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La problématique du politique dans " Démocratie et totalitarisme " de Raymond Aron

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par Théodore Temwa
Université de Yaoundé I - Diplôme d'études approfondies en philosophie 2008
  

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3- De la course à la maîtrise des armements : les vertus de la dissuasion

Examinons ici les deux composantes d'une guerre que sont la violence et la détente ou négociation. Lorsqu'une guerre éclate, on emploie la violence pour anéantir l'ennemi et lorsque celui-ci est anéanti, il signe la reddition pour se tirer d'affaire. Mais la guerre froide est différente des guerres classiques dans lesquelles des armées se heurtant, la destruction de l'armée ennemie signifie la victoire de l'autre. La Guerre froide est complexe et demande des solutions complexes.

Une première tentative de solution de la Guerre froide a été le réarmement, proposée par le diplomate américain Henry Kissinger. Pour ce gestionnaire des crises de l'histoire américaine du XXe siècle, les Soviétiques ayant la force militaire terrestre, les Américains devaient intensifier leur armement nucléaire afin de constituer une force dissuasive. Mais cette solution paraît impropre à R. Aron qui se demande si la course aux armements n'est pas plutôt une cause qu'une simple conséquence de la guerre froide. En effet, vingt ans après le début du conflit, les crises persistent. L'échec américain au Vietnam, le dialogue stratégique soviéto-américain, le rôle nouveau de la Chine, l'évolution du Moyen-Orient depuis la guerre du Kippour, la fin des accords de Bretton-Woods et la crise du système monétaire international, la crise de l'énergie, l'effort militaire gigantesque de l'URSS sur fond de crise du système communiste aux plans intérieur et extérieur, les attentats perpétrés en Afrique, toutes ces crises vont commander la « nouvelle Guerre froide » mais en même temps mener petit à petit vers un « monde multipolaire »52(*).

On pouvait constater une accalmie apparente, mais cela relevait plus de la stratégie même de la Guerre froide que de la paix. Il n'y avait pas d'attaque frontale, mais par petits pays interposés ou pays tiers.

En effet, remarque Aron, l'équilibre américano-soviétique reposait sur le fait qu'aucun de deux partenaires ne s'en prenait directement aux intérêts vitaux de l'autre, ce qui valait en particulier pour les positions respectives de chacun d'eux dans les deux Europes.53(*)

En outre, dans sa coalition communiste contre la démocratie, Moscou utilisait une tactique très prudente : « progresser le plus avant possible sans commettre aucun acte susceptible d'apparaître, vu de Washington comme un casus belli. »54(*)

S'agissant de la bombe atomique que les Américains avaient utilisée dans les villes japonaises d'Hiroshima et de Nagasaki, elle n'avait vraiment pas de vertu diplomatique comme ils l'avaient prétendu. Certes, ils ne la brandissaient pas mais voulaient utiliser ce qu'il convient d'appeler une « présence latente » pour peser sur les Russes. Mais plutôt que d'accepter ce sous-entendu, ces derniers vont entretenir la rumeur d'en posséder eux aussi ; ce qui rend le climat des négociations encore plus tendu. Le jeu dissuasif est lancé : chacun de deux dit avoir le potentiel militaire capable de détruire en une frappe, les armes et les villes de l'autre. Mais cette menace de représailles massives est-elle crédible et à même d'arrêter les hostilités ?

L'équilibre des forces, l'histoire de tous les siècles est là pour en témoigner, n'a jamais empêché les guerres. Il désigne la capacité de chacun d'infliger à l'autre, en cas d'agression, des destructions « intolérables ». Mais il est malaisé de savoir à l'avance quelle est la valeur exacte d'une armée. Dans cette optique, Aron affirme que

L'équilibre de la terreur apparaît à certains comme la garantie de paix, cependant que d'autres esprits craignent le suicide de l'humanité. Cet équilibre, fondé sur la capacité des adversaires de s'infliger les uns aux autres des destructions intolérables, n'est pas définitivement assuré. L'invulnérabilité des forces de représailles n'est jamais complète.55(*)

En effet, la crainte de l'apocalypse thermonucléaire n'établit ni une paix stable, ni une paix universelle. La doctrine des représailles massives est donc loin d'être une solution à la Guerre froide. Si la dissuasion peut souvent aider à prévenir des conflits, elle n'est en soi ni une solution préventive, ni une solution curative de la guerre. Certes les armes nucléaires inspirent aux Etats une prudence salutaire, puisque tous craignent « l'ascension aux extrêmes », expression que Raymond emprunte à Clausewitz. Mais l'expérience vietnamienne a prouvé et l'expérience palestinienne prouve encore aujourd'hui les limites de la dissuasion. Nul ne doute aujourd'hui de la puissance militaire israélienne comme nul ne doutait dans les années 60 qu'il était dangereux de déclencher la machine militaire américaine, mais les Nord-vietnamiens et les Palestiniens ont montré, par leur obstination, les limites de la force des armes. Disons tout simplement que la toute-puissance militaire n'existe pas. Le cinglant revers des Talibans en Afghanistan en administrait la preuve : une troupe d'indigènes, mal armés au début, divisés de surcroît en tribus hostiles, infligeait au corps expéditionnaire soviétique sa première défaite et l'obligeait à plier bagage. Et le scénario n'est pas loin de se reproduire aujourd'hui avec la coalition des forces atlantiques, engagées dans des guerres de « subversion » qu'il faut bien opposer aux guerres entre armées régulières dont l'issue peut être pronostiquée.

Ainsi, la menace nucléaire, comme tout arsenal militaire ne suffit pas à prévenir toutes les agressions. La M.A.D (Mutual Assured Destruction) n'était donc pas la solution indiquée pour arrêter la Guerre froide.

Les doctrines se succèdent. En cas d'attaque, il faut répondre proportionnellement et graduellement. Cette politique de la Flexible Response doit faire suite à l'attaque ; mais qui prendra la responsabilité de frapper le premier ? Les Américains maintenaient la théorie du No first Use et on voyait mal les Russes mettre leur « fausse » menace à exécution. On appliquait finalement la politique du Containment c'est-à-dire de l'endiguement.

Mais Kissinger n'a pas moins proposé la détente. L'idée que les deux « Grands » devaient s'entendre afin d'éviter le risque d'une guerre nucléaire tout en soumettant leur rivalité, dans les zones contestées de la planète, à une règle de modération, constituait une partie intégrante de la sagesse conventionnelle. Bien plus, ce diplomate plutôt averti n'acceptait qu'avec réserves les conceptions et les pratiques des hommes politiques. Il mettait en garde contre l'illusion de traiter avec une puissance révolutionnaire comme avec un Etat ordinaire. Cependant, il réussira moins, dit Aron, dans son va-et-vient entre la détente et le machiavélisme - si du moins on mesure la réussite au rapport entre ce que l'on prétend vouloir et les résultats que l'on a atteint. D'ailleurs, la détente qu'il proposait n'était que le fait d'une nécessité : le bourbier vietnamien était évident et l'opinion américaine réclamait la fin d'une guerre immorale et coûteuse.

Dans le décryptage que R. Aron fait de la détente de Kissinger, la coexistence pacifique s'impose si la guerre nucléaire constitue l'autre terme de l'alternative. Or, pour que la partie demeure égale, il faut que les partenaires rivaux lui donnent le même sens. La vague communiste, ainsi que l'écrivait Marx à propos de la vague slave, s'arrête quand elle rencontre un barrage mais elle cherche une fissure ou une faille. Le dogme des conquêtes irréversibles du socialisme, la boulimie expansionniste du communisme même agonisant laissent planer un doute. Et R. Aron de faire la remarque :

Des traits spécifiques d'une diplomatie communiste, retenons-en deux qui marquent le train des affaires mondiales : la permanence du conflit, l'illimitation des objectifs. L'Union soviétique agit sans trêve comme si elle était en guerre, elle ne tient jamais un statut territorial pour définitif. Toute avance du communisme est une base de départ en vue d'une avance ultérieure. Toute retraite vise à un regroupement en vue d'une future offensive.56(*)

Les dirigeants russes ne veulent évidemment pas la guerre ; même les sommes énormes qu'ils consacrent à leurs forces aériennes, navales et terrestres ne prouvent nullement qu'ils veulent envahir l'Europe occidentale. Mais des armes accumulées ne sont pas non plus destinées à la pêche à la ligne. Comme l'a si bien dit le Chancelier allemand Otto Von Bismarck, l'essentiel, ce n'est pas l'intention mais le potentiel. Cette attitude que la Russie reproche aujourd'hui à l'Amérique pour son renforcement militaire de l'Alliance Atlantique était la sienne il y a une quarantaine d'années. En réalité, l'accumulation des armes visait à lui assurer en Europe une supériorité militaire qui peu à peu se transformerait en prédominance politique et, en cas de retrait américain, en quasi-empire. Mais le retrait n'était pas envisageable puisque c'est la présence américaine qui assurait la sécurité de l'Europe, prise entre deux armes nucléaires.

Si donc la course aux armements ne porte pas les résultats escomptés, il faut trouver une autre solution. Logiquement, il faut maîtriser les armements. La maîtrise des armements ou arms control peut être interprétée comme une modalité de désarmement ou comme un substitut de l'impossible désarmement. La théorie se fonde, selon Aron, sur une prémisse logique : a fortiori, les Etats ou les peuples doivent avoir le même intérêt et éviter une guerre à mort qui, à l'époque nucléaire, signifierait littéralement la mort de tous. Les doctrinaires avancent une autre prémisse quelque peu contradictoire à savoir : le désarmement général et total n'est ni possible ni souhaitable. Pas possible parce qu'aucune des deux superpuissances ne renoncerait à l'arme monstrueuse, ne serait-ce que par crainte que l'autre ne la conserve en secret. Non souhaitable parce que les armes nucléaires, par l'horreur qu'elles suscitent, contribuent à prévenir ou à limiter les guerres. Dans l'opinion, l'arms control devenait un moyen de réduire le risque de cette folie meurtrière que les peuples qualifiaient tour à tour de menaçante et d'impossible.

Faute de confiance entre les deux belligérants, faute de la capacité des satellites à contrôler tous les missiles, les armes classiques, alors permises, étaient travaillées de la manière la plus sophistiquée et la situation était toujours loin de s'apaiser.

Dans cette « détente turbulente » où les Soviétiques ne relâchent ni leurs efforts ni la compétition idéologique, il ne faut y voir, selon Aron, « autre chose qu'une modalité historique entre les deux systèmes sociaux ».

Cette situation contradictoire de la détente avec Moscou et la permanence des conflits entre les deux Grands ou les deux systèmes sociaux vient du fait que la détente pour le Secrétaire d'Etat, Kissinger, répond tantôt à l'humeur du Congrès et de l'opinion, tantôt à l'intérêt national où elle devient politique « dure ».

Dans tous les cas, la dissuasion était non acquise. La question centrale était de savoir qui frapperait le premier. Et subsidiairement, on continuait à se demander si une seule frappe suffirait réellement à détruire l'arsenal militaire de l'autre. Tout au plus, les deux doctrines de course et de maîtrise des armements conduisaient à la situation que R. Aron désignait par « Paix impossible, guerre improbable ». Car,

si deux Etats possèdent l'un et l'autre quelques bombes atomiques, chacun d'eux se croyant capable de désarmer l'autre, l'histoire répéterait la conjoncture bien connue : chacun des deux duellistes redouterait la frappe par « anticipation » de l'autre. Même si le schéma des gangsters ou des cow-boys ne reflètent pas le rapport de deux Etats, obsédés par le risque d'être désarmé si l'autre frappe le premier, même si les deux forces passent pour invulnérables, je doute qu'entre des ennemis inexpiables l'armement soit pacificateur.57(*)

Face à cette situation angoissante, convaincu comme Kant que rien dans un affrontement ne peut rendre la paix et la concorde futures impossibles, Aron proposait alors un certain nombre de mesures politiques, militaires et économiques susceptibles de ramener la paix.

Mieux que la course aux armements, il proposait une combinaison de réarmement et de négociation, combinaison qui permettrait de prolonger une paix incertaine et belliqueuse. Le téléphone rouge était toujours ouvert entre la Maison Blanche et le Kremlin mais Aron estime que les négociations n'étaient pas franches. Il remarquait en effet que le développement des fusés à têtes multiples permettait aux soviétiques de réaliser le programme qu'ils s'étaient fixé et obligeait en même les Américains à un effort plus grand pour maintenir l'équilibre ; ce qui contribuait paradoxalement à un maintien de tension. C'est dire que si l'armement nucléaire pouvait endiguer les ambitions russes, il fallait, faute de résultats escomptés, le combiner avec les vertus démocratiques qui ne jouent pas moins un rôle de contrepoids face à la menace totalitaire. Dans un article du Figaro daté du 12 juin 1975, intitulé « La troisième guerre mondiale n'a pas eu lieu », il proposait qu'il faille continuer à refuser à la fois la guerre et la capitulation face la menace soviétique.

En plus de la combinaison politico-militaire, il fallait songer à la reconstruction des pays européens à qui l'Union Soviétique proposait le communisme et mettait en garde contre l'aide économique américaine qu'elle qualifiait d' « impériale ». R. Aron trouvait au contraire dans le Plan Marshall une solution économique sans pareille. Il était alors d'accord avec le Général Marshall qui, lors de son discours du 5 juin 1947, dit ceci : « le relèvement de l'Europe serait la meilleure barrière contre l'impérialisme soviétique, la mine de l'Europe offrirait l'occasion souhaitée de la conquête de l'intérieur »58(*).

On peut remarquer que dans la quête des solutions relatives au problème de la paix pendant la Guerre froide, les Américains qui avaient la supériorité technique multipliaient les doctrines alors que les Russes, puissants seulement en nombre, se contentaient d'en accepter ou d'en refuser l'esprit. Eternels ambitieux, ils misaient sur des armements dont rien ne laissait présager l'utilisation. Ils n'ont utilisé leur armée que pour maintenir leur zone impériale et pour intimider l'Ouest. Plus la destruction mutuelle était assurée, moins les chances de passer à l'acte s'amoindrissaient. L'idée même d'une frappe « chirurgicale locale éliminant les installations de l'O.T.A.N. demeurait une science-fiction. » Aux yeux de Moscou, il était déraisonnable de prendre le risque d'une grande guerre, voire nucléaire, alors que l'objectif pourrait être atteint, grâce au poids des choses, alourdi par les méthodes ordinaires de propagande et de terrorisme. Pour les dirigeants de Washington, conciliants, le dialogue suffisait, tant qu'il constituait le contraire de la guerre. Bien plus, l'emploi strictement défensif ou dissuasif de l'arme atomique répondait à une certaine logique. On disait, avec raison, que la démesure même de ces armes en rendait malaisée l'utilisation effective. On évoluera avec ce « tabou atomique » jusqu'à la fin de la Guerre froide avec la chute du Mur de Berlin en 1989.

On aura retenu que la bombe atomique contribue à faire des conflits un événement abstrait, à déposséder les soldats de l'issue dernière, à transformer les armées en servantes pétrifiées de la dissuasion. Avec elle, l'affrontement final est une fiction aussi abominable qu'irréelle. La guerre froide a brouillé les repères entre la non-violence et la confrontation armée : en instaurant un état où la mobilisation devient inutile et la démobilisation dangereuse, elle a peut-être rendu la paix belliqueuse mais surtout la guerre peu vraisemblable. Mais en sera-t-il toujours ainsi avec la ruée des petits pays vers l'arme atomique ? Nous y reviendrons à la fin de ce travail. Pour l'instant, examinons de façon détaillée avec Aron les caractéristiques des ces régimes opposés.

* 52 R. Aron, Les articles du Figaro, t. 3 : Les crises, Ed. De Fallois, Paris, 1997.

* 53 R. Aron, op.cit., p. 658.

* 54 Ibid., p.23.

* 55 R. Aron, Les articles du Figaro, t. 3 : Les crises, p. 229.

* 56 R. Aron, La société industrielle et la guerre, Plon, Paris, 1959, p. 107.

* 57 R. Aron, Les dernières années du siècle, p. 99.

* 58 R. Aron, Les articles du Figaro, t. 1 : La guerre froide, p. 21.

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