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La problématique du politique dans " Démocratie et totalitarisme " de Raymond Aron

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par Théodore Temwa
Université de Yaoundé I - Diplôme d'études approfondies en philosophie 2008
  

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3- Le réveil africain

Le réveil est plus à faire qu'un acquis. Pour le moment, l'Afrique est dirigée par cinquante trois dictateurs mais la somme de toutes ces dictatures a du mal à s'imposer sur le plan international où des pays s'affirment de façon singulière. A n'en pas douter, ces dictatures sont soutenues par les mêmes promoteurs de la démocratie et tant que l'impasse démocratique perdure, la division poursuit son chemin pour le grand bien des autres.

En effet, voyant les pays développés pratiquer la démocratie et persuadés par les Bailleurs des fonds occidentaux qu'il y a de développement que de démocratie, les Etats africains se sont lancés dans un processus de démocratisation anomique mais cette « démocratie à tout prix » ne va pas sans conséquences néfastes. Deux décennies après la vague de démocratisation des années 90, le bilan est mitigé pour ne pas dire désastreux : corruption généralisée, impunité, baisse des salaires, hausses des prix etc. Du coup, certains ont conclu que l'Afrique n'avait pas rempli les conditions préalables à toute implantation démocratique. Mais quelles seraient alors ces conditions ?

De l'avis de Mono Ndjana, démocratiser l'Afrique en ces moments est une adaptation anachronique. Chaque chose en son temps soutient-il et l'Afrique n'est pas encore à l'heure de la démocratie. Ce régime de divertissement coïncide avec la recréation et non avec la construction dont nous avons besoin. Les pays occidentaux n'ont adopté ce régime de plaisanterie que lorsqu'ils eurent achevé les constructions nationales. Si par exemple Louis XIV ou Louis XVI s'étaient livrés à ce genre de jeu, la France ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui. Si donc les pays africains veulent se développer en suivant l'exemple occidental - puisqu'ils excellent dans l'art de copier - il faut qu'ils respectent les étapes du développement. Ce qui les ramènerait pratiquement au XVIIe siècle européen. D'ailleurs Aron ne reconnaît-il pas qu'il y a une forme de dictature acceptable, comme celle de l'Empire romain qui était en fait une préparation de l'avènement de la démocratie future. En réalité, las pays africains parcourent l'Histoire dans le sens contraire, ils commencent, comme le Lysias du Phèdre de Platon, par la fin pour finir par le commencement.

La problématique actuelle étant celle du développement, faut-il alors promouvoir la dictature et sacrifier les droits de l'homme? Toute réponse générale serait ignorante de la complexité de la situation. Il est ridicule de parler de droits de l'homme à un peuple affamé mais il est encore plus dangereux de confisquer délibérément les libertés humaines sous le fallacieux prétexte que la servitude produit l'abondance. Pour le moment, ces Etats qu'Aron qualifie si bien de régimes mixtes font l'amalgame entre le libéralisme et le communisme. Il s'agit en fait d'un mélange de posologies différentes dont la fusion impossible constitue non pas un remède original contre le sous-développement mais une solution encore pire que le mal.

En réalité, faut-il opter pour sortir de cette situation le libéralisme avec son élan de privatisation à outrance ou suivre le communisme avec sa nationalisation à outrance ? Le premier réussit en Occident, le second est en passe de réussir en Amérique latine, mais faut-il à nouveau copier ?

A en croire l'économiste égyptien Samir Amin, la solution résiderait dans ce qu'il appelle la « déconnection » d'avec le centre exploiteur ou le « développement planifié autocentré ». Il voudrait que la périphérie tiers-mondiste développe non plus une industrie de ravitaillement de la manufacture occidentale, mais une industrie autosuffisante. Actuellement dit-il, et avec raison, les industries africaines sont des industries légères et des filiales des industries lourdes occidentales. Ces industries, propriétaires des matières premières que regorge leur pays d'origine, les transforment seulement en produits semi-finis afin de les envoyer aux industries manufacturières du « centre » qui les transforment en produits finis et les renvoient par la suite pour être revendus plus chers. Au cas contraire, ils exigent la licence de fabrication. Voilà sans contredit la situation actuelle de l'Afrique, mais comment opérer sans secours le passage de l'industrie légère à l'industrie lourde ? Comment accéder au savoir nécessaire si déjà on n'encourage pas la recherche au plan local, quand on méprise les savants locaux en général et quand de surcroît on demande de rompre tout lien avec l'extérieur ?

A l'heure présente nous ne savons pas si cette recette à déjà été expérimentée par certains pays africains mais dans l'abstrait, cela est loin d'obtenir les résultats escomptés dans le contexte actuel de la mondialisation. A voir la récurrence chez cet auteur du préfixe « auto », on pourrait lui coller l'étiquette de promoteur de l'autarcie. Or nous savons que l'exemple chinois qu'on cite beaucoup ne tire pas ses facteurs de l'autarcie mais bien au contraire du « Break off of China ». Les vicissitudes de notre recherche nous ont amené à demander plus d'éclaircis auprès d'un certain nombre d'intellectuels, pour la plupart des universitaires. Mais à la place de l'éclaircissement, nous n'avons reçu que noircissement, noircissement du capitalisme ambiant. En effet, séduits par le socialisme de type marxiste et obsédés par l'antiaméricanisme, ils croient, sans retenir la leçon du mythe de Gygès, que le contraire direct du capitalisme actuel est la solution infaillible. Ils citent paradoxalement l'exemple de la Chine comme si la Chine actuelle était encore celle de l'ère Mao.

Si l'aide extérieure n'a jamais développé un pays, la connaissance extérieure a développé beaucoup de pays. Nous songeons ici au transfert des technologies et elle ne peut se faire dans la déconnection. A moins d'en être contre, il faut jouer le jeu et à partir de là, trouver son propre chemin.

Du constat d'Aron,

Politiquement, les socialismes du tiers monde refusent, moins par principe que par nécessité, le pluralisme institutionnel. A quelques rares exceptions près, aucun n'a réussi à la compétition entre les partis. [...] Un peu partout en Afrique, en Amérique latine et en Asie, un parti composé tantôt de civils et tantôt de militaires, qui s'appuie tantôt sur certains privilégiés et tantôt sur une classe montante, monopolise, à un degré ou à un autre, l'Etat et ses bénéfices.146(*)

De l'avis d'André-Marie Yinda Yinda, après le constat selon lequel le caractère critique du monde moderne et la dimension multicentrée du monde « postmoderne » se traduisent par des stratégies de localisation forte qui mettent en difficulté la dynamique de la globalisation, l'Afrique est désormais en présence d'une opportunité politique inédite, d'une chance historique unique à saisir. Elle n'en a pas encore tout à fait conscience certainement à cause de son background de l'esprit de colonisé. Tout compte fait, l'Afrique concentre aujourd'hui entre ses mains l'essentiel de son devenir, le pouvoir de s'ordonner par rapport à soi, de s'assumer comme tel dans une relation nécessaire avec le monde, cet universel éclaté. Ainsi, une construction cosmopolitique à partir de l'Afrique prend acte des transformations actuelles du monde et envisage de s'articuler non pas autour de l'unité citoyenne universelle mais de la subsidiarité politique universelle. Il s'agit ici d'opérationnaliser le potentiel politique africain, aussi infime soit-il, pour en tirer la plus grande efficacité et le mieux-être dans la postcolonie et dans le monde147(*).

Mais quel régime adopter à cet effet ? Yinda Yinda nous laisse sur notre faim et, dans la perspective postmoderne qui est la sienne, il relativise aussi bien la démocratie au point de la trouver peu convaincante. Pour nous, ce serait faire fausse route que de vouloir inventer pour les besoins actuels un régime autre que démocratique. Pas qu'il n'en existe pas dans l'abstrait mais parce qu'en vue d'une politique et d'une économie de bien-être, un régime constitutionnel-pluraliste est préférable à un régime de parti monopolistique.

Examinons à présent cette autre solution qui semble résumer celles qui viennent d'être exposées. Elle est de Sahan Farah qui nous demande de pénétrer le centre et de nous y affirmer. Selon ce dernier, nous vivons actuellement le crépuscule d'une ère ; l'état du monde et son avenir ne suscitent ni les mêmes inquiétudes, ni les mêmes interrogations selon l'hémisphère dans lequel on se trouve. Pour tous « les damnés de la terre » conseille -t-il, ceux qui ont subi toutes les dominations et humiliations, ceux qui n'ont pas goûté aux fruits des siècles glorieux et des décennies de prospérité, pour ceux-là, « la panne de l'idéologie du progrès » ne change rien à leur condition. Dans ces grands chamboulements en cours, les laissés-pour-compte du développement n'ont rien d'autre à perdre que leurs chaînes. Et c'est pourquoi cette période de grande incertitude est une aubaine pour eux. Une trêve pendant laquelle ils peuvent mettre à profit les doutes des maîtres de la planète pour élaborer les stratégies de leur émancipation. Car, c'est quand les chats sont occupés à se gratter les poils que les souris peuvent échapper à leurs griffes. Pour l'Afrique poursuit-il, marginalisée et aujourd'hui rejetée comme une vieille rondelle de citron, cette profonde crise des valeurs dominantes est une grande chance. C'est un encouragement à engager une remise en question radicale des habitudes de pensée qui ont enfermé le discours sur l'Afrique dans un « misérabilisme démotivant ». Une occasion inespérée de soumettre à un véritable interrogatoire tous les lieux communs du paternalisme ambiant et de reformuler autrement la question fondamentale de son avenir.

Comment, s'interroge-t-il, au lieu de s'essouffler à courir derrière un modèle de développement et de société qui a montré ses propres limites dans les pays d'origine, l'Afrique pourrait-elle gagner du temps et trouver d'autres alternatives endogènes ? Comment, au lieu de supplier ceux-là mêmes, qui sont responsables en partie de sa déchéance, le continent noir peut-il mettre à profit la marginalisation économique dont il est victime pour éveiller justement l'instinct de survie et le génie créateur de ses peuples enfin libérés des passions et des convoitises extérieures ? N'est-il pas temps pour l'Afrique de suivre la démarche courageuse de Gandhi en Inde et transformer son exclusion en autarcie de régénération, sa marginalité économique en cure de désintoxication pour se sevrer des besoins et réflexes acquis sous les « régimes du sous-développement » ? Si à quelque chose malheur est parfois bon, il faut que la crise du progrès à l'occidentale puisse au moins nous servir à reconquérir l'initiation de nouvelles utopies et raisons de combattre. Car nous, Africains, devons répondre non seulement aux défis de notre survie, mais aussi à ce « besoin d'Afrique » qu'expriment certains hommes lucides, d'autres peuples qui voient plus loin que le « brouillard matérialiste ». Face à la déshumanisation qui menace l'homme moderne pris au piège de son arrogance, conclut-il, l'Afrique, avec ses traditions d'humanisme, sa philosophie consensuelle de la vie et sa spiritualité restées encore vivaces, peut contribuer à cette réconciliation tant recherchée de l'homme avec lui-même et avec la nature. Car, loin d'être un vestige, un continent du passé, l'Afrique peut incarner les espérances de demain, l' « Avenir de l'après-modernité », le retour de l'homme à sa juste place d'être humain148(*).

Voilà une solution savamment développée mais qui, à cause de son inspiration somme toute marxiste, ne voit pas au-delà de l'ennemi occidental. Mais ce qui est important ici c'est l'idée d'éveil ou de réveil que nous voulons mettre en lumière.

Pour le reste, il ne nous semble pas impossible qu'on puisse se développer sans abattre ceux qui sont déjà développés. S'il paraît logique qu'on ne peut émerger qu'en enfonçant les autres, qu'on ne peut être riche que par rapport au pauvre, il n'est pas moins logique que des richesses puissent se superposer et cohabiter. Pourquoi penser que la puissance de l'Afrique ne s'affirmerait que par la faiblesse de l'Occident ?

Pour nous, le réveil africain passe par l'exemple plutôt que par une « guerre » stupide. Aujourd'hui on parle de G8, demain, on pourrait parler de G10 ou plus sans que les pays les plus riches ne soient au préalable rendus pauvres. S'il y a une guerre à mener c'est celle contre l'afropessimisme. On peut sans réfléchir dire qu'il est requis pour cela l'afrooptimisme mais comment le concevoir si les Africains sont divisés aussi bien à l'intérieur des pays qu'à l'échelle du continent ? A ce titre l'oeuvre libératrice d'Amilcar Cabral est un exemple à suivre mais en cette période postcoloniale, elle réussira mieux si on y ajoute des idées libérales à ce nationalisme.

Actuellement, la majorité des élites politiques est, à cause de son acculturation, procapitaliste ; la majorité des élites intellectuelles est, à cause de leur recherche de l'idéal, prosocialistes ; quand aux populations, préoccupées par leur existence réelle, leur choix vacille entre deux modèles imparfaits. Comment réussir dans ce cas ?

Nous pouvons donc à juste titre adopter la proposition aronienne qui suit :

En Afrique noire, c'est, de toute évidence, l'amélioration de l'agriculture qui s'impose en tant qu'étape initiale de tout développement, susceptible d'englober l'ensemble des économies ou des pays. Faute de quoi, on observe, tout au plus, le surgissement d'îlots modernes, de quelques industries dans des villes cancéreuses, d'une classe intellectuelle, issue d'universités occidentales ou imitées de l'Occident, incapable de retourner dans la brousse pour y travailler.149(*)

Marcien Towa et Nkolo Foé accepteraient volontiers cette solution, ainsi que ce vocabulaire. Pour le second qui situe la vague des « émeutes de la faim » de l'année 2008 dans l'abandon des politiques d'exploitation agricole massive, « on a eu tort de mettre fin à la subvention. »150(*)

Terminons par une remarque générale sur les révolutions, si fréquentes en Afrique où elles semblent susciter l'espoir des populations. Ce qu'il faut retenir c'est que les chefs de révolutions ne se résignent pas à perdre le pouvoir qu'ils ont conquis. Pour ce faire, ils ne peuvent pas instaurer une démocratie pluraliste et organiser des élections libres qu'ils ne gagneront jamais. Pour le moment, ils gagnent toujours au contraire, puisque le pluralisme n'existe que de nom. Les révolutionnaires disent toujours nettoyer la place, libérer le peuple mais une fois le palais nettoyé, il offre une enceinte convenable pour soi-même. Ainsi, les révolutions des palais ne sont pas des révolutions démocratiques, à l'exception de quelques-unes récentes qui ont renversé des régimes dictatoriaux et organisé des élections transparentes dont les auteurs ne furent pas candidats.

* 146 R. Aron, Plaidoyer pour l'Europe décadente, pp. 246 - 247.

* 147 André-Marie Yinda Yinda, « Penser les relations internationales africaines : des problèmes aux philosophèmes politiques aujourd'hui », Université de Yaoundé I/GRAPS.

* 148 Sahan farah, « De la marge vers le centre », « Africa International », n° 274 de juillet-août 1994.

* 149 R. Aron, Plaidoyer pour l'Europe décadente, p. 284.

* 150 www.lejourquotidien.info/index.php

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