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Les transitions démocratiques en Afrique noire francophone. Réflexion sur le cas de la Guinée (Conakry )

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par Oumar KOUROUMA
Université Hassan II, faculté de droit de Mohammedia (Maroc ) - Licence fondamentale de droit public 2010
  

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PARAGRAPHE 2 : LES FORMES ET LES LIMITES DE CETTE DEMOCRATISATION

« La démocratie doit avoir des racines nationales, elle ne saurait être importée, vendue ou achetée. Elle ne peut être imposée de l'extérieur. Le peuple de chaque nation doit prendre en main son destin et façonner le type de gouvernement adapté à ses aspirations nationales ».

« La démocratie si-elle est son choix -doit se nourrir, si nécessaire, du sang, de la sueur et des larmes des citoyens d'une nation »71(*).

Jean Pierre Le Bouder

Après le fameux discours de la Baule le 20 Juin 1990, les chefs d'Etas africains entre refus et acceptation, se sont mis rapidement à la tache pour convertir leur système en démocratie. Par la multiplicité des voies qui furent suivies pour atteindre le même objectif, les formes des transitions (I) seront aussi diverses. Mais si ce fait ne dénotait que des différences de contexte propre à chaque Etat, que dire de cette autre différence qui sépare le monde de la provenance du système à instaurer et les réalités sociopolitiques et économiques des terres de destination. Ce qui débouche inéluctable sur l'idée des limites à l'acclimatation démocratique en Afrique noire francophone (II).

I. LES FORMES DES TRANSITIONS DEMOCRATIQUES

Ici, nous entendrons par formes des transitons démocratiques les différentes réactions politiques aux injonctions externes et internes de démocratisation des régimes à parti unique d'Afrique. Autrement dit, les diverses procédures de sortie de l'autoritarisme. A cet égard, il faut dire que si certains pays ont procédé par voie de conférence nationale (A), d'autres l'éviteront pour privilégier la négociation et l'octroi (B). A ces deux formes il faut ajouter celle des transitions retardées (C) et enfin les transitions par coup d'Etat (E).

A. LA TRANSITION PAR VOIE DE CONFERENCE NATIONAL

La conférence national est définie par O'Donnell et Schmitter (1986, p.37) comme : « accord explicite, quoique pas toujours explicité ou justifier publiquement, entre un ensemble choisi d'acteurs. Accord qui tente de définir ou mieux de redéfinir les règles qui gouverne l'exercice du pouvoir sur la base de garanties mutuelles concernant les intérêts vitaux de ceux qui adhèrent au pacte. Avec au coeur du pacte, un compromis négocié au terme duquel les acteurs acceptent de ne pas porter atteinte à l'autonomie d'organisation et aux intérêts vitaux des autres». Il s'agit d'une instance qui se veut souveraine et porteuse d'une légitimité populaire. Elle est constituée de forces vives, commence par la suspension de la constitution et l'écartement l'ancien président ou sa destitution à la tête de l'Etat, ensuite un premier ministre est nommé pour conduire la transition. Elle nécessite une classe politique mure et volontairement engagée, qui puisse contrôler ces discours dans les débats afin de ne pas voir les discussions débouchées sur des affrontements violents ou leur blocage par le pouvoir sortant. Il faut aussi que cette classe d'élites soit imprégnée des valeurs politiques traditionnelles et modernes afin de les combiner le mieux.

Pour le cas d'Afrique noire francophone, c'est le Benin, premier à s'être engagé dans la transition, qui donna l'exemple le plus réussi de cette forme. Elle sera suivi dans le courant des années 90 et 1991 par le Gabon, le Congo, le Niger, le Togo, le Zaïre, et plutard en 1993 par le Tchad. Contrairement au cas béninois, apaisé, souveraine, et achevé dans un climat de détente, les autres expériences seront marquées par des violences (Zaïre et Togo), l'absence de souveraineté (Gabon), le caractère ritualisé, bourré de règlement de comptes puis suivis de troubles (Niger et Congo).

B. LA VOIE DE L'EVITEMENT DE CONFERENCE NATIONALE

Cette forme de transition qui consiste à feinter ingénieusement tout forum politique que l'on considère l'issue incertaine, se solde par un changement court-circuité par le pouvoir en place qui engage un dialogue avec les partenaires sociaux et politiques pour déterminer la procédure de sorite du régime fermé pour celui démocratique. Cela intervient dans une situation où le pouvoir est poussé jusqu'au dos sans porte de sortie. Sans se laisser faire, le pouvoir cherche une certaine légitimité politique dans un contexte où l'opposition se trouve divisée et donc affaiblie.

En outre il faut dire que la démocratisation par évitement de la conférence nationale peut avoir deux conséquences : soit qu'elle aboutit à l'expression d'une volonté de démocratisation mais dans la prudence vue les enjeux en ce moment ; ou soit qu'elle soit un simple ruse du pouvoir en place afin de construire de nouveaux instruments de domination.

De nombreux pays avaient suivi cette voie : c'est le cas de la Côte d'Ivoire en 1990 où des élections précipitées furent organisées, aussi du Burkina Faso et Cameroun où des conférences dites respectivement de réconciliation nationale et tripartite furent réalisées sous le contrôle des pouvoir politique. La Guinée suivra aussi la même voit lorsque le président profitera de la division de l'opposition pour ce maintenir au pouvoir.

C. LA FORME DES TRANSITONS RETARDEES

Cette modalité de transition intervient en général dans des contextes où le processus se trouve pris en otage par les anciens ténors du pouvoir. Elle peut facilement se réaliser dans le cadre d'une transition négociée où après une première manifestation de volonté de réformes, les chefs autoritaires bloquent ou ralentissement la poursuite de ces réformes et s'accaparent à nouveau de l'appareil d'Etat. Et de ce fait, « les luttes continuent et se prolongent ». Toutefois, il faut dire que malgré la durée certaine de ces transitions retardées arrivent à se réaliser surtout lorsque l'opposition réussie à se réorganiser et à retrouver sa force.

A titre d'exemple de ces formes de transition nous avons le cas en Tanzanie ou au Kenya.

D. LA VOIE DE LA TRANSITION PAR COUP D'ETAT

Selon le lexique des termes juridiques (2005 ; p184) le coup d'Etat est l': « action de force contre les pouvoirs publics exécutée par une partie des gouvernants ou bien des agents subordonnés, notamment des militaires (putsch ou pronunciamiento) et qui vise à renverser le régime établi (exceptionnellement à le défendre : les coups d'Etat en « chaine » du Directoire pour rétablir l'harmonie, souvent rompue, entre les pouvoirs publics)». Il s'agit là donc, d'un changement plus rapide et violent qui peut ou non se terminer par l'instauration de la démocratie.

Toutefois, plusieurs cas de figures ont permis la mise en place de régime démocratique aujourd'hui en voie de consolidation. Le Mali d'Amadou Toumani Touré en est un exemple, le Bénin, la Guinée avec le général Sékouba Konaté en 2010 sont aussi des illustrations.

En somme, bien qu'empruntant le chemin de la démocratisation de manière différente et variée, une seule conclusion peut être tirée pour le moment de ces parcours : c'est le fait que ce chemin est épineux, gorgé de difficultés. Cela s'explique par ces traits presque communs à tous ces Etats : la faiblesse des alternances, les élections toujours sabotées et truquées mais aussi l'importance des violences qui les suivent (par exemples le tout dernier cas Ivoirien en début 2011 où on a assisté à une guerre civile ; la situation guinéenne où la guerre a été évitée de justesse), les restrictions de libertés fondamentales des citoyens comme la liberté de la presse etc....

Face donc à cette situation, un observateur attentif se doit de chercher des raisons rationnelles et objectives. Il s'agit donc de reconnaitre que la démocratisation en Afrique a belle et bien des limites qu'il convient de savoir d'où ce (II).

II. LES LIMITES A L'ACCLIMATATION DEMOCRATIQUE EN AFRIQUE NOIRE FRANCOPHONE

A regarder aujourd'hui le continent africain en général et plus particulièrement l'Afrique subsaharienne, nous pouvons dire que la démocratisation a connu un grand progrès. Cela s'explique par le nombre de plus en plus croissant d'Etats qui consacrent depuis quelques années des alternances politiques de plus en plus régulières comme c'est le cas au Mali ou au Ghana. Aussi des rapports d'organisations internationales placent certains d'entre eux parmi les pays du monde qui connaissent un indice de développement humain vraiment confortable. C'est l'exemple des îles Maurice, du Botswana. D'autres aussi connaissent des progrès économiques remarquables. Tel est du Rwanda, de l'Angola, de la Guinée équatoriale, du Sénégal etc... En outre, presque dans tous les pays se diffusent les nouveaux moyens de communication qui sont les radios, les chaines de télévision et surtout l'internet. Bien que leur accès soit limité et leur action très surveillée, ces nouveaux acteurs de la vie démocratiques jouent aujourd'hui un grand rôle dans la promotion et la concrétisation de la démocratie Africaine. Sans oublier les actions de l'Union Africaine en la matière.

Toutefois, au-delà de toutes ces performances non négligeables, d'énormes blocus ralentissent encore les processus d'ouverture politique lancée il ya maintenant plus de deux dizaines d'années. Ces obstacles sont nombreux et variés. Cependant il conviendra de s'atteler à ceux que nous appelons ici les fondamentaux qui sont essentiellement culturels: la question de l'incompatibilité de certaines réalités socioculturelles africaines avec la démocratie libérale (A) et l'Absence de culture politique Africaine (pensées politiques) (B).

A. LA QUESTION DE L'INCOMPATIBILITE DE CERTAINES REALITES SOCIOCULTURELLES AFRICAINES avec la démocratie libérale

Dans les apparences, les pays d'Afrique en général et particulièrement ceux d'Afrique noire francophone sont vraiment en voie de démocratisation. Une telle affirmation peut être sans doute la conclusion d'une observation qu'on fait des institutions politiques et juridiques de ces pays mais surtout sur les beaux discours que peuvent tenir les dirigeants. Cependant dans la pratique, les comportements s'annoncent contraires aux principes dégagés par les textes et que les institutions symbolisent. Cette contradiction n'est pas le fait d'un hasard car elle a ses racines dans l'opposition des idées fondatrices des sociétés (occidentales) qui ont engendré ces systèmes et celles des sociétés (Africaine) qui tentent de s'en approprier. Ces contradictions s'articulent autours de ces points essentiellement : celle entre l'individualisme démocratique et l'esprit communautaire et le problème lié à la persistance de certaine conception du pouvoir.

Concernant le premier problème, il est crucial, car elle touche les bases mêmes des deux mondes. Plus haut nous avions souligné que la démocratie était une culture. Mais aussi l'Afrique est le monde d'une autre culture. Pour la première culture ou la culture démocratique, elle est fondée sur la philosophie individualiste elle-même fondée sur celle de sujet. La philosophie du sujet humaniste qui privilégie l'individu sur tout. Il est le début et la fin. Aussi elle renvoie à l'idée d'individu et d'institutions sociopolitiques chargées de conforter cette idée et de la réaliser. Ces institutions oeuvrent donc afin de consacrer au plus haut sommet de la sphère sociétale les libertés de l'individu et c'est de là qu'elles tirent leur légitimité. Mais cette culture suppose que cet individu soit maitre de sa parole et de son esprit critique. C'est la symbiose de ces deux instances qui ont fondé les habitus démocratiques qui se traduisent par la pratique du droit à la différence, l'acceptation des débats contradictoires, la reconnaissance et la défense des droits de l'Homme.

C'est donc ce culte de l'individu qui a aboutit à la mise en oeuvre de principe de séparation de pouvoir au profit de l'individu, de protection de l'intérêt individuel.

A établir un parallèle entre cette philosophie et celle qui sous-tend les actions politique et la socialisation dans les sociétés africaines, nous décelons une opposition des principes de base. En effet, dans la culture démocratique occidentale on consacre un culte de l'individu par contre la culture africaine ce dernier n'existe que par rapport à sa communauté, son groupe social. Ainsi ces intérêts ne sauraient primer sur ceux de la communauté.

Cette conception, dès le départ, du rapport de l'Homme avec la société dans la pensée africaine est à l'origine du droit africain pour lequel les droits du peuple sont au dessus des droits de l'individu ou droits de l'homme. C'est pourquoi la charte de l'Organisation de l'Unité Africaine tentait de réunir ces deux types de droits qui sont conçus par certains auteurs comme contradictoire... C'est le cas de Francis Akindés.

Il apparait, donc, sans doute que l'Afrique à sa propre conception des droits de l'homme qui est désormais plus tournée vers les peuples que vers les individus, car en Afrique, la vie communautaire est l'origine et le fondement de la civilisation et des rapport sociaux de toues natures.

Ainsi, il devient facile de comprendre que le non respect de certains principes démocratiques n'est pas un fait isolé mais la manifestation d'un état d'esprit, une philosophie des choses. Il est évident qu'avec de telle pensée des droits de l'homme tels avancés dans la philosophie libérale ne pourront être facilement pris en compte en Afrique et par conséquent la démocratie qui les matérialise trouvera difficilement son accomplissement.

Par ailleurs, il faut préciser que cette contradiction ne saurait être l'expression du refus de reconnaitre l'universalité des droits de l'homme car, pour nous, si les concepts fondamentaux qui régissent cette notion sont communs à tous les peuples du monde tel que le concept de justice, force est de reconnaitre que les peuples n'en ont pas les mêmes interprétations. Loin d'être une source de conflit de cultures, nous pensons que cela devrait être perçu comme la manifestation concrète de leur différence. Différence qui devait être respectée par la reconnaissance du droit à l'adaptation de ces concepts par chaque peuple. C'est d'ailleurs dans ce sens que le président chinois Hu Jin Tao s'adressait aux français en soulignant que la Chine ne méconnaissait pas l'existence des droits de l'homme mais elle doit les adapter.

A l'instar de cette première contradiction, il faut dire que certaines conceptions du pouvoir, qui ne sont pas forcement propres à l'Afrique mais qui y sont déjà présentes, sont de véritables obstructions à la démocratisation.

Pour mieux les aborder il faut recourir travaux réalisés par les anthropologues Africains ou non sur les sociétés précoloniales africaines. Grâce à ces travaux les sociologues politologues se sont rendu compte qu'il y a bien une étroite relation entre les autoritarismes actuels en Afrique et la conception précoloniale du pouvoir mais aussi de l'homme.

En effet, selon les études effectuées par le philosophe béninois Basile Kossou (1981 :92) sur les royaumes du Dahomey (actuel Benin), les institutions monarchiques étaient agencées de sorte que le Roi ne rendait compte de ses actes à aucun vivant sauf aux ancêtres et par ce fait il jouissait d'un pouvoir énorme et sacré. Il disposait d'un pouvoir de contrôle et de commandement sur toutes les autres institutions de la société. C'est dans cet esprit que Béhanzin (Roi de Dahomey) obligea un jour le Bokonon (le devin) à recommencer la consultation du par ce que le premier message délivré par les ancêtres et les dieux contrecarrait ses desseins et ses projets de guerres.

Delà, il ressort aussi que même sur la structure religieuse qui était sensée limiter son pouvoir, il les coiffait toutes. Aussi, du point de vue de la valeur humaine, il faut dire que les sociétés Africaines ne font pas exception à la règle que connurent presque toutes les autres sociétés antiques. Ainsi en Afrique il n'était pas exclu de voir se réalisés des sacrifices humains pour implorer l'aide des dieux et épargner toute la société d'un cataclysme. Cela montre encore que la survie de la société passait devant celle de l'individu. Plus loin certains rois faisaient les mêmes sacrifices pour conserver leur pouvoir. De même à leur mort, ils devaient être accompagnés de tout ce qui pouvait leur permettre une vie royale dans l'au-delà : c'est le cas de ses femmes, de ses esclaves et de certaines ces richesses. Selon le même auteur, les cérémonies des rois d'Abomey devraient durer plusieurs jours contrairement au commun des gens et ils pouvaient être accompagnés d'au moins par quarante une personnes.

Par cette considération surnaturelle de la personne du roi, il restait le seul détenteur des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif. En fin, il avait droit de vie et de mort sur ses sujets. Ces pratiques peuvent être identifiées depuis l'Egypte antique sous les pharaons.

En outre, cette vision du pouvoir ne dissociait pas la détention des richesses où de l'essentiel de ces richesses par le seul maitre qui a un pouvoir absolu sur tous les biens. En ce sens, Francis Akindés rentre dans l'impensée des africains pour citer ce proverbe : « les chèvres broutent là où elles sont attachées». Il part plus loin pour toucher par exemple les langues Fon et Ewé respectivement du Benin et du Togo. Dans la première l'expression Dou-gan et dans la seconde Dou-fia se traduisent tous étymologiquement « manger le pouvoir » et signifient accéder au pouvoir. De là, il se déduit que tout ce qui est mangé ne peut être partagé et par conséquent le pouvoir et tout ce qui lui est lié devient la propriété du détenteur de ce pouvoir. C'est cette pratique que Jean Bayart a appelé « politique du ventre ».

De telles idées ont pu marquer les pouvoirs de partis uniques qui sont issus des indépendances. Ainsi Mobutu appelait à une authenticité qui faisait de lui un empereur. Aussi les présidents guinéen et malien étaient appelés Famas (ou chef selon la tradition).

Par ailleurs, il faut dire que ces habitus n'étaient pas seulement une imitation d'une Afrique précoloniale mais aussi d'une époque coloniale qui contribuera fortement à la construction de ces fléaux ou à leur fortification : c'est le cas de la corruption et le clientélisme qui en découlent.

La persistance de l'ensemble de ces facteurs ne peut que retarder voire freiner l'évolution démocratique des Africains en général et surtout des pays d'Afrique noire francophone. Toutefois, le vrai problème semble n'être pas là car l'occident qui réclame cette démocratie ne peut se détacher de son passé qui était aussi régi par les mêmes formes d'idées et de pratiques. Ce vrai problème parait être donc la question de culture politique proprement africaine à laquelle devrait être adaptée la démocratie.

B. L'ABSENCE DE CULTURE POLITIQUE AFRICAINE : ou les idées politiques

De prime abord, il faut souligner que cette présente réflexion est l'une des plus importantes car, comme Akindés, nous sommes de ceux qui pensent que la « construction d'un système politique jouissant d'une autonomie plus ou moins réelle passe d'abord par la mise en place d'un véritable «système idéologique » qui s'incère dans l'universel. Ce système d'idées d'une importance capitale est le levier qui permet une adaptation des grands principes de droits naturels aux nécessités locales dans l'élaboration des règles qui commanderont les rapports sociaux. Et par cette action il parvient à situer la souveraineté nationale sur tous les intérêts individuels et détermine les contours de la nation en posant les principes clef qui la fonde. C'est lui qui devra dégager les valeurs qui font la spécificité de la nation.

Il faut dire que ces idées vont au-delà de la seule sphère politique et touchent tous les aspects de la vie sociétale. Elles sont puisées de l'histoire et s'enrichissent au fil du temps avec des emprunts non exclus qui sont faits des autres peuples.

Pour l'Afrique, si une analyse de l'histoire nous a permis de découvrir que toutes les valeurs issues du passé ne sont plus adaptées à l'actualité, cependant il ne faut pas oublier que ce même passé est bourré d'énormes richesses intellectuelles qui devaient nous permettre de construire aujourd'hui un système d'idées auquel les valeurs universelles véhiculées par les droits de l'homme pouvaient s'insérer. A cet égard de nombreuses réflexions on été menées dans ce sens malgré qu'elles ne font pas objet d'usage par les classes dirigeantes en Afrique. Ainsi dans sa thèse de doctorat (université Michel Montaigne-Bordeaux3) Mamadou N'diaye développait la thèse de la tradition démocratique africaine soutenue par de nombreux ténors de la pensée politique contemporaine en Afrique. C'est l'exemple de Cheikh Anta Diop, père fondateur de l'Egyptologie moderne, qui pense qu'en considérant le jeu de l'équilibre des pouvoirs comme un principe fondamental d'un système démocratique, l'Afrique reste et demeure une origine de la démocratie. A cet égard il faut rappeler que dans les sociétés traditionnelles africaines, contrairement à ceux qu'avance la plupart des anthropologues, les chefs n'étaient pas aussi libres qu'on puisse le croire car il devait toujours obéir aux ordres de la gérontocratie ou le conseil des anciens. Ce dernier devait être composé de personnes ayant acquis une grande sagesse, capables de se prémunir contre toute forme de corruption. Aussi dans la société mandingue (Royaume du Mali en Afrique de l'Ouest) par exemple, le griot, bien que très fidèle au roi ne s'empêchait pas de lui dire la vérité car investie de se pouvoir non pas par le chef mais par les normes de la société. Donc ne tirant pas sa légitimité d'une nomination du chef, était un véritable contre-pouvoir. Non loin de là se trouve les écrits de Léopold Sédar Senghor pour qui cette question de démocratie n'est pas seulement un problème de procédure institutionnelle mais c'est aussi et surtout une question de vertus, celles de l'honnête homme qui caractérise par un sens élevé de l'honneur, la maîtrise de soi et l'hospitalité. Et ce sont ces traits qui faisaient d'un homme Roi dans le Royaume du Sine Saloum. Dans ce royaume la sagesse, la connaissance de la tradition étaient les marques principales du chef et par ce fait les populations étaient rassurés de n'être pas gouvernés par un Bandit.

Dans la même logique Malick N'diaye revendique la paternité de la démocratie lorsqu'il écrivait en 1996 : « Si l'on fait de notre République moderne une création du colon, c'est qu'on a pas compris le processus qui lui a donné naissance en l'absence même du colon! Sans la colonisation et bien avant les Français de 1789, nous avons eu une République ou tout au moins l'égalité des conditions caractéristiques d'une société démocratique (Tocqueville), ainsi que nous en trouvons des exemples pertinents chez les Lebu et les Tukulöör»72(*).

En plus de ces idées, il faut rappeler que le constitutionnalisme en tant que pratique politique n'est pas étranger à l'Afrique car, guidés par un grand sens du dialogue, les Africains se sont souvent mis ensemble pour établir des contrats devant régir leurs rapports entre eux. C'est dans ce sens que l'éminent historien Africain Joseph Kizerbo citait l'exemple du Royaume musulman d'Ousmane Dan Fodio de Sokoto (1754-1817) mais bien avant ce dernier il y avait l'empire du Mali (qui regroupe l'actuelle Guinée, le Sénégal, le Mali....) qui, au XIIIème siècle, instituera l'historique charte de Kouroukan Fouga qui est considérée d'ailleurs par la plupart des auteurs contemporains comme la première déclaration de droits humains. Ce fut une véritable constitution au sens du droit constitutionnel moderne.

Au regard de toutes ces données, il ressort que les pays d'Afrique disposent d'une richesse intellectuelle abondante en matière de pensées politiques et dont la mobilisation est indispensable afin de rendre les notions fondamentales de valeurs humaines facilement perceptibles aux populations qui croient (comme certains intellectuels) que ces valeurs n'appartiennent qu'à l'occident.

Aujourd'hui si tous ces pays ventent les réussites japonaise et chinoise, c'est par ce que ces peuples ont pu construire une modernité sur des valeurs antiques.

Donc pour nous, la raison fondamentale de l'échec des démocratisations ou de leur ralentissement résulte du fait qu'elles se sont introduites dans un monde où les systèmes de valeurs ont été abandonnés. Ces systèmes de valeurs tels dégagés par les idées traditionnelles évoquées plus haut devraient être les clefs de la socialisation dans ces pays. Ce qui pouvait nous conduire à parler d'autonomie politique.

Toutefois, si « évoluer, c'est relever les défis de la vie... » (Edouard Chevardnadzé, 1991 ; p.45) ces Etats africains ont encore à s'employer avec plus de détermination pour relever le défis de la démocratisation au-delà de tout ce qu'ils ont consacré pour le moment comme progrès.

Pour conclure donc ce chapitre sur les expériences il faut tout d'abord dire qu'il a été d'une grande utilité car ayant permis de donner une vue d'ensemble du phénomène en étude. En appliquant les instruments théoriques de la transitologie à ces expériences nous sommes arrivées à comprendre que les voies de réalisation de la démocratie ne sont pas uniformes malgré la présence de traits communs qu'on ne saurait ignorer. Cependant la voie de la négociation et du dialogue à sembler être toujours la meilleure même si elle a parfois l'inconvénient d'omettre la question d'une justice sociale que d'autres pourront toujours revendiquer.

Ainsi doté de moyens nécessaires pour la comparaison de cas, nous devons entamer sitôt l'expérience guinéenne qui est objet de ce travail. Mais vu que cela concerne directement l'Etat guinéen, il conviendra pour ce faire de savoir comment cet Etat est apparu. Ce qui nous permettra de tisser un lien de causalité entre certaines réalités du présent et le passé.

* 71 Francis Akindés, les mirages de la démocratie en Afrique subsaharienne francophone, 1996, Paris, éd. Karthala, p43.

* 72 Malick Ndiaye, L'éthique Ceddo et la société d'accaparement ou les conduites culturelles des Sénégalais d'aujourd'hui, tome 1, Le gorgui, type moyen de la société sénégalaise urbaine post-indépendante, Presses

Universitaires de Dakar, 1996, p. 148.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon