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Les transitions démocratiques en Afrique noire francophone. Réflexion sur le cas de la Guinée (Conakry )

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par Oumar KOUROUMA
Université Hassan II, faculté de droit de Mohammedia (Maroc ) - Licence fondamentale de droit public 2010
  

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SECTION 2 : L'AFRIQUE NOIRE FRANCOPHONE EN TRANSITION POUR LA DEMOCRATIE

« Le capitalisme », au départ, c'est d'abord une « mise en communauté », une mise en contact des membres disjoints de l'Humanité.

Fourquet (1989)

La troisième vague n'était pas seulement une vague pour l'Europe du sud, de l'Est et l'Amérique latine mais aussi pour l'Afrique. En effet, la prétention de l'occident de soumettre tout le monde entier à un même système sonnait comme un coup de clairon dont l'Afrique n'échappera pas au vent dans les années 90. .Prêts ou pas, volontaires ou contraints tous les Etats d'Afrique à peine sortis du statut de territoire d'empire colonial , criblés par les instabilités, longtemps encouragés dans une logique de partis uniques comme moyen de développement, devaient se lancer dans une modernisation politique emballée dans l'enveloppe de la démocratisation. Pour les Etats d'Afrique noire francophone, la conférence de la Baule du 20 Juin 1990 allait réveiller les autocrates et raviver les contestations politiques et sociales internes au point qu'on a pu parler de « printemps Africain » comme l'actuel « printemps arabe ». Il s'agit là d'une phase importante de l'histoire politique moderne des peuples africains. Son analyse nécessite, dans les normes, qu'elle soit entièrement considérée en soit comme un thème. Mais ce n'est pas ce que nous serons amenés à faire ici, car cette analyse très brève sur la démocratisation en Afrique se voudra spécifier au cas des pays francophones d'Afrique noire. C'est dans cette masse que s'insère la Guinée. Aussi il faut dire qu'elle ne concernera que de grands axes allant des origines ou facteurs déclencheurs d'un évènement, en passant par ces enjeux (paragraphe1) pour aboutir aux formes sous lesquelles elle s'est déployée et les limites à cette entreprise (paragraphe2).

PARAGRAPHE 1 : LES CAUSES ET LES ENJEUX DE CE RENOUVEAU POLITIQUE

C'est en comparant un peu la vague de démocratisation en Afrique noire francophone dans les années 90 à l'actuel « printemps arabe » qu'il devient facile de la saisir. En effet, comme nous pouvons nous rendre compte à travers cette affirmation d'Almeida-Tojor (1993) : « de même qu'au tournant des années 60, l'accession à l'indépendance semblait être un préalable à tout développement, trente ans plutard, la démocratisation apparait indispensable au redressement économique et social», les transitions démocratiques en Afrique résultait d'un changement plus ou moins radical de la conception du rapport entre développement et système politique. Ce changement de vue plus ou moins radical qui allait bouleverser tous les systèmes politiques africains francophones était le fait de facteurs, d'abord, externes mais surtout internes (I). En outre, l'ampleur de ces transitions laissait entrevoir l'importance des enjeux(II) qui les structuraient et dont il est important de mettre en exergue.

I. LES CAUSES DE CES TRANSITIONS DEMOCRATIQUES

Si dans son analyse des causes des transitions démocratiques en Afrique noires francophones, le professeur camerounais Timothée Ngakoutou met l'accent sur les facteurs internes comme déclencheurs du retournement des régimes à parti unique, nous prenons le contre pieds sans prétendre réfuter totalement sa thèse. C'est en ce sens que nous considérons que les passages à la démocratie en Afrique noire francophone comme partout d'ailleurs dans le monde sont d'abord inspirées par le changement intervenus dans les relations internationales de l'Est et de l'Ouest ou la fin de la guerre froide. Cette dernière sera suivie, pour ces pays, par le discours de la Baule et les conditionnalités démocratiques qui furent de véritables moyens de pression. Ceci étant, nous exposerons les sources externes (A) dans un premier et ensuite nous passerons facteurs internes (B).

A. LE NOUVEL ORDRE INTERNATIONAL ET SES CONSEQUENCES SUR LES RELATIONS NORD-SUD

C'est l'arrivée au pouvoir de Gorbatchev en Union Soviétique qui marqua le début de la fin de la guerre froide (1) et le changement du discours des puissances occidentales face à leurs anciennes colonies d'où celui de Mitterrand à la Baule (2) pour les pays d'Afrique noire francophone. De là les coopérations avec ces Etats et les aides qui leurs sont octroyées par le Nord sont soumises à de multiples contraintes (3).

1. L'arrivée au pouvoir de GORBATCHEV en Union Soviétique

En effet, lorsque les indépendances étaient atteintes dans les années 60, les africains croyaient s'être libérés du Nord. Cependant, au même moment, le continent devenait un centre stratégique des relations internationales à cause de ces ressources et donc étroitement liée au reste du monde. C'est ainsi que pendant la guerre froide qui mit en conflit le monde occidental et le monde communiste, l'Afrique sera objet d'un nouveau morcellement entre les deux blocs. Bien que ce disant neutres et non alignés, certains pays africains avaient choisi l'Est (la Guinée ayant rompu avec la France, le Ghana, le Benin etc...) et d'autre restaient au solde de l'Ouest (le Sénégal, la Côte d'Ivoire etc...). Cette situation créait une dépendance, idéologiquement (le marxisme-léninisme et le libéralisme) et institutionnellement des systèmes politiques et économiques des tuteurs du Nord. Aussi la vision que ces tuteurs avaient partis uniques était celle d'instrument de développement (thèse défendue par des auteurs comme Samuel Huntington). De là nous constatons, comme le note Francis Akindés, que les relations entre le Nord et le Sud sont guidées par deux logiques : « celle de bloc et la logique de l'idéologie de l'optimisation des conditions politiques nécessaires au développement»64(*). Dans ce contexte les régimes Africains en général et surtout ceux de l'Afrique noire francophone ne se rendirent pas compte de leur retard et des coûts de leur gestion calamiteuse (les dettes accumulées, la corruption et le clientélisme).

C'est dans cette atmosphère qu'intervinrent les changements en Union Soviétique lorsqu'un certain Mikhaïl Gorbatchev prend la tête du parti communiste de l'Union Soviétique en 1985. Il publie deux ans plutard aux Etats Unis son livre intitulé : la Perestroïka : New thinking for our country and the world. Comme son titre l'indique, ce livre donnait la nouvelle vision à la fois du monde et du système soviétique du nouveau leader et par cela prévoyait: les bouleversements importants que le monde allait connaitre. Ainsi la nouvelle théorie qui devait conduire les actions de l'Union Soviétique dans le monde devrait être celle de la coexistence pacifique, l'intérêt des deux blocs d'abandonner la course aux armements qui n'était qu'un gaspillage économiques, la reconnaissance que la nouvelle puissance mondiale était celle des richesses économiques et technologiques et non plus des armements lourds. Cette nouvelle donne fit découvrir à la puissance soviétique sa vulnérabilité. A ce titre Chevardnadzé (1991, p115) écrit : «ayant vaincu l'inertie des représentations habituelles, nous avons découvert que la possession d'un arsenal nucléaire démesuré n'offrait pas à l'Etat (soviétique) une défense sûre, mais qu'au contraire elle l'affaiblissait....». Par ce faire, les deux blocs commencèrent une nouvelle ère fondée sur le principe de la coexistence pacifique comme règle fondamentale des relations internationales et de ce fait l'Afrique qui était l'un des lieux des confrontations va perdre son importance d'où la perte des béquilles idéologiques et le début du démantèlement des régimes monopartistes (Francis Akindés, 1996). Sans perdurer dans le soutient aux régimes autocratiques africains, l'occident, sorti victorieux de la confrontation Est-Ouest, devrait les appelés à l'adoptions des valeurs politiques et économiques occidentales érigées en conditions du véritables développement.

C'est ce discours qui sera véhiculé à la baule en 1990 par François Mitterrand.

2. Le discours de la BAULE de François MITTERAND

Dans son mémoire réalisé à l'institut de science politique de Lyon en 1994, Félix François Lissouk essaye de décortiquer les grandes idées que véhiculait ce discours historiques de François Mitterrand devant les dirigeants africains le 20 Juin 1990.

En s'exclamant : « enfin, on respire, enfin on espère, parce que la démocratie est un principe universel. Mais il ne faut pas oublier les différences de structures, de civilisations, de traditions, de moeurs. Il est impossible de proposer un système tout fait», et en enchainant : «  lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c'est la seule façon de parvenir à un état d'équilibre au moment où apparant la nécessité d'une plus grande liberté, j'ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure : voilà le schéma dont nous disposons »65(*), François Mitterrand réaffirmait dans un discours ambigu (universalité de la démocratie, particularité, et proposition d'un modèle purement occidental) les nouvelles orientations que devaient prendre les relations qui devait lier son pays aux Etats Africains francophones.

En effet, comme pouvons le comprendre, il s'agissait tout d'abord d'exhorter voire d'ordonner les Etats africains à prendre le chemin de la démocratie, car pour lui c'était la meilleure voie ou la seule pour ces derniers de se développer. A ce titre il affirme : « puis-je me permettre de vous dire que c'est la direction qu'il faut suivre. Je vous parle comme un citoyen du monde à d'autres citoyens du monde : c'est le chemin de la liberté sur lequel vous avancerez en même temps que vous avancerez sur le chemin du développement. On pourrait d'ailleurs inverser la formule : c'est en prenant la route du développement que vous serez engagés sur la route de la démocratie». Aussi, il n'est pas question de n'importe quelle démocratie car d'autres conceptions avaient elles existées dans les démocraties populaires d'Afrique (en Guinée par exemple) mais plutôt de la démocratie représentative et multipartiste.

Comme portée, ce discours devrait permettre la mise en place dans les pays africains de régimes politique légitime c'est-à-dire devant acquérir l'assentiment de tout le corps social et surtout des principaux acteurs politiques. Ce qui signifiait que les leaders africains devaient ouvrir la porte de la scène politique à tous ceux qui ont été longtemps écartés comme opposants. De même instaurer comme principe la consultation du peuple dans les prises de décision.

A cela il faut ajouter la nécessité du partage du pouvoir qui découlait de ce discours par l'incitation à rejeter les partis uniques afin que tous les citoyens se sentent concernés par la gestion de la chose publique.

Toutefois il faut dire que si l'historique allocution de Mitterrand a fait naitre un grand espoir chez les partisans de la démocratie dans ces pays, elle n'était pas moins la manifestation d'une politique hypocrite du faire-semblant français qui a toujours marqué l'ancien Françafrique. C'est bien ce que le professeur Ngakoutou tente d'expliquer lorsqu'il écrit : « le grand paradoxe de ces pressions externes, jouant dans le contexte des démocratisations africaines, s'est ainsi souvent matérialisé par l'abstention des puissances tutélaires qui ont laissé se dérouler des rapports de forces en attendant de voir qui en sortirait vainqueur, quitte à couvrir des fraudes introduites dans les processus électoraux quand le bénéficiaires paraissait le plus apte à maintenir ou à rétablir la paix civile».

Par ailleurs, s'ils ont accepté plutard de s'engager, les dirigeants africains avaient manifesté dès le départ leur désaccord et surtout le fait qu'ils ne soient pas encore prêts. A ce propos le dirigeant zaïrois, Mobutu s'exprimait en ces termes : « le multipartisme n'est pas à l'ordre du jour», et que le parti unique (le MPR ou le mouvement populaire révolutionnaire) « n'est ni de gauche ni de droite ni du centre mais authentique». Cette même réaction sera aussi celle du président ivoirien.

Enfin même si ce discours devrait source de réussite pour les peuples d'Afrique son échec était déjà consommé. Nonobstant, les conditionnalités telles employées par les institutions de Breton woods et d'autres bailleurs de fonds comme l'Etat français allaient venir renforcer l'appel ambigu de la France.

3. Les conditionnalités démocratiques

Pour débuter, il faut définir d'abord la conditionnalité comme une : « liaison juridique faite entre l'octroi d'un avantage et le respect par le destinataire d'un comportement ou d'une obligation»66(*). Ensuite nous nous posons la question de savoir comment cette logique se réalisa t-elle dans la démocratisation en Afrique ?

En effet, lorsqu'il affirmait en 1990 à la Baule : « la France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté »67(*), François Mitterrand, président de la France, signifiait par là que l'accès des pays africains aux aides financières et autres de la France ne se ferra qu'avec le respect de certaines normes de la démocratie et de la gestion rationnelle économique.

Cette même idée sera reprise par les autres bailleurs de fonds institutions internationales et Etats occidentaux. Ainsi le FMI (ou fond monétaire international) sera le premier à rentre le concept effectif en déterminant en 1979 un ensemble de conditions propres à lui, en plus des obligations juridiques qui peuvent être liées à tout contrat, que tous ses débiteurs devront respecter afin de pouvoir rembourser ses dettes. Ces conditions étaient donc contenues dans ce document qu'il a appelé « Guidelines on conditionnality ». Il s'agissait par exemple pour un pays qui voulait bénéficier des fonds de l'institution de se lancer dans la libéralisation de son économie. Par ce fait ces fonds allaient être versés tranche par tranche au fil et à mesure que le pays évoluait dans cette libéralisation.

Ce sera la règle que vont établir aussi l'Union européenne, la Grande Bretagne, le Canada, les Etats Unis et la Banque mondiale dans l'octroi de prêt aux pays du tiers monde parmi lesquels figurent en bonne place ceux d'Afrique noire.

Si ces conditionnalités furent au départ purement économiques, elles changeront de cap en 1990 pour devenir essentiellement politiques et centrées sur l'ambiguë notion de Bonne Gouvernance ou les traits de qualification des bons élèves de l'occident.

C'est dans ce contexte que les institutions de Breton woods seront mandatées, selon les termes68(*) du prix Nobel d'économie et vice président de la Banque Mondiale, Joseph E. Stieglitz, de mettre en oeuvre l'idéologie du libre marché telle développée en Grande Bretagne et aux Etats Unis sous respectivement les gouvernements Tchatcher et Reagan. Ainsi tous les prêts sont accordés à condition que les Etats s'attèlent à mieux pratiquer la démocratie, les principes de droits de l'Homme qui sont conçus à cet égard comme des préalable au développement d'un pays. A ce titre cette affirmation de l'ancien directeur du FMI est illustrative : « la démocratie participative, cette grande conquête du XXème siècle sur le colonialisme, le totalitarisme et le copinage, peut optimiser l'efficacité d'une politique économique bien conçue».

Dans le même esprit seront conduits les accords de partenariat signés entre la Communauté Européenne et les pays de l'ACP (Afrique- Caraïbe et pacifique) et particulièrement la troisième convention (Lomé III) de 1985. Cette dernière sera renforcée par Lomé IV signée en 1990 et révisée en 1995, elle aura pour objectif  de « renforcer la dimension politique, établir une articulation entre développement et droits de l'Homme, renforcer l'appui à l'ajustement structurel. Elle introduit les conditionnalités (économiques et politiques) et les sanctions». Ainsi la lutte contre la corruption sera donc au centre des conditions.

Quant à la position française, elle restera toujours obscure en la matière car toujours, elle n'a cessé de soutenir les dictatures en Afrique. A ce propos, Francis Akindés avance : « s'il n'existe plus d'ombre d'un doute sur l'implication de la France dans le déclenchement et la poursuite du processus démocratique en cours en Afrique subsaharienne francophone, il est par contre difficile de dégager la ligne politique qu'elle s'est fixée pour accompagner le mouvement »69(*). Il poursuivra en notant que la France avait assisté militairement Mobutu à le rétablir en 1991 alors que ce dernier continuait à bloquer le processus démocratique.

C'est donc en ce lieu qu'il faut rappeler que loin de répondre aux besoins de bon gouvernement des Africains, ces conditionnalités ont été à l'origine de la remise en cause de la souveraineté de ces Etats qui se sont vus en grande partie ôter de leur pouvoir de décision mais aussi l'endettement résultant de l'échec de ces politiques allait être la cause de nombreuses troubles internes car c'est dans le même cadre que les fameux plans d'ajustement structurels ont été proposés et institués (à analyser plutard).

Par ailleurs, il faut rappeler que ces pressions extérieures n'ont pas été à elles seules déclencheuses de la démocratisation en Afrique noire francophone, mais aussi des problèmes internes étaient là.

B. LES CAUSES INTERNES DES TRANSITIONS DEMOCRATIQUES EN AFRIQUE

L'étude des facteurs internes à l'origine du départ des régimes de parti unique en Afrique subsaharienne francophone est d'une importance capitale. Car à ne croire qu'à la littérature qui précède, on pourrait facilement penser que les africains en eux-mêmes se fiers de vivre dans des régimes minés parfois par les intérêts personnels et la privation de libertés fondamentales. Tel n'est pas le cas. C'est pourquoi Ngakoutou tente dans son ouvrage précité, de mettre l'accent sur ces facteurs internes. Aussi cette présente analyse pourra permettre de toucher le rôle joué par les principaux acteurs politiques en Afrique dans ces transitions. Ces acteurs sont essentiellement les syndicats, les étudiants, la diaspora, le peuple, les barreaux, les partis, les groupements de femmes, les médias....

Cela dit, il convient de rappeler que les soulèvements populaires qui ont conduit à l'ouverture politico-économique en Afrique noire francophone étaient le fruit une double crise : celle économique qui a abouti à l'ajustement structurel (1) et la crise de légitimité ou politique (2).

1. La faillite des économies et les plans d`ajustement structurel

« L'étau s'est resserré autour du tiers monde en général et en particulier l'Afrique»(1996). C'est par ces mots que Francis Akindés introduisait son analyse de cette grande crise qui a marqué les pays Africains en général et particulièrement ceux francophones. En effet, comme nous l'avons déjà mentionné plus haut, après la crise pétrolière des années 70 et les appels du tiers monde d'équilibrer la balance des échanges entre le Nord et le Sud, les Etats d'Afrique comme, à l'instar de leur pairs du reste du Sud, ont bénéficié dans un laxisme financier d'un afflux de capitaux étrangers sans précédent. Cette assistance empoisonnée du Nord se soldera par une faillite profonde de ces systèmes économiques mal conçus. A cela il faut ajouter la flambée des cours matières premières.

Cette situation alarmante sera l'occasion idéale saisie par les pays riches et leurs institutions financières (Banque mondiale et FMI) de venir imposer les « plans de sortie de crise » ou plans d'ajustement structurel. Ces plans visaient : la privatisation, la dévaluation, la compression de la consommation interne, la promotion des exportations, l'équilibre budgétaire. Criblés de dette, en état de lourd déficit budgétaire, avec une politique économique inadéquate, les Etats Africains devaient s'engager dans une nouvelle voie de mise sous tutelle de leur souveraineté économique et politique qui ne sera sans conséquences sur la vie des populations.

En effet, les nouvelles mesures prises vont entrainer : une forte réduction des ressources due à l'exportation, de la stagnation voire la baisse importante du flux des ressources externes, des mesures d'austérités (comme le cas actuellement en Grèce), le nombre de Pays les moins avancés dans le monde passant de 31 à 42 avec 28 pays africains. Cette détérioration de la situation macroéconomique aggrava aussi le chômage surtout dans les grandes villes. D'où, presque partout en Afrique les contestations populaires grandirent, les peuples réclament la démocratie c'est-à-dire plus de liberté, la justice sociale, l'amélioration des conditions de travail.

La résistance partit principalement des syndicats. Ces derniers longtemps subordonnés au parti-Etat après les luttes d'indépendance se voient se décomposer en de petites corporations autonomes, chacune désirant affronter le pouvoir politique pour faire valoir ces intérêts. Au Sénégal et en Côte d'ivoire, ces groupuscules très remontées se multiplièrent. Après les syndicats vinrent les mouvements d'étudiants. C'est dans ce contexte que Bourdieu affirme que ces étudiants qui sont les « dominés de la classe dominante » s'offrent aussi le droit de demander des comptes à l'Etat. En effet, se sentant laissés pour compte par le pouvoir central, les milieux universitaires, enseignants et étudiants ont développé une certaine conscience autonome encrée dans une certaine méfiance face au gouvernement. Ce qui leur permit donc de jouer un rôle important dans ces changements. Rappelons a ce propos que ce sont les étudiants qui ont poussé le président Senghor a adopté plutôt en 1974 le multipartisme intégral au Sénégal. A ces deux couches importantes, il faut ajouter le reste de la population ainsi que la société civile, épris de liberté mais aussi souffrants du coût des inflations. Ce sont toutes ces colères qui serviront de pions d'entrée des oppositions longtemps cantonner à l'extérieur qui interviendront pour participer à la transition tant attendue.

Malgré les répressions, les grognes restaient non maitrisables. Ce qui dénotait de la crise de légitimité de l'Etat.

2. La crise de légitimité de l'Etat

Dépouiller de ces facultés politique et juridique sur le plan international, l'Etat africain est de plus en plus exposé aux révoltes internes. Ce qui spolie à plus d'un titre son existence. Face au premier cas les Etats sont tous simplement remplacés dans leur rôle d'élaboration de politiques générales devant prévoir les besoins primaux des populations. Car, avec les plans d'ajustement structurel les grandes orientations et les objectifs déjà définis depuis l'extérieur et « le bon élève n'a seulement qu'à les mettre en oeuvre au profit de l'enseignant (les bailleurs de fonds) ».

La perte des entreprises nationales et la réduction croissante du nombre de fonctionnaires de l'Etat, le non paiement des salaires de ces derniers pendant de long moment expliquait cette absence de la maitrise de la vie nationale par l'Etat. Dans ce dernier, il se révèle que les pays francophones d'Afrique noire n'ayant aucune faculté d'émettre leur propre monnaie, ne pouvait imprimer des billets supplémentaires pour payer des salaires.

Pire est l'occupation de certaines instances administratives et gouvernementales africaines par des experts venus du Nord. Ces étrangers venus occupés de postes-clefs dans les institutions remettaient en cause ce qui avait été consacré comme une manifestation de souveraineté. En effet, lorsqu'ils avaient accédé à l'indépendance les Etats africains indigénisèrent l'ensemble des poste jusque là détenus par les administrateurs coloniaux. Ainsi cette désindigénisation imposée par le Nord ne pouvait qu'apparaitre comme un retour en arrière : le néocolonialisme.

C'est donc cet Etat épuisé qui devait se lancer dans le marathon de la transition. Faut-il dire que ce parcours était déjà obstrué d'avance ? Si nous ne répondrons pas rapidement par la positive, nous proposons l'examen des enjeux de cette démocratisation.

II. LES ENJEUX DE CES TRANSITIONS DEMOCRATIQUES

Passer à la démocratie n'est pas chose simple car les étapes à franchir sont importantes. D'énormes défis que nous considérons ici comme enjeux et dont il faut relever, pointent toujours à l'horizon. Bien que nombreux ces enjeux, nous n'évoquerons que quelques uns, à savoir : le défi de la culture démocratique (A), de la gouvernance (B).

A. LE DEFI DE LA CULTURE DEMOCRATIQUE

Comme nous avons déjà donné les idées essentielles sur la notion de démocratie plus haut, il s'agira cette fois ci de chercher à la comprendre comme une culture surtout dans l'esprit dans lequel elle est véhiculée aujourd'hui. En effet nous partons d'abord du concept de culture tel défini par la déclaration de Mondiacult comme « l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuel et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et croyances70(*)».

Lorsqu'on applique donc cette définition à la notion de démocratie il y ressort que cette dernière n'est pas une simple somme de techniques mécaniquement agencées comme l'action de voter ou les semblants de consécration du multipartisme que nous connaissons en Afrique. C'est vraiment une culture. Et selon les mots du professeur Timothée Ngakoutou, cette culture est celle des droits de l'Homme. C'est de là qu'il plaide pour une reconnaissance de l'universalité de ces droits innés à la nature humaine.

Cette culture démocratique qui réside donc dans la reconnaissance et le respect des droits de l'Homme vise à protéger chaque individu de la tyrannie du groupe mais aussi à accepter les différences culturelles qui marquent les nations. Dans cet esprit, la culture démocratique s'affirme comme une culture du multiculturalisme. Aussi en parlant de culture démocratique comme culture des droits de l'Homme nous faisons allusion à ces droits politiques et civils mais aussi des droits économiques et sociaux qui doivent guider la conduite d'une nation démocratique. Ces droits bien que naturels, car innés en la nature humaine, sont aussi construits en tant que données culturelles. Cette construction est donc le fait des Femmes et des hommes qui aspirent à ces valeurs. En ce sens, cette démocratie demande liberté, éducation et réflexion, car elle implique une série de choix et de décisions.

En outre la démocratie dans cette logique s'annonce comme un ensemble de comportements devant être développés et adaptés à l'évolution de la société. Ces comportements sont ceux de la critique de soi et l'acceptation de celle d'autrui, le sens de l'écoute, le respect des principes fondamentaux de justice et de liberté.

Elle impliquera aussi la proclamation et la reconnaissance des droits de la femme tels développés par les nombreuses conventions auxquelles ces pays sont parties. Il s'agit notamment de la convention de 1962 sur le consentement au mariage, la déclaration de 1967 sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes.

C'est donc un mariage avec ces valeurs que doivent réaliser ces Etats. Bien que conscients du fait que toute ces valeurs ne sont pas si étrangères à leur tradition mais la dimension individualiste dans laquelle elles s'inscrivent de nos jours ne facilite pas leur encrage dans ces passés essentiellement communautaristes.

Par ailleurs, il convient de noter que le défi culturel se prolonge dans un autre champ très important qui est la gouvernance.

B. LA QUESTION DE LA GOUVERNANCE COMME ENJEUX DE LA DEMOCRATISATION

Il ya encore 50 ans c'est-à-dire dans les années 60, le bon gouvernement ne se déterminait qu'en terme de performance économique quel que soit parfois le coût humain. Cependant ces vingt dernières années la question a changé de cap, tout véritable développement devra se fonder sur le respect des principes démocratiques en atténuant les coûts politique et social. Ce principe s'est imposé comme norme première de qualification de la meilleure gestion de la chose publique. Car c'est seulement de là que réside la légitimité et l'efficacité. Il s'agit essentiellement de la notion de la Bonne gouvernance.

En effet cette notion qui est étymologiquement très ancienne est réapparue dans les années 80 et 90 dans le cadre du néolibéralisme anglo-saxon visant à trouver un terrain d'entente entre le politique et l'économique mais surtout à limiter voir supprimer l'interventionnisme excessif de l'Etat sur le marché économique (plus de privatisation et moins de public) en vue d'une gestion rationnelle, transparente et responsable des richesses nationales. Cela devra impliquer une forte participation des citoyens aux différents niveaux de prise de décision aussi leur contrôle de l'exécution de ces décisions.

Ainsi très tôt les institutions de Breton woods vont s'en approprier pour les inclure dans les conditionnalités de coopérations avec les Etats du tiers monde. C'est dans ce contexte que cette notion fut considérée par ces derniers comme une nouvelle forme d'impérialisme et d'ingérence dans leurs affaires. Cependant, la démocratie devenant la condition de tout développement harmonieux et durable, inscrite comme talon d'Achille de cette notion de bonne gouvernance, demande pour sa réalisation que cette dernière notion soit vraiment prise en compte. D'où un autre pont que les Etats candidats à la démocratie devront traverser.

Toutefois au delà de ces défis, un constat se pointe à l'horizon sur le contenu réel de ce qu'on qualifie d'enjeux de la démocratisation en Afrique. Ce constat nous pousse à nous interroger si ces concepts dont l'universalité est tant défendue par des auteurs comme le professeur Ngakoutou, ne sont pas tout simplement le fruit d'un universalisme occidental qui s'inscrit dans la fameuse eschatologie de Fukuyama et qui tente d'uniformiser le monde ? Relever ces défis constitue t-il pour ces pays la voie à l'accès au bien être dont la recherche sous tend ces changements ? Les pères des indépendances, théoriciens des partis uniques n'avaient ils pas raison lorsqu'ils pensaient que leur construction étaient plus adaptées aux contextes africains. C'est donc à ces questions qu'il conviendra de répondre dans les lignes qui vont suivre mais bien avant, il sera nécessaire d'exposer la réponse des Etats d'Afrique noire francophones aux demandes de la Baule et indirectement des Bailleurs de fonds. Il s'agira donc des formes et des limites de ces transitions démocratiques.

* 64 Francis Akindés, les mirages de la démocratie en Afrique subsaharienne francophone, 1996, Paris, éd. Karthala, p14

* 65 www.rfi.fr, discours de François Mitterrand à la Baule en 1990.

* 66 Mamadou N'DIAYE, thèse de doctorat, e-gouvernance et démocratie en Afrique : le Sénégal dans la mondialisation des pratiques, p36 (M. Fau-Nougaret, La conditionnalité démocratique..., op. cit, p. 7).

* 67 Discours de François Mitterrand à La Baule, 20 juin 1990, in Politique étrangère de la France, Mai-Juin 1990, p. 130.

* 68 Mamadou N'DIAYE, thèse de doctorat, e-gouvernance et démocratie en Afrique : le Sénégal dans la mondialisation des pratiques, p37.

* 69 Francis Akindés, les mirages de la démocratie en Afrique subsaharienne francophone, 1996, Paris, éd. Karthala, p123.

* 70 Conférence mondiale de l'Unesco à Mexico en 1982.

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