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Mémoire, identité et dynamique des générations au sein et autour de la communauté harkie. Une analyse des logiques sociales et politiques de la stigmatisation.

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par Emmanuel BRILLET
Université Paris IX Dauphine - Doctorat de sciences politiques 2007
  

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b) Entre défiance et indifférence : la figure du harki dans les gestes communiste et socialiste de la guerre d'Algérie

Nous l'avons dit, à gauche, on revendique aujourd'hui plus volontiers l'héritage du PSU et de la "deuxième gauche", ainsi que de certains milieux intellectuels et étudiants sans étiquettes autres qu'un idéal révolutionnaire protéiforme, voire - non sans réserves - du PCF1098(*), que celui de la SFIO « mollétiste ». Le qualificatif de « mollétiste » est même devenu une étiquette dépréciative de ce côté-ci de l'échiquier politique, qualificatif accolé à quiconque est soupçonné de "trahir" les idéaux « progressistes » en raison de pressions exercées par les establishments politiques, économiques, militaires, etc.

Ainsi la gauche, qui « a vécu l'Algérie et sa guerre sur le mode de la culpabilisation », a-t-elle longtemps entretenu un rapport particulier à ce pays : « [L'Algérie], écrivait Benjamin Stora en 1992, est présentée comme un bloc indifférencié, peuple et gouvernement mêlés, presque située hors du temps. Décolonisée, l'Algérie n'a plus d'histoire antérieure. Pays de l'Est sous le soleil, on perçoit en quelque sorte une société «froide», répétitive, statique, ce qui permet une mise en musée. Cette attitude entrave toute approche critique de l'histoire algérienne, passée ou présente ». Et il ajoutait : « Cette homogénéité postulée de l'Algérie explique les relations d'Etat à Etat et le refus d'examen d'autres forces, d'autres mouvements sociaux ou politiques »1099(*). De même, Bernard Ravenel, qui fut en charge des relations internationales au sein du PSU entre 1974 et 1984, et dit avoir entamé après les émeutes d'octobre 1988 à Alger « une autocritique de fond de ce qui aura été le tiers-mondisme acritique du PSU », soulignait en 1998 que « dans la décennie 1971-1981, la gauche française tout entière a donné son soutien acritique au système de pouvoir construit par Boumediene. Ce faisant, elle lui a attribué un surcroît de légitimité. Avec ce comportement suiviste, la gauche s'est auto-interdite de discuter publiquement les carences de ce régime, confortant la vision dominante d'un FLN toujours porteur d'un possible processus de libération ». Et il ajoutait : « En se limitant pour l'essentiel au niveau de la relation acritique d'Etat à Etat, la gauche française, avec des nuances mais globalement au moins jusqu'en 1988, a légitimé le système de pouvoir algérien »1100(*). A son tour, en 1991, Lionel Jospin, qui fut chargé des relations avec le tiers-monde au sein du PS, amorcera une première démarche autocritique : « Je me souviens encore de l'époque où, renouant les relations entre le PS français et le FLN algérien, nous taisions les observations critiques que nous aurions pu faire sur le «socialisme algérien». Le FLN était si jaloux de son indépendance et si assuré de ses choix qu'il ne nous était guère loisible d'engager de véritables débats sur les chances et les risques du modèle algérien. (...) C'est de cette autocensure que nous devons progressivement sortir »1101(*).

C'est dans ce contexte que doit être analysée la (non-)place faite à la figure du harki dans les gestes socialiste et communiste de la guerre d'Algérie. A cet égard, le fait que les harkas ont été officialisées sous le gouvernement Guy Mollet, le 8 février 1956 précisément, ajoute sans doute aux raisons qui ont conduit à ce que, après la guerre, le harki ait fait au mieux figure d'impensé, au pire figure de bouc émissaire : cette occultation ou ce rejet étaient d'autant plus forts, donc, qu'ils valaient aussi rejet des circonstances et configurations politiques ayant présidé à "l'invention" de la destinée des harkis.

- La figure du harki dans la geste communiste

A leur arrivée en France, nous l'avons vu1102(*), les Français musulmans rapatriés sont - selon Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou - « en butte avec une grande partie du monde ouvrier qui leur refuse la possibilité de travailler »1103(*). Ainsi, par exemple, nous l'avons vu, le parti communiste et la CGT adressent de concert cet avertissement au préfet IGAME des Bouches-du-Rhône : « [Nous établissons] [parmi les rapatriés d'Algérie] une différence très nette entre les salariés d'une part et les capitalistes, colonialistes ainsi que les harkis d'autre part qui ne peuvent ni les uns, ni les autres être considérés comme des travailleurs »1104(*). De même, Philippe Bouba, dans le mémoire qu'il a consacré à l'arrivée et à l'adaptation des pieds-noirs en Roussillon, rapporte ce que fut l'accueil de la section communiste locale. Dans un article du Travailleur Catalan en date du 2 juin 1962, les douleurs suscitées et la réalité même de l'exode des pieds-noirs sont mises en doute, les rédacteurs insinuant que « les appels pathétiques de dame radio, du conseil municipal de Perpignan, de Monseigneur l'Evêque, de la Chambre de Commerce et les écrits larmoyants de l'Indépendant » ne sont pas fondés, ajoutant que « le port présentait un spectacle de quai de gare, la veille de départ en vacances »1105(*). Dalila Kerchouche rapporte par ailleurs que ce même journal - à une date non précisée par l'auteur - s'est aussi "intéressé" à l'arrivée des anciens harkis. Elle cite un paragraphe qui, dit-elle, la « révulse littéralement » :

« Nous avions prévu, il y a quelques mois, que notre camp Joffre servirait de refuge à tous ces harkis et autres épaves dont ne voudrait pas l'Algérie nouvelle, indépendante et libre. C'est à plusieurs milliers qu'ils sont logés dans ce vaste emplacement, et on en attend d'autres, ils arrivent par trains entiers. Certains, trompés par de mauvais bergers, d'autres ayant des faits sur leur conscience à se reprocher, vis-à-vis de leur patrie. Et nous nous demandons si, devant cet afflux d'indésirables, nous ne devrons pas redoubler de vigilance pour éviter les provocations comme celles qui ont eu lieu en divers endroits de France et dont les harkis seuls ont à supporter la pleine responsabilité. Pour beaucoup d'entre eux, hommes à tout faire, ils doivent une dette aux colonialistes, qui les ont bien payés pour trahir leur pays, leurs frères. Et aujourd'hui, si nous nous réjouissons de la naissance d'une République algérienne, démocratique et populaire, où nous reconnaissons beaucoup de nos véritables amis, nous regrettons que le camp situé à 3 kilomètres de notre agglomération serve de dépotoir à ceux qui n'ont même pas le moindre scrupule de conscience »1106(*).

Les quelques enfants de harkis qui, pour quelque raison, s'engagent dans le militantisme politique au sein de ce parti ne tardent pas à prendre conscience et à sentir le poids de la situation contradictoire dans laquelle, de ce fait, ils se trouvent placés. Ainsi en va-t-il de Lucien Rafa, qui, en dépit des difficultés rencontrées, n'a pas abdiqué son engagement : « Communiste, encore, enfant de harki, à jamais, je ne parviens pas à assumer ce lourd dilemme : militant dès mon plus jeune âge au sein du Syndicat du Livre et ensuite au PCF, je me suis battu pour le droit des peuples à disposer de leur indépendance et j'ai quitté le Parti lors de la guerre en Afghanistan, pour le retrouver plus tard. Moi, fils de harki, c'est-à-dire la progéniture d'un «collaborateur et traître» à son peuple, pour ne pas dire «race», je m'engageais dans un parti révolutionnaire et, qui plus est, un parti qui avait soutenu le FLN ! (...) J'avoue avoir longtemps refoulé, nié ou tu ma «condition» de fils de harki - j'en ai eu honte quelquefois. Le regard, les réflexions, les interrogations des camarades, le mépris de certains... ont ajouté à ce sentiment de culpabilité »1107(*).

Pour sa part, Brahim Sadouni, un ancien harki, coupera court à son expérience de militant au sein du PCF dès qu'il se heurtera à l'hostilité ouverte de ses camarades de parti : « Peu après mon arrivée à Rouen, en 1973, j'ai fait la connaissance de Gérard, un syndicaliste de la CGT. Il est tuyauteur et comme je suis soudeur nous travaillons ensemble à l'atelier ou sur les chantiers. (...) Au bout de quelques mois, il me propose d'entrer au Parti. (...) A l'époque, je ne connais pas très bien la différence entre les diverses tendances politiques, mais je suis vraiment touché par la gentillesse de Gérard et par celle de ses camarades. (...) C'est ainsi que j'intègre la cellule du Parti, à Grand-Couronne, dont le maire est communiste. (...) Un soir, en 1973, Jean-Pierre Le Borgne, l'un des dirigeants de notre cellule, évoque la situation au Portugal. (...) A ce moment, je prends la parole. Les «camarades» sont tellement gentils avec moi qu'ils auront aussi un peu de compassion pour mes frères harkis.

- Vous nous parlez du Portugal. C'est très bien que la démocratie soit revenue là-bas. Mais c'est un pays qui est loin. Pendant ce temps il y a un problème grave à résoudre en France. C'est celui des harkis.

Je veux lancer un débat sur cette question.

Silence de mort dans la salle... mes paroles jettent un froid inattendu. Je ne comprends pas pourquoi tout le monde se tait. Jean-Pierre Le Borgne me regarde, puis il prend la parole.

- Nous ne pouvons pas parler des harkis, Brahim.

- Pourquoi ?

- Parce que les harkis sont des traîtres.

Je me lève, choqué.

- Ah ! bon. Je suis un traître ?

J'enfile ma veste et ma casquette, puis je sors ma carte du Parti et la déchire devant tout le monde. (...) Des camarades essayent de me retenir :

- Toi, ce n'est pas pareil, me disent-ils. A l'époque tu étais trop jeune pour comprendre... »1108(*).

Il est un fait que, dans les premières années, la figure du harki a été tenue pour quantité négligeable voire, à des degrés divers, pour quantité méprisable à gauche. Au fil des années, cependant, avec l'évidence de la faillite du modèle socialiste algérien d'abord, l'accession aux responsabilités des socialistes et des communistes français ensuite, ceux-ci ont très progressivement été amenés sinon à réhabiliter du moins à composer avec cette figure, littéralement : à la re-considérer.

Aujourd'hui, une plus grande prudence est de mise au sein du PCF, où l'on admet volontiers que les Français musulmans rapatriés, à l'instar de tout groupe humain, est divers dans ses composantes. Charles Silvestre, éditorialiste à L'Humanité : « Que les harkis, qui n'ont pas tous la même histoire - beaucoup ont été embarqués par la puissance coloniale, d'autres se sont livrés sciemment dans le djebel ou à Paris même, sous les ordres de Papon, à des actes terribles -, soient eux aussi des victimes, que les pieds-noirs aient vécu un drame même s'il n'a rien à voir avec cette «Saint-Barthélemy» dont parle de façon ridicule l'hebdomadaire Le Point, [cela] n'est pas contestable »1109(*). Ainsi, l'image de « nervi du colonialisme », voire la caricature du « tortionnaire impavide et cupide », sans avoir complètement disparu des esprits, ne sont plus conçues comme hégémoniques. En fait, à l'instar de l'évolution constatée au sein du collège des intellectuels en guerre d'Algérie (voir ci-dessous le chapitre III de la Partie 2), l'image du harki est passée globalement de celle de « collabo » à celle de « malgré-nous » dans l'imaginaire du PCF. Ce qui, somme toute, n'est guère plus flatteur pour les intéressés, qui se voient ainsi ravalés du rang d'"esprits rudes" à celui d'"esprits simples". Comme en témoigne, avec une certaine véhémence, cet extrait d'un article de Jacques Cros, publié par Initiative Communiste, bulletin électronique du Pôle de Renaissance Communiste en France (PCRF), qui s'est constitué en 2004 autour de membres actuels et d'ex-membres du PCF, et qui appelle à « la renaissance d'un vrai parti communiste en France » : « A propos des harkis, il faudra bien un jour leur dire qu'à un certain moment ils n'ont pas fait le bon choix. On s'est servi d'eux, sans résultat au demeurant quant à l'issue de la guerre. Pour ceux qui les ont engagés contre leur peuple il n'était pas question d'autre chose que de les utiliser et le racisme allait de soi à leur encontre comme à l'encontre des Algériens qui avaient choisi le chemin de la dignité et de l'indépendance. Ce n'est pas impunément qu'on fait de la collaboration (de classe ou autre) »1110(*).

- La figure du harki dans la geste socialiste

Au moment des premières arrivées massives de rapatriés d'Algérie, en juillet 1962, Gaston Defferre, maire socialiste de Marseille (principale porte d'entrée sur la France des nouveaux arrivants), avait multiplié, à leur encontre, les déclarations inamicales. Le 22 juillet, à Paris-Presse : « Marseille a 150.000 habitants de trop. Que les pieds-noirs aillent se réadapter ailleurs ! ». Il récidive, quelques jours plus tard (le 26 juillet), dans une interview donnée au Figaro, témoignant de ce que ses déclarations ne sont pas le fruit d'un emportement mais d'une hostilité de principe :

Question : « Voyez-vous une solution au problème des rapatriés de Marseille ? ».

Réponse : « Oui ! Qu'ils quittent Marseille en vitesse »1111(*).

Cependant, quoique tapageuses, ces déclarations sont globalement trompeuses car c'est l'indifférence, plutôt qu'une hostilité affichée, qui, des années durant, prévaut au sein de la mouvance socialiste : le programme commun de la gauche en 1972 ne comporte ainsi aucune référence ou allusion aux suites de la guerre d'Algérie1112(*). Certes, par deux fois, dans un souci de rassemblement national (et peut-être aussi par souci d'attirer à lui les adversaires de la politique algérienne du général de Gaulle), François Mitterrand a signé sa volonté d'aborder de front les séquelles de la décolonisation en poussant plus avant la logique des lois d'amnistie : déjà, en 1966, il dépose un projet de loi - co-signé par Guy Mollet et Gaston Defferre (lequel doit désormais, contre sa volonté initiale, compter avec le poids électoral des rapatriés à Marseille) - proposant le rétablissement dans leurs grades et leurs fonctions des condamnés civils et militaires de l'OAS ; puis, le 3 décembre 1982, dans cette droite ligne (« Il appartient à la nation de pardonner »), il fait adopter par sa majorité - non sans remous internes - la dernière loi d'amnistie qui, de fait, réintègre dans l'armée les officiers généraux putschistes et leur octroie les « révisions de carrière » nécessaires à la perception de l'intégralité de leurs retraites. Mais, ce faisant, nous l'avons dit, il se heurte à de fortes oppositions internes car cette initiative bouscule et, d'une certaine manière, prend à revers la trame du ressouvenir de la guerre d'Algérie au sein de la mouvance socialiste.

Du reste, ces brusques bouffées de mémoire ne concernent que très indirectement - pour ne pas dire aucunement - les anciens harkis. Certes, à partir de 1981, la majorité de gauche pérennise et, dans une certaine mesure, améliore le dispositif d'accompagnement des familles de harkis mis en place à la suite du démembrement du système d'accueil et de reclassement (voir la Partie 1). Mais ces actions restent discrètes et ne s'accompagnent d'aucune prise de position publique ni d'aucun débat interne significatifs. Ainsi que le signale Stéphanie Abrial, « il est difficile de trouver une logique de positionnement politique sur la question des rapatriés » au sein du Parti socialiste. La responsable du service de documentation, contactée par l'auteure, signale d'ailleurs qu'à sa connaissance, « il n'y avait jamais eu de vrai débat sur la question des Français musulmans rapatriés et jamais de prise de position effective du Parti en tant que tel »1113(*).

Certes, peu avant les élections législatives de 2002, le Parti socialiste a élaboré un « Contrat de législature » spécifique en faveur de la communauté harkie. Mais ce texte, sur lequel est apposée la signature de Marie Richard, alors Secrétaire nationale à la Citoyenneté au Parti Socialiste, tient en fait sur trois pages et n'a donné prise à aucune discussion d'envergure au sein du Parti1114(*). L'explication en est d'ailleurs contenue dans le document lui-même qui explique que « le regard défiant que leur portent encore aujourd'hui des hommes de bonne volonté, progressistes, mais pour lesquels seuls les tenants de l'indépendance de l'Algérie ont droit de cité, empêchent [les anciens harkis] d'assumer au grand jour leur histoire et de la transmettre à leurs enfants et petits-enfants ».

La figure du harki n'est pourtant pas totalement absente des cadres du Parti, mais sa prise en charge est abandonnée à des initiatives individuelles, que celles-ci soient motivées par les trajectoires biographiques des intéressés1115(*) ou, plus prosaïquement, guidées par leurs intérêts électoraux. Car les quelques rares députés ou personnalités politiques socialistes de premier plan à avoir fait valoir leur singularité sur ces questions sont tous des élus de circonscriptions marquées par une forte implantation de populations rapatriées d'Algérie : outre le député de l'Hérault Kléber Mesquida, lui-même né en Algérie et auteur d'une proposition de résolution (n°1637) tendant à la création d'une « commission d'enquête sur les responsabilités dans le massacre de nombreuses victimes civiles, rapatriées et harkis après la date officielle du cessez-le-feu de la guerre en Algérie », il en est ainsi des trois députés socialistes de l'Aude (Jean-Claude Perez, Jacques Bascou et Jean-Paul Dupré), de Gérard Bapt, député de Haute-Garonne, de Jean-Pierre Bacquet, député du Puy-de-Dôme, ou encore du président du Conseil régional de Languedoc-Roussillon et ancien maire de Montpellier, Georges Frêche.

Ce dernier, ancien militant maoïste (il adhère à 25 ans à la Fédération des cercles marxistes-léninistes, FCML, directement subventionnée par la valise diplomatique chinoise1116(*)), puis député socialiste de l'Hérault, a toujours joué d'une position affichée de "franc-tireur" au sein du Parti socialiste eu égard aux rapatriés ; allant même, pour ce faire, jusqu'à traiter publiquement les parlementaires qui avaient demandé l'abrogation de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 (énonçant le « rôle positif de la colonisation ») de « gugusses du PS qui font une opération politicienne », puis à entonner le « chant des Africains » en plein Conseil régional. Ce même jour, au déjeuner, Georges Frêche, s'adressant au porte-parole du groupe communiste, expliquait : « Moi, tu comprends, je ne suis pas à Nantes, où il n'y a pas l'ombre d'un rapatrié. Ici, à Montpellier, c'est eux qui font les élections »1117(*). Une stratégie électoraliste adoptée de longue date1118(*) et continûment payante puisque Georges Frêche sera régulièrement soutenu par les associations de rapatriés : en 1993, il est le seul candidat socialiste soutenu par le Recours ; en 2002, le Recours à nouveau, ainsi que l'Anfanoma, l'Association nationale des Français disparus en Algérie, l'Association des rapatriés anciens combattants d'Afrique du Nord, le Comité de défense des rapatriés et quelques autres amicales de pieds-noirs lui apportent leur soutien au motif que Georges Frêche a démontré son « attachement » et sa « fidélité » à la communauté, et qu' « il a refusé de voter la date souvenir du 19 mars »1119(*).

C'est dans ce contexte très particulier qu'a pris corps l'incident survenu le 11 février 2006 à Montpellier lors d'une cérémonie d'hommage à Jacques Roseau, ancien président de l'association de rapatriés le Recours (mort assassiné en 1993), cérémonie organisée par Georges Frêche en présence de Jack Lang. Pris à partie au cours de cette cérémonie par des fils de harkis membres de l'Association Justice Information Réparation (AJIR), qui souhaitaient lui faire part de leur mécontentement quant aux solutions de relogement proposées par la municipalité (la nouvelle mairie de Montpellier devant être édifiée sur le site d'une ancienne cité de transit, où vivent encore 106 personnes rassemblées dans 26 logements), Georges Frêche, apprenant par ailleurs que ces mêmes personnes avaient assisté le matin même à une manifestation organisée par des députés UMP hostiles à l'abrogation de l'article 4 de la loi du 23 février 2005, n'avait pas supporté que ceux qu'il estimait être de plein droit "ses" électeurs lui manquent ainsi ostensiblement. Sa réplique, qui fit scandale, fut cinglante : « Ils [les gaullistes] ont massacré les vôtres en Algérie et vous allez encore leur lécher les bottes ! Mais vous n'avez rien du tout, vous êtes des sous-hommes, vous n'avez aucun honneur ! ». Et d'insister : « Vous faites partie des harkis qui ont vocation à être cocus toute leur vie ! Allez donc rejoindre vos frères les gaullistes qui ont laissé massacrer les vôtres, qui ont été égorgés comme des porcs. Allez leur lécher les bottes ! ». Deux jours plus tard, Georges Frêche convoquait la presse pour s'excuser publiquement d'avoir prononcé les mots « sous-hommes », expliquant s'en être pris à une personne en particulier et non à la communauté harkie dans son ensemble, et réaffirma « [avoir] toujours soutenu et aimé les harkis »1120(*). Il s'en expliquera à nouveau, le lendemain, dans le Midi Libre : « Je ne me suis jamais adressé aux harkis dans leur ensemble. J'ai eu une «engueulade» avec un harki et puis j'ai pensé que le mot employé était blessant pour lui. Je l'ai retiré. (...) Je défends les harkis depuis trente ans. Je les ai trouvés ici dans la boue. Au milieu des rats. (...) Les gaullistes et la droite les avaient laissés pourrir dans des conditions innommables ».

Mais plus encore que la sortie de Georges Frêche, c'est la (non-)réaction du Parti socialiste qui est ici d'intérêt pour nous. Interrogé par Libération à l'issue de la cérémonie sur les propos tenus en sa présence par Georges Frêche, Jack Lang assurait n'avoir rien entendu. Dans un point presse tenu deux jours plus tard (avant les excuses publiques de Georges Frêche), Bruno Le Roux déclarait - au nom des instances nationales - que « les propos de Georges Frêche, si je les ai bien entendus, me semblent à remettre dans un contexte local », ajoutant que « [c'était] à lui d'en préciser le sens et d'expliquer ses propos ». Sans menace de sanction, donc. Le lendemain, Georges Frêche, fort de son leadership sur une fédération rassemblant à elle seule 5.000 membres, était d'ailleurs l'invité de Dominique Strauss-Kahn, en recherche d'appuis pour sa campagne. Au même moment, Robert Navarro, premier secrétaire de la fédération de l'Hérault restait « injoignable », tandis que la militante de permanence s'étonnait de ce que le journal Libération cherche à recueillir des réactions : « Qu'est-ce que cela a à voir avec le PS ? »1121(*).

Plus significative encore fut la réaction des militants du siège parisien du PS après que des fils de harkis eurent installé un campement et entamé une grève de la faim rue de Solferino. Voici ce qu'en disent les intéressés eux-mêmes dans un communiqué diffusé à la presse : « Le collectif Justice pour les Harkis, l'association Harkis et Droits de l'Homme, ainsi que l'association UNIR sont scandalisées par l'attaque perpétrée par des gros bras du PS à l'endroit des grévistes de la faim qui s'étaient pacifiquement installés devant le siège du PS sis 10, rue de Solferino 75006 à Paris. En effet, profitant de l'éloignement de ces derniers, plusieurs personnes sorties du siège du PS ont sauvagement détruit leur campement, en confisquant  la bâche qui les protégeait de la pluie, en volant leurs panneaux d'affichages, laissant ainsi sous la pluie leurs couvertures ainsi que leurs effets personnels dont le sac contenant les médicaments du gréviste de la faim Abdelkrim Klech, atteint par ailleurs de diabète. Ce dernier consterné par ces méthodes a interpellé François Hollande qui traversait la cour du siège à ce moment là et qui, pour toute réponse, s'est mis à lui rire au nez. Sur cet affront, le chauffeur de François Hollande lui-même insulta les grévistes de «collabos». L'association Harkis et Droits de l'Homme s'indigne de ces méthodes fascisantes commanditées par le siège du Parti Socialiste et destinées à empêcher la liberté d'expression, fondement même de notre démocratie ». Gilles Manceron, vice-président de la Ligue des Droits de l'Homme, interrogé le 13 février sur les raisons profondes d'un tel dérapage, soulignait que « cette idée que les harkis sont des traîtres est largement répandue en Algérie, en France et même à gauche »1122(*).

Le 18 février, après les excuses publiques de Georges Frêche, et face aux interrogations soulevées par le flottement des instances dirigeantes sur la question des sanctions, le PS diffusait un nouveau communiqué, soulignant que le Parti « a condamné et condamne des propos inacceptables qui exigeaient des excuses publiques », ajoutant : « Ces excuses ont été faites, ce qui n'est pas si fréquent en politique ». Cependant, le 28 février, François Hollande annoncera la suspension de l'intéressé des instances nationales du PS, décision jugée insuffisante par les associations de harkis comme par certaines voix internes au PS, venant notamment des fabiusiens et de l'ex-NPS (sans qu'il soit possible, ici, de faire la part des réactions sincères et des tentatives de déstabilisation)1123(*). Finalement, l'une des réactions les plus nettes viendra paradoxalement de Jean-Paul Bacquet, député PS du Puy-de-Dôme, dont nous avons dit qu'il s'était singularisé de longue date au sein de son parti sur la question des rapatriés et du rapport de la France à son passé colonial, adoptant des positions jusque-là très proches de celles de Georges Frêche : « Au moment où la conscience nationale semblerait trouver l'unanimité pour reconnaître les faits de guerre en Algérie et ceux qui ont combattu pour elle, ces propos sont inacceptables, je suis indigné, écoeuré. Ceux qui n'ont pas le courage de dénoncer les propos de Georges Frêche ont tort. Certes, il représente un certain nombre de voix au PS mais il vaut mieux perdre les voix d'une fédération que son âme et son honneur ! Quant à moi, je n'attends rien de Frêche. Ce que je ne peux accepter, c'est le mutisme des gens de son parti ! »1124(*).

* 1098 Le PCF, qui avait cautionné par le vote de ses parlementaires l'envoi - décidé par le président du Conseil Guy Mollet - du contingent en Algérie en 1956, et qui avait dû faire face à l'entrée en dissidence du Parti communiste algérien (PCA), puis à l'absorption/destruction de ce dernier par le FLN, doit, lui aussi, rétrospectivement assumer des réalités politiques factuelles peu en rapport avec la geste anticolonialiste alors affichée par le Parti.

* 1099 Benjamin Stora, La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.300.

* 1100 Bernard Ravenel, « La gauche française au miroir de l'Algérie », Mouvements, Novembre-décembre 1998.

* 1101 Lionel Jospin, L'invention du possible, Paris, Flammarion, 1991, p.222.

* 1102 Voir le chapitre IV de la Partie 1.

* 1103 Jean-Jacques Jordi, Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, 1999, p.58.

* 1104 Ibidem.

* 1105 Philippe Bouba, L'arrivée et l'adaptation des pieds-noirs en Roussillon, entre rancoeur et espoir (1962-1970) ; cf. http://philippebouba.natationinfo.com/index.php?go=grand1.

* 1106 Paragraphe cité in Dalila Kerchouche, Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.64-65.

* 1107 « Moi, Lucien Rafa, fils de harki... », article paru dans l'édition du 11 décembre 2000 du journal L'Humanité. C'est nous qui soulignons.

* 1108 Brahim Sadouni, Destin de harki. Le témoignage d'un jeune Berbère enrôlé dans l'armée française à 17 ans, Paris, Cosmopole, 2001, p.148-150.

* 1109 Charles Silvestre, « Guerre d'Algérie. Un sale livre sur une sale guerre », L'Humanité, édition du 8 novembre 2003.

* 1110 Jacques Cros, « Colonialisme, point de vue sur les derniers développements », 21 février 2006 ; cf. http://www.initiative-communiste.fr/wordpress/?p=492.

* 1111 Cf. Cécile Mercier, Les Pieds-Noirs et l'exode de 1962, Paris, L'Harmattan, 2003.

* 1112 Cf. Gilles Manceron et Hassan Remaoun, La guerre d'Algérie, de la mémoire à l'histoire, Paris, Syros, 1993 ; http://www.ldh-toulon.net/article.php3?id_article=804.

* 1113 Stéphanie Abrial, Les enfants de harkis. De la révolte à l'intégration, Paris, L'Harmattan, 2002, p.51.

* 1114 Ce texte est consultable à cette adresse : http://www.harkisetverite.info/actualite/actualite2002.html.

* 1115 Kléber Mesquida, député socialiste de l'Hérault, est de ceux-là. Lui-même originaire d'Algérie, il avait évoqué en séance, le 11 juin 2004, le souvenir de ses grands-parents, agressés et torturés dans leur ferme algérienne par le FLN ; cf. Claude Askolovitch, « Colonisation : d'une vérité l'autre », Le Nouvel Observateur Hebdo, N° 2144, décembre 2005, p.8.

* 1116 Christophe Bourseiller, « Un «Chinois» nommé Frêche », L'Express du 4 juillet 2005 ; article consultable en ligne à cette adresse : http://www.lexpress.fr/info/france/dossier/montpellier/dossier.asp?ida=433866.

* 1117 François Martin-Ruiz, « Quand M. Frêche entonne un chant colonial », Le Monde du 2 décembre 2005.

* 1118 Dès 1973, à l'occasion de sa première élection à l'Assemblée nationale, Georges Frêche approche le Front national [fondé le 5 octobre 1972] entre les deux tours pour s'assurer des voix de ses électeurs. Pour sa part, Georges Frêche présente les choses un peu différemment, assurant qu' « en 1973 le Front national n'existait pas encore », et qu' « [il avait] rencontré une association de pieds-noirs anti-gaullistes qui ont appelé à voter pour moi. Des voix que j'ai acceptées, sans états d'âme » (L'Express du 29 novembre 2004 ; cf. : http://www.lexpress.fr/info/france/dossier/montpellier/dossier.asp?ida=430664). En 1994, apprenant qu'Henri Alleg a participé à un débat avec la CGT dans un local prêté par la mairie de Montpellier, Georges Frêche déclare en Conseil municipal : « Si j'avais su à l'avance qu'Henri Alleg y participait, je n'aurais pas donné de salle. (...) La présence de ce cadre français du FLN - le mouvement des égorgeurs de harkis et de pieds-noirs - constituait à Montpellier une véritable provocation ». Il ira plus loin encore en évoquant un acte de « trahison » qui « a valu à d'autres douze balles dans la peau » (L'Humanité du 7 décembre 1994 ; cf. http://www.humanite.fr/journal/1994-12-07/1994-12-07-713619). Enfin, justifiant à sa manière la décision du Conseil régional du Languedoc-Roussillon d'apporter un soutien massif à la création d'un Musée de la Présence Française en Algérie (1830-1962), il déclare : « On ne va pas faire un musée de l'histoire de l'Algérie, car c'est à Alger de le faire. On va rendre hommage à ce que les Français ont fait là-bas », ajoutant : « Ces imbéciles d'anticolonisateurs, ces professeurs d'histoire ne savent pas de quoi ils parlent. (...) Rien à foutre des commentaires d'universitaires trous du cul. On les sifflera quand on les sollicitera. (...) S'il le faut, on créera un comité scientifique avec un seul membre, Georges Frêche ! » (Le Midi libre du 16 novembre 2005 et Libération du 17 novembre).

* 1119 L'Express du 29 novembre 2004 : http://www.lexpress.fr/info/france/dossier/montpellier/dossier.asp?ida=430664.

* 1120 Journal télévisé de 20 heures, TF1.

* 1121 Pierre Daum, Libération, mardi 14 février 2006.

* 1122 Propos recueillis par François Sionneau le 13 février 2005. C'est nous qui soulignons.

* 1123 Par suite, une information judiciaire sera ouverte le 2 mars, puis une mise en examen prononcée le 21 mars après que la justice eût été saisie par diverses associations de harkis et que le garde des Sceaux, Pascal Clément, eût été saisi par Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux Anciens combattants, en application en application des dispositions de l'article 5 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, qui stipulent que « sont interdites toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d'ancien membre des formations supplétives ou assimilées ».

* 1124 Conférence débat organisée à Clermont-Ferrand en présence de Louis Giscard d'Estaing, député-maire de Chamalières, et de nombreux enfants de harkis membres de l'Association Justice Information Réparation (AJIR).

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984