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La règle du double degré de l'instruction dans le droit répressif camerounais

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par Rodrigue TCHATCHOUANG TCHEJIP
Université de Yaoundé II Cameroun - Diplôme d'études approfondies (DEA) en droit privé 2011
  

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SECTIONII : LES CONSEQUENCES DES LENTEURS PROCEDURALES DANS LE SYSTEME JUDICIAIRE CAMEROUNAIS

Trait d'union entre l'infraction et la sanction, la procédure pénale considérée comme tel doit s'effectuer dans des délais raisonnables. Trop expéditive, elle court le risque de violer les droits des justiciables. De même, trop lente la procédure pénale ne répond plus aux attentes de la société qui veut une prompte répression. Avant le Code de Procédure Pénale, on faisait déjà des lenteurs judiciaires excessives le principe en droit judiciaire camerounais. Cette situation produisait déjà des conséquences remarquables sur la justice. Aujourd'hui nous devons, pour parler suivant un adage courant admettre qu'une seule hirondelle ne fait pas le printemps. Si c'était le cas, il serait admis sans réserves aucunes que la loi de 2005 est un palliatif à tous ces maux qui minaient la justice. Il faut donc reconnaître ici que le problème est ailleurs. En effet, comme le remarquait Maître Assira ENGOUTE ;

«Les textes sont globalement bons. Le problème c'est plutôt l'application de ces textes, parce que très souvent ils sont galvaudés par ceux-là mêmes qui sont chargés de leur application. En plus, comme les voies de recours sont purement formelles il y a encore moins de contrôle»221(*).

Il apparaît que malgré l'avancée textuelle, la pratique judiciaire nous replonge dans les mêmes travers du passé. La question fondamentale serait donc celle de savoir si le justiciable a vraiment bénéficié de l'entrée en vigueur des lois conjointes de 2005 et 2006. Le moment n'est pas peut être approprié pour s'interroger. Trop tôt vont le juger certains.

Il est vrai que l'amélioration des textes entraîne l'amélioration de la procédure. L'instruction préparatoire, aujourd'hui à double degré constitue une véritable garantie des droits des justiciables. Mais, elle pose tout aussi un sérieux problème quant à la rapidité de la procédure. En effet, au niveau de l'instruction, le législateur ne fixe pas les délais de réponse au juge d'instruction. Ce qui permet aux magistrats de régulièrement répondre aux conseils des parties en ces termes :

«Maître vous savez que chez nous au Cameroun, les délais sont purement indicatifs »222(*).

Ces délais ``purement indicatifs'' n'étant pas du goût des justiciables ont permis à ceux-ci de se doter d'autres délais plus prompts dans une procédure expéditive menée par quelques `` magistrats'' commis sur le tas. Cette orientation des justiciables consacre pour rejoindre une doctrine bien avisée sur ce point le ``divorce'' entre la justice et les justiciables (§I) et surtout la création des justices parallèles à la justice étatique (§II).

§-I- Le « divorce » entre la justice et les justiciables

Le divorce est peut être déjà consommé entre la justice et les justiciables au Cameroun223(*). Les causes sont multiples. Certains évoquent l'implantation des traditions judiciaires étrangères dans les systèmes africains. C'est dans cet ordre d'idées que monsieur Nkou Mvondo écrivait :

« La justice de l'Etat camerounais est en crise. Une crise reflétée par un divorce désormais consommé entre la justice et les justiciables. L'Etat a voulu organiser une justice moderne, répondant par ses structures et ses règles de fonctionnement aux exigences du modèle prétendu universel d'Etat-nation dans sa version libérale. Mais cette justice qui s'appuie sur des méthodes et techniques importées d'Occident va se heurter à l'incompréhension des justiciables insuffisamment préparés pour faire face à un système de règlement des litiges prévu pour une société autre que la leur. On assiste alors au rejet de la justice de l'Etat. Les solutions mises en place par celui-ci pour rétablir le dialogue entre sa justice et les justiciables vont se révéler vaines »224(*).

Cet échec se résume dans ces propos du professeur Maurice Kamto :

« La colonisation en surimprimant sur les sociétés africaines des cultures étrangères et différentes, y a jeté le trouble d'exister en leur imposant l'obligation de relever le défi permanant d'adaptation et de conciliation des cultures. La justice de l'Etat africain nouveau prend racine sur un socle déjà façonné par d'autres cultures car derrière la façade harmonieuse d'une modernité d'emprunt, existe une pluralité d'entité ethniques avec leurs conceptions du monde, leurs modes d'organisation sociale et politique, leurs échelles des valeurs constituant (par suite) autant de sous ordres juridiques dans l'espace étatique»225(*).

Aussi, devrait-on reconnaître avec le professeur Keba M'baye que « la justice traditionnelle était essentiellement conciliatoire. Elle appliquait un droit façonné selon les nécessités des différentes civilisations(...) »226(*). Cependant, il est important de remarquer l'absence d'un retour aux sources après le divorce, mais plutôt la création d'une nouvelle forme de justice.

La justice étatique est aujourd'hui elle-même à la barre, on essaye tant bien que mal de scruter les causes même du divorce. Une chose qui est vrai c'est qu'elles sont certaines et connues même des autorités politiques et judiciaires. En effet, le premier président de la Cour Suprême dans son discours de rentrée de l'institution remarquait que :

 «On reproche tout à la fois à l'institution judiciaire ; ses délais, ses lenteurs, son organisation parfois qualifiée d'irrationnelle, sa complexité, son inaccessibilité, son langage exotique alambique et hermétique, son coût, son absence de transparence, la désinvolture du juge caractérisée quelques fois par de nombreuses remises en cause des procédures souvent prêtes à êtres réglées, des mises en délibéré interminables de certaines affaires (...) on dénonce ses faibles moyens, on doute de son indépendance, de son impartialité, de sa disponibilité, de sa compétence, de sa sagesse ».

Toutes ces causes peuvent consister en des motifs légitimes pour que les justiciables remettent en question la justice étatique.

La justice est un idéal que recherche le droit. Elle tend chaque fois vers la modernisation et la conciliation à la fois des intérêts de la société et des délinquants. La modernisation des textes de droit n'a autre objectif que l'amélioration de la qualité de la justice rendue. De son côté, le crime est une offense qui touche l'individu dans son intimité et viole les lois de la société. La sanction doit être rapide et proportionnelle afin d'apaiser les rancoeurs des uns et des autres. Les lenteurs procédurales ne sont pas les bienvenues dans une telle quête. Les textes de loi ayant évolué sans entrainer avec eux l'évolution des moyens de fonctionnement de l'institution judiciaire, on comprend à juste titre que les victimes ne puissent se contenter de la pesanteur de la justice qui va certainement avec le temps qu'elle prend apaiser leurs souffrances. Nul ne pouvant accepter soigner une injustice par une autre. Pour cette raison, bon nombre de justiciables camerounais ont choisi de se rendre justice. Une justice qui n'a pour véritable but que l'élimination du présumé innocent suspecté par un quelconque individu d'avoir commis une infraction qui, parfois est reconnue par la seule conception collective des habitants de la zone. Cette forme de justice ne prend en compte aucune mesure de protection des droits de la défense. Elle est expéditive et strictement vindicative. Dans tous les cas, l'émergence de cette forme de justice au Cameroun n'est plus à démontrer. Elle prend de plus en plus de l'épaisseur dans nos métropoles. Elle constitue une véritable justice parallèle à la justice étatique.

* 221 Me Assira Engoute (C.B), in Les cahiers de mutations, vol 064, juillet 2010. L'auteur remarque aussi que le procès dure parfois une éternité malgré que le Cameroun a signé les textes internationaux qui au nombre de leurs exigences de bonne justice mettent en avant les délais de justice.

* 222 Assira Engoute, ibid.

* 223 Dans plusieurs situations délictuelles auxquelles nous avons assisté et essayé de poser quelques questions à quelques individus, les réponses semblaient confirmer le divorce dont il est question.

Dans le premier cas, un jeune garçon venait d'être assassiné par un groupe de malfrats au quartier ngousso (yaoundé). La foule réunie au petit matin, nous avons essayé de savoir quelle serait la réaction des uns et des autres s'ils étaient ayant-droits, et que les coupables étaient arrêtés. Toutes les réponses recueillies avaient pour fondement la loi du Talion.

Ce même fondement animait quelques temps plus tard les habitants du quartier Akwa à Bafoussam. En effet, un homme venait d'être interpelé par les forces de l'ordre au motif que ce dernier offrait la chair humaine grillée à ses clients en lieu et place des viandes consomptibles. Parlant de l'instruction, certains n'hésitaient pas à vous répondre : « ça c'est une histoire des blancs, vous allez perdre du temps pour des choses qui sont vraies devant des juges qui attendent les plus offrants... ». Et d'autres de renchérir « l'instruction est certes une bonne chose, mais elle n'est pas faite pour durer longtemps comme c'est le cas ici chez nous, c'est cette lenteur de la justice toute entière qui nous éloigne des tribunaux. On préfère maintenant « finir » avec le malchanceux sur le coup ».

Interpellés sur la question du divorce entre la justice et les justiciables, les praticiens du droit n'hésitent pas de fustiger le comportement des magistrats qui non seulement ne disent plus le droit, mais peuvent prendre des mois, voir des années pour examiner une contestation. Ils relèvent aussi le manque d'éducation des justiciables, leur état de pauvreté, qui les poussent à penser qu'ils sont incapables de s'offrir un conseil devant un tribunal où le plus souvent ces derniers ne comprennent rien du tout.

* 224 Nkou mvondo (P), « La crise de la justice de l'Etat en Afrique noire francophone. Etude des causes du « divorce » entre la justice et les justiciables », Penant, n°824, 1997, P.208 et s.

L'auteur admet plusieurs causes de ce divorce. Premièrement, il attribut le divorce à la difficile réception d'un modèle de justice de type légaliste libérale. Ensuite, l'auteur met en exergue les difficultés pratiques rencontrées par les justiciables où il ne manque pas de faire une place aux lenteurs de la procédure.

* 225Cité par Emmanuel Ndjéré, L'information judiciaire au Cameroun, op.cit. P. 20.

* 226 Keba M'baye, ``La justice en Afrique'' in Afrique contemporain, n° spécial, sous la direction de Jean Dubois de Godusson et Gérard Conac.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus