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La problématique du politique dans " Démocratie et totalitarisme " de Raymond Aron

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par Théodore Temwa
Université de Yaoundé I - Diplôme d'études approfondies en philosophie 2008
  

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3 - Fictions constitutionnelles et réalité politique : de l'imperfection des régimes

Selon le constat que fait Aron, la plupart des régimes de notre siècle (« le régime hitlérien étant, bien entendu, exclu ») se réclament des mêmes valeurs : développement des forces productives en vue d'assurer à tous les hommes les conditions d'une existence honorable, refus des inégalités de naissance, consécration de l'égalité juridique et morale des citoyens. Croissance économique et citoyenneté universelle caractérisent également les régimes dits de démocratie populaire - allusion faite aux régimes totalitaires - et les régimes dits de démocratie occidentale - allusion faite aux régimes pluralistes. Mais le constat supplémentaire est fâcheux :

Aucun de ces deux régimes n'est intégralement fidèle à ses propres principes. Aucun n'a éliminé l'inégalité des revenus, aucun n'a supprimé la hiérarchie des fonctions et des prestiges, aucun n'a effacé les distinctions entre les groupes sociaux.85(*)

Pour Aron, ce sont les manquements du régime constitutionnel-pluraliste qui attirent sur lui des critiques. Il suffit d'un peu d'observation pour voir que les différentes caractéristiques de ce régime ne sont pas toujours réunies. Il existe des régimes de partis multiples avec intermèdes autoritaires, des régimes de partis multiples où la concurrence électorale est faussée par diverses pressions gouvernementales. Dans certains régimes, apparemment de partis multiples, la pluralité est une fiction. En termes abstraits, écrit-il, on pourrait distinguer trois espèces d'imperfections par rapport au type idéal du régime de partis multiples.

D'abord, la non-application régulière de la légitimité électorale, soit par exclusion d'une fraction des citoyens, soit par manipulation des élections. Ensuite, la non-application régulière des règles de concurrence pacifique, soit entre les partis, soit au Parlement. Enfin, le caractère non représentatif ; ceux-ci ne représentant qu'une faible minorité du pays, la communication est rompue entre les groupes sociaux et les partis qui prétendent les représenter.86(*)

Intéressons-nous donc de près aux imperfections du régime démocratique car, selon Aron, c'est lui qui peut encore être récupéré. Quant au régime monopolistique, son imperfection est d'essence. Les problèmes fondamentaux d'un régime démocratique sont en gros son caractère oligarchique et la corruption du principe même.

En effet, quiconque vivant sous un régime constitutionnel-pluraliste peut, plus qu'un observateur éloigné, se poser la triple question aronienne : est-il vrai qu'un régime de partis multiples soit une traduction fidèle de la souveraineté populaire ? Est-il vrai que la pratique donne la réalité du pouvoir aux citoyens comme le veut la doctrine ? Qui possède effectivement le pouvoir dans un régime constitutionnel-pluraliste ?

La réponse est évidemment négative, si on tient compte du principe du tiers-exclu, mais les thèses machiavéliennes et marxistes sont sans réserve concernant ces questions.

Du jugement d'Aron, les machiavéliens défendent l'idée selon laquelle tout régime politique est oligarchique. Toutes les sociétés sont gouvernées par un petit nombre d'hommes et les régimes varient selon le caractère de la minorité qui gouverne. Cette oligarchie va jusque dans les partis politiques. Les régimes démocratiques expliquent-ils davantage, sont des oligarchies d'un type particulier, des oligarchies ploutocratiques. La minorité qui détient le pouvoir est composé de riches, de financiers, d''industriels, d'entrepreneurs. Ces hommes n'aiment guère les moyens de force et préfèrent les moyens de ruse. Et ce sont eux qui prennent les décisions les plus importantes. On objectera peut-être que l'essence même de la politique est que les décisions soient prises pour, et non par, la collectivité mais il reste vrai que les détenteurs des moyens de production, les riches, les financiers exercent directement ou indirectement une influence sur ceux qui dirigent les affaires publiques. Tel est, selon Aron, en substance, le point de vue de Machiavel et de ses partisans.87(*)

La critique marxiste, elle, stipule que les régimes constitutionnels-pluralistes sont des démocraties bourgeoises. Les marxistes ont remarqué, et avec raison pour une part, que les partis et les assemblées démocratiques camouflent le règne du capitalisme, que la classe économiquement dirigeante détient la réalité du pouvoir. Dans ces régimes, arguent-ils, les partis ne sont qu'une apparence, et le pouvoir réel appartient au petit nombre qui possède, contrôle et gère les instruments de production. Dire donc que le pouvoir est exercé par le peuple dans un tel régime est une proposition manifestement dépourvue de sens. Le pouvoir n'est jamais exercé par les masses populaires.

Aron reconnaît que le pouvoir n'est jamais exercé par les masses populaires, il est évidemment exercé par une minorité d'hommes en chair et en os, qui sont des membres du parti dominant. Il est possible que des dirigeants du parti gouvernent dans l'intérêt de la masse prolétarienne et paysanne, mais le régime n'est pas celui où le peuple lui-même est au pouvoir, si non, en un sens mythologique comparable au pouvoir du représentant de Dieu sur terre. Le pessimisme rousseauiste n'affirme-t-il pas d'ailleurs que la représentation démocratique ne convient qu'aux dieux ?

De l'appréciation d'Aron, la critique machiavélienne est pessimiste, tandis que la critique marxiste est réaliste et acceptable en partie. Mais que proposent-ils de mieux ? On sait que les solutions machiavéliennes se résument en la tyrannie et celle de Marx en la dictature, mais quelle dictature ? Selon Aron toujours, un observateur averti peut se rendre à l'évidence que le socialisme tel qu'il a fonctionné jusqu'ici est la « dictature du parti sur le prolétariat et non dictature du prolétariat. »88(*)

Nous disions que le deuxième aspect de l'imperfection du régime constitutionnel-pluraliste est la corruption du principe, mais en quoi consiste-t-il ?

De l'avis de R. Aron, en tant qu'un régime qui tolère le conflit permanent des idées, des groupes et des personnes, le régime démocratique ne peut pas ne pas décevoir. Nous pouvons relever à juste titre que l'opinion publique des pays dits démocratiques n'a pas souvent tort de parler de « démocratie à parti unique ». Tous les pays ont normalement chevauché entre deux systèmes : le monopartisme et le multipartisme. Lequel de ces deux systèmes a mieux géré le pays ? Nous n'allons pas nous-mêmes donner de réponse pour ne pas soulever des passions. Il n'est donc pas illogique de dire que la démocratie est une utopie, telle que définie par ses principes, et une fiction, vu sa forme caricaturale que nous vivons.

Pour Aron, on peut rêver de créer une nation polie, mais pas en disant aux hommes : allez et disputez-vous. Il est loisible de rêver d'un régime constitutionnel dont les imperfections auraient disparu, mais on ne peut réellement croire à l'existence d'un régime où les hommes politiques seraient tous conscients, en même temps que des intérêts particuliers qu'ils représentent, de l'intérêt collectif qu'ils doivent servir. Un régime où les conflits se déchaîneraient à plein mais où la presse serait objective, où les citoyens garderaient le sens de la solidarité en dépit des querelles qui les opposent les uns aux autres, n'est vraiment pas concevable. Mais puisque nous avons sous les yeux des régimes qui se disent démocratiques, il convient tout simplement de distinguer des régimes démocratiques sains et des régimes démocratiques corrompus.

Des régimes démocratiques sains, nous n'en connaissons pas, dit Aron, pas même celle de la Grèce antique ; non pas tant parce que la perfection n'est pas de ce monde mais beaucoup plus parce qu'un esprit particulier ne peut pas gérer la chose publique en oubliant qu'il est particulier. La corruption ne vient-elle pas du primat accordé à l'intérêt particulier, pour reprendre Aristote ? Aron nous donne plusieurs espèces de corruption réparties en trois classifications.

La première classification comprend la corruption des institutions politiques, la corruption de l'esprit public et la corruption de l'infrastructure sociale.

La corruption des institutions apparaît lorsque le système des partis ne correspond plus aux différents groupes d'intérêts, ou bien lorsque le fonctionnement du système des partis est tel qu'aucune autorité stable ne sort de la rivalité des partis.

La corruption de l'esprit public est, selon Montesquieu qu'Aron cite, la corruption du principe même. En effet, il peut arriver que l'esprit partisan efface la conscience du bien commun ou que l'esprit du compromis, nécessaire au fonctionnement du régime, finisse par empêcher toute décision claire et toute politique résolue. La plupart de nos régimes souffrent soit d'un excès d'esprit partisan, soit au contraire d'un excès d'esprit de compromis. Le juste milieu convenable est presque impossible, surtout qu'il est difficile aux citoyens de respecter leurs trois qualités que sont :

- Le respect des lois et partant, la règle constitutionnelle qui est la charte de leurs conflits et de leur unité ;

- La formulation des revendications, des opinions propres, des passions partisanes pour animer le régime et empêcher le sommeil de l'uniformité ;

- Le contrôle des passions partisanes ou le sens du compromis.

Tout manquement à ces trois qualités serait fatal à l'unité nationale.

La corruption du régime démocratique peut aussi avoir pour origine l'infrastructure sociale, surtout lorsque la société industrielle ne parvient plus à fonctionner et lorsque les rivalités sociales atteignent une telle intensité que le pouvoir politique, issu des partis, ne peut plus les maîtriser. Aussi longtemps que les démocraties ne parviendront pas à distribuer de la nourriture en quantité suffisante à toutes les masses, aussi longtemps elles seront contestées.

La deuxième catégorie de corruption repose selon Aron sur la distinction entre oligarchie et démagogie. Les régimes constitutionnels-pluralistes peuvent se corrompre par excès d'oligarchie ou par excès de démagogie.

Enfin, la dernière classification se situe, selon l'expression aronienne, entre le « pas encore » et le « déjà plus » :

Il y a des régimes démocratiques qui sont corrompus parce qu'ils n'ont pas encore jeté les racines profondes dans une société et il y a d'autres qui sont corrompus par le temps, par l'usure, par l'habitude et qui ne fonctionnent déjà plus.89(*)

Après ce diagnostic des imperfections réelles et des risques de décomposition du régime pluraliste, il faut naturellement songer aux moyens de sa stabilité et de son efficacité. S'il est imparfait, c'est parce que tous les régimes politiques le sont, et il l'est encore moins que les autres ; s'il est oligarchique, c'est encore pour les mêmes raisons. Le tout est, selon Aron, de l'adopter et d'en trouver des solutions appropriées.

* 85 R. Aron, Dimensions de la conscience historique, p. 264.

* 86 R. Aron, Démocratie et totalitarisme, p. 95.

* 87 Ibid., p. 133 - 134.

* 88 R. Aron, Plaidoyer pour l'Europe décadente, p. 74.

* 89 R. Aron, Démocratie et totalitarisme, p.169.

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