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Mémoire, identité et dynamique des générations au sein et autour de la communauté harkie. Une analyse des logiques sociales et politiques de la stigmatisation.

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par Emmanuel BRILLET
Université Paris IX Dauphine - Doctorat de sciences politiques 2007
  

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c) Le Front national, entre "nostalgérie" et islamophobie

Au regard du souvenir de la guerre d'Algérie, et de la figure du harki en particulier, le Front National joue, d'une certaine manière, un rôle symétrique de celui du Parti communiste : quand ce dernier met en valeur la constance de ses engagements anticolonialistes (au prix de certaines omissions : on met en exergue Charonne plutôt que le vote des pleins pouvoirs à Guy Mollet) et loue le combat "libérateur" des Algériens (sans réel égard pour ceux des musulmans qui se sont opposés à l'hégémonie naissante du FLN), le Front national magnifie l' « oeuvre française outre-mer » et cristallise à son avantage, relaie et amplifie les frustrations de certains rapatriés, dont il a fait de longue date une clientèle électorale. Ainsi, à la différence du Parti communiste, qui considérait les Algériens d'Algérie "en bloc" (les « colonisés »), et qui, de nos jours en France, ne veut pas davantage établir de différence entre les "beurs" et les "enfants de harkis" (« qui ont les mêmes problèmes »), le Front national articule tout son discours autour de l'opposition - posée comme paradigmatique - entre la figure du harki, figure de l'allogène "méritant" car devenu Français « par le sang versé », et l'immigré naturalisé ou le fils d'immigré né en France, considérés comme des « Français de papier » suspects a priori de n'avoir pas « émis le désir ou prouvé leur assimilation à notre civilisation »1125(*). Ainsi Jean-Marie Le Pen s'indignait-il, en 1997, de ce que les « 110.000 immigrés clandestins ou plus - les soi-disant «sans-papiers» - vont être régularisés par les services du ministère de l'Intérieur, alors que dans le même temps, 35 ans après la fin de la guerre d'Algérie, nos compatriotes fils de harkis, sont encore obligés de faire la grève de la faim et que les pieds-noirs n'ont toujours pas été dignement indemnisés »1126(*). Cette "valorisation" de la figure du harki par contraste avec celle de l'immigré puise à la fois (i) dans la "morale" que le Front national tire de l'histoire de la guerre d'Algérie, et (ii) dans la conception qui est la sienne des conditions devant présider à l'acquisition de la nationalité française :

(i) Le Front national, organiquement créé en 1972, se présente comme le point de convergence de forces qui, tout au long de la seconde moitié du XXème siècle, n'auraient eu de cesse, à travers le monde, de combattre le « communisme » et « l'islamisme » : « Nous étions avec les peuples d'Indochine agressés par un marxisme à prétention puritaine qui causa le naufrage de cette civilisation en trente ans de guerre avant d'établir, ici, le génocide et le lao-gaï, là, misère et corruption la plus honteuse. Nous étions auprès de nos compatriotes d'Algérie, européens ou non, qui refusaient la dictature FLN, derrière laquelle se profilait déjà le fanatisme islamique, les égorgeurs d'hier fournissant les égorgés de demain »1127(*). A ce titre, le Front national, soucieux d'« intégrer la mémoire d'outre-mer dans la mémoire nationale » et de « rappeler ce que fut l'oeuvre de la France au profit de ces peuples dont elle rendit possible le développement moral, intellectuel et matériel », entend établir une claire ligne de partage entre ceux - les "harkis-français par le sang versé" - dont l'engagement est interprété comme un témoignage de « fidélité » à la France (et de gratitude à l'égard de son « oeuvre civilisatrice »), et ceux - les "immigrés-profiteurs" - dont la trajectoire est lue comme un témoignage répété d' « ingratitude ». Aussi le Front national, s'il accède aux responsabilités, « procédera[-t-il] à une renégociation globale des relations franco-algériennes sur la base de la stricte réciprocité. (...) La France conditionnera notamment l'accès limité des Algériens à son territoire à la libre circulation des harkis entre la France et leur terre natale, possibilité qui leur est actuellement refusée par l'Algérie »1128(*);

(ii) Pour le Front national, la nationalité française « s'hérite ou se mérite »1129(*) : dans cette logique, les harkis - français « par le sang versé » - figurent l'expression "la plus haute" d'une acquisition « au mérite » de la nationalité française ; par contraste, les naturalisés, les binationaux et les enfants nés en France de parents étrangers sont suspects de ne pas « [avoir] émis le désir ou prouvé leur assimilation à notre civilisation » : en somme, suspects d'être des « immigrés définitifs », institués en « colonies de peuplement » par le regroupement familial, et au sujet desquels se pose "naturellement" « la question du loyalisme »1130(*). Ainsi Jean-Marie Le Pen dépeint-il, dans le message qu'il adresse aux électeurs à l'occasion des élections européennes de 1999, « une immigration déferlante, bien différente de l'ancienne immigration des honnêtes gens européens ou harkis intégrés à la Patrie ». De même, Frédéric Butez, conseiller municipal Front national de Roubaix, réagissait-il en ces termes à la profanation d'une stèle érigée en hommage aux harkis : « En s'attaquant à cette stèle, les auteurs de ce méfait ont voulu salir la mémoire de ces combattants volontaires qui ont choisis la France au péril de leur vie. (...) A l'heure ou le débat sur la colonisation fait rage, il semble important et nécessaire au Front National de rendre hommage aux harkis. C'est notre devoir de mémoire. Ils ont choisi la France par amour, et non pas pour bénéficier de prestations sociales »1131(*).

Mais cette instrumentation du "harki" comme figure de l'exceptionnalité, ou de l'allogène exceptionnellement "méritant" par opposition à la masse des immigrés, se heurte fréquemment aux réponses d'ordre essentialiste (et, à ce titre, négatives) apportées à la question de la "solubilité" de l'Islam dans l'imaginaire et le corps de la Nation. Ainsi l'Université d'été du Front national fut-elle marquée, en 1999, par un important débat interne sur cette question après que Samuel Maréchal, directeur de la Communication du Front national, eut considéré qu'il était vain de nier la réalité d'une société multiconfessionnelle en France. Le délégué général Carl Lang et le maire d'Orange Jacques Bompard s'étaient immédiatement élevés contre une telle affirmation, de même que Bernard Antony, organisateur de l'Université d'été et chef de file de la branche catholique traditionaliste du Front national, pour qui l'Islam « n'est pas soluble dans la société française »1132(*). De telles déclarations brouillent et contredisent le schéma en apparence "limpide" de l'acquisition « au mérite » de la nationalité française, témoignant de la sorte de la fragilité du "piédestal" offert à la figure du harki dans l'imaginaire politique frontiste. Il n'est pas certain, à cet égard, que l'intervention de Jean-Marie Le Pen au cours de cette même Université d'été, affirmant pour sa part que la présence de musulmans en France est un problème « politique » et pas « religieux », ait suffi à lever toutes les équivoques au sein de son parti.

Du reste, les tentatives de récupération de l'électorat "rapatrié" poussent parfois jusqu'aux limites du compréhensible pour les militants, comme lors des élections européennes de 1999 où Jean-Marie Le Pen s'était affiché auprès de Charles de Gaulle (le petit-fils du général) à la tête d'une liste dite de « réconciliation nationale », où figuraient également Sid Ahmed Yahiaoui, fils d'un ancien sénateur Français-musulman assassiné par le FLN en 19621133(*), et de Farid Smahi, fils d'un Touareg algérien ayant servi dans l'armée française durant la Seconde guerre mondiale. Le choc fut tel pour certains que l'on s'enquit immédiatement d'obtenir la caution d'anciens membres de l'OAS, devenus militants du FN :

« L'heure est grave et cette élection doit marquer le début de la résistance du peuple français à l'oppression. Les adversaires d'hier décident de mener le combat pour la France à nos côtés. De ce point de vue, le ralliement à la cause que nous défendons du petit-fils du général de Gaulle est significatif et encourageant. Nous ne sommes pas des attardés de l'histoire accrochés à des combats perdus, nous sommes porteurs d'avenir, et l'avenir sera ce que les hommes d'honneur, de fidélité et de patriotisme en feront. Ce qui compte aujourd'hui, c'est de savoir qui veut résister ou qui veut devenir esclave des mondialistes. Alors nous disons, nous, défenseurs de l'Algérie française, bienvenue dans nos rangs à Charles de Gaulle, bienvenue à tous ceux qui voudront suivre son exemple » (Jean-Baptiste Biaggi, président d'honneur du Cercle National des Résistances, ancien député ; Pierre Descaves, ancien député, conseiller régional ; Roger Holeindre, président du Cercle National des Combattants ; Albert Peyron, président du Cercle National des Rapatriés, ancien député ; Jean-René Souêtre, secrétaire général du Cercle national des Résistances ; Jean-Jacques Susini, conseiller régional)1134(*).

Plus significatif encore de l'ambivalence du statut de la figure du harki dans l'imaginaire frontiste, les glissements sémantiques auxquels donne lieu l'emploi du terme "harki" dans certains discours de Jean-Marie Le Pen qui, s'il n'est pas employé comme synonyme de "traître" dans l'extrait qui suit, l'est assurément de façon dépréciative, exprimant l'idée d'une servitude de nos armées : « Notre armée d'active, soulignait-il, ne s'est jamais - paradoxalement - trouvée engagée autant que depuis un quart de siècle dans des opérations belliqueuses (Tchad, Zaïre, Liban, Mauritanie, Centre Afrique, Irak, Somalie, Rwanda, Balkans), mais hélas, pour le compte d'une autre politique nationale que la nôtre dans des emplois de supplétifs, de harkis de l'ONU et de l'OTAN »1135(*).

Mais, par-delà les banalisations dépréciatives ou les usages intéressés de la figure du harki, il est une geste collégiale - celle des « soldats perdus » de l'Algérie française - qui, quoique très largement inaudible (tant en raison de la faiblesse des effectifs de ceux qui la portent qu'en raison de son opposition idéologique et, en grande partie, sociologique aux relais institutionnels de la mémoire), accorde à cette figure une place exceptionnellement centrale et laudative.

* 1125 Extrait du programme du Front national pour la Présidentielle 2007 ; cf. http://www.frontnational.com/pdf/programme.pdf.

* 1126 Jean-Marie Le Pen, 17ème Fête des Bleu-Blanc-Rouge, 26 septembre 1997 ; cf. http://www.frontnational.com/doc_interventions_detail.php?id_inter=1.

* 1127 Programme du Front national. C'est nous qui soulignons ; cf. http://www.frontnational.com/pdf/programme.pdf. C'est nous qui soulignons.

* 1128 Cf. http://www.frontnational.com/pdf/programme.pdf+.

* 1129 Cf. http://www.frontnational.com/argumentaires/derive_droit_nationalite.php.

* 1130 Cf. http://www.frontnational.com/pdf/programme.pdf.

* 1131 Communiqué de presse du 30 janvier 2006 intitulé : « Français par le sang versé ». C'est nous qui soulignons ; texte consultable à cette adresse : http://fnroubaix.hautetfort.com/archive/2006/01/30/francais-par-le-sang-verse.html.

* 1132 AFP, 2 septembre 1999.

* 1133 Sid Ahmed Yahiaoui a depuis démissionné du FN et siège comme non-inscrit au sein du Conseil régional PACA.

* 1134 Document publié sur un site non-officiel du Front national : http://www.veritesurlefn.org/modules/xfsection/article.php?articleid=134.

* 1135 Discours prononcé à La Trinité-sur-Mer le 18 août 2001 et consultable à cette adresse : http://www.frontnational.com/doc_interventions_detail.php?id_inter=21. C'est nous qui soulignons.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984