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La problématique du politique dans " Démocratie et totalitarisme " de Raymond Aron

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par Théodore Temwa
Université de Yaoundé I - Diplôme d'études approfondies en philosophie 2008
  

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DEUXIEME PARTIE :

RAYMOND ARON ET LA QUESTION DU POLITIQUE

Le politique désigne à la fois le domaine et la connaissance que nous avons de la politique, c'est-à-dire le fait politique, la pratique politique ou le fonctionnement direct des régimes et la conception que chacun peut avoir concernant ce fonctionnement, mais surtout les idées normatives pour une meilleure organisation de la chose politique. Toutefois, conception ne signifie pas chez Aron doctrine ou théorie car sa prudence l'empêche d'en proposer. Il préfère analyser les situations présentes et les rares prédictions qu'il fait tiennent soit de l'optimisme soit du pessimisme que lui inspirent les faits. Il n'y a pas, suivant sa conception, de philosophie politique qui ne soit bâtie sur l'observation des faits : l'étude de la société industrielle sert d'introduction à l'étude des relations entre les classes qui, à son tour, conduit à celles des régimes politiques. Dans la partie précédente, nous faisions état de cette démarcation par rapport à la philosophie politique classique et à la philosophie politique moderne, obsédées qu'elles sont, à son avis, par la recherche de la meilleure forme de gouvernement. Toujours dans cet esprit de démarcation, il clarifie ici sa position tout en cernant le phénomène totalitaire, pour trouver par là même des remèdes aux multiples maux de la démocratie.

CHAPITRE I

CLASSIFICATION DES REGIMES POLITIQUES DES SOCIETES MODERNES

De l'avis de Raymond Aron, le monde actuel est gouverné par deux types d'homme : ceux qui ont réussi dans la paix et ceux qui ont réussi dans la guerre. Ces deux types d'homme fabriquent à leur guise deux types de gouvernement : un gouvernement constitutionnel-pluraliste pour l'homme de paix et un gouvernement de parti monopolistique pour l'homme de guerre. La quasi-totalité de nos gouvernements actuels répondent à ces deux types ou, à défaut, sont mixtes ou non classés. C'est à base de ce constat, estime-t-il, qu'il faut classer les régimes politiques et non selon le mérite. Il en donne ici la raison avant de procéder à la caractérisation des deux régimes politiques qui correspondent aux types de société industrielle.

1- Raymond Aron et la question du meilleur régime

Tout régime politique se définit par la manière dont il combine les diversités sociales avec une politique. Et comme tel, la question du bien et du mal reste toujours ouverte. Tous les régimes politiques sont jugés au moins sur la question de la liberté, directement rattachée à celle du bien. Si les Anciens à l'instar de Platon et Aristote, et les Modernes comme Montesquieu, ne cachent pas leur souci de classer les régimes par ordre de mérite, Raymond Aron ne cherche pas à savoir quel régime est le meilleur. Tel que nous l'évoquions dans le Premier chapitre de la Première Partie, il ajoutait au critère numérique voulu par Aristote, le mode d'exercice de l'autorité introduit par Montesquieu. Mais il y a encore plus. C'est que le mode de gouvernement ne peut pas être considéré abstraction faite des organisations économiques et sociales.

Aron entreprend toute cette dialectique pour dire pourquoi il n'est pas besoin de rechercher le régime le meilleur. Il se pose la question de savoir si une classification qu'on tenterait d'établir serait valable seulement par rapport à une organisation économique et sociale ou pour toutes les époques.

En fait, je suivrai, dit-il, la méthode prudente. Je me bornerai à esquisser une classification des régimes politiques dont je restreindrai la validité aux sociétés industrielles. [...] En termes plus généraux, à partir du moment où le régime politique est lié à l'organisation sociale, la diversité d'organisations sociales, possibles et réelles, semble décourager à l'avance la recherche du meilleur régime dans l'abstrait.59(*)

Montesquieu ne se demande pas, au moins explicitement, quel est le régime le meilleur, à la manière d'Aristote. D'après Aristote, dit encore Aron, la recherche du régime le meilleur était légitime, parce qu'il existe une finalité de la nature humaine. Le mot nature ne désigne pas simplement la manière dont les hommes se conduisent individuellement ou collectivement, mais aussi ce à quoi les hommes sont destinés. La recherche du meilleur régime est essentiellement philosophique puisqu'elle équivaut à l'avance à l'argumentation selon laquelle les régimes seraient différents. Raymond Aron se réclame sociologue et décline cette responsabilité. Dans les Dimensions de la conscience historique, parues quatre ans avant Démocratie et totalitarisme, il s'interrogeait en ces termes :

Quelles sont les idées auxquelles accède le philosophe et qui lui donne les critères de la vérité ? Le régime conçu dans la République, le régime le meilleur, n'est-il pas, en dernière analyse, la transfiguration des nostalgies réactionnaires, le rêve des vieilles familles patriciennes ? Régime totalitaire surenchérit le critique du XXème siècle. La prétention du philosophe à détenir, avec la vérité absolue, le secret du régime le meilleur, le rêve de confier à des « savants » une autorité inconditionnelle, est la racine même de la tyrannie totalitaire.60(*)

Bien plus, avec la Modernité, la reconnaissance de la multiplicité des régimes sociaux et des principes semble écarter la recherche du régime le meilleur, du simple fait qu'elle rejette la conception finaliste de la nature humaine. En effet, les philosophies du contrat social et les philosophies de l'histoire ont construit une conception mécaniste de la nature humaine. Selon qu'on se situe par exemple chez Hobbes ou chez Spinoza, on envisage un régime politique susceptible de garantir la paix et la sécurité sociales, corrélativement aux comportements des individus. Pour Hobbes qu'Aron qualifie de grand auteur de la tradition politique, l'homme est défini par le désir, la volonté de sauver sa vie et de jouir des plaisirs ; sa conduite est ainsi guidée par l'intérêt. D'où la question centrale : quel doit être le régime politique pour assurer la paix entre les hommes. Aron se rend alors à l'évidence qu'

à l'intérieur d'une telle philosophie, on s'interroge sur l'extension de la souveraineté : que faut-il accorder au pouvoir pour empêcher la guerre civile ? Dans la conception finaliste, on se demandait ce que doit être le souverain pour que les hommes vivent vertueusement.61(*)

Quant à Spinoza qu'Aron évoque aussi, les hommes lui paraissent entraînés par leurs passions, abandonnés à eux-mêmes et ennemis les uns des autres parce que n'étant pas raisonnables. D'où cette autre problématique : quel type de pouvoir peut imposer la paix entre les citoyens en édictant les lois ? On voit bien qu'autant Hobbes veut la paix par l'application d'une souveraineté absolue et illimitée, autant Spinoza veut limiter le souverain pour que la paix soit celle des hommes libres.

En ce qui concerne le matérialisme de Marx dont nous avons déjà longuement parlé sous la plume d'Aron, c'est l'infrastructure sociale qui détermine la structure politique.

Ce qu'il faut retenir de ces remarques historiques et conceptuelles, c'est que la question du meilleur régime n'a plus sa raison d'être. Conscient du fait qu'on ne peut pas arriver à une conclusion univoque quant à la comparaison des régimes politiques, Aron se déclare pour sa particularité : son étude n'est ni liée à la conception finaliste de la nature humaine, ni à la philosophie machiavélienne62(*), encore moins à l'historicisme ou historisme. D'ailleurs la question du régime le meilleur lui semble insensée. C'est pourquoi il se propose tout simplement d'établir un régime légitime dont l'organisation serait efficace et ceci uniquement à travers les sociétés industrielles dans lesquelles nous vivons.

* 59 R. Aron, Démocratie et totalitarisme, pp. 44-45

* 60 R. Aron, Dimensions de la conscience historique, 2e éd. Plon, Paris, 1964, pp. 257-258.

* 61 R. Aron, op.cit, p. 46.

* 62 Dans un essai paru à Londres en 1940 dans « La France libre », Aron définissait le machiavélisme moderne comme « le fond de toutes les prétendues philosophies totalitaires » dont il résumait ainsi les traits essentiels : pessimisme antihumaniste, rationalisme instrumental et amoral mis au service d'une volonté de puissance, exaltation de l'activisme et du volontarisme.

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