La notion de collaboration est à la base de la Zinneke
Parade. Elle est à la fois un objectif et un moyen. Cependant, les
collaborations ne se passent pas toujours aussi bien que prévues. Un des
principaux problèmes de collaboration déjà
évoqué est le manque d'implication des institutions en tant que
telles qui se contentent de laisser
toute la charge et l'initiative zinneke à un de ses
employés sans réellement le soutenir. C'est pourtant le nom de
l'association et pas celui de l'animateur qui est ensuite repris dans les
publications. Ces associations reçoivent donc à la fois du
soutien financier pour mener l'atelier à bien et la renommée
d'une participation à la Zinneke sans avoir soutenu le projet. Certes,
certaines associations, voyant le résultat positif d'une initiative
zinneke par un de ses animateurs, peuvent prendre confiance dans le projet et
s'investir pour l'édition suivante. Cependant, il n'en va pas toujours
ainsi.
Dans la zinneke, des problèmes de jalousie de
reconnaissance sont inévitables qu'ils soient ou pas
justifiés117. L'équipe essaie donc qu'aucun artiste ni
association ne soit oublié dans les publications reprenant l'ensemble de
la parade. Les différences de salaires sont également source de
sentiment d'injustice : dans la Zinneke Parade, certains ont un CDI plus ou
moins rémunéré selon les postes, d'autres ont un
engagement temporaire de plusieurs mois, d'autre encore sont payés selon
les finances des associations qui les engagent, donc souvent très peu,
et enfin beaucoup font du bénévolat. Si le
bénévolat des participants de base est tout à fait logique
(ils sont dans une situation où on aurait pu leur demander de payer les
ateliers), certaines personnes travaillant à l'organisation de la parade
font un bénévolat moins justifié surtout lorsque la
personne en question voudrait être rémunérée.
Un autre aspect problématique de la collaboration est
l'échange nécessaire avec les communes. En effet, les sorties
zinnekes dans les quartiers, les fêtes suivant les parades, les
collaborations avec les écoles communales ne peuvent avoir lieu sans une
collaboration harmonieuse avec la commune. Mais cette collaboration doit, selon
le principe apolitique de la zinneke118, éviter les
récupérations politiques trop flagrantes. A cela s'ajoute le fait
que certaines associations socioculturelles sont directement soutenues par tel
ou tel échevin et prennent dès lors une certaine teinte
politique.
L'exemple d'Escale du Nord est très représentatif
du type de difficulté que cela peut engendrer :
117 Groupe pilote du 19/01/04
118 Même si la couleur politique de partenaires, de
membres de l'équipe et du CA tend majoritairement vers le rouge comme
c'est le cas dans le milieu socioculturel en général.
Escale du Nord était le centre culturel d'Anderlecht.
Il fut choisi comme coporteur du zinnopôle sud-ouest pour la parade de
2002 avec le GC de Rinck suite à l'échec des porteurs
précédents. Le soutien direct de l'échevin de la culture
envers ce centre fut directement concrétisé par l'envoi de
Jacques Coune comme détaché communal pour s'occuper du
développement de la Zinneke. Presque un an après son
arrivée, il fut rejoint par les deux agents Z du zinnopôle et par
une coordinatrice artistique ainsi que par une chorégraphe
engagée en renfort par la commune. La présence de Jacques Coune a
fortement facilité la production du zinnopôle car ses
connaissances approfondies des possibilités de subventions lui ont
permis de trouver des financements additionnels. Malheureusement, une gestion
catastrophique du centre et une certaine dose de jalousie de la part de la
directrice qui se voyait imposé ce projet par l'échevin sans
avoir aucun pouvoir dessus ont créé de nombreux problèmes
notamment dans la redistribution des subventions. Plusieurs collaborations ont
ainsi été mises en péril par des retards de paiement
injustifiés. Suite à ces problèmes, Escale du Nord a
été remplacée comme porteur de zinnopôle par la
Boutique Culturelle soutenue, mais de façon moins despotique, par un
échevin d'un autre parti politique. Cette perte de pouvoir sur la
Zinneke Parade a été très mal vécue par
l'échevin de la culture qui a directement retiré ses agents du
projet. Cela est assez compréhensible, mais son comportement envers
l'équipe de zinnopôle sudouest à l'approche de la parade
2004 est devenu nettement moins justifiable : il a bloqué, à deux
semaines de la parade, le prêt du podium pourtant
précédemment accordé et il a empêché la
déambulation dans les quartiers par des arguments tout à fait
injustifiés119. Ces ennuis de dernière minute ont
créé une atmosphère de stress au sein du zinnopôle
sud-ouest particulièrement difficile à gérer à une
dizaine de jours de la parade. A cela s'ajoute le fait que le
détaché communal et sa chorégraphe, blessés d'avoir
été ainsi écartés d'un
119 Il a parlé d'une surcharge de travail pour la
police dont le commissaire était pourtant près depuis longtemps
à apporter son soutien et d'un refus des commerçants qui eux
aussi ont donné leur accord tout en demandant d'être
impliqués plus tôt pour la parade prochaine. En tant que
récent bourgmestre faisant fonction, il est chef de la police et peut
donc refuser leur présence lors d'un événement et donc
empêcher cet événement d'avoir lieu.
projet qu'ils ont mis en place durant deux ans, ont
proposé la zinnode movimiento de ida y vuelta. Sa mise en place ne s'est
pas faite sans encombres et a été écartée du reste
du zinnopôle le jour de la parade par l'influence politique qu'a
l'échevin sur son délégué, même si celui-ci
ne travaillait pas dans la zinnode en tant qu'agent communal120.
On voit bien, avec cet exemple, les difficultés que
peuvent entraîner les soutiens politiques quand ils s'accompagnent d'un
désir de pouvoir sur l'événement culturel. C'est pourquoi
les collaborations avec les pouvoirs politiques doivent se faire de
façon prudente sans laisser d'ambiguïté sur la place du
politique dans le projet.
Un autre aspect difficile de collaboration est la relation
artiste-animateur. Ce couple devrait idéalement former un tandem de choc
équilibré qui apporte à l'atelier ordre, attrait et
créativité artistique. Cependant, c'est rarement le cas. Tout
d'abord, des artistes ne sont clairement pas présents dans tous les
ateliers, faute de moyens pour les payer. Il en découle un travail
où l'artiste passe sporadiquement dans un atelier pour donner des
conseils à l'animateur. De plus, une grande partie des animateurs ont
une certaine pratique des activités artistiques mais sans pouvoir
accéder au rang d'artiste avec le regard décalé sur la
société que cela suppose ainsi que les capacités de
créativité et d'éveil des émotions et de recul chez
les participants121. Le problème de l'animateur qui se prend
pour un artiste est un problème récurrent dans le milieu
socio-artistique auquel la Zinneke Parade n'échappe pas. Ce type
d'animateur risque de ne pas comprendre le besoin d'un artiste au sein de son
groupe et de refuser ses interventions, surtout si elles sont sporadiques et
peuvent être prises comme un jugement sur le travail de
l'animateur122.
120 En effet, la centaine de participants de cette zinnode
s'est retrouvé au sein de la bibliothèque communale pour se
préparer le jour de la parade au lieu de rejoindre la quasi
entièreté du zinnopôle dans la grande salle du Curohall
où tous les participants ont pu se changer, se maquiller, se rencontrer
dans une atmosphère collective et festive avant de défiler.
121 Ces caractéristiques de l'artiste peuvent
clairement paraître caricaturales mais c'est comme cela qu'elles sont
entendues et recherchées au sein de la Zinneke. Malgré le fait
qu'est reconnu comme artiste celui qui vit de son art, c'est avant tout sur ses
capacités qu'il va s'avérer adéquat pour travailler au
sein de la Zinneke. Interviews de France Gilmont du 14/05/04, de Myriam Stoffen
du 11/02/04 et de Luk Mishalle du 1/04/04.
122 Interview de Marcel de Munnynck du 9/09/03 et de Luk
Mishalle du 1/04/04
De la même façon, un artiste peut avoir un
regard hautain sur l'animateur et refuser de travailler avec lui au sein d'un
atelier dans son envie d'être le seul maître à bord. Or,
l'artiste n'a pas toujours la bonne manière de gérer un groupe,
de le faire avancer en temps et en heure et de maintenir l'envie et l'attention
des participants, autant de préoccupations qui relèvent plus du
travail d'animation.
Pour surmonter ces difficultés, la Zinneke Parade doit
soit trouver des artistes avec des capacités d'animateur soit des
artistes suffisamment subtils et diplomates pour orienter le travail des
animateurs dans un sens plus artistique sans heurter leur
sensibilité.
Ces questions de personnalités entrent en jeux tout au
long du processus zinneke. En effet, la grande majorité des
collaborations se fait sur base de rencontres interpersonnelles et il arrive
que certaines personnes soient incompatibles. L'implication personnelle dans le
projet ainsi que l'enthousiasme qu'il suscite vont beaucoup influencer les
concessions que va faire une personne pour conserver une entente avec ses
collaborateurs. Les coordinateurs du projet doivent d'ailleurs souvent faire
preuve de plus de souplesse pour s'adapter aux différentes
personnalités de leurs partenaires et appliquer un mode relationnel
adéquat. Les conflits interpersonnels peuvent s'avérer
très enrichissants lorsqu'ils sont finalement résolus.
Un exemple d'échec de collaboration dû, entre
autre, à la personnalité des partenaires fut celui de
Beeldenstorm :
Nik Honinckx est le directeur de Beeldenstorm, une
association socioartistique flamande de haut niveau située à
Anderlecht. Son entrée dans la Zinneke date de l'appel à projet
lancé par Bruxelles 2000. Beeldenstorm soumis un projet qui fut
refusé mais on lui proposa de s'insérer dans le projet de la
Zinneke Parade en tant que partenaire important. Il joua d'abord un rôle
qu'il qualifie de « flamand de service » au cours de la
première année. Les premières erreurs de communication
furent liées à des textes néerlandais traduits en
français puis retraduits en néerlandais déformant ainsi le
texte original au grand déplaisir des auteurs.
Lors de sa candidature au CA, il dit avoir été
accusé et humilié ouvertement
par un membre de l'équipe
sans jamais recevoir d'excuses. A un autre
moment, un artiste de
l'organisation a tenu une sorte de conférence sur la
Zinneke en prenant une dia d'un des collaborateurs de Nik
Honinckx avec le doux commentaire de « voilà ce qu'il ne faut pas
faire » qui n'a évidemment pas plu au collaborateur en question.
Plus tard, alors que les tensions s'intensifiaient, la remise en question du
fait que la création et la réalisation soient faits par les
participants fut très mal perçue alors que c'est un principe de
base régissant le travail de Beeldenstorm que de faire venir la
création au maximum des participants. Intervenant trop tardivement pour
régler les conflits, l'asbl Zinneke a proposé à Nik
Honinckx de signer un texte lui imposant de ne plus revenir sur les raisons de
tensions passées. Il a refusé mettant définitivement fin
à la collaboration face à une proposition qu'il trouvait d'autant
plus déplacée qu'une évaluation générale de
la Zinneke Parade était prévue au cours de l'année 2005.
Comment faire une évaluation si on ne peut plus revenir sur tous les
problèmes qu'on a rencontrés ?
Au sein de l'équipe et du zinnopôle sud-ouest,
les raisons de cet échec sont plus attribués à la
personnalité de Nik Honinckx qui a du mal à s'insérer dans
un réseau de collaboration qu'il n'a pas mis lui-même au point.
Selon eux, il a tendance à interpréter les règles à
sa façon, ne respectant que celles qui correspondent avec son point de
vue sur le projet et revenant sans cesse sur des erreurs passées sans
laisser la possibilité d'avancer. Il est décrit comme un homme
aussi un peu obsédé par les questions communautaires et qui
aurait voulu une Zinneke paritaire.
Dans cet exemple, on voit comment une personne qui a
finalement des idéaux très proches de ceux de la Zinneke (en ce
qui concerne les possibilités d'expression via l'artistique, la
nécessité de faire venir la création de la base ou encore
l'idéal d'un fonctionnement en réseau 123 ) n'a pas pu
s'insérer pacifiquement dans la collaboration à cause de sa trop
forte personnalité et de son manque de concessions associés
à des fautes de communication de l'asbl qu'il n'a jamais
digérées.
123 Lui-même aurait d'ailleurs
préféré une Zinneke avec moins de niveaux où
l'équipe serait plus en relation avec les associations de terrain et
n'aurait pour fonction que la bonne communication entre associations sans aucun
pouvoir de contrôle (Cf. 4.6).