour
la prochaine édition de la parade afin d'y remédier.
· C'est également par manque de communication
claire que plusieurs coordinateurs n'ont pas bien accompli le rôle qui
leur avait été attribué. Vu les affirmations divergentes,
je ne peux dire si l'explication du rôle au moment de l'engagement
n'était pas claire ou si plusieurs artistes ont interprété
le rôle à leur manière. Peu importe la cause, le
résultat fut le même : plusieurs artistes sont complètement
passés à côté du travail que l'on attendait d'eux.
Les différentes réunions ayant pour but de clarifier leur
rôle n'ont eu qu'un effet limité ou sont arrivées trop
tard. Il ne fut pas des plus judicieux que la réunion la plus explicite
sur la définition du poste ait été faite en l'absence des
artistes au cours d'une réunion d'agent Z. Il est cependant clair que
les agents Z n'ont pas toujours un pouvoir sur des artistes qui non seulement
sont engagés directement par l'asbl et pas par le zinnopôle mais
ont souvent une dizaine d'années voire une vingtaine de plus qu'eux.
· Un certain manque de décision s'est fait
nettement sentir au cours du processus (cf. 4.6.). En effet, malgré les
avertissements des agents Z sur les dysfonctionnements de certains
coordinateurs artistiques, l'équipe n'a pas
proposé de solutions concrètes ou alors trop
tard110. Le manque d'autorité de l'équipe a permis
à un coordinateur artistique engagé par l'asbl de partir en plein
milieu du processus et son absence s'est révélée difficile
à gérer pour le reste du zinnopôle. Laisser ainsi les
artistes faire à leur guise en se disant que l'on règlera les
problèmes lors des évaluations n'est sans doute pas la meilleure
façon d'aborder les difficultés : les tensions sont ressenties
par les partenaires et les agents Z et ils risquent de se décourager et
de ne pas renouveler leur participation.
Si des différences dans le mode de travail de la
coordination artistique sont normales111, certains fonctionnements
ont réellement posé des problèmes.
Ainsi, le comportement extrême de se placer uniquement
en consultance, ne veillant qu'à une cohérence d'ensemble du
zinnopôle, comme ce fut le cas au sud, eût pour conséquence
une très mauvaise intégration des coordinateurs artistiques au
sein des zinnodes112. Ils y furent considérés comme
des inspecteurs un peu hautains se permettant de juger des projets qu'ils
n'avaient absolument pas soutenus. Le manque de solutions pratiques aux
problèmes qu'ont pu rencontrer les partenaires de terrain a
également contribué à une mauvaise interaction avec les
coordinateurs artistiques. Au sein de ce zinnopôle, ce sont les artistes
de terrain engagés dans chaque zinnode qui ont permis un niveau
artistique fort mais ils n'ont cependant que peu suscité la
créativité de la base. Ces artistes ont été souvent
mal payés vu le manque de moyens de associations et ont eu une
reconnaissance bien moindre par rapport à la coordination artistique au
sein des médias et des publications zinnekes113. C'est face
à ces problèmes que l'idée qu'une enveloppe artistique
soit à la disposition du zinnopôle à la place des trois
coordinateurs artistiques peut-être
110 Interview de Virginie Noël du 1/07/04, de Sylviane de
Ribaucourt du 23/06/04 et de Nasha de Winne du 5/07/04
111 Ces différences sont à la fois liées
aux différentes personnalités des artistes et aux
différents partenaires avec lesquels ils travaillent. L'équipe de
l'asbl ne veut d'ailleurs pas imposer un mode de fonctionnement défini,
se satisfaisant des diverses méthodes tant qu'elles atteignent les
objectifs de la Zinneke.
112 A part bien sûr celles qu'ils dirigeaient directement
en tant que meneur de projet
113 Interview de Virginie Noël du 1/07/04
vue comme une bonne solution pour assurer la présence
d'artistes selon les besoins spécifiques de chaque zinnopôle aux
différentes étapes de préparation114.
La définition du projet comme artistique, tout en
voulant le faire venir d'un travail social, pose le problème de savoir
à quel point l'artistique peut servir de critères d'exclusion. En
effet, plusieurs groupes, chaque année, ont un niveau artistique plus
faibles que les autres. Au milieu des répétitions
générales et de la parade, ils s'en rendent souvent compte
eux-mêmes. Cela peut les motiver à intensifier leur travail
artistique et la collaboration avec la coordination dans le peu de temps qu'il
leur reste avant la parade ou pour la Zinneke prochaine. Plusieurs groupes ont
en effet étonnamment surpris les coordinateurs en progressant de
façon assez extraordinaire sans que rien n'ait pu le laisser deviner.
Par contre, certains groupes, réalisant leur faiblesse perdent courage
et défilent avec une certaine honte qui gâche tous les efforts
qu'ils ont fait pour préparer la parade. D'autres encore atteignent un
niveau dont ils sont fiers alors que leur projet est considéré
comme faible par la coordination artistique et l'équipe de l'asbl
Zinneke.
Ces réactions diverses posent la question de savoir
si, à un moment ou un autre, certains projets peuvent être
arrêtés par la coordination artistique ou l'équipe à
cause de cette faiblesse artistique. Cette volonté se justifie par
l'affirmation artistique de la parade et les investissements pour mieux
développer cet aspect qui risquent de pâtir de la présence
de projets faibles le jour de la parade 115.
La combinaison de l'artistique et du social, sans
volonté de faire passer l'un avant l'autre116, créent
ces problèmes de choix particulièrement difficiles à
résoudre puisque exclure une association de la Zinneke Parade lui
retire, à moins d'une humilité rare, toutes possibilités
de s'améliorer au sein de la structure qu'il quitte avec une certaine
rancoeur. C'est aussi prendre le risque de faire se détourner
l'association de tout travail socio-artistique face à l'échec
retentissant ayant poussé à leur exclusion du projet. Dire
à des amateurs qu'ils sont artistiquement nuls me semble en effet
très dangereux. Il est évident par contre que les exclusions
de
114 Interview de Carlo Da Mata du 29/04/04
115 En effet, le jour z est un moment clé où
l'asbl zinneke peut justifier ses dépenses face aux pouvoirs subsidiants
(Cf. chap. 3.5.).
116 Interview de Marcel de Munnynck du 9/09/03
groupes pour des réels problèmes de collaboration
et d'investissement sont nettement plus justifiables.
A cette question de l'image artistique de la parade est
également lié l'équilibre entre l'apport créatif
des participants et celui des artistes. En effet, la volonté de faire
venir la création de la base s'exprime différemment au sein de la
parade. Certains zinnopôles, comme le zinnopôle sud-ouest, tentent
de susciter la créativité des participants sur tous les domaines
artistiques de la parade, à savoir aussi bien en chorégraphie,
scénographie, musique et costumes. La tâche n'est certes pas
simple et c'est généralement un aspect plus que les autres qui
est approfondi au cours des quelques mois de préparation. Par exemple,
le groupe se concentre sur la musique ou sur la danse. Le risque est alors
grand d'avoir un résultat visuel, le jour de la parade, qui soit d'un
niveau artistique relativement bas. En effet, si un groupe consacre la
majorité de ses répétitions à son activité
principale, par exemple la musique, il reste très peu de temps pour que
les participants créent eux-mêmes chorégraphie et costumes.
Faire faire des costumes en deux-trois jours à des gens qui ne
pratiquent que peu voire pas du tout l'art plastique a peu de chance de donner
des résultats artistiquement forts. Par contre, cela aura des
résultats « sociaux » sur la façon dont l'individu
perçoit ses propres capacités et lui permet de présenter
le jour de la parade un personnage qu'il a lui-même composé et
qu'il pourra donc mieux investir. Dans plusieurs zinnodes donc, l'implication
artistique se concentre sur leur activité principale et les autres
facettes artistiques sont prises en charge par un autre groupe mené par
un artiste pour les costumes et objets de la parade ou l'artiste imposant ses
idées en ce qui concerne la musique ou la chorégraphie. De
préférence, les participants seront consultés au moment de
la conception des costumes pour éviter une découverte des
costumes le jour Z avec le risque qu'ils ne les apprécient pas. La
réalisation des costumes, par exemple par un artiste, permet souvent une
puissance visuelle le jour de la parade qu'il est difficile d'atteindre quand
le même groupe se charge de tout. Le choix de la méthode de
travail relève donc encore du choix entre une création totale par
les participants qui a des implications sociales plus importantes ou l'option
de s'assurer une certaine apparence artistique en confiant certains
éléments directement à des artistes.
La question de la reconnaissance artistique extérieure
du projet est intimement liée
aux deux questions
précédentes. Actuellement, on juge de la qualité
artistique d'un
événement plus par la reconnaissance de la part
du milieu artistique que par l'opinion personnelle de quelques
spécialistes extérieurs. La Zinneke Parade est reconnue
internationalement dans le monde des arts de la rue (cf. chap. 3.5.). L'ampleur
de son succès au sein des associations socio-artistiques est
indéniable vu son nombre grandissant de collaborateurs. De plus, des
organisateurs d'événements plus ou moins similaires reconnaissent
la qualité de la Zinneke Parade, par exemple, les organisateurs du
défilé de la Biennale de la danse de Lyon, ou encore Michel
Crespin, spécialiste marseillais des arts de la rue. De plus, sa
reconnaissance auprès du public comme événement culturel
bruxellois est indéniable : 200.000 personnes se pressent à
chaque parade sur les boulevards pour la voir passer.
Par contre, dans le monde Artistique plus large ainsi
qu'institutionnel, la reconnaissance du projet d'un point de vue artistique
n'est pas vraiment acquise. Cela tient principalement au travail avec des
amateurs qui ne peut que difficilement présenter un résultat
exceptionnel et ce d'autant plus qu'il y a un nombre énorme de
participants par rapport au nombre d'artistes. Difficile d'atteindre un niveau
artistique avec un engagement qui se limite à un soir par semaine
pendant plus ou moins six mois avec, quand ils ont de la chance, un artiste
s'occupant de vingt personnes. Dans la plupart des cas, ce sont les animateurs
qui s'occupent directement des groupes et les artistes qui coordonnent ou
donnent quelques idées. Ce manque de reconnaissance pose un
problème aux artistes qui s'investissent dans la Zinneke Parade car ils
risquent de se dévaloriser au sein de la communauté artistique,
surtout qu'il ne leur est pas toujours possible de continuer d'autres
activités pendant les mois proches de la parade. De plus, n'ayant qu'un
pouvoir limité sur la réalisation des projets, ils craignent
souvent un résultat médiocre dévalorisant. De là
repart, le manque d'artistes qualifiés et reconnus dans la parade qui
empêche d'améliorer le niveau artistique qui risque de
dévaloriser les artistes reconnus qui ne s'impliquent pas donc dans la
parade : un vrai cercle vicieux.