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Dynamique des réseaux et des systèmes de communication des migrants sénégalais en France

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par Moda GUEYE
Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 - Doctorat de géographie 2010
  

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8.1.2 Les TIC, facteurs de replis identitaires ?

En France, le repli identitaire des groupes minoritaires est, en général, identifié au communautarisme, terme le plus souvent perçu comme un frein à l'intégration dans la République. Il s'agit de cette tendance au morcellement des communautés confinées selon leur appartenance à un groupe, une ethnie, une religion voire même parfois par le fait tout simplement de partager les mêmes conditions sociales, en particulier la même galère liée au chômage et à la pauvreté au sein de la cité. Plus précisément, le communautarisme est ressenti par ses pourfendeurs et critiques comme une opposition aux valeurs républicaines et universelles. On constate que le débat particularismes identitaires versus universalisme républicain est réapparu récemment dans l'espace public français dans un contexte très particulier, marqué au niveau national par les controverses nombreuses suscitées par le port du voile dans les établissements publics au milieu des années 1990, la montée de l'extrême droite et le traumatisme provoqué par la présence inattendue de Jean Marie Le Pen, président du Front national (FN), au second tour de l'élection présidentielle de 2002. Les violences urbaines sans précédent qui ont très fortement secoué les banlieues françaises en 2005, et au niveau international les attentats commis aux États-Unis le 11 septembre 2001 ont aussi contribué à focaliser l'attention sur les étrangers non européens. Pour les sociologues Chantal Bordes-Benayoun et Dominique Schnapper, « la valorisation des identités particulières comporte un double

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risque pour la cohésion sociale des démocraties. D'une part, elle menace de fragmenter le corps social et d'aggraver les inégalités entre les groupes. D'autre part, les conflits extérieurs risquent d'être importés et de dramatiser les rivalités et les conflits intérieurs. Si l'entretien des cultures et des fidélités particulières, inscrites dans des aspirations qui dépassent les frontières nationales, fait partie de la liberté de chacun, ne faut-il pas partager aussi une histoire et des valeurs communes ? »155

Le communautarisme est suspecté de valoriser la fermeture sur soi et de cette manière de constituer une menace pour l'unité et la cohésion de la République. Il constitue un réel obstacle à ce commun devoir de vivre ensemble dans une société laïque de liberté et de fraternité. Or, à travers notamment le « melting-pot », un pays comme les Etats-Unis a prouvé, qu'il était bien possible, toutes proportions gardées, de transformer des populations issues de diverses origines et de les amener à coexister ensemble dans la différence au sein d'une société homogène. En réalité, l'existence de différentes cultures reflète la vigueur du multiculturalisme au sein d'une société quelle qu'elle soit.

Par ailleurs, depuis que les migrants ont commencé à utiliser massivement les TIC, les adversaires du communautarisme y voient une manière d'accroître davantage les menaces de replis identitaires des groupes minoritaires. Ceux qui soutiennent cette thèse considèrent en effet que la consommation exclusive et fermée de médias consacrés à la communauté et au pays d'origine risque de favoriser la constitution de « bulles communautaires » dans les pays de résidence. Pourtant, nous avons vu qu'au sein de la diaspora sénégalaise en France où la tendance est généralement de fréquenter assidûment les sites d'informations sur le pays d'origine, les TIC jouent un rôle plutôt important dans le processus d'intégration dans le pays de résidence. Dans leur grande majorité, les personnes interrogées considèrent les TIC comme essentiellement des moyens de renforcer les relations avec le pays d'origine, d'accéder à l'information sur le pays d'origine en temps réel et de savoir ce qui s'y passe tous les jours, de prendre le pouls du pays quasiment en direct et de s'impliquer beaucoup plus que dans le passé, d'intervenir en direct dans les débats sur les radios en ligne, de participer aux forums de discussion et de s'exprimer sur la situation politique, économique et sociale du pays d'origine.

155 BORDES-BENHAYOUN, Chantal et SCHNAPPER, Dominique. Le communautarisme ou l'oubli du monde commun. Le Figaro, 24 février 2006.

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Il n'en demeure pas moins pour autant que la grande majorité des migrants reconnaît que les TIC ont apporté beaucoup de commodités et contribué à renforcer les relations avec le pays de résidence. La diversité des sites web permettant de trouver du travail est particulièrement appréciée dans la mesure où ces sites web ont beaucoup facilité les recherches d'emploi et aussi offrent beaucoup plus d'opportunités d'insertion socioprofessionnelle. De même, les sites web des universités fournissent constamment des informations sur l'actualité culturelle et sociale destinée aux étudiants. D'autre part, les sites des réseaux sociaux tels que Facebook et Hi5 permettent de nouer des contacts et d'interagir avec des internautes d'horizons divers. Ainsi, O. D., moniteur/allocataire de recherche à Aix-en-Provence nous dit :

« J'ai 27 ans et je suis arrivé en France en 2002, année où j'ai commencé à utiliser le téléphone portable et Internet. Pour le téléphone, j'ai pris un abonnement Orange à 30 euros et la connexion Internet auprès de Wi First à 8 euros par mois. Bien qu'étant un utilisateur assidu de Seneweb où je passe une bonne partie de mon temps libre à surfer sur le site afin de me tenir régulièrement informé de l'actualité de mon pays d'origine, je me rends aussi régulièrement sur le site de l'université Paul Cézanne et dans les forums pour étudiants. Ce qui me permet de me tenir au courant des manifestations culturelles organisées dans la ville et d'entretenir des échanges avec d'autres étudiants sur la vie des étudiants et les perspectives de carrière à la fin des études. C'est pour ces raisons que j'affirme que les TIC contribuent à renforcer les relations avec le pays de résidence ».

Y. D., âgé de 25 ans et étudiant à Bordeaux avance à peu près les mêmes raisons pour justifier pourquoi il pense que l'utilisation des TIC peut effectivement participer à renforcer les relations avec le pays d'accueil.

« Comme la plupart de mes compatriotes, je consulte chaque jour Seneweb pour obtenir des informations sur l'actualité sénégalaise. Parallèlement, je consulte aussi régulièrement le site web de l'université Montesquieu Bordeaux 4 pour obtenir des informations sur tout ce qui concerne la vie étudiante. Le site propose des informations sur les aides sociales, les activités physiques et sportives ainsi que les manifestations culturelles destinées aux étudiants de Bordeaux 4. Parmi mes sites web préférés, il y a également celui de l'APEC qui donne accès aux offres d'emploi et de stages pour notamment les jeunes diplômés. Je suis aussi un adepte du forum de discussion Senediaspora et de Facebook. Tout cela fait que je me sens mieux intégré dans mon pays d'accueil ».

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Les sites portails comme Seneweb.com, Xalima.com, Xibar.net ou Rewmi.com permettent au quotidien d'obtenir des informations sur l'actualité sénégalaise. Mais, on s'informe aussi en ligne sur l'actualité française et internationale à travers les sites des quotidiens d'informations généralistes comme Lemonde.fr, Lefigaro.fr, sur le site web du magazine hebdomadaire d'informations Marianne2.fr ou sur le site web du quotidien sportif Lequipe.fr. Plus particulièrement, les TIC facilitent les démarches administratives dans le pays de résidence et permettent, à bien des égards, de disposer de conseils relativement pratiques et utiles sur le pays de résidence. Ainsi donc, contrairement à ce que l'on pourrait penser, observe Philippe Dewitte « il n'est pas dit que la sociabilité communautaire en ligne créera mécaniquement du ghetto »156 ou une vie communautaire renfermée sur elle-même. Nous n'avons noté aucune particularité au sein des sites web réalisés par ou pour les migrants sénégalais visant à promouvoir un quelconque repli identitaire ou à faire l'apologie de l'identité de la culture d'origine. On observe bien entendu une valorisation et une vulgarisation de certains aspects de la culture sénégalaise, mais également une réelle volonté de dialogue interculturel avec la société d'accueil. En définitive, on peut dire, pour paraphraser Yves Charbit, Marie-Antoinette Hily et Michel Poinard (1997), dans leur étude portant sur le va-et-vient identitaire des migrants portugais entre la France et les villages d'origine au Portugal, que les migrants sénégalais en France cherchent, à travers leur vie quotidienne et leur vie professionnelle à « mettre en évidence une certaine logique de va-et-vient entre » leurs territoires d'origine et de résidence, « et non point une rupture, ou un rejet du territoire de résidence au profit du territoire d'origine, « mais la construction d'une vie, au gré des opportunités offertes » à la fois ici et là-bas, et donc dans leurs deux territoires de vie. Même s'il serait imprudent de tirer des conclusions trop hâtives, il nous semble, au contraire, que les migrants se servent de ces technologies pour mieux vivre leur double appartenance.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault