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Dynamique des réseaux et des systèmes de communication des migrants sénégalais en France

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par Moda GUEYE
Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 - Doctorat de géographie 2010
  

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2.1.2 La lettre a été le principal moyen permettant de communiquer à distance avec la famille avant de connaître un net recul

D'après les témoignages recueillis auprès de 73 personnes interrogées au cours de nos recherches de terrain en France (22), en Italie (16), en Belgique (9) et au Sénégal (26), la lettre a été probablement jusque vers le milieu des années 1990 le moyen privilégié des migrants sénégalais de donner des nouvelles à leurs familles et d'en recevoir d'elles en retour. On peut dire en fait jusqu'à l'avènement et la démocratisation du téléphone mobile. Le contenu de la lettre envoyée par le migrant était généralement des renseignements sur son état de santé, sur sa situation professionnelle. Le contenu de la lettre manuscrite pouvait d'une certaine manière refléter ou les réussites du migrant ou bien encore ses angoisses et ses incertitudes. Dans tous les cas, le migrant profitait des lettres envoyées pour solliciter les prières des parents. Il en profitait aussi pour transmettre des salutations à tous les membres de la famille, les parents, les grands-parents, les frères et soeurs, les oncles et les tantes, les cousins et les cousines, les amis d'enfance du quartier, bref tout le monde sans exception. Inversement, le contenu de la lettre envoyée par les parents de l'émigré portait surtout sur des événements heureux ou tristes arrivés au sein de la famille. C'était aussi des sollicitations diverses notamment des demandes d'aides financières. C'était également l'occasion de rappeler au migrant d'entreprendre des démarches pour faire venir à ses côtés un membre de la famille le plus rapidement possible. Les lettres pouvaient par ailleurs être rédigées soit en français, soit écrites en wolof ou bien encore en arabe.

Il faut en outre souligner que le rythme de ces correspondances épistolaires était alors caractérisé par une faible fréquence. Les délais d'acheminement étaient en effet relativement longs. Les lettres pouvaient mettre des mois (parfois jusqu'à deux mois) voire au mieux des semaines (deux à trois semaines) avant de parvenir à leurs destinataires. De même, il arrivait régulièrement que le courrier se perde en cours de route et n'arrive donc jamais à destination. Dans les premiers temps de la migration sénégalaise, le courrier était expédié au Sénégal essentiellement en provenance de la France et aussi de quelques pays africains comme la Côte d'Ivoire, le Gabon, le Cameroun, le Zaïre actuel République Démocratique de Congo, etc. Généralement, les lettres étaient acheminées soit par voie postale, soit par l'intermédiaire d'un autre migrant effectuant un voyage au Sénégal.

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M. M. G., âgé d'une quarantaine d'années, est originaire du village de Dondou situé dans la région de Matam au Nord-est du Sénégal, il habite actuellement le quartier populaire de Niary Tally à Dakar. Frigoriste de formation, M. M. G. rejoint sa soeur à Paris en 1992. Deux ans après, il se rend en Italie. Il a vécu pendant dix ans à Parme où il se livrait essentiellement à la vente de sacs, de ceintures et de montres. Chanceux et doté d'un bon sens des affaires, il parvient à amasser au bout de quelques années une bonne somme d'argent avant de prendre la décision de rentrer au Sénégal pour se marier et s'installer à son propre compte, en reprenant son ancien métier de frigoriste. Il prit l'initiative d'utiliser une bonne partie de ses économies dans l'achat de réfrigérateurs neuf et d'occasion auprès d'un Sénégalais installé en Allemagne qui lui avait été recommandé par une de ses connaissances. Mais ce dernier lui fera parvenir des réfrigérateurs de mauvaise qualité. M. M. G. se fera ensuite escroqué par son transitaire. Au moment de notre entretien en 2004, il cherchait les moyens de repartir en Italie ou de se rendre en Espagne ou au Portugal. Plus tard, son frère nous a appris que M. M. G. est reparti de nouveau en France où il a rejoint sa soeur depuis 2009. Au cours de notre entretien, M. M. G. nous a expliqué toutes les péripéties qui jalonnent l'itinéraire de la lettre postée par les migrants originaires de Dondou jusqu'à leur réception par leurs destinataires et leur lecture.

« A Dondou, il n'y a toujours pas de bureau de poste. Le courrier arrive à la poste de la ville de Matam qui est par ailleurs le chef-lieu de la région. D'habitude, les habitants du village demandent à un des leurs d'aller récupérer le courrier. La distribution se déroule au marché à proximité de la place qui sert de lieu de rencontre, de discussion et de repos aux anciens. Dans le cas où l'identité du destinataire est inconnue de l'assistance, alors on se tourne vers les anciens qui, dans la plupart des cas, connaissent les différentes familles qui composent le village. Ainsi dans la distribution du courrier, les anciens jouent le rôle « d'agents de renseignements » ou « d'indicateurs ». On choisit dans l'assistance une personne sachant lire et écrire en français pour qu'elle vienne faire la distribution du courrier. Le courrier est récupéré à Matam et acheminé à Dondou par voie routière pendant la saison sèche, et par voie fluviale au moment de la saison des pluies. Mais durant la saison des pluies qui est également la période des vacances scolaires, ce sont la plupart du temps les élèves en classes de secondaire rentrés au village pour les vacances qui font office de lecteur et d'écrivain. Les plus brillants d'entre eux deviennent alors des sortes d'écrivains publics. Ils sont très souvent sollicités par les familles pour écrire des lettres aux parents migrants ».

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La situation est quasiment semblable dans les autres localités éloignées du pays. Seulement là où il y a la présence d'un facteur, il est fréquent que ce dernier remplisse également la fonction de lecteur. A la demande du destinataire, le facteur peut éventuellement lire la lettre avant de poursuivre la distribution du reste du courrier. Toutefois, il arrivait parfois que le lecteur ne maîtrise pas très bien le français. Aussi se posaient souvent des difficultés pour déchiffrer correctement le contenu de la lettre, en somme de sérieux problèmes d'interprétation. Le message contenu dans la lettre pouvait souvent être modifié ou dénaturé. D'autre part du fait de l'éloignement du bureau de poste, certains devaient parcourir de temps en temps plusieurs kilomètres (plus de 40 km parfois) à bicyclette pour envoyer ou recevoir une lettre à la poste. Les correspondances écrites permettaient aux migrants d'être informés de tout ce qui se passait au sein de la famille restée au Sénégal, mais souvent à des intervalles longs. Les lettres à l'époque témoignent aussi de leur utilisation comme moyen permettant d'effectuer des transferts d'argent, avec tous les risques de détournement de la part des agents de la poste.

Afin de permettre à leurs parents de ne plus parcourir des distances éreintantes pour retirer leurs courriers ou percevoir leurs mandats, les migrants ont été à l'origine de la construction de la plupart des bureaux de poste dans certaines zones du pays comme la vallée du fleuve Sénégal. Par ailleurs, en cas de mauvaise conduite en France (par exemple refus de participer aux cotisations pour le fonctionnement des caisses villageoises, conduite déviante des plus jeunes, etc.), les aînés en France écrivaient des lettres manuscrites pour demander aux chefs de village de prendre des sanctions à l'encontre des fautifs et de leurs familles. De leur côté, pendant les périodes difficiles, les chefs de village envoyaient des lettres en France pour solliciter l'assistance des responsables des caisses servant à collecter les cotisations des migrants. Dans les premières périodes de la migration jusqu'à l'avènement récent du téléphone mobile et de l'Internet, la lettre a été le principal moyen utilisé dans le maintien des liens avec le pays d'origine. A présent, il faut bien constater que l'utilisation du courrier connaît de nos jours un net recul.

Toutefois, il apparaît, à travers certains témoignages recueillis, que le courrier reste encore un élément essentiel dans la prospection d'emploi vers le pays d'origine. Nous citerons par exemple les cas de M. S., âgé de 36 ans, résidant à Bordeaux et travaillant dans une entreprise de télécommunication privée et sa femme D. B., âgée de 28 ans et

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étudiante en médecine à Bordeaux qui affirment rédiger et envoyer des courriers administratifs vers le Sénégal dans la perspective de trouver un emploi pour un retour définitif au pays. Tel est le cas également de A. S, âgé de 32 ans et salarié dans le privé et I. D., âgé de 31 ans et étudiant à Nanterre. Rencontrés à Paris où ils habitent tous les deux, A. S. et I. D. expriment leur forte volonté de retourner définitivement dans leur pays d'origine dès qu'une proposition sérieuse d'emploi leur sera faite. Pour eux, le courrier reste encore un moyen très pratique pour envoyer des CV et des demandes d'emploi.

Il faut quand même souligner que le désir de retour définitif au pays reste une préoccupation largement partagée par bon nombre de migrants. A ce propos, Thomas Guignard attirait d'ailleurs l'attention sur le fait que 75% des Sénégalais qu'il avait interrogés « disent vouloir revenir au Sénégal quand on les questionne sur leurs projets pour l'avenir. Ils ne sont que 10% à vouloir rester en France et 7% des répondants désirent partir en Amérique du Nord71 ». A côté de la lettre, il y avait aussi l'utilisation des cassettes audio.

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