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Le régime de l'administration transitoire des territoires en droit international.

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par Luc Yannick ZENGUE
Université de Yaoundé II (SOA) - Diplôme d'études approfondies en droit international public et communautaire 2007
  

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La Convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du personnel associé, 222(*) adoptée en 1994 et la Circulaire du Secrétaire général du 6 août 1999 marquent une étape décisive dans l'engagement de l'ONU vis-à-vis du respect du DIH.

La convention sur la sécurité du personnel voit le jour suite à la multiplication des attaques lancées contre le personnel des Nations Unies. Son rôle dans l'application du DIH à une administration intérimaire tient au fait qu'elle affirme d'une part qu'elle ne s'applique pas « à une opération des Nations Unies autorisée par le Conseil de sécurité en tant qu'action coercitive en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies [...] à laquelle s'applique le droit des conflits armés internationaux »223(*). D'autre part, dans son article 20, la convention insert une clause de sauvegarde en faveur du droit humanitaire qui stipule qu' « aucune disposition de la présente convention n'affecte [...] a) l'applicabilité du droit international humanitaire [...] ou le devoir de ces personnels de respecter ledit droit et lesdites normes ».

En 1999, en tant que supérieur hiérarchique, le Secrétaire général des Nations Unies prend une Circulaire sur le « respect du droit international humanitaire par les forces des Nations Unies ». Le chef de l'administration onusienne prescrit « les principes et règles fondamentaux du droit international humanitaire » qui sont « applicables aux forces des Nations Unies lorsque, dans les situations de conflit armé, elles participent activement aux combats, dans les limites et pendant la durée de leur participation ».224(*)

La Circulaire reçoit un écho favorable au niveau du Conseil de Sécurité. Dans sa résolution 1327 du 13 novembre 2000, consacrée au renforcement des opérations de maintien de la paix des Nations Unies, le Conseil a « [engagé] les parties aux futurs accords de paix, y compris les organisations et accords régionaux et sous-régionaux, à coordonner leurs efforts et à coopérer pleinement avec l'Organisation des Nations Unies dès les premières étapes des négociations, en ayant à l'esprit que toutes les dispositions prévoyant la création d'une opération de maintien de la paix doivent répondre à certaines conditions minimales, qui sont notamment que [...] l'opération doit être conforme aux règles et aux principes du droit international, en particulier du droit international humanitaire, des droits de l'homme et du droit des réfugiés » (nous soulignons).225(*)

Toutefois, si l'on peut se réjouir de la promulgation de la Circulaire, l'on a également conscience des problèmes qui lui sont attachées : La question du caractère obligatoire et celle de l'étendue de l'applicabilité.

Pour la première question, madame Anne RYNIKER rappelle que « juridiquement, la Circulaire est un texte administratif »226(*) contenant les orientations générales. Par conséquent, ces directives n'ont pas de force contraignante. En outre, son article 2 précise qu'elle ne vise pas l'exhaustivité, mais codifie des principes dont le contenu doit encore être détaillé. C'est donc à juste titre que le Professeur Robert KOLB peut attendre pour la Circulaire, un complément « précisant ultérieurement par un corps complet et intégré de règles le droit applicable »227(*).

Quant au second problème, il faut dire que la circulaire s'applique uniquement aux opérations sous le commandement et le contrôle des Nations Unies, puisque le Secrétaire général a qualité de chef du commandement stratégique et opérationnel des forces des Nations Unies.228(*) Dans les opérations conduites par un Etat ou une coalition d'Etats en vertu d'une autorisation du conseil, les troupes engagées sont soumises aux règles du droit humanitaire qui lient leurs Etats respectifs dans leurs rapports avec les autres parties au conflit. La pratique des accords d'immunité innovée par les Etats-Unis, voudrait qu'en cas de violation des règles du droit humanitaire par les soldats, ceux-ci soient jugés devant leurs tribunaux nationaux. Si cet état de chose rassure les grands fournisseurs de contingent, il ne dissipe pas le doute sur l'efficacité de leur répression des infractions fussent-elles bénignes, au DIH.

Le constat établit est celui d'une application explicite du droit humanitaire aux opérations de paix des Nation Unies. Comment peut-on donc traduire cela dans la réalité ?

B. Les modalités d'application du droit humanitaire aux opérations des Nations Unies

« La mise en oeuvre et la sanction du droit sont, dans la conception de l'homme moderne, un attribut essentiel de l'ordre juridique »229(*). L'ordre juridique international a longtemps souffert de cet état de chose. En fait, le droit des gens a souvent été dédaigné en raison de sa « réalisabilité » que certains juristes spécialistes du droit interne trouvaient impossible. Mais en réalité, si selon le Professeur Michel VIRALLY, certaines manifestations permettent d'affirmer à un moment donné « la crise du droit international », l'on s'accorde avec lui pour dire aussi que « les forces qui ont joué jusqu'ici contre le droit international » seraient « à la veille de s'effacer »230(*). De manière générale, trois critères caractérisent les modalités d'application du DIH : un caractère normatif plutôt que coercitif, la prégnance la volonté des parties au conflit, et la rareté des débats et développements judiciaires sur le droit des conflits armés. C'est cette réalité qui est mise en exergue dans la responsabilité pour atteintes au DIH des organisations internationales d'une part, et la répression nationale et internationale des individus d'autre part, participant à une opération des Nations Unies.

1- La question de la responsabilité des organisations internationales

C'est la « présence internationale de sécurité » qui, dans le cadre d'une administration intérimaire, justifie l'application du DIH. Cette présence peut être déployée sous l'égide directe de l'ONU tout comme elle peut être confiée à un Etat ou en vertu du chapitre VIII de la charte, à un Accord organisme régional comme l'OTAN.

En réalité, l'intervention des organisations internationales comme acteurs dans un champ jusqu'ici réservé aux Etats, a accentué les difficultés existantes du droit des conflits armés dont les mécanismes de mise en oeuvre restent valables pour les organisations internationales. En raison de leur échec, il ne nous semble pas opportun de nous attarder sur l'institution des Puissances protectrices prévue par l'article 8/8/8/9 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949, et les procédures d'enquête objet de l'article 52/53/132/149 commun aux Conventions de Genève de 1949. Nous nous appesantissons donc tour à tour sur la Commission internationale d'établissement des faits et le Comité international de la Croix-Rouge.

L'article 90 du Protocole I de 1977, prévoit la création d'un organe permanent, la Commission internationale d'établissement des faits (ci-après CIEF),231(*) chargé d'exercer des fonctions d'enquête et de bons offices en matière de droit international humanitaire.232(*) Pour que la compétence de la CIEF soit obligatoire, les Parties doivent exprimer deux fois leur consentement. La première fois en ratifiant le Protocole I ou en y adhérant, la seconde en déclarant « reconnaître de plein droit et sans accord spécial, à l'égard de toute autre Haute Partie contractante, le cas échéant l'ONU, qui accepte la même obligation, la compétence de la Commission ».233(*) Même dans ce cas, la compétence de la Commission est circonscrite, puisque le pouvoir d'investigation dont elle jouit est limité aux seules « infractions graves et autres violations graves » des Conventions et du Protocole additionnel I.234(*) La possibilité que la compétence obligatoire de la CIEF soit imposable aux activités des forces internationales, constitue une alternative souhaitable aux procédures de contrôle internes des organisations concernées. Il est en effet douteux qu'une partie lésée se satisfasse des démarches entreprises par l'organisation même contre laquelle elle a porté plainte.

L'autre moyen moins procédurier serait d'appliquer par analogie aux organisations internationales le mécanisme prévu pour d'autres acteurs non étatiques, les mouvements de libération nationale, au sens où l'entend l'article 1, paragraphe 4, du Protocole I. En vertu de l'article 96, paragraphe 3, de ce même instrument, ces derniers ont en effet la possibilité de s'engager à appliquer les Conventions et le Protocole, en adressant une déclaration unilatérale à leur dépositaire. Cette déclaration a pour conséquence de conférer aux mouvements en question les mêmes droits et obligations humanitaires que ceux qui ont été acceptés par les Hautes Parties contractantes. Parmi ces droits figure notamment la possibilité de reconnaître comme obligatoire la compétence de la CIEF.235(*) Mais à vrai dire, l'éventualité de voir la CIEF enquêter un jour sur des allégations de violations du droit international humanitaire concernant des organisations internationales reste limitée, puisque après plus de quinze ans d'existence, elle est restée inactive.

Les modalités de mise en oeuvre établies par le droit international humanitaire aboutissent ainsi globalement à un échec. Le bilan des Puissances protectrices, de la procédure d'enquête et de la CIEF est plus qu'insatisfaisant. Il a donc fallu renoncer à une application stricte du droit et se tourner vers une approche plus pragmatique. C'est le Comité International de la Croix Rouge (ci-après CICR) qui assume en pratique l'essentiel de cette tâche.

Le CICR est un organisme privilégiée en matière de mise en oeuvre du droit humanitaire, et plus particulièrement en tant que responsable, parmi d'autres, de la protection des victimes militaires et civiles de la guerre.236(*) Jusqu'en 1933, le CICR est une organisation de droit privé suisse. Cette année là, il acquiert à travers une convention avec le gouvernement suisse, le statut d'organisation internationale sui generis. Le Comité met généralement en place des procédures de contrôle. Dans l'accomplissement de sa tâche, il procède à des visites sur le terrain qui, en cas de constatation de violation du droit humanitaire, l'amènent à réagir, en principe à titre confidentiel, auprès des autorités responsables. Fort de sa liberté de proposition due à sa neutralité et à son indépendance, le CICR s'est déjà vu confier à quelques occasions un certain droit de regard sur le comportement des organisations internationales engagées sur le terrain. En 1961, il s'est vu reconnaître le droit de visiter régulièrement les combattants détenus par la Force des Nations Unies déployée au Congo (ONUC).237(*)

En juillet 1999, suite à la mise en place de l'administration internationale au Kosovo, le CICR annonce qu'il va réorienter ses efforts dans la région désignant comme l'une de ses priorités, l'obtention de l'accès « à toutes les personnes arrêtées et détenues en relation avec le conflit -- quelles que soient les autorités qui les détiennent et indépendamment de leurs lieux de détention -- afin de découvrir où elles se trouvent et d'évaluer leurs conditions de détention, de rétablir le contact entre ces personnes et leurs familles, et d'être en mesure de faciliter leur libération et leur transfert » (nous soulignons).238(*) De fait, en janvier 2002, dans un compte rendu de son action en faveur des détenus en Yougoslavie, le CICR annonce qu'il visite encore 105 personnes détenues par la KFOR ou la MINUK.239(*)

Au Timor oriental, le CICR fait aussi valoir son droit d'initiative. Sur cette base, il conclut un accord avec les autorités de l'ATNUTO, en vertu duquel celles-ci s'engagent à notifier toutes les arrestations qu'elles effectueraient dans l'exercice de leur mandat et autorisaient les délégués du Comité à s'entretenir sans observateurs externes avec les personnes détenues.240(*)

Le CICR est l'unique mécanisme de mise en oeuvre prévu par les conventions de droit international humanitaire qui est opérationnel dans un cas d'administration intérimaire. Il exerce au moyen de la diplomatie humanitaire, une certaine forme de contrôle sur les activités des forces internationales dans leur globalité. En général, lorsque les Nations Unies ont la responsabilité totale et le commandement effectif d'une présence de sécurité, l'organisation peut voir sa responsabilité mise en mouvement pour cause de violations du DIH qui peuvent être commises par les contingents engagés. En effet, « comme il est généralement reconnu que l'ONU possède la personnalité juridique, l'organisation peut être tenue pour responsable des violations commises par le personnel placé sous son contrôle »241(*). De l'avis de la Cour Permanente de Justice, « c'est un principe de droit international, voire une conception générale du droit, que toute violation d'un engagement comporte l'obligation de réparer ».242(*). Encore faut-il que le préjudice leur soit vraiment imputable, et qu'il n'existe aucune circonstance excluant l'illicéité à l'instar du droit naturel de légitime défense ou l'état de nécessité. Cela ne peut avoir lieu que dans le cadre de la section 29 de l'article VIII de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies.243(*) Cette disposition prévoit qu'il n'appartient pas aux tribunaux nationaux d'examiner une demande en réparation dirigée contre l'Organisation. Pareille demande ne peut être traitée que selon les modalités que celle-ci a elle-même établies.244(*)Le même raisonnement peut être transposé pour ce qui est de l'implication directe des Accords ou Organismes régionaux dans une opération coercitive.

Dans le cadre de la présence internationale au Kosovo, le règlement 2000/47245(*) prévoit la mise en place de commissions de réclamation dont la compétence s'étend aux actes imputables tant à la MINUK qu'à la KFOR. La section 7 de ce texte prévoit en effet ce qui suit: « Third party claims for property loss or damage and for personal injury, illness or death arising from or directly attributed to KFOR, UNMIK or their respective personnel and which do not arise from `operational necessity' of either international presence, shall be settled by Claims Commissions established by KFOR and UNMIK, in the manner to be provided for ».

Sur la base de cette disposition, la KFOR a adopté des règles de procédure246(*) destinées à régler la question des indemnisations. Ces règles sont applicables aux troupes cantonnées dans le quartier général de la KFOR, celle qui sont déployées sur le terrain restant soumises aux procédures prévues par leurs gouvernements respectifs.247(*) La plainte est traitée par un fonctionnaire de la KFOR, qui est chargée d'évaluer la véracité des faits allégués et de se prononcer sur le fond de la demande. Si celle-ci est refusée ou si l'indemnisation octroyée est insatisfaisante, le plaignant peut faire appel auprès d'une commission de recours qui est « [a] non-binding voluntary appeal system in which HQ KFOR Claims Office and those Troop Contributing Nations who wish, will participate in ».248(*)

Cependant, le juge international ne fait pas montre d'un grand enthousiasme en ce qui concerne la responsabilité de l'ONU pour violation du DIH. La Cour internationale de Justice confirme cet état de chose dans une ordonnance du 10 juillet 2008. A travers ce document, la Cour se déclare incompétente pour connaître d'une affaire impliquant les Nations Unies. A son avis, les faits évoqués ne sont pas de nature à infléchir l'immunité dont dispose l'organisation universelle. En l'espèce, les casques bleus du contingent néerlandais ont faillis dans leur mission de protéger les Serbes musulmans qui, après avoir été séparés des femmes ont été massacrés à Srebrenica en 1999. Ce faisant, la Cour subordonne sa compétence à la levée de l'immunité de juridiction dont bénéficie l'ONU comme la plupart des organisations internationales, immunité qui est, par ailleurs, absolue.249(*) Cette réticence du juge international est principalement liée au DIH et acquiert un caractère presque légendaire. La Cour internationale de Justice, juridiction majeure du droit international, n'a eu à traiter des questions de droit international humanitaire que dans deux affaires : celles des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (1986) et de la Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires (1996). De manière incidente elle effleure les questions de droit des conflits armés dans l'affaire du Détroit de Corfou (1949) et dans celle relative aux prisonniers de guerre pakistanais (1973).

L'on peut toujours s'interroger sur le cas où l'organisation n'endosse pas la responsabilité du fait d'un membre de la Mission.

2- La répression nationale et internationale des individus membres d'une présence de sécurité

L'Organisation se verra sans doute attribuer les violations du droit humanitaire commises par les agents agissant ès qualité dans le cadre d'une administration intérimaire. Toutefois, l'exécution de la répression pénale doit en règle générale être assumée par les Etats. D'un côté, il s'agit du  « droit de regard » que chaque Etat participant garde sur le fonctionnement et l'utilisation de son contingent.250(*) D'un autre côté, cette solution s'impose aussi au vu de l'immunité de la juridiction pénale de l'Etat hôte ainsi que du fait que les organisations internationales ne disposent pas des capacités juridiques et matérielles nécessaires à ces fins.251(*) En particulier, les Nations Unies n'ont pas une législation pénale pouvant servir de base à de telles poursuites.252(*) Dès lors, il revient aux Etats participants la charge d'exercer la juridiction pénale sur les infractions commises par les membres de leurs contingents.253(*) Adoptée lors de la XXéme conférence de la Croix-Rouge (Vienne 1965), la résolution XXV intitulée « Application des Conventions de Genève par les forces d'urgence des Nations Unies », recommande déjà en son temps que « des accords appropriés soient conclus afin d'assurer que [...] les Autorités responsables des contingents acceptent de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir et réprimer les infractions éventuelles audites Conventions »254(*).

Le « Modèle d'accord sur le statut des forces pour les opérations de maintien de la paix », établi par le Secrétaire général des Nations Unies sur mandat de l'Assemblée générale suit les recommandations faites par la résolution XXV. Il se veut une de base pour la rédaction des accords à conclure entre les Nations Unies et chaque Etat sur le territoire duquel des opérations de maintien de la paix seront déployées.255(*)

C'est sur le fondement de la « juridiction exclusive de l'Etat participant dont ils sont ressortissants » que le tribunal militaire de Bruxelles connait d'une affaire impliquant des militaires membres du contingent belge chargé de mission par l'ONU en Somalie entre le 7 août et le 19 décembre 1993256(*). En Italie et au Canada, des commissions civiles d'enquête furent instituées suite aux allégations avancées à l'encontre de certains membres de leurs troupes respectives.

Néanmoins, l'on peut s'interroger sur ce qui reste de la compétence pénale universelle de certains Etats comme la Belgique à l'égard des infractions qualifiées de crimes internationaux face à une compétence pénale exclusive de l'Etat d'origine du contingent. La pratique internationale n'a pas encore donné l'occasion d'envisager le règlement de cet éventuel conflit de compétence. Toutefois il faut relever que les normes internationales de répression sont considérées aujourd'hui « comme un maillon essentiel et supérieur de la légalité internationale, visant entre autres à combattre l'impunité »257(*)alors que dans plusieurs cas où prévaut l'immunité, les poursuites se concluent par des acquittements basés sur une interprétation douteuse du droit applicable aux opérations en l'espèce. Le système de l'immunité de juridiction se révèle peu satisfaisant aux fins d'une répression efficace des infractions commises par le personnel des missions internationales. Elle est d'ailleurs accordée sous réserve de ce que les Etats participant aux opérations exercent la juridiction lorsque cela est nécessaire.258(*)

Au Kosovo, à défaut d'un accord sur le statut de la force et de la mission civile entre le Gouvernement serbe d'un côté et la KFOR ainsi que la MINUK de l'autre, le cadre juridique pour le déroulement des opérations est fourni, d'abord, par une déclaration conjointe KFOR/MINUK,259(*) et ensuite par le Règlement 2000/47 en matière de statut, privilèges et immunités de la KFOR et de la MINUK et de leurs membres au Kosovo.260(*)

Le Règlement 2000/47 prévoit que le Secrétaire général « a le droit et le devoir de lever l'immunité de tout personnel de la MINUK lorsqu'il juge que le maintien de cette immunité est de nature à nuire à la bonne marche de la justice mais n'est pas de nature à porter préjudice aux intérêts de la MINUK ».261(*) Un mécanisme différent est prévu à l'égard des personnels de la KFOR. En effet, les demandes de levée d'immunité les concernant doivent être transmises aux commandants respectifs des contingents nationaux dont ils relèvent.

La pratique nous fournit quelques exemples d'enquêtes et de poursuites pénales à l'égard des membres des missions internationales au Kosovo. Dans l'affaire Radomir Jokovic (2001),262(*) un membre de la KFOR belge accusé d'avoir tué un kosovar d'ethnie serbe lors d'une manifestation est renvoyé en Belgique. Les suites données à ce cas ne sont pas connues. L'un des ces Rapports de l'OSCE fait état d'un cas de poursuites pénales entamées à la charge d'un soldat de la KFOR allemande, accusé d'avoir violé et tué une jeune fille de douze ans.263(*) Le procès se déroule en Allemagne, devant une juridiction militaire.264(*) Celle-ci le déclare coupable et le condamne à 15 ans de prison.

Les autres cas concernent des membres de la police civile de la MINUK. A deux occasions, les autorités compétentes décident de ne pas entamer de poursuites. Les allégations concernaient deux officiers, respectivement du Kenya et de Jordanie, accusés d'avoir commis, en l'été 2001, des abus sexuels sur des victimes de moins de quinze ans. Les deux policiers sont rapatriés et les enquêtes classées avant même d'avoir été complétées. Aucune demande de levée de l'immunité n'est formulée à l'intention du Secrétaire général.265(*)

En mars 2002, des poursuites sont ouvertes par le Procureur du District de Pejë/Pec à la charge d'un officier Egyptien de la police civile, Sherif Abd Elaziz, accusé d'avoir assassiné son assistante. Il fut condamné à treize ans d'emprisonnement par la Cour de District de Pejë/Pec le 12 novembre 2002.266(*) Le verdict est confirmé par la Cour Suprême du Kosovo, saisie en appel.267(*)

Quand on quitte le cadre de la présence de sécurité pour intégrer celui de la présence civile de l'administration intérimaire, l'application du droit humanitaire fait place à celle des droits humains. En fait, le régime mis en place par une administration intérimaire doit aussi être articulé avec les normes pertinentes du droit international des droits de l'homme.

* 222 Convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du personnel associé, adoptée le 9 décembre 1994 avec la Résolution 49/59 de l'Assemblée générale des Nations Unies, entrée en vigueur le 15 janvier 1999, RTNU, vol. 2051, p. 363.

* 223 Art. 2 par. 2

* 224 Respect du droit international humanitaire par les forces des Nations Unies, Nations Unies, Circulaire du Secrétaire général, ST/SGB/1999/13, 6 août 1999, par. 1.1.

* 225 Résolution 1327 (2000), 13 novembre, Chapitre I, par. 3.

* 226 RYNIKER (A.), Op. Cit., p. 804

* 227 KOLB (R.), Droit humanitaire et opérations de paix internationales, Bâle/Bruxelles, Helbing & Lichtenhahn /Bruylant, 2003, p. 20.

* 228 Voir CONDORELLI (L.), « Les progrès du droit international humanitaire et la circulaire du Secrétaire général des Nations Unies du 6 août 1999 », Mèlanges Abi SAAB, The Hague, Niijhoff, p. 500. ZWANENBURG (M.), « The Secretary General's Bulletin on Observance by United Nations Forces of International Humanitarian Law: A Pyrrhic Victory », Revue de droit militaire et de droit de la guerre, vol. XXXIX, 2000, p. 18. BENVENUTI (P.), « Le respect du droit international humanitaire par les forces des Nations Unies: La Circulaire du secrétaire général », RGDIP, vol. 105, 2001, p. 359.

* 229 KOLB (R.), L'application du droit international humanitaire et des droits de l'Homme aux organisations internationales : Forces de paix et administrations civiles transitoires,Op. Cit., p. 353

* 230 VIRALLY (M.), Le droit international en devenir : Essais écrits au fil des ans, PUF, Paris, 1990, p. 13

* 231 Voir http://www.ihffc.org/. En vue de spécifier la nature de sa compétence, la Commission a décidé de modifier le nom que lui attribue le Protocole I. Le titre de son règlement intérieur parle ainsi de Commission internationale humanitaire d'établissement des faits.

* 232 Protocole additionnel I de 1977, art. 90 par. 2 c). Voir en général sur la CIEF: http://www.ihffc.org/fr/aboutus.html; VITE (S.), Les procédures internationales d'établissement des faits dans la mise en oeuvre du droit international humanitaire, pp. 43ss, 99ss, 146ss, 211ss.

* 233 Protocole additionnel I de 1977, art. 90 par. 2 a).

* 234 Protocole additionnel I de 1977, art. 90 par. 2 c).

* 235 En sens contraire, voir SANDOZ (Y.), SWINARSKI (C.), ZIMMERMANN (B.) (éd.), Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, Genève/Dordrecht, CICR/Nijhoff, 1986p. 1069. DAVID (E.), Principes de droit des conflits armés, Bruxelles/bruylant, 2002, p. 516 s. Sans expliquer pourquoi, l'auteur estime ici qu'une enquête demandée par un mouvement de libération nationale ne pourra pas commencer sans « le consentement ad hoc de la Partie mise en cause ». Il écarte dans cette hypothèse l'applicabilité de l'alinéa 2a pour ne retenir que la compétence facultative de la CIEF.

* 236 http://www.cicr.org/fre

* 237 CICR, Rapport d'activité 1961, pp. 10-11.

* 238 Position du CICR sur la situation au Kosovo, Déclaration, 1er juillet 1999.

http://www.cicr.org/web/fre/sitefre0.nsf/iwpList74/5FDC622087E6297FC1256C75003E7274

* 239 CICR, News 02/02, Yougoslavie/Kosovo : résumé de l'action menée en 2001en faveur des détenus en Yougoslavie, 18 janvier 2002.

http://www.cicr.org/Web/Fre/sitefre0.nsf/iwpList74/125173E72A70C5F4C1256C750044669D

* 240 ANTOULAS Syméon, Chef adjoint des opérations du CICR pour l'Asie du sud-est et le Pacifique,

Entretien du 17 janvier 2003.

* 241 RYNIKER (A.), Op. Cit., p. 803

* 242 CPJI, Affaire de l'usine de Chorzow, Demande en indemnité, Allemagne/Pologne, 13 septembre 1928, Série A, no 13, p. 29.

* 243 Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, approuvée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 13 février 1946, UNTS, Vol. 1, 1946-1947, no 4, art. VIII, section 29 : « L'Organisation des Nations Unies devra prévoir des modes de règlement appropriés pour : a) Les différends en matière de contrats ou autres différends de droit privé dans lesquels l'Organisation serait partie ; b) Les différends dans lesquels serait impliqué un fonctionnaire de l'Organisation qui, du fait de sa situation officielle, jouit de l'immunité, si cette immunité n'a pas été levée par le Secrétaire général.

* 244 CIJ, Affaire du Différend relatif à l'immunité de juridiction d'un rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme, Avis consultatif du 29 avril 1999, Rec. 1999, par. 66.

* 245 Regulation on the status, privileges and immunities of KFOR and UNMIK and their personnel in Kosovo, UNMIK/REG/2000/47, 18 August 2000.

* 246 KFOR, Standard Operating Procedure 3023 for Claims in Kosovo, 22 March 2003.

* 247 Ibid., section 6.

* 248 Ibid., section 7.

* 249 VIRALLY (M.), United Nations and Belgium, Court of Appeal of Brussels, 15 septembre 1969, in International Law Reports, vol. 69, pp. 139ss

* 250 Nous empruntons l'expression entre guillemets à DEWAST (PH.), « Quelques aspects du statut des `Casques bleus' », RGDIP, vol. 81, 1977, p. 1014.

* 251 KLEIN (P.), La responsabilité des organisations internationales dans les ordres juridiques internes et en droit des gens, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 384.

* 252 Ibidem, p. 386.

* 253 Ibidem, p. 384.

* 254 RICR, n° 563, novembre 1965, p. 541

* 255 Doc. NU A/45/594, 9 octobre 1990 (« Etude d'ensemble de toute la question des opérations de maintien de la paix sous tous leurs aspects »).

* 256 Voir Internationational Humanitarian Law, National Cases Law, Belgium, Military Court, 17 December 1997

* 257 KOLB (R.), L'application du DIH et du droit international de droits de l'Homme aux opérations des organisations internationales, Op. Cit., p.243

* 258 voir le rapport du Secrétaire général des Nations Unies « Force d'urgence des Nations Unies : Etude sommaire sur l'expérience tirée de la création et du fonctionnement de la Force », Doc. NU A /3943 du 9 octobre 1958, p. 59.

* 259 « Déclaration conjointe MINUK-KFOR », du 17 août 2000, reproduite in : RGDIP, vol. 104, 2000, pp. 1132s.

* 260 UNMIK/REG72000747, 18 august 2000, « On the status, privileges and immunities of KFOR and UNMIK and their personnel in Kosovo ».

* 261 Ainsi la section 6 du Règlement.

* 262 Provisional Registration No. 479/01, Radomir Jokovic v. Belgian KFOR, texte de la lettre adressée à Mr. Pierre-Yves Monette, Ombudsman fédéral de Belgique.

* 263 Voir OSCE Mission in Kosovo, Human Rights and Rule of Law, Remedies Catalogue, mai 2003, section III, D.

* 264 Ibidem.

* 265 OSCE Mission in Kosovo, Review of the Criminal Justice System, September 2001-February 2002, pp. 40s.

* 266 MINUK, P. Nr. 70/02, arrêt non publié.

* 267 MINUK, AP-KZ No. 93/2003, du 8 mai 2003, arrêt non publié.

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