WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les technologies appropriées en zone rurale : cas du moulin à  grains dans le département de Toma au Burkina Faso.

( Télécharger le fichier original )
par Jean Paulin KI
Université catholique d'Afrique Centrale Yaoundé - Maà®trise en sciences sociales 2000
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

b). « Masculinisation » d'une activité féminine ?

Conformément à l'idéologie sous-tendant les technologies appropriées, le moulin est un outil conçu pour les femmes en vue d'alléger leur travail et de sauvegarder leurs forces physiques et donc leur santé. Seulement, sur le terrain la réalité est telle que ce sont les hommes qui sont propriétaires des moulins et qui vendent le service aux femmes.

Les moulins dans le département de Toma, comme dans la plupart des régions du Burkina, ont fait de la mouture des céréales une activité masculine. Les hommes se sont accaparé les moulins et opèrent la mouture. Le cas le plus intéressant est celui du moulin du groupement villageois féminin de To récupéré en 1996 par le groupement des hommes sous le prétexte que les femmes n'arrivent pas à s'entendre pour son exploitation.

Les causes de l'appropriation des moulins par les hommes peuvent être de plusieurs ordres. Parlant de l'accès des femmes au moulin au chapitre précédent, nous avons évoqué la raison financière et économique comme première explication au phénomène. Les femmes n'ont

124

pas d'argent et doivent, pour posséder un moulin, se mettre en groupe afin de bénéficier de l'appui d'une ONG. A présent, il nous faut aller plus loin pour comprendre le phénomène même du passage de la mouture des femmes aux hommes. Car même lorsque les femmes possèdent un moulin, c'est un homme qui exerce la fonction de meunier. Au-delà des questions mécaniques évoquées dans le cadre des représentations sociales, il nous faut interpréter ce fait social en rapport avec les relations de genre dans la société. La mouture des céréales est-elle ad aeternum le fait d'un seul et même sexe ou peut-elle, selon les circonstances, passer aux mains de l'autre sexe ou encore être pratiquée par les deux à la fois ?

Dans la ligne de l'approche par le genre, moudre du grain n'a rien de masculin ni de féminin. L'attribution de cette activité à une catégorie relève purement d'une organisation sociale mise en place. Sur la base de cette organisation, la mouture des grains, comme l'ensemble des travaux ménagers, est culturellement attribuée à la femme dans presque toutes les sociétés à céréales. En ce qui concerne la société san, la lecture des deux mythes que nous avons présentés au chapitre 3, peut nous aider à comprendre l'organisation de celle-ci. On constate que tandis que l'un présente la mouture des grains comme une affaire entre hommes (le chasseur et son père), l'autre la présente comme une activité essentiellement féminine. Dans tous les cas nous pouvons supposer que les deux mythes font de l'activité de mouture une affaire de femme dans la mesure où le contexte du premier mythe est un contexte familial qui suppose la présence d'une mère puisqu'il y a un père et un fils. Ainsi, si dans la culture san les femmes écrasent les grains c'est en raison de leur fonction de mère nourricière comme cela est présenté dans le second mythe. Chez les Sanan, la meule comme la cuisine sont le domaine privé de la femme. Elles sont généralement situées au même endroit (Cf. Photo en annexe N°4). L'homme n'y a pas de place.

Aujourd'hui avec les moulins, l'homme est aux commandes de la mouture sans que cela ne choque personne dans la même société san. Ce transfert de la mouture aux mains des hommes peut être expliqué par la théorie de la domination masculine qui a, comme d'habitude, écrasé les femmes surtout en milieu rural. Cette piste d'analyse s'appuie également sur les raisons économiques et attribue aux hommes le fait de ne rechercher que des opportunités laissant à la femme les tâches les plus pénibles. Déjà en 1948 Margaret Mead (éd. 1966 : 9) s'interrogeait en ces termes : « Comment en ce vingtième siècle où tant d'idées anciennes appellent une révision, l'homme et la femme peuvent-ils concevoir leur virilité et leur féminité ? L'homme est-il surdomestiqué, spolié d'un esprit d'aventure conforme à sa nature, enchaîné à

125

des machines ne représentant après tout qu'un perfectionnement des instruments - fuseaux et métiers à tisser, mortiers et pilons, bâtons à fouiller - caractérisant jadis le travail de la femme ? ». Le progrès dans la technologie des moulins à grains, (depuis les moulins à vent dont les meules étaient deux grosses pierres horizontales jusqu'au moulins motorisés dont certains conservent encore des meules de pierre), semble confirmer cette thèse de Mead. Le problème de fond est un rapport de sexes où la domination se manifeste à travers la recherche d'intérêts économiques.

Dans ce rapport de sexes, l'un, le sexe féminin, est toujours perdant à cause du patriarcat25. Ces relations de genre marquées par la domination posent le problème de l'invisibilité économique de la femme à tous les niveaux. Même lorsqu'elles initient des activités génératrices de revenus, les femmes n'ont pas une bonne position sur le plan économique par rapport aux hommes parce que n'ayant pas la maîtrise des sources de revenus. Cette dernière s'explique aussi par l'accès limité des femmes aux moyens de production. Aujourd'hui encore en pays san, pour qu'une femme use d'une pioche ou d'une houe elle doit s'assurer que le mari ne l'utilise pas au même moment. Les instruments de production agricole sont exclusivement la propriété de l'homme qui en assure le contrôle.

Par ailleurs, du moment que la mouture mécanique fait entrer un travail domestique dans une sphère marchande, il est récupéré par les hommes qui vendent le service aux femmes. Le moulin renforce donc la dépendance des femmes vis-à-vis des hommes. Même dans le cas des moulins GVF, les femmes sont obligées de recourir aux hommes qui exercent dans la société les métiers de mécaniciens ou d'aiguiseurs de meules. C'est pourquoi nous disons que l'étude des relations de genre montre une évolution vers un modèle de domination masculine sinon de marginalisation des femmes. Cette réalité interroge profondément sur l'apport des technologies appropriées conçues pour les femmes.

En conclusion, il apparaît clairement que l'introduction de certaines technologies n'est pas sans entraîner ses propres problèmes. Le cas des moulins à grains dans le département de Toma est un exemple parmi tant d'autres en Afrique de l'Ouest où l'on constate une récupération par les hommes. La commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (1996 : 120) fait le même constat : « L'introduction de certaines techniques de production visant

126

à alléger les corvées des femmes a souvent conduit à un transfert d'emplois, de la gestion économique et du revenu potentiel des femmes vers les hommes ». Nous expliquons ce phénomène par la domination masculine très forte dans les sociétés concernées. Cette situation nous conduit à nous interroger sur la contribution des technologies appropriées à la promotion de la femme.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote