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Mémoire, identité et dynamique des générations au sein et autour de la communauté harkie. Une analyse des logiques sociales et politiques de la stigmatisation.

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par Emmanuel BRILLET
Université Paris IX Dauphine - Doctorat de sciences politiques 2007
  

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2. La dépossession de soi par la flétrissure ou la rémanence transgénérationnelle du stigmate d'infamie

Le statut particulier assigné à la thématique harkie dans l'imaginaire nationaliste algérien - le harki endossant, dans le discours des plus hautes personnalités de l'Etat, le rôle commode et récurrent de bouc émissaire évident pour tous les maux qui touchent l'Algérie indépendante (voir la Partie 2) - s'est banalisé au fil des décennies, pénétrant les consciences individuelles et acquérant valeur de sens commun. Ainsi, Hassina a pu constater de manière fortuite combien, en Algérie, la stigmatisation était à la fois diffuse et confuse :

« C'était il y a trois mois, je zappais sur les canaux arabes, et puis je suis tombée sur la télévision algérienne où il était question de sport. Et l'animateur qui se prend à dire en parlant d'un footballeur qui a marqué contre son équipe : «Un harki dans le sport !». Mais... je suis restée ébahie, je me suis dit : «Mais... c'est pas possible !» ».

Ce « clivage qui existe dans la bouche de certains Algériens » (Hassina) se retrouve en France, exacerbé tout à la fois par la différence de statut qui sanctionne, d'une part, l'exil politique des Français musulmans rapatriés, d'autre part, l'immigration économique des travailleurs algériens, et par la coexistence conflictuelle des deux groupes sur le sol français :

« (...) Franchement, on est bien en France, et... voilà, tu sais, nos parents ont sauvé leur peau, quoi. Maintenant, le reste, c'est que... bon, il y a beaucoup de jaloux, quoi, c'est... ça parle beaucoup, quoi, les harkis, tu sais, ils disent qu'on est... on est un peu rejetés, tu sais, ils nous... comment dire... tu sais, ils disent qu'on est des "traîtres", quoi.

- Mais qui dit que vous êtes des "traîtres" ?

- Ben... ceux qui sont venus après nous, après... après mes parents, quoi.

- Tu veux dire les immigrés ?

- Ouais, les vrais Algériens, ouais, ouais, les immigrés qui viennent maintenant en France, après mes parents, quoi. Tu sais, pour eux... j'sais pas, tu sais, nos parents c'est des "traîtres" » (Lahcène1494(*)) ;

« (...) En ce qui concerne les... les Algériens ou les Beurs, (...) la plupart... dès que vous parlez... quand ils savent pas que t'es harki, quand tu discutes politique ou ce qui se passe en Algérie, automatiquement ils te sortent : «Harki, harki...» ; ils peuvent pas parler de ce sujet-là sans sortir le mot "harki", ils peuvent pas parler de l'Algérie actuellement, ce qui se passe, etc., sans dire que c'est la faute aux harkis, que c'est les harkis qui font ça là-bas. L'immigré, ici, automatiquement il parlera des... : «Ah ! ouais, les harkis, c'est eux...». Voilà, c'est le bouc émissaire évident, dans toutes les discussions, même économiques, ils oublieront pas le harki. Même si tu parles de couture, ils te mettront quand même un harki à l'intérieur » (Jacqueline) ;

«  (...) C'est vrai que je connais beaucoup, beaucoup d'Algériens et... des Marocains, enfin des Maghrébins, et... je les entendais dire, parce qu'on a commencé à parler des harkis, en parlant d'eux [les islamistes]... vu ce qui se passe en Algérie et tout, en parlant d'eux comme des harkis » (Dalila, 37 ans).

Ces marques de défiance ne sont d'ailleurs pas seulement le fait de familles originaires d'Algérie, comme en témoigne Akila Bouremel, femme de harki, qui vit à Mende, en Lozère : « Dans l'immeuble, même les Marocains qui viennent d'arriver nous font des réflexions. «Vous, les harkis, vous n'êtes pas nos frères, vous avez retourné votre veste», m'a dit l'un d'eux »1495(*).

Ainsi, dans une société progressivement remodelée, au plan démographique, par de forts courants migratoires en provenance du Maghreb (et de l'Algérie en particulier), la cohabitation de facto entre populations issues de l'immigration algérienne et familles de harkis dans certains bassins d'emploi n'est pas sans générer des tensions et raviver des clivages. Clivages dont la charge polémique est aujourd'hui encore loin d'être neutralisée et qui, d'une certaine manière, gagnent en rigidité avec la succession des générations : il n'est pas rare, en effet, que les enfants d'immigrés algériens projettent sur les fils et les filles de harkis les termes même de la condamnation prononcée par leurs aînés à l'encontre des Français musulmans rapatriés :

« (...) aller à l'école, se faire traiter de traître, euh... de «fils de harki» quand j'avais huit ou neuf ans, je sais ce que c'est » (Karim) ; « (...) Je me souviens, à l'époque, il y avait des immigrés à l'école, et quand ils disaient : «fils de traître, fils de traître»... je sais qu'il y avait... j'ai des copains, euh... : «fils de traître et de machin...», mais... c'est... parce que c'est les parents qui ont dit ça aux enfants, et les enfants ils disent ça, je veux dire » (Rabah1496(*)).

Lakhdar Belaïd, journaliste et écrivain, fils d'un militant MNA, et auteur de Sérail killers1497(*), un polar tissé autour des déchirures enfouies entre nationalistes algériens et harkis à Roubaix, se souvient que « quand [il] étai[t] gosse, on se traitait de harki entre mômes, c'était l'insulte suprême. Encore maintenant, le mot a gardé valeur d'insulte, même chez les plus jeunes, c'est malheureusement culturel »1498(*). Très tôt, Ahmed a ainsi subi - d'abord sans les comprendre - les insultes de camarades nés en France de parents algériens :

« Ça doit faire trois ans que je m'intéresse à la guerre d'Algérie, aux événements comme ils disent. Avant, j'y connaissais rien. Quand j'étais môme, je savais pas ce que c'était un harki, j'veux dire historiquement, tu comprends ? Les seuls qui savaient quelque chose, c'était les Algériens, parce que eux... alors, finalement, les seules choses qu'on entendait, c'était des insultes...

- Ça t'est arrivé souvent de te faire insulter ?

- Oui, c'est arrivé... c'est arrivé une paire de fois. La première fois, c'était à l'école, j'avais 5-6 ans, et... je me suis fait traiter de «fils de traître», comme ça, directement : le gars s'est posté devant moi. Moi j'ai rien dit parce qu'il était plus âgé, il avait quelques années de plus que moi, mais... ça m'a fait mal, je peux te dire que ça a été douloureux ».

« Il n'est pas un enfant de harki, écrit Mohamed Kara, qui n'ait été virtuellement exposé, depuis sa prime enfance, aux avanies des enfants d'immigrés algériens au point d'en avoir intégré les traits les plus outrageants et de les tenir pour partiellement fondés, dans la mesure où ces incriminations ne trouvaient dans le foyer familial, au titre de répartie, qu'un silence assourdissant ». C'est très précisément ce qu'exprime Dalila (37 ans) :

« Nous, nos parents, ils nous ont pas raconté parce qu'ils avaient honte. Mais les petits Algériens qui sont nés en Algérie, les immigrés qui sont arrivés hier, on leur a raconté l'histoire de l'Algérie, parce que c'est chez eux (...). Alors quand vous grandissez, qu'on vous parle des harkis, et qu'on vous dit : «Voilà, il est égal à telle chose», bah... vous avez envie de vous cacher, hein, c'est normal, on a peur, c'est tout à fait normal ».

Le contraste est saisissant entre la précarité de l'ancrage mémoriel des fils et filles de harkis et la violence des réactions que leur vaut un lien de filiation qui suscite pourtant chez eux plus d'interrogations qu'il ne leur procure de certitudes :

« (...) Tu sais, ma soeur aînée, lorsqu'elle était au lycée, s'est vue cracher à la figure parce qu'elle était fille de harki, c'est, c'est... » (Hassina).

L'individu stigmatisé est un individu frappé d'infamie, qu'il faut éviter, surtout dans les lieux publics :

« Quand j'étais jeune, j'avais seize ans, y'avait un jeune que je côtoyais (...), bon il était d'Algérie (...), bon il a su que j'étais fille de harki (...), et un jour... j'ai une copine qui vient et me dit : «Tu sais, Régika, hein, on sait que tu es fille de harki, alors donc il te parle plus» » (Régika).

Il apparaît ainsi clairement que la rémanence du stigmate d'infamie s'étaye moins sur la réminiscence intime des faits, sur leur ressouvenir, que sur la réification d'une certaine mémoire des faits (donc de ses déformations successives). Il n'est qu'à voir, à cet égard, l'exemple - cité en introduction - de cette famille de harki acculée au déménagement par son voisinage algérien (ou d'origine algérienne) après que le père avait été publiquement et notoirement décoré de la médaille militaire le 14 juillet 2003, à Toulon. Les menaces (« traître », « collabo », « mouchard », criées au téléphone ou sur son passage) et les violences (ayant nécessité l'intervention des CRS) étaient proférées et exercées principalement par de jeunes Français d'origine algérienne, nés en France bien longtemps après la fin de la guerre d'Algérie, sans que cela, apparemment, ne soulève outre mesure l'indignation ou la réprobation de leurs aînés. En témoignent les propos d'une résidente, militante associative d'origine algérienne qui, tout en cherchant à minimiser l'ampleur des incidents, n'est pas loin, semble-t-il, d'en faire l'apologie : « La plupart des gens ont appris cette histoire dans les journaux. Tout le monde s'en fout, et je vais même vous dire une chose : beaucoup de gens pensent que c'est bien fait, parce que M. Araar n'avait pas à frimer avec sa médaille militaire. Et c'est vrai que, franchement, il n'y a pas de quoi se vanter. On nous demande de nous taire, mais que diraient les Français si Papon était décoré par les Allemands ? »1499(*).

Il n'est pas jusqu'au père de Zinédine Zidane qui, bien malgré lui, n'ait eu à subir les conséquences de la rémanence transgénérationnelle du stigmate d'infamie, après que Le livre d'or du football (édition 1998) ait laissé entendre - à tort - que le numéro 10 de l'équipe de France était « fils de harki », ce qui a valu à son père de recevoir « des coups de téléphone anonymes à deux heures du matin ». Devant la proportion prise par l'affaire, Smaïl Zidane n'a pas hésité à convoquer la presse à son domicile. Ce qui importe ici, c'est, au moins autant que les conséquences de cette fausse rumeur sur celui qui en a été l'objet, la manière dont ce dernier a justifié cette mise au point devant la presse : « Je suis Algérien de Kabylie. On ne peut pas le nier. Mais je n'ai jamais été harki ». Et il ajoute : « Je vous raconte ça pour être clair sur ma situation : je suis un immigré, de nationalité algérienne. Je n'ai trahi personne. Je respecte les lois du pays, et je ne suis pas là pour faire un procès à quiconque. Mais ça me fait mal de lire que Zinédine est fils de harki »1500(*). Tout aussi intéressante, "l'explication" de l'éditeur : « Nous avons confondu, comme beaucoup de gens, les Kabyles et les harkis. C'est une erreur regrettable, une connerie même ».

Norbert Elias et John L. Scotson, qui avaient observé des phénomènes analogues de rémanence transgénérationnelle du stigmate d'infamie dans le quartier de Winston Parva, utilisent à ce propos la notion de « rejet primaire » : selon eux, le caractère axiomatique des préjugés collectifs augmente lorsque ceux-ci se transmettent d'une génération l'autre. Ils estiment ainsi que « lorsque les enfants assimilent de bonne heure les attitudes et les croyances discriminatoires, le sentiment que celles-ci sont vraies peut devenir presque indéracinable »1501(*). Les auteurs d'ajouter : « Ce rejet primaire approfondit l'effet que leur caractère communautaire a sur les préjugés collectifs, il les rend plus rigides »1502(*). Les paroles prêtées par l'écrivain marocain Tahar Ben Jelloun à Nadia, personnage de fiction incarnant une fille d'immigrés algériens, rendent parfaitement compte de ce phénomène. D'une génération l'autre, la figure du "renégat" supplante celle du "traître", avec pour constantes la vénalité, la déloyauté et la brutalité (Les raisins de la galère, Paris, Fayard, 1996) : « Je fis remarquer à ma mère que nous n'avions plus rien à redouter : qui allait désormais nous envier ? Peut-être le gardien de l'immeuble, un vieux harki aigri et méchant ? Le pauvre homme avait tout perdu : honneur, femme, enfants. Il vivait seul et parlait à son transistor. Ses enfants avaient changé de ville et de nom. Mohand se faisait appeler David Kohen ; il insistait sur le K. Il portait la kippa et une étoile de David autour du cou. On ne savait pas comment il avait fait fortune, mais son père disait qu'on l'avait payé pour renoncer à l'islam et à l'identité kabyle. De temps en temps, il venait à Resteville pour frimer. Nul ne le reconnaissait. J'avais pitié de lui »1503(*). Quelques pages plus avant, évoquant les actes de violence perpétrés par les vigiles du supermarché du lieu, la narratrice précise : « Les fils de harki cognaient plus fort ; on aurait dit qu'ils avaient une revanche à prendre »1504(*).

Ainsi, dans la bouche de certains enfants d'immigrés algériens, la condamnation des enfants de harkis se cristallise sur le rôle joué par le père durant la guerre d'Algérie, en une sorte de raisonnement en miroir. À cet égard, notre hypothèse est que cette sorte de flétrissure par procuration des enfants de harkis participe, pour certains jeunes issus de l'immigration algérienne, d'une tentative de réappropriation du roman familial - "par contraste" pourrions-nous dire. Et, par là, d'une volonté de conjuration de leur propre "mauvais sort" dans la société française. De fait, dans une société qui pousse à l'assimilation sans en donner toujours les moyens, il s'agirait en quelque sorte de retrouver sens à l'expression des origines (en même temps que de revaloriser le statut de travailleurs migrants des parents), ordinairement vécus comme des facteurs de fragilisation identitaire, en se "re-définissant" par contraste avec la situation des anciens harkis et de leurs enfants, pour autant que ceux-ci soient dépeints comme des (fils de) « renégats », ayant « renié » leurs origines pour se faire une place dans la société d'accueil. Régies selon une trame stéréotypée héritée pour partie des formes orchestrées de la stigmatisation ayant cours en Algérie (et qui ne sauraient donc présager à elles seules de ce que pensent en leur for intérieur les jeunes issus de l'immigration), ces formes de "joute statutaire" s'apparentent sans doute davantage à des mécanismes conventionnels de "réassurance identitaire" (se "re-définir" par contraste avec l'autre) qu'à une véritable continuation de la guerre d'Algérie.

Cependant, dans un article donné à la revue Etudes en avril 1995, Lakhdar Belaïd (dont nous avons déjà parlé plus haut), pointait l'existence d'influences institutionnelles jouant de propos délibéré, d'un côté et de l'autre de la Méditerranée, dans le sens du maintien d'un niveau au moins minimal de tension :

« Depuis l'indépendance, le débat politique algérien a été réduit à sa plus simple expression : un discours essentiellement nationaliste, puis islamisant. On glorifie la révolution, (...) on stigmatise le «parti de l'étranger» ». Et il ajoute : « Les immigrés, notamment ceux de la première génération, n'ont pas été épargnés par ce phénomène. Ils se sont trouvés pris entre le discours populiste "clé en main" du régime d'Alger et les offices de surveillance et d'embrigadement qu'ont longtemps été les Amicales des Algériens en Europe ; y compris les jeunes, par l'intermédiaire de l'Union nationale de la jeunesse algérienne. Celle-ci n'a pas hésité, par exemple, dans les années 1970, à attiser les oppositions entre jeunes Algériens, Marocains et fils de harkis »1505(*).

A cet égard, dans une tribune libre publiée par Le Monde1506(*), où il entendait défendre « l'honneur de l'armée algérienne » et celle de son ancien chef d'Etat-major Khaled Nezzar en particulier (à l'occasion du procès en diffamation intenté par ce dernier à Habib Souadia, l'auteur de La sale guerre1507(*)), l'écrivain algérien Rachid Boudjedra, lui-même ancien membre du FLN (d'abord maquisard, puis représentant du FLN dans les pays de l'Est et en Espagne), semblait se féliciter qu'en France « le nationalisme pro-algérien de la nouvelle génération beur d'origine algérienne se manifeste de plus en plus ». Il ajoutait : « Il y a une sorte de fièvre identitaire qui s'installe dans cette communauté. Elle dit en gros : «Je suis français, mais touchez pas à mon Algérie». L'exemple regrettable de ces jeunes Algéro-Français en train de huer La Marseillaise et d'envahir le terrain du Stade de France, lors du match France-Algérie, fut un signe révélateur de cette nouvelle mentalité ». Et de conclure : « Il faut en tenir compte. Car pour ces jeunes beurs, Nezzar, c'est l'Algérie. Souadia, c'est quoi ? ».

Ce « nationalisme pro-algérien de la nouvelle génération », cette « fièvre identitaire », sont les exutoires trouvés par certaines franges de cette population (pas nécessairement marginalisées socialement) pour donner sens à la destinée de leurs parents et à leur propre existence. Les tensions persistantes avec la communauté harkie participent de ces mécanismes de "réassurance identitaire" : elles s'apparentent à ce que Paul Ricoeur appelle « une réplique symbolique aux faiblesses de l'identité »1508(*), par mise à distance et infériorisation d'un autre groupe interdépendant. En même temps, la stigmatisation de la figure du harki comme figure du « renégat » joue, auprès de certains secteurs de la communauté immigrée, un rôle de "garde-fou" contre une visée assimilatrice jugée « compromettante ». C'est la double fonction, cohésive et régulatrice, des préjugés collectifs qui visent à la fois à alléguer la supériorité des siens par rapport à un autre groupe interdépendant (fonction cohésive) en même temps qu'à renforcer le poids du contrôle communautaire (fonction régulatrice). Bouc émissaire évident pour tous les maux qui touchent l'Algérie indépendante, la figure du harki a donc aussi valeur de "contre-étalon symbolique" pour certaines strates des populations issues de l'immigration maghrébine, algérienne en particulier.

Au regard des stigmatisations croisées (c'est-à-dire imputables à des groupes diversement positionnés sur l'échelle sociale), voire paradoxales (c'est-à-dire contradictoires les unes les autres) dont ils sont individuellement l'objet au cours des interactions de la vie quotidienne, il s'avère que les fils et les filles de harkis se trouvent placés, de nos jours en France, dans une situation identitaire fortement insécure. Situation duale (ou doublement insécure) qui les oblige à gérer un héritage grevé à la fois sur le plan sociopolitique (« stigmate d'infamie ») et sur le plan socioculturel (« stigmate tribal »). Une situation doublement contradictoire qui fait d'eux aussi bien des Algériens par méprise (aux yeux de la société dite d'accueil) que des Français méprisés (aux yeux de certains jeunes issus de l'immigration maghrébine). Dans ces conditions, se pose la question des "stratégies d'accommodation" dont vont user au jour le jour les enfants de harkis pour faire face, déjouer ou composer avec ces exo-définitions de soi qui, dans les interactions de la vie quotidienne, les placent potentiellement dans la situation d'être à la fois « discrédités » et « discréditables »1509(*) : dès lors, quand convient-il de déjouer les apparences ou, au contraire, d'en jouer ?

* 1494 Entretien, novembre 1998, Largentière (Ardèche). Lahcène a 24 ans. Dépourvu de diplôme, il travaille en CDD à la mairie de Largentière comme ouvrier polyvalent. L'entretien se déroule en présence de Zohra, 45 ans, une tante de Lahcène, elle-même fille de harki.

* 1495 Akila Bouremel, la soixantaine, Mende (Lozère), citée par Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003, p.107.

* 1496 Entretien, printemps 1997, Paris. Rabah a entre 35 et 40 ans. Il est fonctionnaire.

* 1497 Lakhdar Belaïd, Sérail killers, Paris, Gallimard, 2000.

* 1498 Interview de Lakhdar Belaïd par Delphine Thouvenot pour l'Ecole supérieure de journalisme de Lille ; cf. interview consultable à cette adresse : http://www.esj-lille.fr/atelier/magan2/lilledeu/gens/belaid.htm.

* 1499 Charles Bénédicte, « Il était médaillé : ça n'a pas arrangé ses affaires. L'ex-harki s'expulse de sa cité », Marianne, n°344, semaine du 24 novembre 2003 au 30 novembre 2003 ; http://www.marianne-en-ligne.fr/archives/e-docs/00/00/30/E9/document_article_marianne.phtml. Dix-huit auparavant, en avril 1985, à Toulon également, un fait divers plus dramatique encore, mais dont les ressorts sont comparables, avait défrayé la chronique. Un ancien harki âgé de 58 ans avait tué trois de ses voisins (deux d'origine algérienne, un d'origine marocaine), après qu'il eût été l'objet, pendant des mois, d'insultes, de vexations et de brimades en raison de son engagement passé aux côtés de l'armée française. Il avait été hospitalisé quelques jours auparavant à la suite d'une énième échauffourée, et s'était adressé plusieurs fois à la police pour porter plainte, sans résultat. Robert Mouson, alors président de l'association des Français musulmans et de leurs amis avait apporté les précisions suivantes : « Les immigrés le prenaient régulièrement à partie. Il n'en pouvait plus. La vie devenait infernale pour lui. Sa plainte n'a pas eu de suite et il en était déçu. D'ailleurs, ce n'est pas un cas unique. Des bagarres éclatent régulièrement avec les mêmes antagonistes et pour les mêmes raisons dans les foyers Sonacotra de la ville. Il y a déjà eu trois blessés. Les Français musulmans paient très cher leur choix. Ils doivent se taire ou recevoir des coups » (Propos rapportés dans Le Figaro du 16 avril 1985, avec pour titre : « Le coup de folie de l'ancien harki », et pour sous-titre : « Il était un «traître» pour ses voisins algériens. Dimanche soir, à Toulon, il n'a plus supporté. Le sang a coulé »).

* 1500 Smaïl Zidane, cité par Christine François, « Le père de Zidane ne veut plus qu'on le traite de «harki» », La Provence du 24 septembre 1998. C'est nous qui soulignons.

* 1501 Norbert Elias et John L. Scotson, op.cit., p.176.

* 1502 Ibidem.

* 1503 Tahar Ben Jelloun, Les raisins de la galère, Paris, Fayard, 1996 ; extrait cité in Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.120.

* 1504 Tahar Ben Jelloun, Les raisins de la galère, Paris, Fayard, 1996 ; extrait cité in Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.120.

* 1505 Lakhdar Belaïd, « Crise algérienne : la (non-)réaction des Algériens vivant en France », Etudes, avril 1995, p.442.

* 1506 Rachid Boudjedra, « L'honneur de l'armée algérienne », in Le Monde du 6 juillet 2002, p.15.

* 1507 Habib Souaïdia, La sale guerre. Le témoignage d'un ancien officier des forces spéciales de l'armée algérienne, Paris, La Découverte, 2001.

* 1508 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.

* 1509 Voir les définitions de ces notions ci-dessous, dans la section B.

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