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Mémoire, identité et dynamique des générations au sein et autour de la communauté harkie. Une analyse des logiques sociales et politiques de la stigmatisation.

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par Emmanuel BRILLET
Université Paris IX Dauphine - Doctorat de sciences politiques 2007
  

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C. Pourquoi les supplétifs ont-ils été recrutés ?

Jusqu'à quel point les autorités françaises ont-elles souhaité impliquer les troupes supplétives dans la conduite de la guerre ? Quel(s) rôle(s) entendaient-elles leur faire jouer ? Compte tenu de la problématique d'ensemble qui est la nôtre, et de ce que fut la destinée faite aux intéressés à l'issue de la guerre d'Algérie par leurs autorités de tutelle (voir infra), ces questions sont importantes car elles apportent un éclairage utile aux demi-silences qui entourent (ou grèvent), jusqu'à aujourd'hui, l'évocation de leur destinée en France.

En fait, pour les autorités coloniales, depuis les premiers "goums" improvisés par Jean Servier le 1er novembre 1954 jusqu'au projet de Fédération des unités territoriales et des autodéfenses du général Challe en 1959 (voir ci-dessous), l'intérêt bien compris de l'emploi de ces soldats supplétifs autochtones était double, à la fois militaire et politique. Au plan militaire, les harkis furent employés - en soutien et, pour certaines unités, en avant-garde des troupes régulières - à réduire l'activité insurrectionnelle de l'Armée de libération nationale (ALN), le bras armé du FLN. Au plan politique, ils furent employés à endiguer l'emprise sur les populations autochtones des mots d'ordre nationalistes popularisés par le Front de libération nationale (FLN), le principal mouvement indépendantiste algérien. Ils devaient symboliser l'attachement des populations musulmanes à la France, incarner leur implication dans la lutte.

Cependant, les attendus et l'intensité de l'emploi des troupes supplétives - à la fois sur les plans militaire et politique donc - furent évolutifs. À cet égard, il convient de distinguer trois grandes phases : 1. une phase de méfiance initiale quant à l'emploi de troupes autochtones, dans un contexte où prévalaient, sur le plan militaire, une logique essentiellement réactive et, sur le plan politique, le désarroi et l'instabilité (dont témoigne, par exemple, l'indétermination de la politique prônée par le gouvernement Guy Mollet) ; puis 2. une phase d'emploi massif, dans un contexte où, dans l'élan des scènes de "fraternisation" du 13 mai 1958, le redoublement des opérations offensives (plan Challe) fut étroitement couplé à une logique de promotion et d'intégration des populations musulmanes (instauration du suffrage universel par le général de Gaulle, projet de constitution d'une Fédération des unités territoriales et des autodéfenses par le général Challe) ; enfin 3. une phase de démobilisation progressive des unités supplétives, désengagement contemporain du virage amorcé par de Gaulle vers une politique d'autodétermination, puis de négociation directe avec le GPRA, et corrélatif, sur le plan militaire, d'une politique de décroissance - voire de suspension pure et simple - des opérations offensives.

Les jugements portés par les autorités civiles et militaires sur l'action des supplétifs furent étroitement corrélés à la phase dans laquelle ils furent formulés, mais aussi - à partir de 1961 - au soutien apporté ou non par lesdites autorités à la politique de « dégagement » voulue par le général de Gaulle, un tel soutien impliquant mécaniquement de relativiser le poids militaire et politique des unités supplétives.

- 1. De l'utilité des troupes supplétives dans un contexte de guérilla ou la question de l'efficace militaire des supplétifs

Sur le plan militaire, les troupes supplétives furent davantage que des troupes d'appoint. Certes, par la masse des engagements et leur implication dans le quadrillage du territoire (que l'on pense aux villages constitués en autodéfense), ils furent surtout et avant tout un élément d' "oxygénation" des troupes régulières. Celles-ci, libérées en partie des tâches de défense statiques, purent se consacrer plus efficacement aux opérations offensives. Mais par-delà cet apport quantitatif, certaines unités de supplétifs - à commencer par les harkis proprement dits - furent employées pour leur qualités spécifiques, directement au contact des unités de l'ALN. Ainsi en fût-il des "commandos de chasse", troupes offensives par excellence, dont le rôle fut prééminent dans la réussite du plan Challe (qui, sur la base d'une succession d'opérations de grande envergure, visait à la destruction systématique des maquis de l'ALN et de l'organisation politico-administrative du FLN).

Ainsi, au fur et à mesure de l'avancée du conflit, l'emploi des troupes supplétives deviendra d'autant plus massif que les schémas de guerre classiques, basés sur l'utilisation d'unités d'infanterie pléthoriques appuyées par des blindés et l'aviation, feront la preuve de leur inefficacité face aux katibas ultra-mobiles de l'ALN, lesquelles se fondaient - de gré ou de force - dans la population grâce au maillage étroit opéré par l'Organisation politico-administrative (OPA) du FLN. Inversement, coupée des populations et en proie à un adversaire labile, voire invisible, la lourde logistique guerrière de l'armée française peinait à endiguer la montée en puissance de la rébellion. Précisément, l'intensification de l'emploi des troupes supplétives à partir de 1956-57 marquera un virage stratégique à cet égard, une volonté nouvelle d'impliquer les populations autochtones dans la conduite de la guerre. Ainsi, le 30 août 1959, lors de son exposé au PC d'Artois (en présence du chef de l'Etat), le général Challe justifiera de la sorte cette nouvelle phase de la "pacification" : « Il faut que la population musulmane prenne activement part à la lutte. J'entends désormais donner (aux autodéfenses) un esprit offensif, rendre la vie intenable à tout rebelle s'aventurant sur leurs terres »237(*). De fait, selon Maurice Faivre, lui-même ancien chef de harka, « les échelons de commandement en Algérie [faisaient] davantage confiance aux harkis qu'aux appelés [pour mener la guerre], en raison de leur volontariat et de leur recrutement local »238(*).

Par suite, la multiplication des Sections administratives spécialisées (protégées par des maghzens), puis des harkas (attachées aux troupes opérationnelles), obéira, aux yeux des autorités militaires, à deux ordres de justification : (1) le bled, jusque-là sous-administré, ne pouvait être abandonné à l'OPA du FLN sous peine d'asseoir définitivement l'influence de la rébellion et de garantir son approvisionnement logistique ; (2) les maquis adverses, qui puisaient leur force dans leur mobilité et leur connaissance du terrain, ne pouvaient être réduits que par des unités comparables : légères, autonomes et nomades (commandos de chasse). En complément, les villages dits « pacifiés » sont peu à peu constitués en autodéfenses pour décharger les troupes d'intervention des tâches de quadrillage.

* 237 Cité in Maurice Faivre, « Les supplétifs dans la guerre d'Algérie », Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.21.

* 238 Ibidem.

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