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Dynamique des réseaux et des systèmes de communication des migrants sénégalais en France

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par Moda GUEYE
Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 - Doctorat de géographie 2010
  

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1.2 Les migrants commerçants mourides

Les migrants commerçants arrivent dans l'Hexagone au milieu des années 70, à la suite des flux de migrants ressortissants de la vallée du fleuve Sénégal et des Mandjaks. « Estimés à plusieurs milliers de personnes en 1983-1984 », ces commerçants, dont la grande majorité était membre de la confrérie mouride, se livraient à la vente ambulante d'objets d'art africain en sillonnant Paris et certaines villes de province. Certains d'entre eux finiront par rejoindre d'abord les villes européennes (Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Suède...), puis les villes de l'Europe du Sud (Italie, Espagne, Portugal). D'autres iront tenter l'aventure commerciale aux Etats-Unis (G. Salem, 1981, V. Ebin, 1992, A. M. Diop, 1993 et I. Sané, 1993). Aujourd'hui, de nombreux Sénégalais se livrent au commerce d'objets de toutes sortes à Paris (M. Gueye, 2001, L. Sall, 2007), Marseille (V. Ebin, 1992, B. Bertoncello et S. Bredeloup, 2004) et certaines villes de province. Si le

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commerce des migrants sénégalais a connu de nos jours une telle évolution et a pris une telle ampleur, c'est incontestablement en grande partie grâce aux membres de la confrérie mouride qui ont réussi une reconversion remarquable et remarquée dans le commerce en s'appuyant, principalement, sur une idéologie qui valorise le travail et la solidarité, mais également en faisant preuve de courage, d'abnégation et d'endurance. En effet, la majorité des Sénégalais qui s'activent dans le commerce hors du territoire sénégalais appartient effectivement à la confrérie mouride.

Les Mourides sont essentiellement localisés au centre-ouest du Sénégal, dans le pays wolof. Le mouridisme est une confrérie fondée en milieu rural par Cheikh Amadou Bamba (1852-1927) à la fin du 19e siècle. Sa capitale religieuse est la ville sainte de Touba où se déroule chaque année le Magal, le grand rassemblement de tous les membres de la communauté mouride dispersés à travers le monde. Beaucoup de migrants commerçants mourides ont tout d'abord été des talibés dans les daras, des structures créées principalement en milieu rural, où ils apprenaient le coran et les khassaïdes (les poèmes de Cheikh Amadou Bamba) tout en contribuant au défrichement d'immenses étendues de terres au profit de l'expansion agricole des marabouts et notamment pour le développement de la culture de l'arachide. A ses débuts, la confrérie attira les populations lassées par les razzias guerrières et les luttes meurtrières qui opposaient les différents royaumes alentours (Cayor, Djoloff, Ndiambour, etc.).

A cette époque, Cheikh Ahmadou Bamba représentait, aux yeux des foules livrées à l'anarchie, non seulement la sainteté, la piété et la science islamique, mais en même temps le saint homme incarnait pour ces populations la non-violence, l'espoir d'une vie plus calme. Très rapidement, sa popularité croissante provoqua l'inquiétude et la surveillance de l'administration coloniale française locale, d'autant plus que des rumeurs « le représentaient comme faisant d'importants achats d'armes et de munitions ». Il fut alors envoyé en exil d'abord à Mayombé et à Lambéréné au Gabon durant 7 ans (1895 - 1902), puis à Saout-El-Ma en Mauritanie pendant 4 ans (1903 - 1907). Cheikh Amadou Bamba a développé une doctrine religieuse essentiellement basée sur la prière et le travail. Le principal précepte auquel doivent se soumettre les fidèles mourides est « Travail comme si tu ne devais jamais mourir et prie comme si tu devais mourir demain ». En outre, grâce à l'acquisition et au défrichage d'immenses étendues de terres arables et fertiles par le biais d'intenses travaux agricoles effectués avec dévotion et inlassablement

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par les talibés, les marabouts mourides deviennent rapidement de très grands cultivateurs d'arachide. Cette exploitation et cette expansion agricoles s'appuient entièrement en réalité sur des structures mises en place par les marabouts. Ces structures, plus connues sous le nom de dara, étaient à la fois des centres d'éducation ou d'initiation islamiques et des groupes de travail. Cependant avec simultanément la baisse de la fertilité des sols et la chute progressive des cours mondiaux de l'arachide, les fidèles mourides investissent tout simplement les espaces urbains sénégalais tout d'abord avant de se lancer à la conquête des grandes villes africaines, et ensuite celle des centres urbains et des places fortes de l'économie mondiale, en Europe dans les années 70, et « plus récemment et de façon intense aux Etats-Unis d'Amérique et en Asie au cours des années 90 » à la recherche de nouveaux poissons par temps de crise (V. Ebin, 1996). Les Mourides sont devenus la première puissance commerciale au Sénégal comme l'atteste en effet leur forte présence au marché Sandaga, le principal marché du Sénégal, situé dans le quartier du Plateau, la cité administrative dakaroise ; de la même manière que le montre leur présence en grand nombre dans quasiment tous les marchés implantés dans l'espace sénégalais, les Mourides ont réussi une reconversion remarquable et spectaculaire dans le commerce. Et comme le souligne d'ailleurs fort pertinemment Abdou Salam Fall, à présent les commerçants mourides se sont appropriés le marché Sandaga qu'ils ont fini par transformer en une sorte d'antichambre, un lieu d'acquisition des ressources permettant d'émigrer et aussi un lieu relativement favorable pour s'insérer dans les réseaux mourides. Si justement le marché Sandaga a atteint une telle dimension et une telle importance aujourd'hui dans le système économique sénégalais, il le doit en grande partie au dynamisme et à la participation active des réseaux mourides (A. S. Fall, 2002).

1.2.1 Avec le pays de résidence, des relations tournées essentiellement autour de l'activité commerciale et du « religieux »

1.2.1.1 Un maillage commercial de tout l'espace français

Arrivés parmi les premiers acteurs de la migration sénégalaise en France, les migrants commerçants sénégalais ont fini par imposer leur présence et leur marque dans l'espace français. Ils sont en effet dispersés sur tout le territoire français, de Paris à Marseille et de Bordeaux à Lyon, en passant par Toulouse, Le Havre, Nantes, Strasbourg, Poitiers... A

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Paris, on les trouve principalement dans les marchés (Barbès, Château Rouge, Sarcelles, Saint-Denis, marchés aux Puces de Clignancourt et de Montreuil...) et sur les sites touristiques (Tour Eiffel, Arc de Triomphe, Château de Vincennes, Château de Versailles...). A Bordeaux, on peut les trouver sur le cours Victor Hugo, la rue Sainte-Catherine, au marché Neuf, au marché des Capucins...). A Marseille, ils sont présents dans les quartiers Belsunce et Noailles près de la Canebière, aux abords du quartier de la gare Saint-Charles.

En hiver comme en été, on trouve des commerçants ambulants sénégalais ou plutôt des vendeurs à la sauvette en train de parcourir ou de sillonner les villes touristiques de la côte Atlantique et de la méditerranée. Un sac chargé de montres, de lunettes de soleil, de ceintures, de bijoux fantaisie, de parapluies ou de statuettes africaines sur le dos, ils déambulent sur les plages, les places des marchés et sur les trottoirs ou les terrasses des cafés pour essayer de vendre leurs marchandises. Cette grande mobilité spatiale s'explique en partie par un souci de diversifier, dans une certaine mesure, les lieux de vente. Les colporteurs mourides sont généralement des hommes jeunes arborant souvent des boubous ou des tenues vestimentaires multicolores58, signe distinctif de leur appartenance à la communauté mouride.

A Marseille, par exemple, ils sont devenus, comme le remarque Sophie Bava59, familiers aux passants qui cherchent une gamme de produits à la mode à des prix raisonnables. Selon les saisons, la communauté mouride de Marseille peut être estimée entre 2000 à 3000 individus, ajoute Sophie Bava60. Toutefois, Daouda Koné signale que cette implantation du commerce africain à Marseille ne s'est pas faite sans heurts. Au contraire, elle avait généré, à ses débuts, une cohabitation difficile avec les autres communautés notamment maghrébines pour l'occupation et le contrôle des lieux de commerce dans « l'aire métropolitaine marseillaise »61. Les colporteurs sénégalais s'approvisionnent aussi bien auprès des grossistes mourides qu'auprès des grossistes maghrébins, juifs ou asiatiques. En outre, les femmes sont de plus en plus nombreuses à

58 Ces tenues vestimentaires multicolores et les rastas symbolisent le plus souvent l'appartenance au groupe des « Baye Fall », une branche du mouridisme fondée par Cheikh Ibra Fall, un fidèle compagnon de Cheikh Ahmadou Bamba.

59 BAVA, Sophie. Reconversions et nouveaux mondes commerciaux des mourides à Marseille. In Marseille, carrefour d'Afrique. Hommes et Migrations, mars-avril 2000, n°1224.

60 BAVA, Sophie. Les Cheikhs Mourides itinérants et l'espace de la ziyara à Marseille. Anthropologie et Sociétés, 2003, vol 27 n°1.

61 KONE, Daouda. Noirs-africains et Maghrébins ensemble dans la ville. In Marseille et ses étrangers. Revue Européenne des Migrations internationales, 1995, vol. 11 n°1.

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s'impliquer dans le commerce sénégalais en France. Profitant de leurs plus grandes facilités de circulation, car étant moins soumises aux contrôles policiers que leurs maris ou frères, elles se rendent dans des pays comme la Turquie, le Danemark, Dubaï, Bangkok... où elles achètent des bijoux en or et des tissus qui seront ensuite revendus sur le territoire français ou au Sénégal ou bien encore dans les pays où se sont implantées de fortes communautés sénégalaises tels que l'Italie, l'Espagne et les Etats-Unis (B. Bertoncello et S. Bredeloup, 1993).

Pour les migrants commerçants mourides, contrairement aux migrants originaires de la vallée du fleuve Sénégal dont l'essentiel de la vie communautaire se déroule dans les foyers, ce sont les appartements ou les chambres des grossistes qui sont des lieux d'intense vie sociale. Les vendeurs s'y retrouvent régulièrement pour partager les repas, boire du thé, partager des informations sur le Sénégal, discuter de l'actualité du pays d'origine, prendre des marchandises et se donner des « tuyaux ».

Les durcissements successifs des lois (Pasqua et Debré) concernant les conditions d'attribution des titres de séjour aux étrangers, ajoutés aux tracasseries policières incessantes, ont progressivement entraîné un net recul du système commercial mouride en France. Pour bon nombre de commerçants mourides, la France a perdu son lustre d'antan, elle ne sert pratiquement plus que comme point de passage vers des horizons supposés plus cléments, tels que l'Italie, l'Espagne, les Etats-Unis. Ainsi donc, afin d'insuffler un nouvel élan à leurs activités commerciales, ils exploitent non seulement, tous les créneaux, toutes les possibilités de partenariat (avec des commerçants africains ou des partenaires français), mais aussi d'autres destinations plus prometteuses.

A cela s'ajoute une autre particularité qui est importante à souligner, c'est le recours à Internet pour trouver de bonnes affaires ou des marchés susceptibles d'être rentables, notamment foires, brocantes, braderies et vide-greniers. Pour certains de ces commerçants, Internet participe à une exploitation rationnelle de l'espace français. Son usage permet, dans une large mesure, de diversifier les lieux de vente. Ce qui constitue quand même un aspect non négligeable à la bonne marche des affaires. Ce que l'on peut dire pour le moment, c'est que ce phénomène, aussi marginal qu'il puisse apparaître dénote allégrement les mutations en cours dans le milieu des migrants commerçants sénégalais en France. Il semble en effet que certains d'entre eux commencent peu à peu à

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percevoir ou saisir quelques unes des multiples potentialités offertes par Internet pour le développement de leurs activités commerciales.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote