On me l'a dit et redit au sein de l'équipe zinneke,
l'organisation fonctionne en réseau, sans centre ni même sommet,
sans hiérarchie ni subordination126. Mais au sein des
zinnopôles, nombreux127 sont ceux qui ressentent une
institutionnalisation du projet, avec plus de règles à respecter
, des cahiers des charges, des comptes à rendre en cours de processus et
après, une distance entre le terrain et l'équipe qui fait penser
à cette fameuse pyramide.
Il semblerait en fait que l'on soit face à une
période transitionnelle dans
l'organisation. L'équipe centrale
prend de plus en plus de pouvoir alors qu'à
124 Comme ce fut le cas au sein de la zinnode movimiento de ida
y vuelta.
125 Interviews de Carlos Da Mata du 29/04/04 et de Mirko
Popovitch du 16/02/04
126 Interviews de Marcel de Munnynck du 09/09/03 et de Nathalie
Bücken du 14/04/04 néanmoins Marcel de Munnynck m'a donné un
point de vue différent fin juillet 2004.
127 Interviews de Yves Coumans du 8/07/04, de Virginie
Noël du 1/07/04, de Sylviane de Ribaucourt du 23/06/04, de Patrick Chaboud
du 23/06/04, de Alain Debaeck du 9/10/03, de Mirko Popovitch du 16/02/04, de
Nik Honinckx du 18/02/04, de Luk Mishalle du 1/04/04 et de Carlos Da Mata du
29/04/04.
l'origine, elle avait un rôle plus limité,
d'ailleurs en relation avec le nombre de personnes qui en faisaient
partie128. L'esprit est toujours celui de la concertation et de la
discussion entre partenaires au sein du groupe pilote mais les exigences
grandissent et les tensions avec les partenaires de l'origine se font de plus
en plus pesantes face à ce changement de fonctionnement. Ainsi, le Magic
Land Théâtre sort actuellement à grand fracas de la
structure, Infor Jeune a refusé de signer la convention avec
l'équipe, Mirko Popovitch s'est fortement désinvesti du projet,
le CC Jacques Franck a lui aussi rencontré de fortes tensions avec
l'histoire du Piano Fabriek (Cf. 3.2.2.1.)... Luk Mishalle et Yves Coumans,
deux artistes de la première heure quittent également le
navire...
Concrètement l'institutionnalisation se fait ressentir
par plusieurs points :
· La multiplication de conventions et l'apparition du
cahier des charges qui engagent formellement les partenaires à respecter
les règles zinnekes.
· La redistribution d'une partie des subventions par
l'asbl, ce qui lui donne un pouvoir indéniable.
· L'engagement des artistes coordinateurs directement
par l'asbl qui fait que les artistes dépendent de l'équipe et non
des partenaires porteurs de zinnopôle.
· Les échéances en cours de processus mises
en place par l'asbl qui pèsent sur les partenaires de terrain via les
associations porteuses de zinnopôle.
· Les formulaires à remplir à l'approche de
la parade pour des soucis logistiques et les évaluations de mi-parcours
et suite à la parade.
· La perte de contact de l'équipe avec la base avec
le risque que l'asbl passe
auprès des partenaires comme une entité floue
d'où viennent les contraintes. Tous ces changements, à part le
dernier, sont liés à une volonté de résoudre des
problèmes qu'ont rencontrés les parades
précédentes. Les conventions et le cahier des charges, par
exemple, assurent un comportement cohérent de tous les partenaires de
l'organisation qui se sont engagés à respecter les mêmes
règles. Cela permet d'éviter des problèmes comme celui
rencontré lors de la parade de 2002 : un groupe s'est
arrêté à plusieurs reprises pendant 20 minutes sur le
boulevard pour montrer son cycle narratif sans prendre garde aux milliers de
zinnekes qui se
128 On est passé de 2 à 7 personnes, bien
qu'à l'origine, toute la structure de Bruxelles 2000 soutenait le projet
derrière l'équipe.
trouvaient bloqués derrière eux :
désormais, l'avancée continue du défilé est reprise
dans le cahier des charges. Les échéances, elles, permettent
clairement aux partenaires de terrain de mieux prendre conscience du processus
sur la longueur et d'éviter un maximum les rushs de dernière
minute. Les formulaires logistiques permettent très clairement une
gestion logistique plus facile pour la société engagée par
l'asbl129. Les évaluations, quant à elles, permettent
une autocritique et une réflexion sur l'organisation qui donnent lieu
à des remises en questions nécessaires pour faire évoluer
la structure en prenant tous les avis en compte.
L'engagement des artistes par l'asbl permet, lui, de tenter
un comportement artistique cohérent et d'éviter l'assise
inconfortable entre deux chaises que vivent les agents Z.
Ces changements ne sont donc pas injustifiés. C'est
surtout les réactions face à ces changements qui
différent. En effet, certains regrettent cette évolution qu'ils
voient comme une perte de liberté et comme une prise de pouvoir
injustifiée de l'équipe de l'asbl au détriment du
fonctionnement en réseau, ajoutant que la mise en place d'un cadre
strict amène à une déresponsabilisation des partenaires.
D'autres, par contre, voient cette évolution d'un très bon oeil
et regrettent que des décisions unilatérales ne soient pas plus
répandues afin de perdre moins de temps dans des discussions et de
travailler dans un cadre mieux délimité qui permet de mieux
centrer ses efforts sur le processus de création et de
réalisation.
La perte de contact avec la base est, par contre, assez
dommageable pour l'organisation. De nombreuses personnes regrettent que les
membres de l'équipe ne soient pas plus présents lors des
réunions de zinnopôle ou ne visitent pas les ateliers de
façon à ce que les partenaires de terrain puissent mettre un
visage sur cette fameuse équipe zinneke pour laquelle le zinnopôle
joue souvent le rôle d'intermédiaire. De plus, à plusieurs
reprises des agents Z m'ont dit qu'ils regrettaient que l'équipe
n'apporte pas plus vite des solutions aux problèmes qu'ils
129 Pour le jour z, une société
d'événements extérieurs, Tagora, est en effet
engagée afin de veiller au bon déroulement logistique de la
parade. Ils sont en relation avec les forces de police et d'urgence afin
d'être efficaces en cas de problème imprévu et s'arrangent
pour que les rues soient bloquées comme convenu, que le public ne
déborde pas trop sur la zone de spectacle et que les timings
annoncés à la police soient respectés.
rencontraient avec des partenaires de leur zinnopôle,
n'intervenant souvent qu'en dernière limite au risque que cela soit trop
tard.130
Il est intéressant de s'arrêter sur le point de
vue de Marcel de Munnynck sur cette évolution131. Il rappelle
à quel point une organisation en réseau telle que la Zinneke
Parade fonctionne sur un mode dialectique : d'une part centripète par
l'installation de règles et d'un fonctionnement commun,
décidés en groupe mais dont l'asbl assure le respect, et d'autre
part centrifuge où les partenaires ont un certain pouvoir et une
autonomie qui les responsabilisent et donnent sens à la notion de
réseau. La grande difficulté est alors de garder un
équilibre entre ses deux tendances. Cet équilibre, encore
instable aujourd'hui, doit permettre d'éviter de tomber dans le travers
d'une organisation purement centralisée où tout est
décidé et pris en charge par l'entité centrale ou celui,
à l' opposé, d'une structure sans centralisation où tout
part dans tous les sens. Les choix d'institutionnalisation pris jusqu'ici
avaient pour rôle d'éviter un trop grand désordre. Il
s'agit maintenant aux membres de l'asbl de choisir s'ils veulent continuer dans
cette institutionnalisation centralisée, plus efficace mais qui
s'éloigne de la philosophie de base de la zinneke, ou retenter une plus
grande responsabilisation des zinnopôles. Cette dernière pourrait
se manifester en confiant aux zinnopôles des tâches que
gèrent actuellement l'asbl, comme, par exemple, le transit des dossiers
de subsides et la redistribution financière. Marcel de Munnynck rappelle
également que l'équipe est bien celle d'une asbl, ce qui implique
qu'elle est révocable facilement par l'AG si une majorité des
membres le juge préférable. On peut ici rappeler qu'une bonne
partie des partenaires de terrain, dont tous les porteurs de zinnopôle,
sont membres de l'asbl.
Il est important de réaliser que ces changements
internes n'affectent selon moi pas du tout les objectifs fondamentaux que se
fixe la Zinneke Parade. En effet, l'émancipation sociale, la
revitalisation des quartiers, l'échange artiste/amateur et
artiste/animateur, la collaboration durable entre association restent
principaux dans le fonctionnement sans qu'importe de façon significative
la centralisation de la structure. Les changements d'organisation interne sont
une tentative pour mieux les atteindre qui, certes, n'emportent pas toutes les
voix mais fait partie des choix que doit faire toute organisation pour
évoluer. La solution miraculeuse, si elle existe n'a
130 Interviews de Virginie Noël du 1/07/04 et de Sylviane
de Ribaucourt du 23/06/04.
131 Interview de Marcel de Munnynck du 22/07/04
pas encore été trouvée et c'est dans
l'évolution et l'autocritique que se situe la Zinneke. Certaines
personnes présentes depuis l'origine de Zinneke mettent d'ailleurs en
évidence le risque de la fixité et de l'installation dans
l'habitude. Les partenaires et les membres de l'organisation doivent être
renouvelés afin de faire évoluer la structure et d'éviter
l'installation d'automatismes qui nuisent à l'esprit critique.